La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 14 déc. 2008, 00:02

Bonjour Hokousai et Durtal,
tentative de reformuler ce que j'ai essayé de dire. Bien sûr, lors d'une augmentation de la puissance de la chose singulière X, il y a également affirmation de cette puissance. Mais dans le spinozisme, puisqu'il n'y a pas de virtualité ou de possible, toute puissance s'affirme toujours déjà, elle ne peut pas ne pas s'affirmer. Si la chose X est par exemple affectée de Tristesse, alors sa puissance diminuera (par exemple à cause du fait qu'elle a une idée inadéquate), mais dans cette diminution elle s'affirmera toujours comme puissance, seulement, elle n'est plus la seule cause de son affection, une autre puissance s'affirme en même temps.

C'est parce que la puissance s'affirme toujours que l'on ne peut pas caractériser une augmentation de puissance par la simple affirmation de puissance. On ne peut donc identifier l'augmentation d'une puissance ou la Joie à une simple affirmation de puissance. C'est pourquoi aussi il me semble qu'on ne peut pas dire que dans le spinozisme, liberté et puissance sont synonymes. Car la liberté est non pas une Joie comme une autre, elle est la Joie suprême. Raison pour laquelle je disais qu'il s'agit d'une Joie très particulière.

En effet, dans le 5e livre Spinoza nous dira que la Joie Suprême, ce n'est rien d'autre que l'Amour intellectuel de Dieu.

Durtal a écrit :Je demande plutôt si il n'est pas loisible à tout un chacun, et par conséquent à Spinoza aussi, de s'exprimer de cette façon: Je suppose quelqu'un qui m'enserrant de ses bras m'empêche de mouvoir les miens. A force de contorsions ou que sais-je d'autre, en lui écrasant les orteils d'un bon coup de talon par exemple, je parviens à me défaire de son emprise. N'est ce pas à bon droit que je puis dire m'être libéré de cette emprise? Et n'est ce pas également à bon droit que je puis dire eu égard à cette situation précise, que je suis plus libre (de mouvoir mes bras à tout le moins) après qu'il ait lâché prise qu'auparavant?


je crois que l'on peut tout à fait dire cela, à condition de s'en tenir au sens commun des mots. Au sens spinoziste, en revanche, cela me semble être plus discutable. Car en quoi écraser les orteils d'une autre chose singulière serait-ce témoigner d'un Amour intellectuel de Dieu (sachant que chez Spinoza l'Amour se définit par le fait de ressentir une Joie non pas en s'imaginant l'autre comme étant la cause de sa Tristesse (là on a plutôt la définition de la Haine) mais en s'imaginant la présence de l'autre comme étant la cause extérieure de sa Joie, c'est-à-dire cause de l'augmentation de sa propre puissance)?

Le passage cité ci-dessus me semble être parfait si l'on se situe du point de vue du hobbesianisme, par exemple. Là l'homme est considéré comme étant un loup pour l'homme, et la société "naturelle" se réduit à la guerre de tous contre tous. Dans cette perspective, en effet, on comprend que la seule "liberté" qui nous reste, c'est ce que Isaiah Berlin a appelé la "liberté négative": il s'agit de se libérer des contraintes du monde extérieur, celui-ci étant par définition ce qui empêche tout individu à développer maximalement sa force "innée", à "s'affirmer".

Or dans le spinozisme, l'homme peut être un Dieu pour l'homme. C'est là qu'on passe à mon sens à la liberté dite "positive": être libre pour pouvoir faire quelque chose. Bien sûr, il ne s'agit pas de nier l'axiome de l'E4 (que toute chose sera un jour détruite par une autre chose plus forte), donc il ne s'agit pas de nier le danger que la fréquentation de certains gens peut constituer pour nous. Mais la liberté positive n'est pas simplement fuir devant les dangers ou les détruire. La liberté positive n'a pas d'abord besoin d'obstacles ou de choses qui nous font du mal avant de pouvoir s'exercer. Elle consiste en un état de bonheur suprême, état dont on est soi-même la seule cause. Dès lors, on ne dépend pas de la présence d'autre chose pour pouvoir l'atteindre, au sens où il ne faut pas d'abord que quelqu'un (ou quelque chose) nous soumette à ce qu'on ne veut pas avant de pouvoir être libre. La liberté spinoziste n'est donc pas un "se libérer de".

En revanche, qui est plus libre sera bel et bien capable de mieux se libérer de certaines choses négatives ("se libérer de" est ici donc une conséquence de la liberté, et non pas ce qui définit la liberté). Car plus nous sommes libres, plus nous avons davantage d'idées adéquates qu'inadéquates, c'est-à-dire plus ce sera la raison qui déterminera nos actes. Dès lors, plus nous sommes libres au sens spinoziste du terme, plus nous pourrons détruire non pas d'autres choses singulières (cela, lorsque c'est nécessaire, c'est une simple question de survie (donc de Désir), et non pas de bonheur suprême), mais nos propres Affects-Passions, plus nous pourrons former une idée adéquate de nos idées inadéquates ou de nos passions, bref moins nous pâtirons.

C'est là aussi que l'homme peut devenir un dieu pour l'homme, car moins il pâtit, moins il a des Passions, moins il voudra détruire l'autre, plus il parviendra à l'aimer au lieu de ressentir de la Haine (ce n'est pas pour rien que pour Spinoza le Christ avait tout à fait compris l'essence même de la "vraie" religion, celle qui se déduit également rationnellement d'une étude de Dieu et de l'homme). Tandis que lorsqu'une chose nous menace ou empêche de faire ce qu'on veut faire, on l'aura plutôt en Haine, donc on voudra la détruire, mais là, dit Spinoza, en tant que nous détestons, nous pâtissons, et donc sommes tout sauf libres. Finir par réellement détruire cette chose extérieure n'y change rien, notre Affect par rapport à cette chose reste toujours une Haine, car ce n'est pas en la détruisant que l'on va commencer à l'aimer (= la concevoir comme source externe de notre bonheur).

A mon sens, c'est donc tout cela qui manque dans une conception "hobbesienne" de la liberté, qui n'est qu'une "liberté négative".

On pourrait éventuellement objecter que celui qui ne rencontre pas d'obstacles extérieurs devrait être tout à fait libre, si la liberté est synonyme d'exercer sa puissance, et que donc une liberté hobbesienne n'a pas besoin d'obstacles pour pouvoir se manifester, contrairement à ce que je viens de dire. Mais si l'on transpose cela dans le spinozisme, alors tout le monde devrait toujours déjà être libre, puisque dans le spinozisme il n'y a pas de puissance potentielle, il n'y a pas de puissance qui ne s'exerce pas. Ce qui n'est pas le point de vue de Spinoza, puisqu'il dit clairement que pour parvenir à la Liberté ou Béatitude, il faut tout un travail qui est tout sauf facile, et qui est plutôt rare (voir la dernière proposition de l'Ethique).
Enfin, voici ce que j'en pense pour l'instant, mais sachant que comprendre le troisième genre de connaissance chez Spinoza est l'une des choses les plus difficiles, il est certain qu'il va falloir modifier certaines choses de ce que je viens de dire (à vérifier donc).
Cordialement,
L.

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Messagepar hokousai » 14 déc. 2008, 00:48

chère Louisa

On ne peut donc identifier l'augmentation d'une puissance ou la Joie à une simple affirmation de puissance.


L’esprit passe à une plus ou moins grande perfection quand il lui arrive d’affirmer de son corps quelque chose qui enveloppe plus ou moins de réalité qu’auparavant .

La puissance de penser de l’esprit se trouve augmentée = l’esprit a formé une idée de son corps qui enveloppe plus ou moins de réalité qu’auparavant.

