Du sentiment même de soi.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar sescho » 25 oct. 2008, 18:38

Louisa a écrit :... il n'y a pas non plus de trace explicite d'un mode infini "de premier rang". Spinoza ici ne fait que rappeler que les modes dont il parle en l'E1P21,22,23 (à savoir les modes qui suivent immédiatement et médiatement de la nature même de l'attribut) sont toujours plus parfaits que ce qui a besoin de davantage de médiations pour être produite.

Par conséquent, je ne vois pas comment on pourrait se baser sur ce passage pour pouvoir en tirer une démonstration de l'inexistence des modes médiats infinis et éternels.

Si tu as la démonstration - avec Spinoza - de l'existence de tels modes (infinis et éternels de deuxième rang ou de troisième, etc., donc) – ce qui me semble un minimum pour dire qu’une chose est ; autrement dit c’est d’abord là qu’incombe la charge de la preuve – n'hésite pas à la reproduire (je ne parle pas de ta pseudo-démonstration à partir des idées adéquates qui sont en Dieu et dont le libellé au mot près dans l'Ethique ne comporterait absolument que des réalités, même lorsque l'expression est faite d'alternatives et que l'usage de la proposition le dément, etc. Je parle d'une vraie démonstration, directe.)

Pour le reste, il est de la plus immédiate utilité de consolider une interprétation d'une proposition de Spinoza par l'usage que Spinoza fait lui-même de celle-ci par la suite (ou par anticipation) ; or, comme je l'ai souligné, pour moi et pour l’instant seules des négations entrent dans ces usages... Maintenant il est possible que j'ai loupé d'autres emplois qui vont dans ton sens ; là-encore, n'hésite pas à les reproduire, cela sera édifiant au moins pour moi.

Louisa a écrit :
Sescho a écrit :On peut ajouter qu'il n'y a pas de raison pour s'arrêter à deux modes infinis et nécessaires, puisqu'en raccourcissant à la seconde hypothèse seulement on obtient une cause identique en rang ontologique à l'effet : "... un mode dont l’existence est nécessaire et infinie a dû découler [d'une] modification ... qui est nécessaire et infinie."


je n'ai pas compris ce que vous voulez dire par ceci. Serait-il possible de reformuler? Merci.

La deuxième possibilité c'est qu'un mode infini et nécessaire suive d'un mode infini et nécessaire, autrement dit d'une chose de même "catégorie" (oui, le mot n’est pas de Spinoza, mais ce que je veux dire est parfaitement compréhensible.)

C'est là qu'est le problème, et d'autant plus que tu as écrit que tout ce qui s'ouvrait comme possibilité devait nécessairement être (« il DOIT produire un effet… ») : pourquoi devrait-on s'arrêter là ? Il faut donc prolonger à l'infini. Le terme de « médiat » ou d’intermédiaire ajouté ne change rien au problème ; il ne fait que marquer qu’on lui attribue un rang. Donc le mode « médiat » doit produire un effet, et celui-ci est forcément infini et nécessaire, etc. Ou quoi ?

Au fait, c’est quoi l’effet du mode nécessaire et infini médiat ?

Pour remonter, quand l’idée adéquate dit « soit … soit » elle dit « soit … soit » et pas autre chose. Cela peut être éventuellement inclusif mais éventuellement seulement.

Donc selon moi Spinoza procède ainsi :

Il pose par avance que ce qui suit (ou suivrait) immédiatement soit de la nature d’un attribut, soit de la nature d’un mode nécessaire (« qui existe dans la durée éternellement ») et infini (le Mouvement par exemple) est lui-même nécessaire et infini.

Dans la célèbre E1P28 (qui pose l’interdépendance dans les grandes largeurs, d'ailleurs), Spinoza s’en sert pour prouver que la cause de l’existence d’une chose singulière et aussi le moteur de son action (je souligne ; on peut considérer les idées adéquates comme hors de cela, cependant, je pense) ce ne peut être qu’une autre chose singulière et donc ni un attribut ni un mode infini. Point barre.

Quant au scholie, je répète qu’il ne laisse pas gros de place aux « modes infinis de deuxième niveau » :

Spinoza a écrit :E1P28S : Comme il est nécessaire que certaines choses aient été produites immédiatement par Dieu, c’est à savoir celles qui découlent nécessairement de sa nature absolue, sans autre intermédiaire que ces premiers attributs, qui ne peuvent être ni être conçus sans Dieu ; il suit de là : premièrement, que Dieu est la cause absolument prochaine des choses qui sont immédiatement produites par lui ; absolument prochaine, dis-je, et non générique, comme on dit ; car les effets de Dieu ne peuvent être ni être conçus sans leur cause (par la Propos. 15 et le Coroll. de la Propos. 24) : secondement, que Dieu ne peut être appelé proprement la cause éloignée des choses particulières, si ce n’est afin de distinguer cet ordre de choses de celles que Dieu produit immédiatement, ou plutôt qui suivent de sa nature absolue. Par cause éloignée, en effet, nous entendons une cause qui n’est liée en aucune façon avec son effet. Or tout ce qui est, est en Dieu et dépend tellement de Dieu qu’il ne peut être ni être conçu sans lui.



Serge
Modifié en dernier par sescho le 25 oct. 2008, 19:02, modifié 1 fois.
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Messagepar hokousai » 25 oct. 2008, 18:40

Par conséquent, toute idée humaine réellement adéquate, au sens spinoziste du terme, doit concerner toujours quelque chose qui se réalise nécessairement, jamais quelque chose de possibe qui pourrait tout aussi bien ne pas se réaliser.


chère Louisa

il est plus facile d'avoir des idées adéquates après .
je vous disais donc que dire que ce qui se réalise c' est ce qui est réalisable est de peu d'intérêt .

