Bonjour Serge,
Louisa ayant pris quelques distances, je reprends le flambeau de la pensée divergente (mais je répondrais moins vite, c'est sûr...).
sescho a écrit :(...) il me semble incontestable que Spinoza pose le Mouvement avant les corps (il s'agit du mode infini de l'Etendue, qui en découle immédiatement) et que ceux-ci sont causés par lui
Là, je verrais deux manières de voir les choses.
On peut suivre un ordre de la généralité : Etendue - > mouvement infini - > mouvement fini
Si on transforme cet ordre en ordre causal, on va dire que l'Etendue est cause du mouvement infini lui-même cause du mouvement fini.
C'est CT1Ch8 : "
les choses particulières qui sont causées par les modes généraux"
Mais on peut aussi considérer que l'Ethique évolue par rapport à ça.
E1P28S : "
Dieu ne peut être appelé proprement la cause éloignée des choses particulières, si ce n’est afin de distinguer cet ordre de choses de celles que Dieu produit immédiatement, ou plutôt qui suivent de sa nature absolue"
L'ordre de généralité ne correspond plus à un ordre causal, les choses particulières ne sont plus causées par les modes généraux. Le mouvement infini et les mouvements finis sont à égalité du point de vue de leur cause et la distinction ne se fait que par leur rapport à l'absolu, modalité englobant tout ce que peut produire un attribut ou cette même modalité vue comme composition infinie.
Au lieu de "Substance selon l'Etendue puis mouvement infini puis mouvement fini", on aurait"Substance selon l'Etendue infiniment modifiée" et "Substance selon l'Etendue modifiée d'une infinité de manières". "Infiniment modifié" et "modifiée d'une infinité de manières" est la même chose mais selon deux points de vue, synthétique ou analytique.
En fait, la difficulté que je vois est de dire les choses dans un langage d'enveloppement, d'immanence, pour éviter les impressions que Dieu est cause transitive de quoi que ce soit. L'idée qu'une cause se distingue de son effet par le fait même qu'elle est cause peut facilement conduire à séparer la cause de son effet, et en l'occurrence à penser la substance et ses affections comme 2 mondes disjoints.
Sauf erreur, tu appelais ça un saut ontologique, et pour ma part j'appellerais simplement ça une distinction modale (E1p15 scolie).
Par E1p16, je considère les modes comme réels, c'est-à-dire découlant de la nécessité de la nature divine. L'impossibilité de concevoir les modes sans la substance devient réciproque. On ne peut plus concevoir Dieu sans affections une fois qu'il est établi que les modes découlent de la nature divine. La distinction entre une cause et ses effets nécessaires n'est pas une distinction réelle. Concevoir l'une sans les autres n'est qu'une conception partielle risquant de bloquer le système d'enveloppement des choses en Dieu ou de développement de Dieu dans les choses.
sescho a écrit : On peut peut-être l'interpréter de différentes façons, mais c'est ainsi : la finitude, comme le temps, est un effet du Mouvement.
(...)
Quant à l'essence, elle se distingue totalement de l'existence s'agissant des choses singulières ; celles-ci en manifestent une tant soit peu différente au cours du temps, par l'effet du Mouvement, car ce qui est éternel c'est l'essence en elle-même, pas sa manifestation (essence actuelle) comme chose singulière dans la durée.
Je crains de ne pas avoir compris la 2e phrase ("manifestent une tant soit peu différente au cours du temps") mais je ne vois pas en quoi l'essence se distingue totalement de l'existence, non seulement en prenant l'essence selon l'éternité que l'essence selon la durée.
Je ne vois pas pourquoi on ne considèrerait pas qu'à l'essence selon l'éternité correspond une existence selon l'éternité et à l'essence selon la durée une existence selon la durée. On a 2 concepts (essence et existence) croisés avec 2 points de vue (éternité et durée).
Concevoir selon l'éternité est la conception qu'on doit adopter dans les 2nd et 3e genres de connaissance (E2p44 coroll. 2 :
Il est de la nature de la raison de percevoir les choses sous la forme de l'éternité) et cela me semble s'appliquer aussi bien à la conception des essences que des existences.