Tout cela n’est qu’ à moitie passif, puisque l’esprit a formé il a un rôle actif .

........................................................

Maintenant Durtal parle d’exercice de la puissance !

On peut admette que l’esprit en formant ( activité qui est quand il lui arrive d’ affirmer de son corps quelque chose qui enveloppe plus de réalisé qu’ auparavant )….. que donc l’esprit exerce sa puissance de former des idées qui enveloppe plus ou moins de réalité qu’auparavant.

Il suffit d’ajouter à la phase de Durtal une précision ce qui donnerait :
il est vrai que tout exercice de la puissance de former des idées qui enveloppe plus ou moins de réalité qu’auparavant.
pour un individu donné s’exprime en un état mental particulier que Spinoza appelle « Joie »


pas de quoi fouetter un chat .

hokousai

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Messagepar Durtal » 14 déc. 2008, 11:39

Louisa a écrit :Bonjour Hokousai et Durtal,
tentative de reformuler ce que j'ai essayé de dire. Bien sûr, lors d'une augmentation de la puissance de la chose singulière X, il y a également affirmation de cette puissance.


Bon bah voilà. C'est tout ce qui était demandé et requis par mon argumentation.

Il était donc franchement inutile de se lancer dans cette nouvelle entreprise de quadri-capilaro-ectomie.

D.

Ps j'ai jeté seulement un coup d'oeil sur ce qui suit: fadaises et salade grecque. Comme d'hab'.

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Messagepar Enegoid » 14 déc. 2008, 18:57

Louisa a écrit :comme tu l'auras peut-être lu dans le fil "le sentiment même de soi", pour l'instant il y sur ce forum tout un débat pour essayer de comprendre en quoi il y aurait oui ou non une différence. En gros, il y a ceux qui trouvent que chez Spinoza il n'y a pas "réellement" des essences singulières (essence propre à un seul Individu), ceux qui trouvent qu'il n'y pas réellement des essences dites "de genre", et puis ceux qui défendent une position intermédiaire (toute essence est singulière, mais ce qui lui appartient ce sont majoritairement des propriétés communes à tous les Individus d'une même espèce ou d'un même genre).

Ceux qui trouvent qu'il y a réellement des essences de genre se basent - si j'ai bien compris - principalement sur le fait que Spinoza parle sans cesse de l'essence de l'homme. Comme il s'agit clairement de tout homme, il doit parler de l'homme en tant qu'espèce, pas de l'homme en tant tel ou tel individu particulier. Les propriétés communes à tout homme doivent donc appartenir à l'essence de l'Homme en tant qu'espèce, et ainsi aussi à l'essence de chaque homme particulier. La définition d'Aristote de l'homme est un bel exemple de cela: elle nous donne "l'eidos" de l'homme, donc si l'on dit que l'homme est un animal rationnel, alors il faut que l'essence de Socrate soit la même que l'essence de Platon et de n'importe qui d'autre. L'essence elle-même n'est donc pas "individuée" (pas d'essence singulière propre uniquement à telle ou telle personne singulière).

Ceux qui trouvent l'inverse disent que toute essence doit être singulière. Pour l'instant, c'est ce qui me semble être le plus probable. On se base alors sur le fait que dans la définition 2 de l'Ethique livre 2 (E2D2), Spinoza ne s'en tient pas à la définition habituelle de l'essence (ce qui constitue une essence est ce sans quoi la chose ne peut être), mais y ajoute une deuxième condition (ce qui constitue une essence est ce qui sans la chose ne peut être). Supposons qu'une esssence est constituée de deux composantes: être un animal, et être rationnel. Alors il est évident que lorsque Socrate meurt, l'essence de Socrate, qui n'est rien d'autre que l'essence de tout homme, continuera à exister, et cela aussi longtemps qu'il y a des hommes. Par conséquent, ni "être animal", ni "être rationnel" ne répond au deuxième critère de Spinoza, qui était que si la chose meurt, ce qui la constitue doit lui aussi disparaître.
C'est sur base de cela que pas mal de commentateurs de Spinoza disent que chez Spinoza toute essence est singulière, c'est-à-dire n'est constituée que par ce qui appartient à l'essence de telle ou telle chose singulière et à aucune autre. Les propriétés communes à différentes choses peuvent par là même jamais constituer une essence (c'est ce que dit l'E2 proposition 37).


Remarque préliminaire (de détail ?) : dans ce qui suit, je suppose que « essence singulière » est équivalent à « essence d’une chose singulière ».

Remarque 1 : pour pouvoir distinguer « essence d’une chose singulière » de « essence de genre », il faut bien admettre que « genre » est différent de « chose singulière ». Or un genre est une chose (ce n’est pas « rien ») ce serait donc une chose « non singulière ». Ce qui n’est pas évident.

On voit bien, me semble-t-il, qu’il peut y avoir discussion sur le rapport entre « genre » et « chose singulière ». Cette discussion devrait selon moi être tranchée avant d’aller plus loin, ne trouvez-vous pas ? Un être de raison est une idée (singulière). Est-il si sûr qu’une idée n’a pas d’essence ?

Spinoza oppose facilement, notamment dans le TRE , les « choses physiques » aux « choses abstraites » et aux universaux. Peut-être peut-on admettre que pour Spinoza, « chose singulière » s’oppose à « être de raison »?
Est-ce votre avis ?
Si oui, dans ce cas, vous ne pouvez plus utiliser E2p37 qui ne concerne que les choses singulières. Spinoza dit bien « ne peut constituer l’essence d’aucune chose singulière » et non pas « ne peut constituer l’essence d’aucune chose ».

En résumé, il me semble que l’on a deux possibilités :
1. Ou bien le genre est une « chose singulière », et alors rien n’interdit de parler de son essence.
2. Ou bien le genre n’est pas une chose singulière, et la question des propriétés communes ne peut entre dans son champ de signification.

Remarque 2 : vous reconnaissez que Spinoza parle d’essence de l’homme. Il me semble que l’on doit en déduire que « il y a des essences de genre chez Spinoza ». Or ce n’est pas ce que vous faites. C’est pour moi incompréhensible
(J’ai cru comprendre que, derrière ces débats, il y avait, notamment, la préoccupation de savoir si Spinoza était nominaliste ou pas : ne pourrait-on mettre cette question de côté pour l’instant ?).
En tentant de vous comprendre, j’ai supposé que vous étiez arrêtée - à juste titre - par la conclusion suivante (je vous cite) : « ..donc si l’on dit que l’homme est un animal rationnel, alors il faut que l’essence de Socrate soit la même que l’essence de Platon »
Mais je ne vois pas en quoi le fait que Socrate et Platon aient tous les deux comme propriété commune d’être des animaux rationnels, impliquerait obligatoirement qu’ils aient la même essence. Ce serait, pour le coup, confondre propriété et essence.

Vous dites aussi « l’essence de Socrate, qui n’est rien d’autre que l’essence de tout homme… »
Qu’est-ce qui permet de le dire ?

On pourrait refuser d’admettre que Socrate et Platon aient des essences différentes tout en participant de la même essence humaine, comme tous les modes « participent » de l’essence de Dieu sans que l’essence de chaque mode soit d’être Dieu. Personnellement, je ne vois pas le problème posé par des essences en poupées gigogne : Socrate a une essence qui lui est propre, il « participe » de l’essence humaine parce qu’il présente les propriétés d’un homme, il participe de l’essence « être vivant » parce qu’il est vivant etc.
Suis-je vraiment trop naïf, y a-t-il une importante question philosophique derrière tout cela qui empêche de se satisfaire de cette vision ? Y a-t-il des arguments contre ?

