essence et existence; causalité

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar alcore » 02 mai 2009, 19:20

Louisa a écrit :
alcore a écrit :


De prime abord, je dirais qu'il s'agit d'un faux problème. C'est que la notion d'une "existence par soi" à mon sens n'est pas spinoziste. Toi-même et Deleuze l'utilisez, mais où Spinoza l'utilise-t-il... ?



oui, entièrement d'accord. en fait Spinoza dit que la substance est en soi et est CONCUE par soi.
donc tu as raison.
Mais Deleuze veut dire que les attributs n'ont aucune substantialité existentielle, et c est cela que je nie: les attributs sont en eux memes et concus par eux mêmes. Cela Deleuze le nie, à tort.

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Messagepar alcore » 02 mai 2009, 19:25

louisa écrit
Lorsqu'on parle de l'existence d'une chose, on peut seulement dire que cette chose existe ou bien en soi, ou bien en autre chose (E1Ax.1). Une existence ne peut pas exister "par soi", puisqu'une existence est toujours l'existence d'une essence, il n'y a pas d'existence telle quelle.

Mais où Spinoza dit il que la substance est une chose ? Il y a CE QUI, n'étant pas une chose, existe par soi, et ce qui, étant chose, existe par autrui, cad justement par la substance

Spinoza dit que la substance EST en soi, et non qu'elle EXISTE en soi. Ce qui existe, c'est effectivement la liaison d'un ETRE en soi, d'un CONCEPT par soi. Cette "liaison" définit l'essence de la substance, ses attributs explicitent, développent cette liaison absolue dans des essences qui existent.

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Messagepar alcore » 02 mai 2009, 19:34

Louisa dit
Conséquence: l'attribut existe "en" la substance, et donc non pas "en soi" (c'est ce qui garantit l'indivisibilité de la substance).

L'existence apparaît avec la modalité du nécessaire, dans la prop 7: les substances sont, mais on ne peut dire qu'elles existence du fait d'autre chose; elles existent donc, en vertu d'elle-même; cette vertu, c'est leur essence; donc elles existent signifie: elles ne sont pas seulement, elles explicitent la liaison de l'être et du concept dans une essence qui existe nécessairement.
La causa sui introduit la notion d'existence, en même temps que celle de nécessité. donc l'existence est bien liée à la modalité de la nécessité.
MAis là où je ne te suis pas c'est que les attributs sont d'abord définis et déduits comme des substances et ont toute les propriétés des substances: elles sont "en soi", conçues "par soi", existent nécessairement en vertu de leur essence. Donc l'attribut EST en soi, se conçoit PAR soi, EXISTE en vertu de sa propre essence, mais n'est pas absolu, ce pourquoi il n'est qu'attribut. La seule propriété qui lui manque ce n'est pas d'être, c'est l'absoluité de l'être. Il est en soi, mais au sein de l'en soi, il n'est pas absolu.
Sinon on ne comprend pas que les attributs soient définis comme des substances depuis le CT.

Dans ta lecture, tu fais comme si, une fois intégrés à la substance, les attributs perdaient certaines propriétés de la substance, comme d'être en soi, mais pourquoi ? En apportant leur détermination à la substance absolue, ils ne perdent pas leur inséité, sinon ils s'engloutiraient dans la substance et n'en seraient que...des modes.

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Messagepar alcore » 02 mai 2009, 19:45

Louisa dit

Du coup, on comprend que Spinoza peut dire que "il est de la nature de la substance que chacun de ses attributs se conçoive par soi" (car en effet, lorsqu'on ne parle plus de l'existence mais de la conception, alors la distinction "se concevoir par soi - se concevoir par autre chose" est pertinente (E1Ax.2)) pour y ajouter tout de suite que "puisque tous les attributs qu'elle a se sont toujours trouvés ensemble en elle, et que l'un n'a pu être produit par l'autre; mais chacun exprime la réalité ou l'être de la substance." Conséquence: l'attribut existe "en" la substance, et donc non pas "en soi" (c'est ce qui garantit l'indivisibilité de la substance). Ou comme il le dit au début du même scolie de l'E1P10: "encore que l'on conçoive deux attributs réellements distincts, c'est-à-dire l'un sans l'aide de l'autre, nous ne pouvons pourtant pas en conclure qu'ils constituent deux étants, autrement dit deux substances différentes". En effet, si les attributs existaient en soi et non pas en Dieu, alors ce ne seraient plus des attributs mais des substances, ou des étants. Ce que par définition ils ne sont pas, ils ne font que "constituer" un étant ou une substance.