Toutes les idées adéquates ( pseudo ) avant , avant ce qui peut se réaliser sont hypothétiques ( plus ou moins de probables mais hypothétiques )
A moins que vous voyez de l 'adéquation dans le probable , après tout la statistique est une science.

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Messagepar hokousai » 25 oct. 2008, 18:56

cher Serge

Sur la statue il me semble que Spinoza dit que l'esprit humain a une idée de ce qu' il veut faire il a une idée de ce qu est la choses . ce quest la chose c est son essence, je veux bien , du point de vue du sculpteur ,certes, mais de son point de vue seulement .
L 'essence est comprise dans une relation temporelle entre une intention et une activité .
Mais Dieu ne pense pas avant , l idée de ce qu'est la chose et la chose sont en parallèle ( parallélisme )

Mais en revanche, il nie bien clairement que cette classification marque une succession d'êtres réels


alors il n'est pas réaliste au sens aristotélicien .

mais la distinction absolue de l'essence et de l'existence pour les modes


c 'est qu'il distingue absolument les attributs pensée et étendue , l'essence relève de l'intellection via la définition , c'est l'idée de ce qu'est la chose .

Ne jamais oublier ce qui est comme une profession de foi
'cf la lettre 32) je crois qu'il y a dans la nature une puissance infinie de penser ...

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Messagepar sescho » 25 oct. 2008, 20:21

Cher hokousai

Pour moi, nous touchons là du délicat... donc il est sous-entendu que je fais ce que je peux (comme toujours, mais ici plus nettement)...

Spinoza dit bien dans les PM (au moins ?) que l'essence est distincte de l'idée. Maintenant même les PM, outre qu'il s'agit du premier ouvrage de Spinoza (peut-être après le Court-Traité et le TRE, je n'ai pas vérifié...), peuvent être soupçonnées ne n'être pas conforme à l'idée de Spinoza, comme l'indique la préface de L. Meyer.

hokousai a écrit : Sur la statue il me semble que Spinoza dit que l'esprit humain a une idée de ce qu' il veut faire il a une idée de ce qu est la choses . ce quest la chose c est son essence, je veux bien , du point de vue du sculpteur ,certes, mais de son point de vue seulement .
L 'essence est comprise dans une relation temporelle entre une intention et une activité .
Mais Dieu ne pense pas avant , l idée de ce qu'est la chose et la chose sont en parallèle ( parallélisme )

Bien... Dieu a de toute éternité idée de lui-même et de tout ce qui en découle (ce n'est pas lié au temps : tout, c'est absolument tout.) Le terme "avant" se réfère au temps, lequel ne convient pas à Dieu. D'où l'exemple des segments dans le cercle : les paires de segments sont déjà contenues dans l'idée du cercle (je pourrais ajouter "en puissance", mais ce serait faux, car je ferais alors référence aux choses particulières en acte, alors que par la métaphore il s'agit de Dieu modifié qui est éternel.) Toutefois, lorsqu'un segment vient à exister dans le cours du temps, alors l'idée qui lui correspond vient elle-aussi à exister en parallèle, ce qui se distingue en quelque chose de la situation "sans forme". Du coup, on voit apparaître une distinction entre l'essence et l'idée : l'essence est éternelle, l'idée pas. Sauf l'entendement infini, ou Idée de Dieu, bien sûr... Mais les essences comme je l'ai dit n'y sont pas alors rangées comme dans une penderie. De plus, l'entendement de Dieu n'a que peu de rapport avec le nôtre.

Nous avons l'idée d'une essence mais l'idée n'est pas l'essence, voilà me semble-t-il ce que Spinoza dit. Cela implique que nous concevons l'essence sans l'existence, ce qu'il dit on ne peut plus clairement. Et c'était là notre objet.


hokousai a écrit :Ne jamais oublier ce qui est comme une profession de foi
'cf la lettre 32) je crois qu'il y a dans la nature une puissance infinie de penser ...

Cette lettre est très importante, c'est certain.

Spinoza a écrit :... comme la nature de l’univers n’est pas limitée comme celle du sang, mais absolument infinie, toutes ses parties doivent être modifiées d’une infinité de façons et souffrir une infinité de changements en vertu de la puissance infinie qui est en elle. Mais l’union la plus étroite que je conçoive entre les parties de l’univers, c’est leur union sous le rapport de la substance. Car j’ai essayé de démontrer, comme je vous l’ai dit autrefois dans la première lettre que je vous écrivais, me trouvant encore à Rheinburg, que la substance étant infinie de son essence, chaque partie de la substance corporelle appartient à la nature de cette substance et ne peut exister ni être conçue sans elle.
Vous voyez, Monsieur, pour quelle raison et dans quel sens je pense que le corps humain est une partie de la nature. Quant à l’âme humaine, je crois qu’elle en est aussi une partie ; car il existe, selon moi, dans la nature, une puissance de penser infinie, laquelle, en tant qu’infinie, contient en soi objectivement la nature tout entière et dont les différentes pensées s’ordonnent conformément à une loi générale, la loi de la pensée ou des idées. L’âme humaine, selon moi, c’est cette même puissance dont je viens de parler, non pas en tant qu’elle est infinie et perçoit toute la nature, mais en tant qu’elle est finie, c’est-à-dire en tant qu’elle perçoit seulement le corps humain ; et sous ce point de vue, je dis que l’âme humaine est une partie d’une intelligence infinie. ...

