bardamu a écrit :sescho a écrit :(...) Spinoza dit : nous ne pouvons avoir d’idée claire et distincte des choses singulières ; ce que nous pouvons percevoir clairement et distinctement, ce sont « les notions communes mais vues sous la connaissance du troisième genre ».
Il me semble que les notions communes sont les objets du 2nd genre de connaissance. Par le 3e genre de connaissance, on connait les essences singulières. Je n'ai pas souvenir d'une connaissance des notions communes par le 3e genre de connaissance.
Chez Spinoza, chaque chose singulière a un être formel en Dieu et même si on n'en a pas de connaissance claire et distincte, on peut en obtenir une connaissance intuitive par le 3e genre de connaissance.
E5P36 Corollaire scolie : (...) et j'ai pensé qu'il était à propos de faire ici cette remarque, afin de montrer par cet exemple combien la connaissance des choses particulières, que j'ai appelée intuitive ou du troisième genre (voyez le Schol. 2 de la Propos. 40, part. 2), est préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles que j'ai appeler du second genre
Sur le premier point, ceci n'apparaît pas textuellement. J'ai fait un raccourci rapide (d'où les guillements) de l’exemple de la règle de 3 (E2P40S2) - où Spinoza glisse du raisonnement à la science intuitive sur exactement le même sujet :
Spinoza, traduit par E. Saisset, a écrit :… Outre ces deux genres de connaissances, on verra par ce qui suit qu’il en existe un troisième, que j’appellerai science intuitive. Celui-ci va de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses. J’expliquerai cela par un seul exemple. Trois nombres nous sont donnés, pour en obtenir un quatrième qui soit au troisième comme le second est au premier. Les marchands n’hésitent pas à multiplier le second par le troisième et à diviser le produit par le premier ; et cela par cette raison qu’ils n’ont pas encore oublié ce qui leur a été dit sans preuve par leur maître, ou bien parce qu’ils ont fait plusieurs épreuves de cette opération sur des nombres très simples, et enfin en vertu de la Démonstr. de la Propos. 19 du 7e livre d’Euclide, c’est-à-dire en vertu d’une propriété générale des proportions.— Mais tout cela est inutile si on opère sur des nombres très simples. Soit, par exemple, les trois nombres en question, 1, 2, 3 : il n’y a personne qui ne voie que le quatrième nombre de cette proportion est 6, et cette démonstration est d’une clarté supérieure à toute autre, parce que nous concluons le quatrième terme du rapport qu’une seule intuition nous a montré entre le premier et le second.
Je pense que le troisième genre de connaissance est effectivement nettement supérieur au deuxième et seul véritablement clair et distinct, mais que, eu égard à l'ordre de la Nature, il porte pour Spinoza sur les mêmes "éléments". Ce qui change, c'est la perception : indirecte dans le raisonnement, elle devient directe dans la science intuitive. Par ailleurs, il me semble que Spinoza sous-entend qu'on ne peut avoir d'idée adéquate de l'essence d'aucune chose singulière (c'est explicite dans le Court Traité, mais dans une note dont il est risqué de dire que Spinoza en était lui-même l'auteur). Je ne pense pas que la phrase donnée par Bardamu soit suffisante pour conclure (il est facile de se méprendre sur un extrait de texte traduit de Spinoza, et tout doit être consolidé). Je verse quelques pièces supplémentaires au dossier:
Spinoza, traduit par E. Saisset, a écrit :E2P25 : L’idée d’une affection quelconque du corps humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate du corps extérieur.
E2P26 : L’âme humaine ne perçoit aucun corps comme existant en acte, que par les idées des affections de son corps.
Corollaire : L’âme humaine, en tant qu’elle imagine un corps extérieur, n’en a pas une connaissance adéquate.
E2P29CS : Je dis expressément que l’âme humaine n’a point une connaissance adéquate d’elle-même, ni de son corps, ni des corps extérieurs, mais seulement une connaissance confuse, toutes les fois qu’elle perçoit les choses dans l’ordre commun de la nature ; par où j’entends, toutes les fois qu’elle est déterminée extérieurement par le cours fortuit des choses à apercevoir ceci ou cela, et non pas toutes les fois qu’elle est déterminée intérieurement, c’est-à-dire par l’intuition simultanée de plusieurs choses, à comprendre leurs convenances, leurs différences et leurs oppositions ; car chaque fois qu’elle est ainsi disposée intérieurement de telle et telle façon, elle aperçoit les choses clairement et distinctement, comme je le montrerai tout à l’heure.
