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Je m'apprêtais, en effet, après avoir considéré comme bon de ne pas prolonger le débat avec Bardamu sur la Connaissance du troisième genre, à débattre avec Hokousai de ses interventions... et je m'arrêtais sur la première :
hokousai a écrit :L'essence de la chose c'est d' être réelle
…
Or le concept d'essence d'une chose est très ambigu il est indissolublement lié à l’universel.
En effet l’essence est ce qui perdure au delà (ou en infra ) des changements accidentels . . La chose serait-elle unique , si elle a une essence(ou si on parle d’une essence ), elle est placée dans un espace ou sa singularité ( hic et nunc ) est rattachée une permanence subsumant les accidents donc à une généralisation des événements accidentels, c’est à dire ramenée dans le giron d’ un universel.
L'universel étant ce qui lie les éléments de l’ensemble des accidents particuliers , ensemble constitué dans la temporalité ,d’ ailleurs ,puisque l’opération de liaison pour être permanente est inscrite dans le temps . Conférer une essence cette chose particulière, c’est la faire repénétrer dans la temporalité et ainsi la faire sortir de l éternité ..
L’essence peut ne pas pouvoir être dîtes ou décrite (peu importe ) il y a un centre, fut-il obscur,de référence .
Extrêmement difficile d’ échapper à l’essence ( donc au platonisme comme à son égal l’aristotélisme )
Et encore :
hokousai a écrit :Si vous voulez avoir l'essence de la chose même ( celle ci ,celle là ) ...c'est l'effort pour se conserver soi même , c'est cela l' essence de la chose .(partie 4 prop 26- démonstration )
et je dirais bien :pas plus pas moins .
Comme il l'a été indiqué par ailleurs ci et là par d'autres, une révision générale de la notion d'essence m'a alors semblé effectivement nécessaire. Je propose pour débuter le débat les propositions suivantes :
1) Il est un fait régulièrement vérifié qu'il faut être très précis dans la compréhension des termes utilisés par Spinoza. Ceci rend en outre d'autant plus sensible la qualité de la traduction.
2) A ce titre, la confusion entre "être" et "étant" est assez funeste, comme il apparaît ci-après.
3) Il faut faire (ce que je n'ai sans doute à titre personnel pas bien fait antérieurement, au moins verbalement) la distinction entre "chose particulière" et "chose singulière". En effet, la seconde est un étant par définition alors que la première est un être.
Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2D7 : Par choses singulières, j’entends les choses qui sont finies et ont une existence déterminée. Que si plusieurs individus concourent à une certaine action de telle façon qu’ils soient tous ensemble la cause d’un même effet, je les considère, sous ce point de vue, comme une seule chose singulière.
E2P8 : Les idées des choses particulières (ou modes) qui n’existent pas doivent être comprises dans l’idée infinie de Dieu, comme sont contenues dans ses attributs les essences formelles de ces choses.
Corollaire : Il suit de là qu’aussi longtemps que les choses particulières n’existent qu’en tant qu’elles sont comprises dans les attributs de Dieu, leur être objectif, c’est-à-dire les idées de ces choses n’existent qu’en tant qu’existe l’idée infinie de Dieu ; et aussitôt que les choses particulières existent, non plus seulement en tant que comprises dans les attributs de Dieu, mais en tant qu’ayant une durée, les idées de ces choses enveloppent également cette sorte d’existence par laquelle elles ont une durée.
Scholie : Si quelqu’un désire que je prenne ici un exemple pour que la chose devienne plus claire, j’avoue que je n’en puis fournir aucun qui en donne une explication adéquate, car c’est une chose unique en son espèce ; je vais tâcher pourtant de l’éclaircir autant que possible. Un cercle est tel de sa nature que si plusieurs lignes se coupent dans ce cercle, les rectangles formés par leurs segments sont égaux entre eux ; cependant on ne peut dire qu’aucun de ces rectangles existe si ce n’est en tant que le cercle existe ; et l’idée de chacun de ces rectangles n’existe également qu’en tant qu’elle est comprise dans l’idée du cercle. Maintenant, concevez que de tous ces rectangles en nombre infini deux seulement existent, les rectangles E et D. Dès lors, les idées de ces rectangles n’existent plus seulement en tant qu’elles sont comprises dans l’idée du cercle, mais elles existent aussi en tant qu’elles enveloppent l’existence des deux rectangles donnés, ce qui distingue ces idées de celles de tous les autres rectangles.