Pour moi, Spinoza parle de l'entendement infini, "tout simplement" (mais je ne pense que tout soit dit par là... ;-) )

Mon principal problème c'est que je ne conçois pas l'étendue comme comportant tous les modes possibles de manière éternelle, alors qu'elle doit être étendue de fait, autrement dit en particulier comme je la vois en cet instant. Le pendant de l'Entendement infini c'est le Mouvement. Le Mouvement sans avoir défini le mobile, l'espace et le temps, c'est, comme je l'ai dit, déjà assez "gonflé" (mais je le ressens comme génial.) Alors... Il est sans doute vain de chercher un lien logique : nous percevons l'existence par le temps, et l'Etendue et le Mouvement sont éternels et infinis ; nous ne pouvons pas, de par nos limites (car on ne DOIT pas transposer de Dieu à l'Homme sans un grand discernement, qui fait surtout l'objet de E2), comprendre comment tous les modes de l'Etendue (en tant qu'étendus, donc) existent de toute éternité. A moins peut-être de considérer qu'une forme dans l'étendue n'est pas en elle-même étendue ??? !!! Il doit en être de même dans la Pensée d'ailleurs, par symétrie, quoique notre entendement limité pourrait introduire, de par ces limites, une dissymétrie. J'arrête là ... ;-)

En revanche, que tous les corps découlent de la nature du Mouvement dans l'Etendue, cela passe assez bien chez moi...


Serge
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Messagepar hokousai » 25 oct. 2008, 22:19

à Serge ( je réponds sur l'essence cest uen question d 'importance )

Si l’essence n’est pas une idée ( à fortiori pas un corps ) , ça ce tient où ?
Ce n’est pas un attribut . C’est un mode ou non ?
Si c’est un mode c’est une modification d’ un attribut .. Par exemple l’essence de l’homme est « des manière de penser « .
L’essence d’une chose singulière c’est alors ce qu’elle est et elle est une modification de la substance.

Mais même pour la substance
Remplacez le mot essence par ce qu’il/elle est
prop3/2
«""" En Dieu il y a nécessairement une idée tant de ce qu’il est que de tout ce qui suit nécessairement de ce qu’il est . """"»
Qu’est ce que l’essence c’est ce qu’il est et même si c’est une c’est une tautologie disons il est ce qu’il est .Il n’y a pas dédoublement entre ce qu’il est et son essence .
…………………………………
exemple sur l’essence (scolie prop 49/2)
l’essence de l’idée c’est l’ affirmation en tant qu’on la conçoit abstraitement présente dans chaque idée ( mais sous ce seul rapport )puis chaque idée a une essence propre ( idée de triangle , de cercle etc ..) l’ essence c’est ce que ces idées sont , elles sont ce qu’elles sont ,alors là l’essence est indistincte de ce qu’est la chose existante .

C' est une vue de l'esprit que de voir une distinction entre ce que la chose est et ce qu' elle est .

Sinon je ne vois pas où peuvent se tenir les essences sinon dans l’ intellect de Dieu lequel a les idée de ce que les choses sont .Ce sont des idées .

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Messagepar Louisa » 26 oct. 2008, 04:44

Sescho a écrit :
Louisa a écrit :
... il n'y a pas non plus de trace explicite d'un mode infini "de premier rang". Spinoza ici ne fait que rappeler que les modes dont il parle en l'E1P21,22,23 (à savoir les modes qui suivent immédiatement et médiatement de la nature même de l'attribut) sont toujours plus parfaits que ce qui a besoin de davantage de médiations pour être produite.

Par conséquent, je ne vois pas comment on pourrait se baser sur ce passage pour pouvoir en tirer une démonstration de l'inexistence des modes médiats infinis et éternels.


Si tu as la démonstration - avec Spinoza - de l'existence de tels modes (infinis et éternels de deuxième rang ou de troisième, etc., donc) – ce qui me semble un minimum pour dire qu’une chose est ; autrement dit c’est d’abord là qu’incombe la charge de la preuve – n'hésite pas à la reproduire (je ne parle pas de ta pseudo-démonstration à partir des idées adéquates qui sont en Dieu et dont le libellé au mot près dans l'Ethique ne comporterait absolument que des réalités, même lorsque l'expression est faite d'alternatives et que l'usage de la proposition le dément, etc. Je parle d'une vraie démonstration, directe.)


il me semble que cette démonstration, je l'ai entre-temps déjà reformulée trois fois dans son essence même, alors que mon premier message à ce sujet y ajoutait d'autres arguments encore. Il est tout à fait possible, bien sûr, que cette démonstration ne vous convainc pas, mais il va falloir me dire avec QUEL argument plus précis vous n'êtes pas d'accord et POURQUOI, sinon je peux toujours continuer à essayer de reformuler encore, sans savoir quelle est plus précisément votre objection, rien ne garantit que cela nous permettra d'avancer.

Donc, voici de nouveau la démonstration de l'existence d'un mode infini médiat, reformulée de manière la plus 'simple" possible (du moins en ce qui concerne mes possibilités à moi). La question était de savoir si chez Spinoza un tel mode existe réellement. Selon vous, son existence n'est que logiquement possible, mais rien n'indiquerait qu'elle est réellement nécessaire. Or voilà que déjà l'E1P22 elle-même dit qu'elle est nécessaire:

"Tout ce qui suit d'un attribut de Dieu en tant qu'il a été modifiée d'une telle modification, qui, par cet attribut, existe nécessairement et comme infinie, doit aussi exister nécessairement et comme infini."

Car que dit cette proposition? Sur quoi porte-t-elle? Sur ce qui suit d'une attribut de Dieu en tant qu'il a été modifiée par un mode infini éternel immédiat ("une telle modification" référant à la proposition précédente, qui prouve l'existence réellement nécessaire de ce type de mode).