Remarque 3 : ne pas oublier que Spinoza lui-même établit une sorte de pont entre les « choses singulières » et des choses « fixes et éternelles »
« Les choses singulières changeantes dépendent si intimement et si essentiellement (pour ainsi dire) de ces choses fixes que, sans elles ne pourraient ni être ni être conçues »
Les choses « fixes et éternelles » dont parle Spi ne sont pas des êtres de raison ou des genres, ce sont les lois de la nature. Mais Spinoza continue en disant « ces choses fixes et éternelles –en dépit de leur singularité- seront pour nous des sortes d’universaux, c’est à dire des genres pour la définition des choses singulières changeantes …»
Genre = chose singulière ?


Récréation :
Le chat a une idée du genre "souris" qu'il enrichit à travers la capture de chaque souris particulière, comme nous avons une idée du genre homme que nous enrichissons de la connaissance de chaque homme particulier, et comme nous avons une idée du genre absolu Dieu que nous enrichissons à travers la connaissance de chaque chose particulière, chaque chose particulière étant un corps ou un genre car nous ne pouvons pas éviter de classer les choses.

Cordialement

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Messagepar Louisa » 18 déc. 2008, 04:55

Durtal a écrit :
Louisa a écrit :
Bonjour Hokousai et Durtal,
tentative de reformuler ce que j'ai essayé de dire. Bien sûr, lors d'une augmentation de la puissance de la chose singulière X, il y a également affirmation de cette puissance.


Bon bah voilà. C'est tout ce qui était demandé et requis par mon argumentation.

Il était donc franchement inutile de se lancer dans cette nouvelle entreprise de quadri-capilaro-ectomie.


je crois que l'idée que tu proposais va beaucoup plus loin: tu réduis la liberté au simple exercice ou affirmation de la puissance, tandis que chez Spinoza la puissance s'affirme toujours, aussi bien lors d'une Tristesse que lors d'un Désir ou lors d'une Joie, bref, elle est toujours présente dans n'importe quel genre d'Affect, alors que la Liberté spinoziste n'est pas n'importe quel Affect, c'est la "Joie suprême" ou "Béatitude" (donc un Affect très précis, ou, si tu veux, une affirmation de la puissance très précise (une sous-division particulière de cette espèce particulière d'affirmation qu'est l'Affect de Joie), pas n'importe quelle affirmation). Raison pour laquelle je crois qu'il faut en effet bien distinguer les choses, si l'on veut comprendre en quoi pourrait consister la liberté dans un système déterministe qui n'est pas celui de Hobbes mais celui de Spinoza.

Durtal a écrit :Ps j'ai jeté seulement un coup d'oeil sur ce qui suit: fadaises et salade grecque. Comme d'hab'.


je crois que tu as effectivement lu trop vite, sinon tu aurais pu donner quelques arguments concrets et peut-être concluants contre l'idée que je propose, ce qu'en général dès que tu as compris ce que j'essaie de dire tu fais très bien.

A Enegoid:
je viens de répondre à votre dernier message ci-dessus dans le fil "le sentiment même de soi", puisqu'il s'agit davantage de la question des essences que de la question de la liberté et qu'il me semble plus judicieux de laisser ce fil ouvert aux questions posées par Bruno. J'espère que cela ne vous dérange pas.
L.

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Messagepar Durtal » 18 déc. 2008, 19:31

Puisque tu tends le bâton…. Et aussi que je suis de bonne humeur…

Allons-y

Louisa a écrit :
je crois que l'idée que tu proposais va beaucoup plus loin: tu réduis la liberté au simple exercice ou affirmation de la puissance, tandis que chez Spinoza la puissance s'affirme toujours, aussi bien lors d'une Tristesse que lors d'un Désir ou lors d'une Joie, bref, elle est toujours présente dans n'importe quel genre d'Affect, alors que la Liberté spinoziste n'est pas n'importe quel Affect, c'est la "Joie suprême" ou "Béatitude" (donc un Affect très précis, ou, si tu veux, une affirmation de la puissance très précise (une sous-division particulière de cette espèce particulière d'affirmation qu'est l'Affect de Joie), pas n'importe quelle affirmation). Raison pour laquelle je crois qu'il faut en effet bien distinguer les choses, si l'on veut comprendre en quoi pourrait consister la liberté dans un système déterministe qui n'est pas celui de Hobbes mais celui de Spinoza.


Voici ce que j’appelle une série d’affirmations sans fondement.
Ce qui ne serait pas un problème si au moins les dites affirmations n’étaient pas encore le produit d’un tissu de confusions, d’imprécisions et d’inconséquences.

Voyons ça de plus près.

1)
Louisa a écrit : « Chez Spinoza la puissance s’affirme toujours aussi bien lors d’une tristesse, lors d’un Désir ou lors d’une joie »



Ah bon? C’est la meilleure celle-là


Naturellement c’est faux et grossièrement faux. La puissance s’exprime dans le désir qui est la tendance de la chose à faire tout ce qui suit de sa nature et donc à poser tout ce qui suit de sa puissance: or cette puissance (ou cette tendance à faire ect…) est augmentée ou secondée dans la joie, contrariée ou diminuée dans la tristesse. Donc j’affirme plus de puissance dans la joie que je n’en affirme dans la tristesse et donc il est faux de dire que la puissance s’affirme toujours de la même manière ou « aussi bien » dans la joie et dans la tristesse.

Il est néanmoins exact que quelque soit le degré de passivité auquel une chose est soumise, elle exprime néanmoins une activité à un degré quelconque aussi minime fut-il, car la passivité totale correspond à la disparition pure et simple de la puissance, c'est-à-dire à la destruction de la chose, et une chose détruite ne peut même plus être dite subir ou pâtir de quoi que ce soit. Il n’en reste pas moins, ce point étant rappelé, que quelque soit le degré de passivité auquel tombe ou retombe une chose et tant que cette chose n’est pas détruite, il subsiste en elle quelque degré ou forme d’activité exprimant sa puissance. Mais cette puissance ne s’exprime évidemment jamais en considérant l’état de la chose par le coté où elle est dite subir, puisque sous ce rapport elle est impuissante ou encore sa puissance est niée. La bonne nouvelle est que si d’un coté (étant des choses dont la puissance est limitée ou finie) les êtres humains sont toujours à un degré quelconque soumis aux causes extérieures qui les contraignent et les font opérer passivement d’un autre coté ( car avoir une puissance limitée ce n’est pas avoir une puissance nulle) ils sont toujours aussi à un degré quelconque libre, c'est-à-dire apte à opérer et à agir non sous la contraintes des choses externes mais en exerçant leur propre spontanéité, c'est-à-dire en posant les détermination qui suivent de leur nature et lui conviennent. Bref liberté et servitude ne sont pas des termes à entendre comme des déterminations absolues mais comme des déterminations relatives l’une à l’autre. Cette situation se traduit chez Spinoza en disant que tous les êtres font « effort » pour persévérer dans leur être. Toutes sont animées d’une tendance à affirmer toutes les déterminations qui suivent de leurs natures ( donc techniquement parlant à agir librement), mais comme elles ont en effet toutes cette tendance, mais des natures différentes, elles peuvent et c’est ce qu’elles font le plus ordinairement, se nier mutuellement les unes les autres et s’entre-empêcher » et par conséquent limitent réciproquement leurs libertés.

2) « Elle (la puissance) est toujours présente dans n’importe quel genre d’Affect.

