Sescho a écrit :Louisa a écrit :
... il n'y a pas non plus de trace explicite d'un mode infini "de premier rang". Spinoza ici ne fait que rappeler que les modes dont il parle en l'E1P21,22,23 (à savoir les modes qui suivent immédiatement et médiatement de la nature même de l'attribut) sont toujours plus parfaits que ce qui a besoin de davantage de médiations pour être produite.
Par conséquent, je ne vois pas comment on pourrait se baser sur ce passage pour pouvoir en tirer une démonstration de l'inexistence des modes médiats infinis et éternels.
Si tu as la démonstration - avec Spinoza - de l'existence de tels modes (infinis et éternels de deuxième rang ou de troisième, etc., donc) – ce qui me semble un minimum pour dire qu’une chose est ; autrement dit c’est d’abord là qu’incombe la charge de la preuve – n'hésite pas à la reproduire (je ne parle pas de ta pseudo-démonstration à partir des idées adéquates qui sont en Dieu et dont le libellé au mot près dans l'Ethique ne comporterait absolument que des réalités, même lorsque l'expression est faite d'alternatives et que l'usage de la proposition le dément, etc. Je parle d'une vraie démonstration, directe.)
il me semble que cette démonstration, je l'ai entre-temps déjà reformulée trois fois dans son essence même, alors que mon premier message à ce sujet y ajoutait d'autres arguments encore. Il est tout à fait possible, bien sûr, que cette démonstration ne vous convainc pas, mais il va falloir me dire avec QUEL argument plus précis vous n'êtes pas d'accord et POURQUOI, sinon je peux toujours continuer à essayer de reformuler encore, sans savoir quelle est plus précisément votre objection, rien ne garantit que cela nous permettra d'avancer.
Donc, voici de nouveau la démonstration de l'existence d'un mode infini médiat, reformulée de manière la plus 'simple" possible (du moins en ce qui concerne mes possibilités à moi). La question était de savoir si chez Spinoza un tel mode existe réellement. Selon vous, son existence n'est que logiquement possible, mais rien n'indiquerait qu'elle est réellement nécessaire. Or voilà que déjà l'E1P22 elle-même dit qu'elle est nécessaire:
"
Tout ce qui suit d'un attribut de Dieu en tant qu'il a été modifiée d'une telle modification, qui, par cet attribut, existe nécessairement et comme infinie, doit aussi exister nécessairement et comme infini."
Car que dit cette proposition? Sur quoi porte-t-elle? Sur ce qui suit d'une attribut de Dieu en tant qu'il a été modifiée par un mode infini éternel immédiat ("une telle modification" référant à la proposition précédente, qui prouve l'existence réellement nécessaire de ce type de mode).
L'E1P22 porte donc sur ce que vous appelez des modes infinis "de second rang": sur un effet produit par un mode infini éternel immédiat, autrement dit sur l'effet produit par une modification qui suit de la nature même de l'attribut. Cette modification est déjà elle-même un effet (effet produit par la nature du mode), d'où votre expression de "mode infini de premier rang". Mais comme tout ce qui existe, elle ne peut que produire elle aussi un effet (= mode de second rang, dans votre vocabulaire). L'E1P22 dit simplement que cet effet, puisqu'il est produit par quelque chose d'infini et d'éternel, doit nécessairement aussi être infini et éternel. Or ce qui est éternel, dit Spinoza explicitement notamment dans la démonstration de l'E1P23, existe nécessairement. Par conséquent, le mode infini médiat ou "de second rang" ... existe nécessairement. Cela n'a rien à voir avec une "possibilité logique" mais qui en restait à un pur état "potentiel", sans se réaliser dans l'existence (et comme déjà dit, à mes yeux de nombreux arguments réfutent l'idée même d'un possible non déjà réalisé chez Spinoza; voir l'un de mes messages précédents).
Pour PROUVER la vérité de cette proposition (donc du fait que le mode infini immédiat est éternel c'est-à-dire existe nécessairement), Spinoza le trouve suffisant de nous dire qu'il faut refaire le même raisonnement que celui qu'il a fait pour la démonstration de l'E1P21 (que Pourquoipas et moi et d'autres forumeurs avons explicité dans le fil que Pourquoipas vient de reprendre; si donc vous interprétez cette démonstration-là aussi différemment, je vous invite à (re)lire ce qu'on y a écrit et à formuler quelques objections).
Sescho a écrit :Pour le reste, il est de la plus immédiate utilité de consolider une interprétation d'une proposition de Spinoza par l'usage que Spinoza fait lui-même de celle-ci par la suite (ou par anticipation)
là-dessus, nous sommes tout à fait d'accord.