L'E1P22 porte donc sur ce que vous appelez des modes infinis "de second rang": sur un effet produit par un mode infini éternel immédiat, autrement dit sur l'effet produit par une modification qui suit de la nature même de l'attribut. Cette modification est déjà elle-même un effet (effet produit par la nature du mode), d'où votre expression de "mode infini de premier rang". Mais comme tout ce qui existe, elle ne peut que produire elle aussi un effet (= mode de second rang, dans votre vocabulaire). L'E1P22 dit simplement que cet effet, puisqu'il est produit par quelque chose d'infini et d'éternel, doit nécessairement aussi être infini et éternel. Or ce qui est éternel, dit Spinoza explicitement notamment dans la démonstration de l'E1P23, existe nécessairement. Par conséquent, le mode infini médiat ou "de second rang" ... existe nécessairement. Cela n'a rien à voir avec une "possibilité logique" mais qui en restait à un pur état "potentiel", sans se réaliser dans l'existence (et comme déjà dit, à mes yeux de nombreux arguments réfutent l'idée même d'un possible non déjà réalisé chez Spinoza; voir l'un de mes messages précédents).

Pour PROUVER la vérité de cette proposition (donc du fait que le mode infini immédiat est éternel c'est-à-dire existe nécessairement), Spinoza le trouve suffisant de nous dire qu'il faut refaire le même raisonnement que celui qu'il a fait pour la démonstration de l'E1P21 (que Pourquoipas et moi et d'autres forumeurs avons explicité dans le fil que Pourquoipas vient de reprendre; si donc vous interprétez cette démonstration-là aussi différemment, je vous invite à (re)lire ce qu'on y a écrit et à formuler quelques objections).

Sescho a écrit :Pour le reste, il est de la plus immédiate utilité de consolider une interprétation d'une proposition de Spinoza par l'usage que Spinoza fait lui-même de celle-ci par la suite (ou par anticipation)


là-dessus, nous sommes tout à fait d'accord.

Sescho a écrit :or, comme je l'ai souligné, pour moi et pour l’instant seules des négations entrent dans ces usages...


pour autant que je l'aie compris, les exemples que vous avez donnés pour l'instant ne sont que des passages qui parlent de modes finis. Qu'on n'y trouve pas de référence à des modes infinis me semble donc être assez logique. Si l'on trouvait un endroit où Spinoza dirait que les modes infinis médiats n'existent PAS nécessairement, alors on aurait effectivement une négation de la thèse que je défends. Mais cela n'est point le cas pour les exemples que vous avez cité, il me semble?

Sescho a écrit :Maintenant il est possible que j'ai loupé d'autres emplois qui vont dans ton sens ; là-encore, n'hésite pas à les reproduire, cela sera édifiant au moins pour moi.


ce serait aussi édifiant pour moi. Car pour autant que je sache (mais il est évident que je peux me tromper) Spinoza ne parle des modes infinis (médiat aussi bien qu'immédiat) que dans les proprositions 21, 22 et 23 de l'E1. Après, on ne trouve que quelques passages qui démontrent que telle ou telle chose doit être un mode fini, démonstration qui consiste en une reductio ad absurdum, c'est-à-dire qui démontre que supposer que tel ou tel mode serait infini est absurde. Mais je ne vois pas comment en déduire quelque chose par rapport aux modes infinis en eux-mêmes?

Sescho a écrit :
Louisa a écrit :
Sescho a écrit :
On peut ajouter qu'il n'y a pas de raison pour s'arrêter à deux modes infinis et nécessaires, puisqu'en raccourcissant à la seconde hypothèse seulement on obtient une cause identique en rang ontologique à l'effet : "... un mode dont l’existence est nécessaire et infinie a dû découler [d'une] modification ... qui est nécessaire et infinie."


je n'ai pas compris ce que vous voulez dire par ceci. Serait-il possible de reformuler? Merci.


La deuxième possibilité c'est qu'un mode infini et nécessaire suive d'un mode infini et nécessaire, autrement dit d'une chose de même "catégorie" (oui, le mot n’est pas de Spinoza, mais ce que je veux dire est parfaitement compréhensible.)


ok (je n'ai pas de problème avec l'appellation "deuxième rang/catégorie", il est en effet clair ce que vous voulez dire par là, je crois). Et quelle serait alors la première possibilité?

Sescho a écrit :C'est là qu'est le problème, et d'autant plus que tu as écrit que tout ce qui s'ouvrait comme possibilité devait nécessairement être (« il DOIT produire un effet… ») : pourquoi devrait-on s'arrêter là ? Il faut donc prolonger à l'infini. Le terme de « médiat » ou d’intermédiaire ajouté ne change rien au problème ; il ne fait que marquer qu’on lui attribue un rang. Donc le mode « médiat » doit produire un effet, et celui-ci est forcément infini et nécessaire, etc. Ou quoi ?


ah mais là on a une question tout à fait intéressante, à laquelle Spinoza, pour autant que je sache, ne répond pas. Il ne dit que plus il y a d'intermédiaires, moins la chose est "parfaite". On pourrait se dire qu'être fini est être moins parfait qu'être fini. Mais se passe plus précisément le passage des modes infinis aux modes finis, chez Spinoza? Hokousai a ouvert récemment un nouveau fil de discussion à ce sujet, et à raison, car à ce niveau il me semble qu'aucun parmi nous dispose déjà d'une réponse claire et convaincante. Seulement, je ne vois pas très bien en quoi notre impossibilité (provisoire?) de répondre à une telle question changerait quoi que ce soit à l'E1P22, qui dit très clairement que l'effet d'un mode infini éternel immédiat, c'est un effet infini éternel médiat, qui par la même existe réellement?