J'admets que les attributs ne sont pas des substances absolues, puisque la seule substance absolue est Dieu. Le problème c'est qu'il n'y a pas plusieurs êtres, tout simplement parce que nous n'avons pas le droit de penser la pluralité en termes numériques. Donc en ce sens, il n'y a que la substance absolue qui existe, et l'être de l'attribut est le même que celui de la substance absolue.
Mais en exprimant "la réalité ou l'être de la substance" chacun est aussi bien en soi et par soi. on passe donc d'une conception dans laquelle chaque substance était en soi et concue par soi "hors" de la substance absolue, à une conception où chaque attribut continue d'être en soi mais dans la substance absolue; le fait d'être en soi n'est plus un fait justement; une fois intégrés à la substance absolue les substances ne sont pas dessaisies de leur inséité, il se trouve seulement que leur inséité est celle là même de la substance absolue. Mais pour autant ils ne devienent pas des modes.
Le problème c'est que si on nie l'inseité et la conception par soi des attributs, il ne reste qu'une substance où tous les sont gris. Les attributs étant DANS la substance, qu'est ce qui les distinguerait des modes qui selon leur définition "est ce qui est EN AUTRE CHOSE, par quoi il est AUSSI CONCU" !
la définition du mode dit bien que ce qui EST EN AUTRE CHOSE (donc selon toi les attributs) doivent aussi être CONCU PAR cet autre.

Je ne vois pas comment tu peux éviter la réduction des attributs à des modes.

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Messagepar alcore » 02 mai 2009, 19:56

louisa dit


Sinon pour autant que je sache Deleuze ne dit pas, comme tu le dis ci-dessus, que les attributs soient formellement distincts de la substance. Il dit, et à mon avis à raison, que les attributs sont formellement distincts les uns des autres (car être formellement distinct signifie précisément pouvoir se concevoir par soi, sans l'aide d'un autre). Seulement, cette distinction est formelle et non pas numérique (car si c'était numérique, de nouveau chaque attribut devrait être un étant, alors qu'il n'est qu'une "qualité" de la substance).

Je n'ai plus le texte de Deleuze sous les yeux, donc je t'accorde le bénéfice du doute sur ce point.

Mais il y a un point sur lequel je ne suis pas d'accord, c'est lorsque tu dis que l'attribut est une qualité de la substance.
Cela je ne le crois pas du tout.
J'en donne la raison dans mon article sur la proposition 1.
En effet, chez Aristote le terme affections est quasi synonyme de "qualités" justement, cad de détermination. Et Aristote range parmi les affections aussi bien les accidents que les attributs essentiels.
Spinoza bouleverse la donne en creusant l'écart entre la substance et lesmodes et en intégrant les attributs,comme substantifs, dans la constitution de la substance, ce qu'Aristote ne faisait pas.
Par conséquent, qualités est un synonyme d'affections; la substance n'a jamais été ni pour Aristote ni pr Spinoza une qualité; or les attributs constituent l'essence de la substance, ils ne peuvent donc pas être des qualités.
Si tu en fais des qualités tu fais des attributs encore une fois des modes !
mais alors les attributs deviennent des choses mortes, sans dynamisme intérieur
En réalité les attributs sont des EXPRESSIONS de la substance, cad selon moi des modulations de l'AGIR de la substance.
Du coup, l'indivisibilité des attributs ne peuvent pas se comprendre en référence à leur prétendue nature qualitative, comme on le fait souvent alors que SPinoza ne dit JAMAIS que les attributs sont des qualités. Les attributs sont des réalités qui expriment de facon autonome l'inséité, la perséité, la nécessité d'exister de la substance.

Conclusion. Tes remarques me font penser que
a) tu fais de la substance et des attributs des choses
b) qu'en vertu de cette assimilation du conçois les attributs comme des qualités
c) que pr cette même raison tu leur dénies les propriétés de la substantialité

du coup, les attributs ne sont effectivement plus que des modes, des affections et comme tu le dis, des qualités.