??????????????? !!!!! (Là tu as les fils qui se touchent à mon avis)

Les affects PASSIFS ne sont-ils pas des affects par lesquels nous sommes dit « impuissants » (ou qui attestent de notre « impuissance ») ? Un affect passif par ailleurs n’est-il pas par ailleurs « un genre d’affect » donc…Ne peut on en conclure que tu parles à tort et à travers ou que tu ne comprends pas bien le sens des mots que tu emploies ?


3) La liberté est (…) (donc un Affect très précis, ou, si tu veux, une affirmation de la puissance très précise)

Oui, oui je veux bien ! Mais : est ce que je suis victime d’une hallucination ou n’es tu pas en train d’écrire que la liberté est un « affect précis » identique à l’affirmation de la PUISSANCE ? Par conséquent est ce que tu ne serais pas par hasard en train de « réduire » le concept de liberté au concept de puissance ? (Ou alors c’est moi : quelle est l’affirmation qui précède, dans ton texte l’expression « très précise » ?)

Trêve de plaisanterie. Dire d’un concept qu’il est une subdivision ou un cas particulier d’un autre, c’est dire que les choses qui satisfont le second satisfont également le premier. Et donc il est bien sûr parfaitement inconséquent et incongru (pour ne pas dire de choses plus méchantes) de commencer comme tu le fais par protester contre la « réduction » de la liberté à la puissance pour terminer en affirmant l’identité de ces deux choses, en croyant (je suppose du moins) avoir réalisé « un bon coup » en séparant les choses par genre et par espèce ce qui ne change strictement rien au problème puisque cela revient précisément à « réduire » la liberté à un cas particulier de l’affirmation de la puissance.

Outre l’inanité de l’objection, dans sa forme, (mais ce n’est même pas une objection c’est juste pour essayer de donner l’illusion que tu avais « quand même raison de… ») ce que tu allègues ici, à savoir qu’il y aurait des expressions de la puissance d’une chose qui différait de sa liberté constitue encore une fois une affirmation gratuite, qui ne trouve aucune espèce de fondement dans le texte et donc fausse relativement au corpus de Spinoza.

En effet –par E4 def 8 :

« Par vertu et puissance, j’entends la même chose, c’est à dire la vertu en tant qu’elle se rapporte à l’homme, est l’essence même ou nature de l’homme en tant qu’il a le pouvoir de faire certaines choses qui peuvent se comprendre par les seules lois de sa nature.

Mais je te le demande : dans quelles circonstances l’homme a-t-il ce « pouvoir de faire certaine chose qui peuvent se comprendre par sa nature seule » ? Hein ? Et bien quand il est libre, attendu que en vertu de E1D7 (soit la définition de l’expression « chose libre ») :

« est dite libre la chose qui existe par la seule nécessité de sa nature et se détermine par soi seule à agir »

Donc (théorème) plus un homme aura de vertu et plus il sera puissant, et plus il sera puissant plus il fera celles de ces choses qui peuvent se comprendre par les seules lois de sa nature, ou (encore : cela signifie la même chose) plus il sera déterminé par soi seul a agir, et donc plus cet homme pourra être dit être « une chose libre ».

Et moins il fera tout cela et moins il pourra être dit « une chose libre » et moins il sera puissant et moins il sera vertueux.



Louisa a écrit : je crois que tu as effectivement lu trop vite, sinon tu aurais pu donner quelques arguments concrets et peut-être concluants contre l'idée que je propose, ce qu'en général dès que tu as compris ce que j'essaie de dire tu fais très bien.




Je commence à te connaître tu sais, et un simple coup d’œil, l’habitude aidant, me permet en général de savoir où tu veux en venir. Dans les rares cas où tu dis quelque chose qui me surprend un peu plus, je lis plus attentivement. Tu comprends bien aussi que je ne veux pas non plus perdre tout mon temps à décortiquer chacun de tes contresens (d’autant que je sais pertinemment que cela ne sert à rien). On n’en finirait plus.

Bon je crois que c’est tout.

PS : si tu tenais à répondre à ce message, ce de quoi je ne doute pas un instant, fais le vite car je pars dès demain en des lieux encore épargnés par les relais des réseaux de télécommunication « wifi ».

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Messagepar Louisa » 19 déc. 2008, 04:08

Durtal a écrit :
louisa a écrit :je crois que l'idée que tu proposais va beaucoup plus loin: tu réduis la liberté au simple exercice ou affirmation de la puissance, tandis que chez Spinoza la puissance s'affirme toujours, aussi bien lors d'une Tristesse que lors d'un Désir ou lors d'une Joie, bref, elle est toujours présente dans n'importe quel genre d'Affect, alors que la Liberté spinoziste n'est pas n'importe quel Affect, c'est la "Joie suprême" ou "Béatitude" (donc un Affect très précis, ou, si tu veux, une affirmation de la puissance très précise (une sous-division particulière de cette espèce particulière d'affirmation qu'est l'Affect de Joie), pas n'importe quelle affirmation). Raison pour laquelle je crois qu'il faut en effet bien distinguer les choses, si l'on veut comprendre en quoi pourrait consister la liberté dans un système déterministe qui n'est pas celui de Hobbes mais celui de Spinoza.


Voyons ça de plus près.

1)Louisa a écrit:

« Chez Spinoza la puissance s’affirme toujours aussi bien lors d’une tristesse, lors d’un Désir ou lors d’une joie »

(...)
Il est néanmoins exact que quelque soit le degré de passivité auquel une chose est soumise, elle exprime néanmoins une activité à un degré quelconque aussi minime fut-il, car la passivité totale correspond à la disparition pure et simple de la puissance, c'est-à-dire à la destruction de la chose, et une chose détruite ne peut même plus être dite subir ou pâtir de quoi que ce soit. Il n’en reste pas moins, ce point étant rappelé, que quelque soit le degré de passivité auquel tombe ou retombe une chose et tant que cette chose n’est pas détruite, il subsiste en elle quelque degré ou forme d’activité exprimant sa puissance.


ok, nous sommes visiblement d'accord là-dessus (si tu relis la citation, tu verras que la phrase juste après explique dans quel sens il fallait lire le "aussi bien").

Durtal a écrit : Mais cette puissance ne s’exprime évidemment jamais en considérant l’état de la chose par le coté où elle est dite subir, puisque sous ce rapport elle est impuissante ou encore sa puissance est niée. La bonne nouvelle est que si d’un coté (étant des choses dont la puissance est limitée ou finie) les êtres humains sont toujours à un degré quelconque soumis aux causes extérieures qui les contraignent et les font opérer passivement d’un autre coté ( car avoir une puissance limitée ce n’est pas avoir une puissance nulle) ils sont toujours aussi à un degré quelconque libre, c'est-à-dire apte à opérer et à agir non sous la contraintes des choses externes mais en exerçant leur propre spontanéité, c'est-à-dire en posant les détermination qui suivent de leur nature et lui conviennent. Bref liberté et servitude ne sont pas des termes à entendre comme des déterminations absolues mais comme des déterminations relatives l’une à l’autre. Cette situation se traduit chez Spinoza en disant que tous les êtres font « effort » pour persévérer dans leur être. Toutes sont animées d’une tendance à affirmer toutes les déterminations qui suivent de leurs natures ( donc techniquement parlant à agir librement), mais comme elles ont en effet toutes cette tendance, mais des natures différentes, elles peuvent et c’est ce qu’elles font le plus ordinairement, se nier mutuellement les unes les autres et s’entre-empêcher » et par conséquent limitent réciproquement leurs libertés.


c'est par rapport à ceci que nous lisons pour l'instant Spinoza différemment. Tu définis ici la liberté par une "spontanéïté", alors qu'à mon sens la liberté chez Spinoza, cela ne se fait jamais "tout seul", au sens où la simple absence de causes extérieures n'est guère suffisante voire nécessaire pour déjà être libre. Celui qui est libre a appris comment augmenter maximalement sa propre puissance, tandis que n'importe qui exerce toujours déjà sa propre puissance "spontanément", on ne peut pas ne pas l'exercer. Aussi ai-je l'impression que lorsque tu dis que la liberté consiste en le fait d'avoir une tendance à affirmer toutes les déterminations qui suivent de ma nature, tu supposes qu'il y aurait des déterminations qui suivraient de ma nature mais qui à cause de certains obstacles extérieurs ne se produisent finalement pas. Là à mon sens tu introduis du "possible" dans l'essence même de la chose (une détermination qui "aurait pu" être la mienne mais en réalité ne l'est pas), alors que chez Spinoza le possible n'a aucun statut ontologique, le possible n'est que le "signe" de notre ignorance des causes.