Sescho a écrit :Au fait, c’est quoi l’effet du mode nécessaire et infini médiat ?


Spinoza n'en parle jamais. Donc on ne sait pas ce qu'il pensait à ce sujet. Ce mode produit-il un autre effet infini et nécessaire? Si l'on suit le raisonnement de l'E1P21, il faudrait supposer que oui. Mais alors quel est ce mode? On n'en sait rien. Ou faut-il plutôt supposer qu'à partir de l'effet d'un tel mode de "second" rang, donc à partir du moment où l'on passe au "troisième" rang, l'infinité elle-même se perd, et l'on passe aux modes finis ... ?

Or je ne vois pas en quoi une absence de réponse à de telles questions rendrait l'E1P22 (qui prouve l'existence nécessaire d'un mode infini médiat) fausse ... ?

Sescho a écrit :Pour remonter, quand l’idée adéquate dit « soit … soit » elle dit « soit … soit » et pas autre chose. Cela peut être éventuellement inclusif mais éventuellement seulement.


à mon avis, l'E1P23 à laquelle vous référez ici dit seulement que tout mode infini éternel doit nécessairement suivre ou bien d'un mode infini éternel immédiat, ou bien d'un mode infini éternel médiat. Il est clair que cela ne prouve en rien que ces deux types de modes existent réellement. Cela ne prouve quelque chose que par rapport aux modes infinis que l'on pourrant rencontrer dans la nature.

Donc oui, nous sommes d'accord pour dire que l'E1P23 ne prouve pas DU TOUT l'existence des modes infinis éternels médiats (ni celles des modes infinis éternels immédiats). C'est la raison pour laquelle j'essaie d'attirer votre attention sur l'E1P22, qui quant à elle prouve à mon sens indéniablement l'existence nécessaire du mode infini médiat.

Sescho a écrit :Donc selon moi Spinoza procède ainsi :

Il pose par avance que ce qui suit (ou suivrait) immédiatement soit de la nature d’un attribut, soit de la nature d’un mode nécessaire (« qui existe dans la durée éternellement ») et infini (le Mouvement par exemple) est lui-même nécessaire et infini.


si vous dites ceci, vous mettez également en question la vérité de l'E1P21, qui prouve l'existence nécessaire du mode infini immédiat. Vous faites comme si la démonstration de l'E1P21 en fait ne prouve guère l'existence nécessaire ou éternelle du mode infini médiat. Si c'est ce que vous pensez, encore une fois, je ne peux que vous inviter à essayer de réfuter le développement explicite du mouvement qui caractérise la démo de cette proposition, développement entrepris dans le fil auquel réfère le sujet de discussion relancé récemment par Pourquoipas.

Or si vous vouliez simplement dire que dans l'E1P23 l'existence du mode infini médiat et du mode infini immédiat sont déjà présupposées mais non pas démontrées: nous sommes tout à fait d'accord. Spinoza pour présuppose la vérité de ces deux idées, puisque JUSTE AVANT, dans l'E1P21 et 22, il vient d'en démontrer la vérité. Que cela est "posé" en l'E1P23 n'enlève donc en rien le fait que ce soit bel et bien PROUVÉ dans les propositions juste avant. Si donc vous voulez mettre en question l'existence des modes infinis immédiats et/ou médiats, il nous faut discuter des propositions 21 et 22, pas de 23.

Sescho a écrit :Dans la célèbre E1P28 (qui pose l’interdépendance dans les grandes largeurs, d'ailleurs), Spinoza s’en sert pour prouver que la cause de l’existence d’une chose singulière et aussi le moteur de son action (je souligne ; on peut considérer les idées adéquates comme hors de cela, cependant, je pense) ce ne peut être qu’une autre chose singulière et donc ni un attribut ni un mode infini. Point barre.


en effet. Nous sommes tout à fait d'accord là-dessus: la cause d'un mode fini, c'est un autre mode fini, PAS un mode infini. Mais de nouveau: comment cela pourrait-il prouver quoi que ce soit par rapport aux modes infinis ... ?

Quant aux idées adéquates: je n'ai pas compris ce que vous vouliez dire.

Sescho a écrit :Quant au scholie, je répète qu’il ne laisse pas gros de place aux « modes infinis de deuxième niveau » :

Spinoza a écrit:
E1P28S : Comme il est nécessaire que certaines choses aient été produites immédiatement par Dieu, c’est à savoir celles qui découlent nécessairement de sa nature absolue, sans autre intermédiaire que ces premiers attributs, qui ne peuvent être ni être conçus sans Dieu ; il suit de là : premièrement, que Dieu est la cause absolument prochaine des choses qui sont immédiatement produites par lui ; absolument prochaine, dis-je, et non générique, comme on dit ; car les effets de Dieu ne peuvent être ni être conçus sans leur cause (par la Propos. 15 et le Coroll. de la Propos. 24) : secondement, que Dieu ne peut être appelé proprement la cause éloignée des choses particulières, si ce n’est afin de distinguer cet ordre de choses de celles que Dieu produit immédiatement, ou plutôt qui suivent de sa nature absolue. Par cause éloignée, en effet, nous entendons une cause qui n’est liée en aucune façon avec son effet. Or tout ce qui est, est en Dieu et dépend tellement de Dieu qu’il ne peut être ni être conçu sans lui.


encore une fois, ici Spinoza ne parle que de modes finis et de modes infinis immédiats. Comment cela pourrait-il prouver quoi que ce soit des modes infinis médiats ... ? Depuis quand le simple fait de ne pas parler de quelque chose suffirait-il pour avoir la preuve de son inexistence ... ?