Sescho a écrit :or, comme je l'ai souligné, pour moi et pour l’instant seules des négations entrent dans ces usages...
pour autant que je l'aie compris, les exemples que vous avez donnés pour l'instant ne sont que des passages qui parlent de modes finis. Qu'on n'y trouve pas de référence à des modes infinis me semble donc être assez logique. Si l'on trouvait un endroit où Spinoza dirait que les modes infinis médiats n'existent PAS nécessairement, alors on aurait effectivement une négation de la thèse que je défends. Mais cela n'est point le cas pour les exemples que vous avez cité, il me semble?
Sescho a écrit :Maintenant il est possible que j'ai loupé d'autres emplois qui vont dans ton sens ; là-encore, n'hésite pas à les reproduire, cela sera édifiant au moins pour moi.
ce serait aussi édifiant pour moi. Car pour autant que je sache (mais il est évident que je peux me tromper) Spinoza ne parle des modes infinis (médiat aussi bien qu'immédiat) que dans les proprositions 21, 22 et 23 de l'E1. Après, on ne trouve que quelques passages qui démontrent que telle ou telle chose doit être un mode fini, démonstration qui consiste en une
reductio ad absurdum, c'est-à-dire qui démontre que supposer que tel ou tel mode serait infini est absurde. Mais je ne vois pas comment en déduire quelque chose par rapport aux modes infinis en eux-mêmes?
Sescho a écrit :Louisa a écrit : Sescho a écrit :
On peut ajouter qu'il n'y a pas de raison pour s'arrêter à deux modes infinis et nécessaires, puisqu'en raccourcissant à la seconde hypothèse seulement on obtient une cause identique en rang ontologique à l'effet : "... un mode dont l’existence est nécessaire et infinie a dû découler [d'une] modification ... qui est nécessaire et infinie."
je n'ai pas compris ce que vous voulez dire par ceci. Serait-il possible de reformuler? Merci.
La deuxième possibilité c'est qu'un mode infini et nécessaire suive d'un mode infini et nécessaire, autrement dit d'une chose de même "catégorie" (oui, le mot n’est pas de Spinoza, mais ce que je veux dire est parfaitement compréhensible.)
ok (je n'ai pas de problème avec l'appellation "deuxième rang/catégorie", il est en effet clair ce que vous voulez dire par là, je crois). Et quelle serait alors la première possibilité?
Sescho a écrit :C'est là qu'est le problème, et d'autant plus que tu as écrit que tout ce qui s'ouvrait comme possibilité devait nécessairement être (« il DOIT produire un effet… ») : pourquoi devrait-on s'arrêter là ? Il faut donc prolonger à l'infini. Le terme de « médiat » ou d’intermédiaire ajouté ne change rien au problème ; il ne fait que marquer qu’on lui attribue un rang. Donc le mode « médiat » doit produire un effet, et celui-ci est forcément infini et nécessaire, etc. Ou quoi ?
ah mais là on a une question tout à fait intéressante, à laquelle Spinoza, pour autant que je sache, ne répond pas. Il ne dit que plus il y a d'intermédiaires, moins la chose est "parfaite". On pourrait se dire qu'être fini est être moins parfait qu'être fini. Mais
où se passe plus précisément le passage des modes infinis aux modes finis, chez Spinoza? Hokousai a ouvert récemment un nouveau fil de discussion à ce sujet, et à raison, car à ce niveau il me semble qu'aucun parmi nous dispose déjà d'une réponse claire et convaincante. Seulement, je ne vois pas très bien en quoi notre impossibilité (provisoire?) de répondre à une telle question changerait quoi que ce soit à l'E1P22, qui dit très clairement que l'effet d'un mode infini éternel immédiat, c'est un effet infini éternel médiat, qui par la même existe réellement?
Sescho a écrit :Au fait, c’est quoi l’effet du mode nécessaire et infini médiat ?
Spinoza n'en parle jamais. Donc on ne sait pas ce qu'il pensait à ce sujet. Ce mode produit-il un autre effet infini et nécessaire? Si l'on suit le raisonnement de l'E1P21, il faudrait supposer que oui. Mais alors quel est ce mode? On n'en sait rien. Ou faut-il plutôt supposer qu'à partir de l'effet d'un tel mode de "second" rang, donc à partir du moment où l'on passe au "troisième" rang, l'infinité elle-même se perd, et l'on passe aux modes finis ... ?
Or je ne vois pas en quoi une absence de réponse à de telles questions rendrait l'E1P22 (qui prouve l'existence nécessaire d'un mode infini médiat) fausse ... ?
Sescho a écrit :Pour remonter, quand l’idée adéquate dit « soit … soit » elle dit « soit … soit » et pas autre chose. Cela peut être éventuellement inclusif mais éventuellement seulement.