Enfin je ne crois pas que chez Spinoza l'affirmation soit relative à la négation. On a chez lui d'abord l'affirmation, et seulement ensuite la négation. On a d'abord l'affirmation pure, qui n'a pas besoin du tout du négatif pour pouvoir s'affirmer (le spinozisme n'est pas un hégélianisme). La liberté n'a pas besoin de la servitude. Ce que Spinoza dit, c'est plutôt ceci (E4P68):

"Si les hommes naissaient libres, ils ne formeraient aucun concept du bien et du mal, aussi longtemps qu'ils seraient libres."

Comme il le dit dans la démonstration, ce sont le bien et le mal qui sont des corrélats. Mais on peut très bien être libre, du moins en théorie, sans avoir des idées inadéquates. La liberté n'a pas besoin d'idées inadéquates, elle n'a pas besoin de la servitude pour exister, elle ne se définit pas en réference à son contraire. Pour moi cela est crucial dans le spinozisme: le positif est du pur positif, il n'est jamais le revers de la médaille, ce qu'on n'obtiendra que si l'on est d'abord prêt à "souffrir" etc. Il n'y a pas de "puissance du négatif" dans le spinozisme. Bref, le spinozisme n'est pas un hégélianisme. Mais tu penses peut-être à des choses qui vont dans le sens inverse, qui te permettent de rapprocher tout de même les deux? Si oui, à quoi penses-tu plus précisément?

Durtal a écrit :2) « Elle (la puissance) est toujours présente dans n’importe quel genre d’Affect.

Les affects PASSIFS ne sont-ils pas des affects par lesquels nous sommes dit « impuissants » (ou qui attestent de notre « impuissance ») ? Un affect passif par ailleurs n’est-il pas par ailleurs « un genre d’affect » donc…Ne peut on en conclure que tu parles à tort et à travers ou que tu ne comprends pas bien le sens des mots que tu emploies ?


ah si tu veux discuter de qui je suis moi tu peux en conclure tout ce que tu veux. Ce qui m'intéresse plus, c'est ce que tu dis du spinozisme. Alors voilà, à mon sens on ne peut pas dire que les Affects-Passions sont ceux par lesquels nous sommes impuissants. Le problème, la passivité, réside précisément en le fait même de réduire une Passion à une impuissance, à ne pas voir ce que pourtant tu viens d'admettre ci-dessus: que dans toute Passion nous sommes nous-mêmes une cause partielle, et que par conséquent, toute Passion affirme elle aussi notre puissance, ne fût-ce que partiellement. A mon avis (mais tout cela est à vérifier bien sûr, je ne fais que formuler des hypothèses de travail) le remède aux affects consiste exactement en ceci: essayer d'éloigner l'idée d'une cause extérieure, pour aller voir ce que tel ou tel affect dit de moi (E5P2). Alors on pourrait croire que le spinozisme à cet égard est proche de la psychanalyse, mais je crois que la grande différence justement réside dans ce que je viens de dire ci-dessus: là où pour la psychanalyse ou pour le hégélianisme il y a toujours du négatif dans mon essence même, pour le spinozisme celle-ci est pure affirmation. Le remède aux affects consiste à rapporter la Passion à l'Esprit seul, et non pas à l'Esprit et (surtout) à la chose extérieure qui a été une cause partielle (E5P3). Car de toute Passion je suis moi-même aussi cause, moi-même dans ma propre puissance (et non pas impuissance).

Or comprendre cela ne donne pas encore lieu à la Liberté/Béatitude/suprême Joie. Cela permet juste de construire une idée adéquate d'une idée inadéquate, donc de détruire une Passion (et par là même de ressentir une petite augmentation de notre puissance de nouveau, une Joie active). Ceci est la condition de la Liberté, chez Spinoza (la condition de la suprême Joie), mais pas encore la Liberté elle-même, puisque celle-ci consiste dans l'Amour intellectuel de Dieu, et que lorsqu'on s'occupe à détruire nos Passions, on n'est pas encore dans cet Amour-là, on est seulement en train de préparer le terrain, on nous rend seulement plus puissant, sans plus. Pour atteindre à la suprême Joie, il faut utiliser notre puissance de penser et d'agir pour maintenant non plus penser à nos Passions, mais à des essences (l'essence de l'attribut, notre essence, l'essence de telle ou telle chose singulière, puis d'une autre encore, et ainsi de suite).

Cela me semble vraiment être crucial dans la conception spinoziste de la Liberté, donc si quelqu'un à une objection à faire par rapport à ceci, merci par avance.

Durtal a écrit :3) La liberté est (…) (donc un Affect très précis, ou, si tu veux, une affirmation de la puissance très précise)

Oui, oui je veux bien ! Mais : est ce que je suis victime d’une hallucination ou n’es tu pas en train d’écrire que la liberté est un « affect précis » identique à l’affirmation de la PUISSANCE ?


ben non, je dis: "une affirmation de la puissance très précise". Donc pas n'importe quelle affirmation, comme je le dis juste après. A mon sens, tu ne me lis souvent qu'en partie principalement parce que tu es déjà irrité par les idées que je propose. Du coup tu es moins concentré. J'en suis désolée, bien sûr, mais je n'y peux rien, ce que j'écris c'est ma façon actuelle d'interpréter Spinoza, cela n'a rien à voir avec toi (l'enjeu de cette discussion pour moi n'est donc point de te "battre", l'enjeu est simplement de comprendre qui se trompe où, dans l'espoir de comprendre ainsi tous mieux le spinozisme).

Durtal a écrit :Par conséquent est ce que tu ne serais pas par hasard en train de « réduire » le concept de liberté au concept de puissance ? (Ou alors c’est moi : quelle est l’affirmation qui précède, dans ton texte l’expression « très précise » ?)


je n'ai pas compris ce que tu veux dire par là. Ce que j'ai voulu dire: la Liberté n'est pas juste une affirmation de la puissance, puisque tout ce que produit une essence, qu'elle en soit la cause adéquate ou la cause partielle, affirme son essence, la Liberté est un Affect. On sait que dans le spinozisme il y a trois Affects: la Joie, le Désir et la Tristesse. La Liberté est une Joie. C'est déjà plus précis que d'être juste une affirmation de la puissance (puisque dans les trois cas, la puissance s'affirme, comme tu l'as rappelé toi-même ci-dessus). Puis Spinoza dit que la Liberté n'est pas n'importe quelle Joie, c'est la Joie suprême ou Béatitude. Deuxième précision. Dans la classe des "affirmations de puissance" on a donc un premier sous-ensemble, les Joies, puis dans la classe des Joies un autre sous-ensemble, la classe des Joies suprêmes. Par conséquent, toute Joie suprême est une affirmation de puissance, mais pas toute affirmation de puissance est une Joie suprême. Et donc la Liberté est un concept plus précis que l'idée générale d'affirmer sa puissance. On peut affirmer sa puissance de plein de manières différentes, la Liberté n'est qu'une de ces manières. Et donc une affirmation de la puissance très précise.