Petite question d'ordre "technique" pour terminer: depuis quelques jours je n'ai plus accès au lien concernant les "enchaînements" (lien qui se trouve à droite du forum), ou plutôt: je n'ai accès qu'à la première page, et si je veux accéder à la deuxième, il refuse. Suis-je la seule à avoir ce problème? Et quelqu'un sait-il comment le résoudre?
Merci par avance,
L.

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Messagepar Ulis » 26 oct. 2008, 07:16

Hokousai a dit:
l’essence de l’idée c’est l’ affirmation en tant qu’on la conçoit abstraitement présente dans chaque idée ( mais sous ce seul rapport )puis chaque idée a une essence propre ( idée de triangle , de cercle etc ..) l’ essence c’est ce que ces idées sont , elles sont ce qu’elles sont ,alors là l’essence est indistincte de ce qu’est la chose existante .

C' est une vue de l'esprit que de voir une distinction entre ce que la chose est et ce qu' elle est .

Je suis bien entendu de cet avis
... comment ne pas l'être ?
ulis

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Messagepar sescho » 26 oct. 2008, 11:25

Louisa a écrit :Or voilà que déjà l'E1P22 elle-même dit qu'elle est nécessaire ...

OK pour la proposition 22 seule sur le sujet. Je considère cependant qu'elle ne dit pas qu'il existe effectivement un tel mode, elle dit seulement que s'il existe alors il existe nécessairement. Je m'appuie bien sûr sur la suite pour consolider cela. Il ne faut pas se leurrer sur le sens de "nécessairement" (cela rejoint le "problème" sur la démonstration de l'existence de Dieu) : SI la chose existe ALORS elle existe nécessairement. Cela ne veut pas dire qu'il est nécessaire qu'elle existe. En outre, je ne vois toujours pas pour quelle raison sensée on s'arrêterait là à deux modes infinis, sans continuer à l'infini...

Louisa a écrit :... ce serait aussi édifiant pour moi. Car pour autant que je sache (mais il est évident que je peux me tromper) Spinoza ne parle des modes infinis (médiat aussi bien qu'immédiat) que dans les proprositions 21, 22 et 23 de l'E1. Après, on ne trouve que quelques passages qui démontrent que telle ou telle chose doit être un mode fini, démonstration qui consiste en une reductio ad absurdum, c'est-à-dire qui démontre que supposer que tel ou tel mode serait infini est absurde. Mais je ne vois pas comment en déduire quelque chose par rapport aux modes infinis en eux-mêmes?

... ah mais là on a une question tout à fait intéressante, à laquelle Spinoza, pour autant que je sache, ne répond pas. ...

Sescho a écrit :Au fait, c’est quoi l’effet du mode nécessaire et infini médiat ?


Spinoza n'en parle jamais. ...

Or je ne vois pas en quoi une absence de réponse à de telles questions rendrait l'E1P22 (qui prouve l'existence nécessaire d'un mode infini médiat) fausse ... ?

Ouais. On est en train de sodomiser les drosophiles, en résumé... Aucune trace du truc indiscutablement prouvé par E1P22... Comme en plus c'est hors sujet, il me semble surtout sain d'en rester là...

Louisa a écrit :
Sescho a écrit :Quant au scholie, je répète qu’il ne laisse pas gros de place aux « modes infinis de deuxième niveau » :

Spinoza a écrit:
E1P28S : Comme il est nécessaire que certaines choses aient été produites immédiatement par Dieu, c’est à savoir celles qui découlent nécessairement de sa nature absolue, sans autre intermédiaire que ces premiers attributs, qui ne peuvent être ni être conçus sans Dieu ; il suit de là : premièrement, que Dieu est la cause absolument prochaine des choses qui sont immédiatement produites par lui ; absolument prochaine, dis-je, et non générique, comme on dit ; car les effets de Dieu ne peuvent être ni être conçus sans leur cause (par la Propos. 15 et le Coroll. de la Propos. 24) : secondement, que Dieu ne peut être appelé proprement la cause éloignée des choses particulières, si ce n’est afin de distinguer cet ordre de choses de celles que Dieu produit immédiatement, ou plutôt qui suivent de sa nature absolue. Par cause éloignée, en effet, nous entendons une cause qui n’est liée en aucune façon avec son effet. Or tout ce qui est, est en Dieu et dépend tellement de Dieu qu’il ne peut être ni être conçu sans lui.


encore une fois, ici Spinoza ne parle que de modes finis et de modes infinis immédiats. Comment cela pourrait-il prouver quoi que ce soit des modes infinis médiats ... ? Depuis quand le simple fait de ne pas parler de quelque chose suffirait-il pour avoir la preuve de son inexistence ... ?

Oui toujours la rhétorique... Mais là je vais quand-même t'expliquer : Spinoza, de la manière la plus manifeste, recouvre ici tout ce qui va des attributs de la Substance aux choses singulières (explicitement citées), donc TOUT intermédiaire DOIT s'y trouver. Or qu'y trouve-t-on ? Seulement les modes infinis immédiats et les choses singulières : IL N'Y A AUCUN MODE ENTRE LES DEUX. Il ne dit rien des modes infinis médiats tout simplement parce qu'ils N'EXISTENT PAS. Je pense que ton exceptionnelle bonne foi ne peut que le reconnaître. Comme tu n'as aucune preuve "à part" ton interprétation de E1P22, tu ne PEUX PAS te défiler sur ce scholie.


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Messagepar Louisa » 26 oct. 2008, 15:00

Bonjour Sescho,

juste rapidement une réponse par rapport à ceci, un commentaire plus détaillé arrive plus tard dans la journée.