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Messagepar alcore » 02 mai 2009, 20:13

Louisa je reviens sur un point que je n'ai pas encore abordé.

Tu sembles dire que l'indivisibilité de la substance exige que l'attribtu soit déssaisi de son être "en soi".
Je rappelle ma position:
Les attributs ont toutes les propriétés de la substance;
une fois que l'on sait qu'il en existe une infinité, ils deviennent des attributs d'une substance absolue unique
ils ne cessent pas d'être en soi, seulement cet "etre en soi" qu'on avait commencé à leur reconnaître est interprété comme l'expression de leur immanence à la substance absolue. Ils sont toujours "en soi" mais cet en soi de l'attribut vient de ce que l'attribut "exprime la réalité ou l'être de la substance"(prop10). Chacun est en soi, mais pas comme un FACTUM, comme une EXPRESSION. Ils restent ce qu'ils sont, mais la façon de désigner leur inséité change. Et c est d'ailleurs à ce moment que la théorie de l'expressivité de la substance commence.

Tu dis que si on ne dit pas que les attributs ont leur être en soi dans la substance, alors l indivisibilité est impossible.
Certes, l'être en soi de l'attribut c 'est celui de la substance absolue qu'il exprime à même lui même, donc en restant en lui même, ce qui permet de maintenir une autonomie à l'attribut et de ne pas le fondre dans une substance où tous les attributs seraient dans la nuit de l'indifférencié.

Mais l'indivisibilité de la substance absolue a selon moi une autre source.
Tout infini, et partant toute substance (puis tout attribut) est déjà intrinsèquement indivisible. Déjà au niveau de prop 7 l'indivisibilité de chaque substance est assurée. Pas besoin d'une substance absolue pour cela.
C'est l'infinité extranumérique donc par delà le UN, le TOUT, et la diversité numérique qui fonde l'indivisibilité. Ce qui est en soi, infini, existant nécessairement est déjà indivisible.
Aussi il faut et il suffit qu'il existe une infinité d'attributs pour que l'indivisibilité de la substance absolue soit assurée. S'il n'y en avait que 2, alors on retomberait dans la distinction numérique.
Chaque attribut est en soi indivisible
il en existe une infinité
donc la source de cette infinité est elle même indivisible
la preuve de l'indivisibilité de la substance ne vient donc pas de ce que l'attribut serait dessaisi de son être, mais de ce qu'il en existe une infinité.

Preuve: prop 13, scolie
"Que la substance soit indivisible, on le comprend plus simplement encore par le SEUL FAIT que la nature de la substance ne peut être qu'INFINIE, et que par partie d'une substance on ne peut entendre rien d'autre qu'une substance finie, ce qui implique une contradiction manifeste"

on ne peut pas être plus clair. Seul le fini est divisible, donc toute substance (y compris les attributs ex subsvtances) est par elle même indivisible en raison de sa seule infinité.

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Messagepar hokousai » 02 mai 2009, 23:13

A Alcore

Je dirais donc: habitues toi à penser la pure extériorité sans détermination, l'en soi;

J’ aurais bien des difficultés à m’ habituer à une manière de penser dont je n’ai pas fais l’ expérience ( pas une fois )
Je peux imaginer ma pensée(ou mon corps) comme flottant seule dans le vide (libéré de toute détermination ) ce qui n’est pas réellement flotter .

Je concède ce que vous dîtes:
""L e raisonnement de Spinoza serait le suivant
a) nous concevons le substantiel par soi
b) il y a des substances"""

Mais de mon point de vue le substantiel est des plus confus .Cette idée est fondée sur une expérience sensible des corps individués, ils changent de formes mais conservent une identité, l’idée de substance donne raison de la permanence de l’identité( cf la cire chez Descartes ).Cette idée est selon le niveau du curseur associée aux chose singulières ( Aristote) ou à l’infinité des phénomènes (Spinoza) les phénomènes devenant tous des accidents de la substance .
L’idée de substance provient donc d’une distinction entre le permanant et l’accidentel.
S’ habituer plus à concevoir de la permanence n’est pas nécessaire nous y sommes très habitués , l’idée de substance ne manque pas de fondements cognitifs ce qui ne signifie pas que l’idée soit claire ( rien de moins clair que l’idée d’ousia chez Aristote par exmple )

Savoir maintenant si cette idée de permanence (donc celle de substance) ne relève pas ,elle ,de l’imagination .