Durtal a écrit :Trêve de plaisanterie. Dire d’un concept qu’il est une subdivision ou un cas particulier d’un autre, c’est dire que les choses qui satisfont le second satisfont également le premier.


en effet, c'est tout à fait ça. Il faut juste y ajouter que les choses qui appartiennent au premier n'appartiennent pas toutes au second pour saisir l'essentiel de mon "intervention".

Durtal a écrit :Et donc il est bien sûr parfaitement inconséquent et incongru (pour ne pas dire de choses plus méchantes) de commencer comme tu le fais par protester contre la « réduction » de la liberté à la puissance pour terminer en affirmant l’identité de ces deux choses, en croyant (je suppose du moins) avoir réalisé « un bon coup »


(souviens-toi que la connaissance du mal est toujours inadéquate, pour Spinoza; je ne suis pas sur ce forum pour donner "des bons coups", je suis ici pour apprendre, comme tout le monde)

Durtal a écrit :en séparant les choses par genre et par espèce ce qui ne change strictement rien au problème puisque cela revient précisément à « réduire » la liberté à un cas particulier de l’affirmation de la puissance.


Essayons de le penser de manière plus formelle. Disons que tous les x sont des y, et tous les y des z. Est-ce que tous les z sont des x? Non. Parmi les z il y a des x, des t et des d et des p, par exemple. Pourtant ce que tu dis, si je t'ai bien compris, c'est que tous les z doivent être des x.

Retraduit dans les termes de notre problème: tous les Libertés (x) sont des Joies (y), et toutes les Joies sont des affirmations de la puissance (z). Mais pas toutes les affirmations de la puissance sont des Libertés, donc on ne peut pas définir la Liberté par le fait d'être une affirmation de la puissance, puisqu'il y a plein d'autres affirmations de la puissance qui ne sont pas des Libertés (les t, qui sont des Tristesses, les d, qui sont des Désirs, et les p, les Joies-Passions).

C'est pourquoi on ne peut pas dire que toute Liberté (ou idée du troisième genre de connaissance) est synonyme d'affirmation de la puissance, car il faut y ajouter la "différence spécifique" par rapport à d'autres affirmations de la puissance, différence qui consiste dans le fait que la Liberté est une augmentation suprême de la puissance.

Durtal a écrit :Outre l’inanité de l’objection, dans sa forme, (mais ce n’est même pas une objection c’est juste pour essayer de donner l’illusion que tu avais « quand même raison de… »)


pourrais-je te demander de ne pas essayer de me donner l'illusion d'avoir raison? Car je ne crois pas que quiconque sur ce forum a besoin de telles illusions, au contraire. Merci.

Durtal a écrit :ce que tu allègues ici, à savoir qu’il y aurait des expressions de la puissance d’une chose qui différait de sa liberté constitue encore une fois une affirmation gratuite, qui ne trouve aucune espèce de fondement dans le texte et donc fausse relativement au corpus de Spinoza.


tu viens de donner toi-même le fondement de cette idée: tout acte produit par une essence, quelle en soit la cause adéquate ou partielle, affirme sa puissance. Lors d'une Passion, l'essence affirme toujours sa puissance. Tu dis: à un moindre degré. Je dis: le moindre degré ne se fait qu'une fois que l'effet est produit, mais pour produire cet effet, il faut la puissance "entière" de l'essence actuelle, ensemble avec la puissance de la cause extérieure.

Durtal a écrit :En effet –par E4 def 8 :

« Par vertu et puissance, j’entends la même chose, c’est à dire la vertu en tant qu’elle se rapporte à l’homme, est l’essence même ou nature de l’homme en tant qu’il a le pouvoir de faire certaines choses qui peuvent se comprendre par les seules lois de sa nature.

Mais je te le demande : dans quelles circonstances l’homme a-t-il ce « pouvoir de faire certaine chose qui peuvent se comprendre par sa nature seule » ? Hein ? Et bien quand il est libre, attendu que en vertu de E1D7 (soit la définition de l’expression « chose libre ») :

« est dite libre la chose qui existe par la seule nécessité de sa nature et se détermine par soi seule à agir »

Donc (théorème) plus un homme aura de vertu et plus il sera puissant, et plus il sera puissant plus il fera celles de ces choses qui peuvent se comprendre par les seules lois de sa nature, ou (encore : cela signifie la même chose) plus il sera déterminé par soi seul a agir, et donc plus cet homme pourra être dit être « une chose libre ».

Et moins il fera tout cela et moins il pourra être dit « une chose libre » et moins il sera puissant et moins il sera vertueux.


oui, là-dessus nous sommes tout à fait d'accord. Par conséquent, pourrais-tu expliquer en quoi cela contredit selon toi ce que j'ai dit ci-dessus?

Pour moi, ce qui est important dans tout cela, c'est que pour être une chose libre, il faut que la chose existe par la seule nécessité de sa nature. Or jamais l'homme n'existe que par la seule nécessité de sa nature, sinon l'homme naîtrait libre, comme le dit Spinoza, ce qui n'est manifestement pas le cas (son essence envelopperait l'existence, ce qui ne vaut que pour Dieu). C'est pourquoi il introduit dans l'E3 la notion de "cause adéquate": l'homme peut être la cause adéquate autrement dit la seule cause de telle ou telle idée formée par son Esprit. Dans ce cas, l'homme n'est pas la cause de sa propre existence (et cette idée n'est pas non plus la cause de son existence), il est la cause d'une partie qui compose son essence, à savoir de telle ou telle idée adéquate. Or cela, dit Spinoza, c'est le cas pour toute idée qui naît d'une idée adéquate, donc pour toute Joie active, alors qu'il définit la Liberté humaine de façon beaucoup plus précise (E5P36): d'une part il s'agit de la Joie suprême (il y a donc des degrés de Joie), d'autre part il s'agit de la production d'idées adéquates très précises: des idées d'essence, des idées ayant l'éternité d'une essence comme objet (de mon essence, pour commencer, puis de l'essence d'autres choses (E5P31)).

Donc: plus on est libre, plus on est puissant, c'est-à-dire plus on sait produire des effets qui se comprennent pas notre nature seule. Mais cela ne veut pas dire qu'on peut définir la Liberté par cela, car jamais dans le spinozisme la définition d'une chose se base sur les effets de la même chose (voir le TIE).

Durtal a écrit :
Louisa a écrit :
je crois que tu as effectivement lu trop vite, sinon tu aurais pu donner quelques arguments concrets et peut-être concluants contre l'idée que je propose, ce qu'en général dès que tu as compris ce que j'essaie de dire tu fais très bien.


Je commence à te connaître tu sais, et un simple coup d’œil, l’habitude aidant, me permet en général de savoir où tu veux en venir. Dans les rares cas où tu dis quelque chose qui me surprend un peu plus, je lis plus attentivement. Tu comprends bien aussi que je ne veux pas non plus perdre tout mon temps à décortiquer chacun de tes contresens (d’autant que je sais pertinemment que cela ne sert à rien). On n’en finirait plus.


non, je ne crois pas que tu commences à me connaître, tu sembles plutôt te tromper assez sérieusement, ce qui est toujours le cas lorsqu'on est irrité (= Affect-Passion) par ce qu'écrit un interlocuteur. Or, comme déjà dit, je ne vois pas l'intérêt de mêler deux choses entièrement différentes: une discussion sur Spinoza (ce qui intéresse les visiteurs de ce site), et une discussion sur mon "intégrité morale" à moi (ce qui n'intéresse de temps en temps que 2-3 visiteurs de ce site, et qui n'a rien à voir avec le spinozisme, donc si tu veux continuer d'en parler, il vaut mieux le faire par message privé, conformément à la charte de ce site, de manière à ce que ceux qui veulent réfléchir au concept de la liberté chez Spinoza peuvent le faire sans devoir se laisser distraire par tout ce qui éventuellement ne convient pas, au niveau "personnel", entre toi et moi).