Sescho a écrit :OK pour la proposition 22 seule sur le sujet. Je considère cependant qu'elle ne dit pas qu'il existe effectivement un tel mode, elle dit seulement que s'il existe alors il existe nécessairement. Je m'appuie bien sûr sur la suite pour consolider cela. Il ne faut pas se leurrer sur le sens de "nécessairement" (cela rejoint le "problème" sur la démonstration de l'existence de Dieu) : SI la chose existe ALORS elle existe nécessairement. Cela ne veut pas dire qu'il est nécessaire qu'elle existe.


effectivement, si quelqu'un prouve la proposition "si x existe, alors x existe nécessairement", il n'a prouvé que le lien nécessaire entre l'existence de x et son existence nécessaire. Ou plus formellement, prouver que "SI A, ALORS B" signifie prouver que SI l'on a A, ALORS on doit nécessairement aussi avoir B. On est ici dans l'une des formes de ce qu'Aristote appelle un "syllogisme hypothétique" (ici, la forme conditionnelle): le raisonnement est valide, mais on ne pourra dire si B existe réellement ou non QUE lorsque l'hypothèse ou prémisse est elle-même prouvée, ce qu'on n'a pas fait quand on ne prouve que la liaison nécessaire entre A et B.

Or si je vous ai bien compris, votre argument contre la thèse que pour Spinoza, les modes infinis médiats existent réellement, c'est de dire que la P22 est un syllogisme hypothétique d'une telle forme ("si A alors B"), et que la partie "A" n'est nullement prouvé.

A mon avis, il s'agit d'une erreur. La P22 n'est PAS d'une structure "si A alors B". Elle a la structure "tout A est B". Il ne s'agit pas d'un proposition conditionnelle, mais d'une affirmation universelle.

Avant de voir si cela permet de résoudre tout problème, remarquons déjà que la forme de la P22 est EXACTEMENT la même que la P21. Si donc pour vous la P22 est conditionnelle, il faut nécessairement le dire aussi de la P21, c'est-à-dire il faut dire que Spinoza ne dit PAS du tout que le mode infini immédiat existe nécessairement, il ne dirait que "SI de la nature absolue d'un attribut suit quelque chose, ALORS ce quelque chose est un mode infini immédiat". Donc vous ne pouvez même plus prétendre qu'il y ait des modes infinis immédiats dans le spinozisme, si vous reformulez ainsi les P21 et 22 (si vous remplacez une proposition "tout A est B" par "si A alors B". Or vous êtes d'accord pour admettre l'existence réelle de modes infinis immédiats. Bref, à mon sens on peut déduire une contradiction entre ce qui suit de votre argument et ce que vous prétendez par ailleurs, ce qui signale que le tout n'est pas encore très cohérent, et que quelque part il doit y avoir une erreur (l'erreur pour moi étant que vous lisez une proposition conditionnelle là où il y a une proposition affirmative universelle).

Or supposons que vous admettiez qu'il s'agisse bel et bien d'une proposition de la forme "tout A est B". Ne pourrait-on pas dire que dans ce cas, Spinoza ne prouve tout de même pas A? A mon avis, cela est tout à fait correct: prouver que "tout A est B", cela demeure tout aussi bien un "syllogisme hypothétique" que prouver que "si A alors B", aussi longtemps qu'on n'a pas prouvée la prémisse, car dans les deux cas, on n'a prouvé que la validité du raisonnement, et non pas la vérité de sa conclusion (qui dépend de la valeur de vérité de la prémisse).

A partir de ce moment-là la question devient: Spinoza prouve-t-il aussi la vérité de la prémisse A? Je crois qu'il est tout à fait clair que c'est le cas. Tentative d'expliciter le raisonnement.

Rappelons les deux propositions en question:

E1P21: "Tout ce qui suit de la nature absolue d'un attribut de Dieu a dû exister toujours et être infini, autrement dit est, par cet attribut, éternel et infini."

E1P22: "Tout ce qui suit d'un attribut de Dieu, en tant qu'il a été modifié d'une telle modification, qui, par cet attribut, existe nécessairement et comme infinie, doit aussi exister nécessairement et comme infini."

Nous avons donc la forme "tout A est B". Voici ce qui prouve l'existence de A (je le fais pour la P21 car cela permet de simplifier, mais il suffit de remplacer "ce qui suit de la nature d'un attribut de Dieu" par "ce qui suit de ce qui suit de la nature d'un attribut de Dieu" pour avoir la P21):

1. "A" ici est "ce qui suit de la nature d'un attribut de Dieu", la conclusion "est B" correspond à "est infini est existe nécessairement"

2. si l'on suppose qu'il s'agit d'un syllogisme hypothétique, "A" est la prémisse du raisonnement

3. si l'on veut que la conclusion ("est B") est non seulement valide mais aussi vraie, il faut démontrer que la prémisse A est vraie. Ceci se fait aisément:
3.1. la dernière proposition de l'E1 dit que tout ce qui existe, produit nécessairement un effet
3.2. or Spinoza a déjà prouvé que la nature d'un attribut existe (c'est un des objectifs de l'E1 en tant que tel)
3.3. Conclusion: la nature de l'attribut de Dieu produit nécessairement un effet. Il existe donc réellement quelque chose qui suit de la nature d'un attribut.