E2P31 : Nous ne pouvons avoir qu’une connaissance fort inadéquate de la durée des choses particulières qui sont hors de nous.
Corollaire : Il suit de là que toutes les choses particulières sont contingentes et corruptibles ; car nous ne pouvons avoir (par la Propos. précédente) qu’une connaissance fort inadéquate de leur durée, et ce n’est pas autre chose que cela même qu’il faut entendre par la contingence et la corruptibilité des choses (voir le Schol. 1 de la Propos. 33, partie 1) ; car, hors de là, il n’est rien de contingent (par la Propos. 29, partie 1).
E2P37 : Ce qui est commun à toutes choses (voir le Lemme ci-dessus), ce qui est également dans le tout et dans la partie, ne constitue l’essence d’aucune chose particulière.
E5P4 : Il n’y a pas d’affection du corps dont nous ne puissions nous former quelque concept clair et distinct.
Démonstration : Ce qui est commun à toutes choses ne se peut concevoir que d’une manière adéquate (par la Propos. 38, part. 2), et conséquemment (par la Propos. 12 et le Lemme 2, placé après le Schol. de la Propos. 13, part. 2), il n’y a aucune affection du corps dont nous ne puissions nous former quelque concept clair et distinct. C. Q. F. D.
E5P12Dm : Les objets que nous concevons clairement et distinctement, ce sont les propriétés générales des choses, ou ce qui se déduit de ces propriétés (voyez la Défin. de la raison dans le Schol. 2 de la Propos. 40, part. 2) ; et conséquemment, ces objets se représentent à notre esprit plus souvent que les autres (par la Propos. précéd.) ; d’où il suit que la perception simultanée de ces objets et du reste des choses devra s’opérer avec une facilité particulière, et par suite que les images des choses se joindront à ces objets plus aisément qu’à tous les autres (par la Propos. 18, part. 2). C. Q. F. D.
E5P25 : L’effort suprême de l’âme et la suprême vertu, c’est de connaître les choses d’une connaissance du troisième genre.
Démonstration : La connaissance du troisième genre va de l’idée adéquate d’un certain nombre d’attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses (voyez la Déf. renfermée dans le Schol. 2 de la Propos. 40, part. 2) ; et plus nous comprenons les choses de cette façon, plus nous comprenons Dieu (par la Propos. précéd.) ; par conséquent (par la Propos. 28, part. 4), la vertu suprême de l’âme, c’est-à-dire (par la Déf. 8, part. 4) sa puissance ou sa nature, ou enfin (par la propos. 7, part. 3) son suprême effort, c’est de connaître les choses d’une connaissance du troisième genre.
E5P28 : Le désir de connaître les choses d’une connaissance du troisième genre ou l’effort que nous faisons pour cela ne peuvent naître de la connaissance du premier genre, mais ils peuvent naître de celle du second.
Démonstration : Cette proposition est évidente d’elle-même ; car tout ce que nous concevons clairement et distinctement, nous le concevons ou par soi ou par autre chose qui est conçu par soi : en d’autres termes, les idées qui sont en nous claires et distinctes ou qui se rapportent à la connaissance du troisième genre (voy. le Schol. 2 de la propos. 40, part. 2) ne peuvent résulter des idées mutilées et confuses, lesquelles (par le même Schol.) se rapportent à la connaissance du premier genre, mais bien des idées adéquates, c’est-à-dire (par le même Schol.) de la connaissance du second et du troisième genre. Ainsi donc (par la Déf. 1 des passions) le désir de connaître les choses d’une connaissance du troisième genre ne peut naître de la connaissance du premier genre, mais il peut naître de celle du second. C. Q. F. D.
Une question subsidiaire est "en quoi - logiquement - la connaissance du deuxième genre peut-elle déboucher sur celle du troisième".
Amicalement
Serge