Durtal a écrit :PS : si tu tenais à répondre à ce message, ce de quoi je ne doute pas un instant, fais le vite car je pars dès demain en des lieux encore épargnés par les relais des réseaux de télécommunication « wifi ».


désolée je ne pouvais pas répondre plus tôt. En tout cas merci de tes remarques par rapport au sujet en question. Nous lisons Spinoza différemment, cela est certain, et si cela t'énerve, je m'en excuse. N'empêche que comme toujours pour moi les questions et objections que tu viens de formuler sont intéressantes et pertinentes, raison pour laquelle je tenais effectivement à les prendre en compte. Si tu veux continuer après ton retour: avec plaisir. En attendant (et si tu pars en vacances): bonnes vacances!
L.

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Messagepar Durtal » 19 déc. 2008, 08:43

Ok Louisa j'abandonne

Pour toi quelqu'un que meut la passion exerce "sa puissance". Et donc tu prends le terme de puissance au sens ordinaire et vague du mot.

Tu ne comprends rien à ce que signifie le concept de puissance chez Spinoza.

on ne peut pas discuter sérieusement

c'est tout


pour information ce qui agit spontanément" agit de soi même "c'est ce que ça veut dire....

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Louisa
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Messagepar Louisa » 19 déc. 2008, 18:05

Durtal a écrit :Pour toi quelqu'un que meut la passion exerce "sa puissance". Et donc tu prends le terme de puissance au sens ordinaire et vague du mot.

(...)

pour information ce qui agit spontanément" agit de soi même "c'est ce que ça veut dire....


cela m'étonne que tu as un problème avec l'idée que chez Spinoza dans un Affect-Passion la puissance de celui qui pâtit s'exerce elle aussi, à côté de la puissance de la cause extérieure, car le tout premier paragraphe que j'ai cité de toi ci-dessus me semble reconnaître exactement cela. Mais je t'ai peut-être mal compris?

En tout cas, voici les raisons pour lesquelles je crois qu'effectivement, la puissance de la chose qui subit s'exerce lorsqu'elle est affectée d'un Affect-Passion:

- il faut bien qu'une cause extérieure affecte une puissance, sinon elle ne pourrait rien affecter. Cette puissance doit être actuelle, et non pas potentielle, car dans le deuxième cas elle ne serait qu'un possible, donc rien de réel, donc rien sur quoi une cause peut exercer un effet.

- quelle est la force d'un Affect-Passion? E4P5:

"La force et l'accroissement d'une passion quelconque, et la persévérance dans l'exister, ne se définissent pas par la puissance avec laquelle nous nous efforçons de persévérer dans l'exister, mais par la puissance d'une cause extérieure comparée à la nôtre.

DEMO
L'essence d'une passion ne peut s'expliquer par notre seule essence, c'est-à-dire, la puissance d'une passion ne peut se définir par la puissance avec laquelle nous nous efforçons de persévérer dans notre être; mais elle doit nécessairement se définir par la puissance d'une cause extérieure à la nôtre.
"

On pourrait lire ici, comme tu sembles le faire, que lors d'une Passion notre puissance est totalement absente, puisque Spinoza dit que la puissance de la Passion ne peut se définir par notre puissance. Or pour moi la suite, aussi bien de la proposition que de la démonstration, montrent qu'il faut comprendre par là "par notre puissance seule", puisque ce qui définit l'essence d'une passion, c'est la puissance de la cause extérieure comparée à notre puissance à nous. La puissance ou l'essence de la Passion est donc l'effet de deux causes: notre puissance à nous, et la puissance de la cause extérieure. Nous sommes donc bel et bien nous-mêmes cause de nos passions, seulement nous ne sommes que cause partielle (raison pour laquelle il s'agit d'idées inadéquates, car celle-ci se définissent précisément par cette double causalité (E2P11 corollaire)).

Pour moi, cela est assez révolutionnaire, car cela fait qu'on ne peut jamais dire que lorsque quelqu'un fait quelque chose qui ne correspond pas à une "conduite sous la raison", c'est "de sa faute". Punir la personne qui agit selon ses Passions est donc en théorie absurde, dans le spinozisme, puisque le punir cela veut dire le rendre encore plus passif, faire diminuer sa force encore plus (le rendre plus Triste encore), tandis que la Passion en tant que telle a déjà diminué sa puissance. Mais cela ne signifie pas que l'essence de la Passion est indépendante de ma puissance à moi: elle est au contraire en partie causée par celle-ci.

Inversement, le remède aux Affects consiste à comprendre l'Affect non pas dans son essence (car pour ce faire, il faudrait une connaissance adéquate de l'essence de la cause extérieure, ce qu'on ne peut pas faire en se basant sur l'effet de cette cause extérieure sur nous (comme le dit le TIE, une définition ne peut se baser sur les effets de la cause, elle doit plutôt être telle que l'on peut en déduire tous les effets, donc donner l'essence de la cause elle-même)), le remède aux Affects consiste à comprendre ce qui dans l'Affect témoigne de notre puissance à nous. Dans toute Passion je m'affirme moi-aussi (une Passion étant une idée inadéquate, elle indique même plus mon état à moi que la nature de la cause extérieure (E2P16 corollaire II).

Par conséquent, au lieu de croire, comme on le fait tous spontanément, que ce qui nous énerve, ce qu'on haït etc. est la seule cause de nos Passions, il faut comprendre que c'est précisément cette croyance qui nous rend impuissants face à nos Passions, qui fait qu'on s'imagine qu'on dépend entièrement de la cause extérieure, qu'on ne pourra qu'essayer de détruire cette cause extérieure elle-même si un jour on veut se débarrasser de la Haine qu'elle nous inspire etc (voir tous les mécanismes imaginaires de la Haine décrits dans le livre 3), bref il faut comprendre que c'est précisément cette croyance, cette idée inadéquate de la Passion, qui fait que nous agissons de manière peu efficace par rapport au vrai remède aux Affects. Pour moi on voit cela très bien en comparant deux propositions:

E3P13 scolie du corollaire (définition de l'Amour et de la Haine):
"Par là, nous comprenons clairement ce qu'est (...) la Haine. A savoir, que (...) la Haine [n'est] rien d'autre qu'une Tristesse qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure. Nous voyons, ensuite, que (...) qui hait s'efforce d'éloigner la chose qu'il a en haine, et de la détruire. Mais on parlera de tout cela plus longuement dans la suite."

E5P2:
"Si nous éloignons une émotion de l'âme, autrement dit un affect, de la pensée d'une cause extérieure, et la joignons à d'autres pensées, alors (...) la Haine à l'égard de la cause extérieure (...) seront détruits.

DEMO
Ce qui, en effet, constitue la forme de (...) la Haine, c'est une (...) Tristesse qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure, une fois donc supprimée cette idée, se trouve en même temps supprimée la forme de (...) la Haine; et par suite ces afffecs et ceux qui en naissent sont détruits.
"

Quelle est la grande différence entre ces deux propositions? Elle consiste dans le fait que dans la première, qui ne dit que ce qu'est la Haine, on voit que l'effet "normal" de la Haine, c'est de vouloir détruire celui qu'on hait. Comme Spinoza le montre par la suite, ce genre de mécanisme donne bien sûr vite lieu à une surenchère de violence, qui fait que souvent celui qui essayait d'augmenter de nouveau sa puissance en essayant de tuer l'autre (l'autre étant celui qu'il s'imagine être la cause "adéquate" de sa diminution de puissance ou Haine), perd plutôt encore de puissance, puisque lorsque l'autre constate qu'on veut essayer de le détruire, il ne pourra que commencer à haïr à son tour, et à vouloir détruire l'homme qui s'imagine qu'il le déteste. Bref, de cette manière on ne s'en sort pas.