à mon avis, l'E1P23 à laquelle vous référez ici dit seulement que tout mode infini éternel doit nécessairement suivre ou bien d'un mode infini éternel immédiat, ou bien d'un mode infini éternel médiat. Il est clair que cela ne prouve en rien que ces deux types de modes existent réellement. Cela ne prouve quelque chose que par rapport aux modes infinis que l'on pourrant rencontrer dans la nature.
Donc oui, nous sommes d'accord pour dire que l'E1P23 ne prouve pas DU TOUT l'existence des modes infinis éternels médiats (ni celles des modes infinis éternels immédiats). C'est la raison pour laquelle j'essaie d'attirer votre attention sur l'E1P22, qui quant à elle prouve à mon sens indéniablement l'existence nécessaire du mode infini médiat.
Sescho a écrit :Donc selon moi Spinoza procède ainsi :
Il pose par avance que ce qui suit (ou suivrait) immédiatement soit de la nature d’un attribut, soit de la nature d’un mode nécessaire (« qui existe dans la durée éternellement ») et infini (le Mouvement par exemple) est lui-même nécessaire et infini.
si vous dites ceci, vous mettez également en question la vérité de l'E1P21, qui prouve l'existence nécessaire du mode infini immédiat. Vous faites comme si la démonstration de l'E1P21 en fait ne prouve guère l'existence nécessaire ou éternelle du mode infini médiat. Si c'est ce que vous pensez, encore une fois, je ne peux que vous inviter à essayer de réfuter le développement explicite du mouvement qui caractérise la démo de cette proposition, développement entrepris dans le fil auquel réfère le sujet de discussion relancé récemment par Pourquoipas.
Or si vous vouliez simplement dire que dans l'E1P23 l'existence du mode infini médiat et du mode infini immédiat sont déjà présupposées mais non pas démontrées: nous sommes tout à fait d'accord. Spinoza pour présuppose la vérité de ces deux idées, puisque JUSTE AVANT, dans l'E1P21 et 22, il vient d'en démontrer la vérité. Que cela est "posé" en l'E1P23 n'enlève donc en rien le fait que ce soit bel et bien PROUVÉ dans les propositions juste avant. Si donc vous voulez mettre en question l'existence des modes infinis immédiats et/ou médiats, il nous faut discuter des propositions 21 et 22, pas de 23.
Sescho a écrit :Dans la célèbre E1P28 (qui pose l’interdépendance dans les grandes largeurs, d'ailleurs), Spinoza s’en sert pour prouver que la cause de l’existence d’une chose singulière et aussi le moteur de son action (je souligne ; on peut considérer les idées adéquates comme hors de cela, cependant, je pense) ce ne peut être qu’une autre chose singulière et donc ni un attribut ni un mode infini. Point barre.
en effet. Nous sommes tout à fait d'accord là-dessus: la cause d'un mode fini, c'est un autre mode fini, PAS un mode infini. Mais de nouveau: comment cela pourrait-il prouver quoi que ce soit par rapport aux modes infinis ... ?
Quant aux idées adéquates: je n'ai pas compris ce que vous vouliez dire.
Sescho a écrit :Quant au scholie, je répète qu’il ne laisse pas gros de place aux « modes infinis de deuxième niveau » :
Spinoza a écrit:
E1P28S : Comme il est nécessaire que certaines choses aient été produites immédiatement par Dieu, c’est à savoir celles qui découlent nécessairement de sa nature absolue, sans autre intermédiaire que ces premiers attributs, qui ne peuvent être ni être conçus sans Dieu ; il suit de là : premièrement, que Dieu est la cause absolument prochaine des choses qui sont immédiatement produites par lui ; absolument prochaine, dis-je, et non générique, comme on dit ; car les effets de Dieu ne peuvent être ni être conçus sans leur cause (par la Propos. 15 et le Coroll. de la Propos. 24) : secondement, que Dieu ne peut être appelé proprement la cause éloignée des choses particulières, si ce n’est afin de distinguer cet ordre de choses de celles que Dieu produit immédiatement, ou plutôt qui suivent de sa nature absolue. Par cause éloignée, en effet, nous entendons une cause qui n’est liée en aucune façon avec son effet. Or tout ce qui est, est en Dieu et dépend tellement de Dieu qu’il ne peut être ni être conçu sans lui.
encore une fois, ici Spinoza ne parle que de modes finis et de modes infinis immédiats. Comment cela pourrait-il prouver quoi que ce soit des modes infinis médiats ... ? Depuis quand le simple fait de ne pas parler de quelque chose suffirait-il pour avoir la preuve de son inexistence ... ?
Petite question d'ordre "technique" pour terminer: depuis quelques jours je n'ai plus accès au lien concernant les "enchaînements" (lien qui se trouve à droite du forum), ou plutôt: je n'ai accès qu'à la première page, et si je veux accéder à la deuxième, il refuse. Suis-je la seule à avoir ce problème? Et quelqu'un sait-il comment le résoudre?
Merci par avance,
L.