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Messagepar alcore » 03 mai 2009, 00:28

hokousai a écrit :J’ aurais bien des difficultés à m’ habituer à une manière de penser dont je n’ai pas fais l’ expérience ( pas une fois )
Je peux imaginer ma pensée(ou mon corps) comme flottant seule dans le vide (libéré de toute détermination ) ce qui n’est pas réellement flotter .

Je concède ce que vous dîtes:
""L e raisonnement de Spinoza serait le suivant
a) nous concevons le substantiel par soi
b) il y a des substances"""

Mais de mon point de vue le substantiel est des plus confus .Cette idée est fondée sur une expérience sensible des corps individués, ils changent de formes mais conservent une identité, l’idée de substance donne raison de la permanence de l’identité( cf la cire chez Descartes ).Cette idée est selon le niveau du curseur associée aux chose singulières ( Aristote) ou à l’infinité des phénomènes (Spinoza) les phénomènes devenant tous des accidents de la substance .
L’idée de substance provient donc d’une distinction entre le permanant et l’accidentel.
S’ habituer plus à concevoir de la permanence n’est pas nécessaire nous y sommes très habitués , l’idée de substance ne manque pas de fondements cognitifs ce qui ne signifie pas que l’idée soit claire ( rien de moins clair que l’idée d’ousia chez Aristote par exmple )

Savoir maintenant si cette idée de permanence (donc celle de substance) ne relève pas ,elle ,de l’imagination .


En fait, le terme d 'extériorité ne convient pas car, par delà la conscience, le rapport à l'en soi n'est plus celui d'un intérieur à un extérieur.
Je voulais dire: cherchons à intuitionner ce que présuppose toute pensée, non pas tel ou tel donné, nécessairement constitué de signes, mais ce qui, n'étant pas donné, rend possible que quelque chose le soit. La substance n'a pas de présence.
les mathématiques aident à penser hors de toute présence, et nous faire intuitionner la pure liberté auto productrice de la pensée absolue dont le corrélat immédiat est l'en soi

chez Aristote lui meme l ousia n'est jamais sensible; la sensation présuppose un individuel qui n'est pas sensible, sans quoi Protagoras aurait raison. Aristote au fond ramene à Platon: il faut une substance intelligible, une forme pure, actuelle pour expliquer l'individualité. Il faut pr lui aussi une intuition, seulement elle est toujours finie.

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Messagepar Louisa » 03 mai 2009, 01:38

alcore a écrit :Mais Deleuze veut dire que les attributs n'ont aucune substantialité existentielle, et c est cela que je nie: les attributs sont en eux memes et concus par eux mêmes. Cela Deleuze le nie, à tort.


problème: si tu dis qu'un attribut est en soi et se conçoit par soi, tu dis qu'un attribut est une substance, ce qui va à l'encontre des définitions de la substance et de l'attribut. C'est pourquoi aussi Spinoza peut dire des attributs que "Nous les concevons seulement dans leur essence et non dans leur existence, nous ne les concevons pas de telle sorte que l'existence découle de leur essence". Autrement dit: les attributs ne sont pas des causa sui, et donc pas de substances non plus. Ils recoivent leur existence de la substance, elle n'est pas enveloppée par leur essence. Ils constituent une substance, mais ne s'y identifient pas entièrement (ce n'est que l'ensemble des attributs qui est identique à la substance, et non pas chaque attribut considéré en soi).

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Messagepar Louisa » 03 mai 2009, 02:03

alcore a écrit :
louisa a écrit :Lorsqu'on parle de l'existence d'une chose, on peut seulement dire que cette chose existe ou bien en soi, ou bien en autre chose (E1Ax.1). Une existence ne peut pas exister "par soi", puisqu'une existence est toujours l'existence d'une essence, il n'y a pas d'existence telle quelle.