Quel est alors le remède aux Affects que Spinoza décrit? Il faut non pas essayer d'éloigner ou détruire la cause extérieure d'un Affect-Passion, il faut éloigner l'idée de cause extérieure. Il faut donc en quelque sorte "distinguer" ce qui dans la passion, en tant qu'effet de deux causes différentes", était "confondu" (les deux natures, ma nature et celle de la chose extérieure), et ainsi on détruit en effet non plus l'autre personne, mais la forme même de notre affect, de notre Passion, telle qu'elle est en nous. Si la Passion était uniquement causée par la chose extérieure et non pas aussi partiellement par notre nature à nous, alors on serait en effet obligé d'aller réellement combattre celui qui nous affecte de Tristesse et de Haine. Mais ici Spinoza dit qu'il existe quelque chose de beaucoup plus efficace: détruire la forme de la Passion en nous-mêmes. Former une idée adéquate ayant notre Passion ou idée inadéquate comme objet est même ce qui selon l'E5P4 est toujours possible:

"Il n'est pas d'affection du Corps dont nous ne puissions former un certain concept clair et distinct."

Voilà pourquoi ce remède est donc tellement plus puissant et efficace que celui qu'on adopte "spontanément" (essayer de détruire réellement l'autre): en théorie on peut former nous-mêmes seuls de tout Affect-Passion une idée adéquate, on ne dépend pas des autres pour pouvoir faire cela, et on a encore moins besoin d'aller embêter l'autre pour y arriver (ce qui ne peut que renforcer la Haine réciproque).

Or pourquoi est-ce que si peu de gens adoptent "spontanément" (au sens ordinaire du terme) ce remède? Parce que pour pouvoir former une idée adéquate, il faut une certaine puissance de penser et d'agir. Cette puissance chez beaucoup de gens n'est pas très grande, elle n'est maximale que chez les "sages". Aussi longtemps qu'on vit largement dans l'ignorance, on aura beau essayer de former des idées adéquates pour ainsi augmenter notre puissance (et on ne pourra pas ne pas essayer cela, chacun le fait autant qu'il est en lui, quantum in se est), on n'en formera que très peu, et souvent ce seront donc nos Affects-Passions, nos Haines, qui déterminent nos actes. Notre essence étant constituée aussi bien d'idées adéquates qu'inadéquates, la Haine en tant qu'idée inadéquate, en fait entièrement partie, et donc nous déterminera nécessairement à la Colère ("L'effort pour faire du mal à celui que nous haïssons s'appelle Colère"E3P40 scolie).

Par conséquent, il faut tout un travail pour pouvoir soi-même détruire ses propres Passions. L'explication de ce en quoi consiste ce travail contient deux volets, d'un côté la partie concernant les remèdes aux Affects à proprement parler (E5P1-20), d'un autre côté la deuxième partie de l'E5, consacrée à cet Affect très précis qu'est la Liberté ou Béatitude ou suprême Joie.

La première partie explique comment détruire nos Passions et comment utiliser notre imagination pour éviter de pâtir (toujours avoir présent à l'Esprit les "règles de la vie", toujours se concentrer sur ce qu'il y a de bon (en soi-même et chez les autres) etc.). La deuxième partie explique quel Affect augmente le plus notre puissance, donc quel Affect nous est le plus utile pour pouvoir appliquer tout ce que la première partie prescrit, pour avoir une puissance maximale capable de détruire la forme de nos Affects: c'est un Affect d'Amour (qui, rappelons-le, se définit elle aussi par une Joie accompagnée de l'idée d'une cause extérieure!), Amour d'un objet très précis: Dieu, l'essence de Dieu, puis un maximum d'essences de choses singulières que Dieu produit. C'est le propre du troisième genre de connaissance de produire un tel Affect, produisant ainsi le seul Affect d'Amour qui n'est pas une Passion mais une Action. Plus on est capable de sentir cet Amour, plus notre puissance sera augmentée durablement, et plus facilement pourrons-nous déconstruire nos propres Affects et répondre aux affections causées par des choses extérieures non pas par la Tristesse ou la Haine mais par ce même Amour de Dieu. En effet, Spinoza avait déjà dit que la seule chose qui peut contrarier les Affects-Passions, c'est un autre Affect, et non pas la Raison en tant que tel. Maintenant nous savons quel Affect s'y prêtel emieux: l'Affect qu'il appelle "Liberté" (E5P36), c'est-à-dire la Béatitude ou suprême Joie, qui n'est rien d'autre que l'Amour de Dieu.

D'ailleurs, on voit qu'ici le monde extérieur n'est pas du tout un "obstacle" à notre bonheur, quelque chose qui ne peut que nous contraindre, qui ne peut que rendre "non réalisée" ce que notre essence serait déterminée à faire. Tout ce que nous faisons est toujours déterminé par notre essence, et tout ce à quoi est déterminé notre essence est toujours réalisé. Ce qui est causée par nos idées inadéquates est donc également causée par nous-mêmes. Seulement, certains de nos actes/déterminations augmentent activement et durablement notre puissance, et l'Amour de Dieu ou Liberté est l'acte le plus efficace parmi ceux-ci. Or pour pouvoir aimer Dieu, dit Spinoza, il faut avoir un Corps et un Esprit qui peuvent se laisser affecter maximalement par les choses singulières dans le monde, il ne faut pas du tout les concevoir comme "obstacles" à l'expression "spontanée" de ma puissance:

E4P38 (reprise à la fin de l'E5):
"Ce qui dispose le Corps humain à pouvoir être affecté de plus de manières, ou ce qui le rend apte à affecter les corps extérieurs de plus de manières, est utile à l'homme: et d'autant plus utile qu'il rend le Corps plus apte à être affecté, et à affecter les corps extérieures, de plus de manières; et est nuisible, au contraire, ce qui y rend le Corps moins apte."

C'est pourquoi à mon avis nous ne sommes plus dans un univers hobbesien où "par nature" l'homme est un loup pour l'homme (ou où par nature l'homme tout ce à quoi est déterminé l'homme serait bon pour lui-même). Nous sommes plutôt dans une pensée où l'homme peut devenir un dieu pour l'homme, et où par conséquent la Liberté n'est plus une question de simplement penser à l'idée que tout est déterminé ou d'essayer de maximalement faire dans ma vie tout ce que spontanément je désire. La Liberté est un Affect, une Joie suprême, un Amour, qu'il faut cultiver avant de pouvoir le ressentir, et qui est à la fois l'Affect-Action le plus utile pour nous-mêmes et pour la société.

Enfin voilà ... cette réponse était un peu plus longue que prévue ... j'espère qu'elle permet de comprendre en quoi pour moi le concept de Liberté spinoziste tel que je le comprends pour l'instant n'a rien à voir avec une conception ordinaire du terme "puissance", mais se base sur une pensée tout à fait particulière, est propre au spinozisme en tant que tel.
Comme toujours, toute critique ou commentaire est bienvenu.
L.

PhiPhilo
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Messagepar PhiPhilo » 20 déc. 2008, 17:39

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Modifié en dernier par PhiPhilo le 13 oct. 2009, 07:08, modifié 1 fois.


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