4) La proposition suivante :
Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E3P7 : L’effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n’est rien de plus que l’essence actuelle de cette chose.
... pose un problème évident : si l'essence, qui est l'être, est parfaitement distincte de l'existence, en quoi peut-elle être précisément définie par une existence persévérant dans l'être ? Cela semble aberrant...
Mais il y a "actuelle"...
Suit cette proposition, chronologiquement, dans le TP, dans un résumé qui englobe l'Ethique :
Spinoza, Traité Politique, traduit par E. Saisset, a écrit :TP2 (2)... Toutes les choses de la nature peuvent être également conçues d’une façon adéquate, soit qu’elles existent, soit qu’elles n’existent pas. De même donc que le principe en vertu duquel elles commencent d’exister ne peut se conclure de leur définition, il en faut dire autant du principe qui les fait persévérer dans l’existence. En effet, leur essence idéale, après qu’elles ont commencé d’exister, est la même qu’auparavant ; par conséquent, le principe qui les fait persévérer dans l’existence ne résulte pas plus de leur essence que le principe qui les fait commencer d’exister...
...
Qu'en conlure... ?
Que l'essence d'une chose singulière n'a "rien à voir" avec l'essence de la chose particulière qui lui correspond : la première a une essence propre, qui est dite "essence actuelle" qui relève de l'existence, c'est-à-dire de la persévérance dans une certaine forme, laquelle forme - essence formelle ou idéale - est dite "son" être, cet "être" étant en fait non en elle-même mais en Dieu. Dieu n'en est pas moins aussi cause de l'existence elle-même de la chose singulière.
Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E1P24 : L’essence des choses produites par Dieu n’enveloppe pas l’existence.
Démonstration : Cela est évident par la Déf. 1. En effet, une chose, dont la nature (prise en soi) enveloppe l’existence, est cause de soi, et existe par la seule nécessité de sa nature.
Corollaire : Il suit de là que Dieu n’est pas seulement la cause par qui les choses commencent d’exister, mais celle aussi qui les fait persévérer dans l’existence, et (pour employer ici un terme scholastique) Dieu est la cause de l’être des choses (causa essendi). En effet, alors même que les choses existent, chaque fois que nous regardons à leur essence, nous voyons qu’elle n’enveloppe ni l’existence, ni la durée ; par conséquent, elle ne peut être cause ni de l’une ni de l’autre, mais Dieu seul, parce qu’il est le seul à qui il appartienne d’exister (par le Coroll. 1 de la Propos. 14). C. Q. F. D.
Spinoza, Traité Politique, traduit par E. Saisset, suite immédiate du précédent extrait, a écrit :... ; et la même puissance dont elles ont besoin pour commencer d’être, elles en ont besoin pour persévérer dans l’être. D’où il suit que la puissance qui fait être les choses de la nature, et par conséquent celle qui les fait agir, ne peut être autre que l’éternelle puissance de Dieu. Supposez, en effet, que ce fût une autre puissance, une puissance créée, elle ne pourrait se conserver elle-même, ni par conséquent conserver les choses de la nature ; mais elle aurait besoin pour persévérer dans l’être de la même puissance qui aurait été nécessaire pour la créer.
5) De plus, l'essence formelle n'est pas, comme le dit en substance Hokousai, une sorte d'entité séparée correspondant à chaque chose singulière possible. Elle relève bien "du genre" :
Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E1P17S : ... par exemple, un homme est cause de l’existence d’un autre homme, non de son essence. Cette essence, en effet, est une vérité éternelle, et c’est pourquoi ces deux hommes peuvent se ressembler sous le rapport de l’essence ; mais ils doivent différer sous le rapport de l’existence, et de là vient que, si l’existence de l’un d’eux est détruite, celle de l’autre ne cessera pas nécessairement. Mais si l’essence de l’un d’eux pouvait être détruite et devenir fausse, l’essence de l’autre périrait en même temps.
E4Pré : … Il est important de remarquer ici que quand je dis qu’une chose passe d’une moindre perfection à une perfection plus grande, ou réciproquement, je n’entends pas qu’elle passe d’une certaine essence, d’une certaine forme, à une autre (supposez, en effet, qu’un cheval devienne un homme ou un insecte : dans les deux cas, il est également détruit) ; j’entends par là que nous concevons la puissance d’agir de cette chose, en tant qu’elle est comprise dans sa nature, comme augmentée ou diminuée.
Amicalement
Serge