Mais où Spinoza dit il que la substance est une chose ? Il y a CE QUI, n'étant pas une chose, existe par soi, et ce qui, étant chose, existe par autrui, cad justement par la substance


en quoi la substance ne serait-elle pas une chose? J'aurais tendance à croire que pour Spinoza est chose tout ce qui a une essence. La chose singulière se définit par le fait d'avoir une essence "finie" (voir le début de l'E1P28). Dieu n'est certes pas une chose singulière, mais voici un passage où Spinoza semble tout de même parler de Dieu comme d'une chose (res):

"(...) étant donnée la définition d'une chose quelconque, l'intellect en conclut plusieurs propriétés, lesquells, en vérité, en découlent nécessairement (c'est-à-dire de l'essence même de la chose), et d'autant plus de propriétés que la définition de la chose exprime plus de réalité, c'est-à-dire que l'essence de la chose enveloppe plus de réalité. Et, comme la nature divine a des attributs en nombre absolument infini (...), dont chacun également exprime une essence infinie en son genre, de sa nécessité doivent donc nécessairement suivre une infinité de choses d'une infinité de manières (...)". (E1P16 démo)

Spinoza énonce ici d'abord une règle générale (plus la définition d'une chose exprime de réalité, plus elle a de propriétés), puis l'applique à la nature divine elle-même. Cela ne serait pas possible si cette nature divine n'était pas une chose, car alors le raisonnement de cette démo deviendrait invalide.

Sinon je suis bien d'accord avec toi pour dire qu'il y a quelque part un problème. Car les attributs expriment chacun une essence infinie en son genre, et non pas absolument infinie, alors que l'essence divine ou l'essence de la substance est quant à elle absolument infinie. Or on sait que les attributs sont éternels, ce qui selon l'E1Déf.7 signifie que leur existence ... doit suivre nécessairement de leur essence. Mais si leur existence suit nécessairement de leur essence, ne sont-ils tout de même pas des causa sui, c'est-à-dire n'ont-ils tout de même pas, comme tu l'appelles, une "existence substantielle"?

Pour l'instant, je dirais que la démo de l'E1P19 permet peut-être de résoudre le problème.

Par définition, un attribut constitue la substance. Cela signifie, dit cette démo, qu'un attribut exprime la substance. Et non pas n'importe quoi de la substance, non pas un mode de la substance par exemple, non, un attribut exprime l'essence même de la substance. Il exprime donc ce qui appartient en propre à cette substance. Il doit donc envelopper les propriétés de la substance. Or l'éternité est une propriété de la substance, l'éternité appartient à la nature de la substance. Donc tout attribut doit envelopper l'éternité. Ce n'est donc tout de même pas l'essence de l'attribut en tant que tel qui est éternelle, ce n'est qu'en tant que l'essence de l'attribut exprime l'essence de la substance (en son genre) qu'il enveloppe l'éternité (et donc l'existence nécessaire). Donc l'attribut n'a pas le même type d'existence que la substance qu'il constitue, car il "reçoit" son éternité de l'essence qu'il constitue, et qui est plus "large" que sa propre essence (puisque l'essence de la substance est absolument infinie, alors que l'essence de l'attribut n'est qu'infinie en son genre).

alcore a écrit :Spinoza dit que la substance EST en soi, et non qu'elle EXISTE en soi. Ce qui existe, c'est effectivement la liaison d'un ETRE en soi, d'un CONCEPT par soi. Cette "liaison" définit l'essence de la substance, ses attributs explicitent, développent cette liaison absolue dans des essences qui existent.


de quelle liaison parles-tu? Je veux dire: quels sont les deux termes liés, et en quoi consiste la liaison?

Sinon tu as raison de souligner qu'effectivement, Spinoza à cet endroit parle d'être, et non pas d'existence. C'est donc moi qui fais ici le pari que lors des axiomes de l'E1, Spinoza identifie "être" avec "existence", et à mon avis il le fait jusqu'au moment où, plus tard, il introduira deux sens différents de l'existence actuelle (là ce ne sera plus qu'un des deux sens qui s'identifie à ce que la tradition appelle "être", l'autre désignant une existence éternelle en Dieu, ce qui est encore autre chose).


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