4. maintenant que la prémisse A est prouvée, le raisonnement n'est plus seulement un syllogisme hypothétique valide; on y a ajouté que la prémisse est vraie, et par conséquent la conclusion ("est B") est nécessairement vraie aussi, et non pas juste une conclusion "purement logique" comme vous l'avez dit. Autrement dit, Spinoza ici ne se livre pas à un exercice de logique, il ne construit pas juste quelques syllogismes hypothétiques mais qui n'ont aucune vérité, il prouve non seulement la VALIDITE de la conclusion (cela c'est votre "purement logique") mais aussi la VERITE (cela, c'est l'existence réelle nécessaire).

Ceci signifie que pour pouvoir démontrer votre lecture de l'E1P22, il faudrait à mon sens par exemple faire ceci:
- démontrer que la forme de la P21 est différente de la forme de la P22 (puisque vous est prêt à conclure de la P21 l'existence réelle du mode infini en question, tandis que vous tirez une autre conclusion de la P22, malgré le fait qu'elle a exactement le même type de démonstration)
- démontrer que P21 et P22 (ou juste P22, si vous préférez) sont des syllogismes purement hypothétiques, c'est-à-dire des raisonnements dont Spinoza prouve la validité mais sans se baser sur une prémisse vraie, donc sans en prouver la vérité.

Sescho a écrit :En outre, je ne vois toujours pas pour quelle raison sensée on s'arrêterait là à deux modes infinis, sans continuer à l'infini...


ok, mais je ne vois pas en quoi cela aurait quelque chose à voir avec la question dont nous discutons. Spinoza jamais ne nous dit si cela s'arrête au deuxième "rang", ou si cela continue à l'infini. Si vous trouvez que "cela n'a pas de sens" de faire continuer ceci à l'infini (donc si vous trouvez qu'un mode infini ne peut pas produire une infinité de choses infinies), il s'agit d'une prise de position ou d'une opinion personnelle tout à fait respectable, mais sans plus. Je ne vois pas ce que cela nous permettrait de conclure quant au spinozisme. Spinoza peut-être pensait que cela continue à l'infini, mais il peut tout aussi bien avoir pensé l'inverse, puisqu'on n'en sait strictement rien.

Or ce dont il s'agit ici, c'est simplement de savoir CE QUE Spinoza dit réellement en l'EP21 et 22. Si vous trouvez que de ces propositions/démonstrations suit nécessairement l'idée que les modes infinis produiraient des modes infinis à l'infini, il faudrait d'abord démontrer que Spinoza trouve cela aussi (1), puis montrer comment cela pourrait constituer une objection contre l'idée qu'il existe des modes infinis immédiats et médiats (2). Mais à la fin de cet exercice, on devrait toujours se poser la question qu'on se pose ici maintenant: Spinoza dit-il dans les P21 et 22 que les modes infinis existent réellement ou non? Et pour y répondre, il faut inévitablement analyser ce qu'il dit plus précisément dans ces deux propositions, non?
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Messagepar sescho » 26 oct. 2008, 16:15

Louisa a écrit :... Si donc pour vous la P22 est conditionnelle, il faut nécessairement le dire aussi de la P21...

Mais c'est ce que je dis aussi. Ni la proposition 21 ni la proposition 22 ne prouvent l'existence de tels modes. Elles disent seulement ce qu'ils doivent être quand (si) ils existent. C'est d'ailleurs très visible dans la démonstration de E1P21 : l'exemple de l'Idée de Dieu est rapporté et nullement une conséquence de la proposition. On peut dire que c'est seulement E1P32C2 qui introduit l'entendement infini comme existant. Voire même seulement E2P3. E1P28S admet clairement les modes infinis immédiats ; mais il s’agit d’un scholie qui peut par sa nature anticiper sur le strictement démontré. D’autre part, l’existence d’un entendement est une notion commune (utilisé dès les définitions de E1, tel que ou par « perçoit. »)

Louisa a écrit :
Sescho a écrit :En outre, je ne vois toujours pas pour quelle raison sensée on s'arrêterait là à deux modes infinis, sans continuer à l'infini...


ok, mais je ne vois pas en quoi cela aurait quelque chose à voir avec la question dont nous discutons. …

Ah oui ? Il va devenir urgent d'arrêter alors... Mais tu n’as peut-être pas compris que Spinoza nous montre un ordre ontologique « en poupées russes » chaque chose se rapportant à la précédente, qui est sa cause immanente. Dans ces conditions, avec une infinité de modes infinis, on va avoir du mal à trouver les modes finis… Mais heureusement, ce sont les premiers qu’on ne trouve pas, à l’exception d’un seul par attribut…

Louisa a écrit :Spinoza jamais ne nous dit si cela s'arrête au deuxième "rang", ou si cela continue à l'infini. Si vous trouvez que "cela n'a pas de sens" de faire continuer ceci à l'infini (donc si vous trouvez qu'un mode infini ne peut pas produire une infinité de choses infinies), il s'agit d'une prise de position ou d'une opinion personnelle tout à fait respectable, mais sans plus.

Oui, une infinité de modes infinis dont on ne trouve aucune trace (ni même du deuxième d'ailleurs) dans l'œuvre de Spinoza, mais démontrés – enfin, sous réserve – par A + B par Louisa (dont je n'ai aucune intention de perdre mon temps à discutailler les nombreux méandres des démonstrations, alors que du simple et bon Spinoza bien circonscrit donne lieu à des circonlocutions sans fin.)

Sinon, Spinoza met rarement des propositions sans aucun usage postérieur (alors que nous sommes encore très loin de la fin de l'Ethique.) Si on a un doute sur le sens d'une proposition, il faut impérativement chercher du renfort dans son usage. P21 à P23 à prendre en soi, rien n'étant indiqué du tout par leur usage ? C’est presque à se demander pourquoi Spinoza y fait référence…

Dans ce cadre il y a en particulier E1P28S…


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