Pour comprendre ton idée, j'ai trouvé :
"La consistance des choses singulières est aussi imaginaire que la causalité transitive."
Donc, sauf erreur, tu conditionnes l'existence des choses singulières à une causalité transitive. Mais l'idée d'une causalité transitive me semble essentiellement due à une perception selon la durée. Lorsqu'on passe à une conception des existences selon l'éternité, il n'y a pas besoin de transitivité et la finitude n'est pas particulièrement liée au mouvement.
Je considère ici que tu conçois le mouvement comme un mouvement dans la durée, trajectoire de x à y en un temps t, mais je ne suis pas certain que ce soit ton idée.
Pour moi, on peut concevoir le mouvement comme concept premier avant tout rapport à la durée ou l'espace. Il ne reste alors qu'à concevoir une finitude première, avant tout rapport au temps au sens de "quelque chose qui bouge".
Pour cette représentation de choses finies avant toute référence au temps, on a la chance de venir après Einstein qui avait le bon goût de déduire de ses théories que c'est le temps qui est une illusion, que les choses peuvent se penser chrono-géométriquement, c'est-à-dire que la vision du temps sera une conséquence secondaire d'une représentation fonctionnant sur un autre concept.
Ce concept est l'espace-temps, avec le tiret indiquant que ce n'est pas l'espace
et le temps, mais un concept différent, premier, où les choses sont dans une existence "éternelle".
Pour prendre un exemple de Spinoza : un cercle est défini génétiquement comme ce qui résulte du mouvement d'un segment de droite dont une extrémité est fixe.
On aura par exemple quelqu'un plantant un piquet, y accrochant une corde, et connaissant le cercle par des images qui se rapprochent de la figure commune de cercle. Là, on ne voit pas vraiment comment sortir du temps puisque le cercle semble se construire peu à peu.
Maintenant, si on passe à une conception spatio-temporelle, on a un tracé fixe, une sorte de vis à 4 dimension. On est sorti du temps, on est face à un tracé fixe.
Qui plus est, cette représentation "relativiste" en 4 dimensions définit de manière fixe l'ordre des causalités à partir d'une vitesse limite (c, vitesse dite "de la lumière). Au lieu de voir une causalité temporelle où x produit y, on a une causalité "géométrique" où y est un point du voisinage de x. Le regard, la vision mathématique, voit d'un coup cet espace 4D.
On a là un modèle simple pouvant illustrer une conception éternelle des existences. Une existence finie éternelle est une zone fixe de l'espace 4D. Dans ce modèle, la mesure de la durée (le temps) correspondra à des coupures artificielles de l'espace 4D en séries de tranches considérées comme indépendantes.
Même si ce modèle me semble insuffisant pour faire entrer le difficile mécanisme de complexification des idées que je vois chez Spinoza, il me semble suffisant pour avoir un exemple de conception d'une existence éternelle et d'une finitude éternelle. Un bloc d'espace-temps au sein de l'espace 4D est comme une affection finie de cet espace. Une des dimensions du bloc correspond à une durée mais le bloc lui-même ne change pas, ne dure pas.
Et si on veut, tant qu'à avoir un auxiliaire de l'imagination, on peut concevoir une réorganisation de cet espace selon une logique d'essence : telle ou telle forme de vie, de forme de courbe 4D sera placée à proximité des formes semblables. Si par exemple on a la forme 4D correspondant à un tourbillon qui tourne à gauche de sa naissance à sa disparition, on peut concevoir une zone regroupant les "tourbillons tournant à gauche". Ce sera l'essence humaine composée de la puissance de chaque tourbillon singulier, chaque tourbillon singulier ayant aussi son existence et son essence éternelle propre plus ou moins proche du modèle utilisé pour caractériser les "tourbillons tournant à gauche".
Bon, là je m'emporte, et je crains que trop d'images nuisent à une perception plus exacte.
J'espère cependant avoir montré qu'on peut concevoir la finitude, les existences et les essences selon l'éternité, sur une simple représentation géométrique 4D immobile et immuable, avec un mouvement conçu soit comme bloc statique spatio-temporel soit comme déplacement dans le temps et l'espace.