Enegoid a écrit :Alcore
Je ne suis pas sûr de tout comprendre, et même je suis sûr de ne pas tout comprendre. Vous cherchez, il me semble, à passer d’une vision plutôt « statique » articulée sur les notions de chose, de sujet, de qualité à une vision plus « dynamique » fondée sur l’agir et l’expression (la puissance ?). Ce qui permet, en gommant les difficultés, de rendre le problème moins aigu.
Bon. Je ne suis pas vraiment convaincu, mais je mets cela (en partie) sur le compte de mon inculture philosophique.
(Par exemple : qu’est-ce qu’une chose ? Voilà une question intéressante. Heidegger y a bien consacré un petit livre, dont il ne m’est pas resté grand chose, mais dont je trouve l’existence même réjouissante.)
J’admets qu’il est nécessaire de ne pas oublier, et même de valoriser, la dimension « puissance d’agir » de Dieu
Quelques remarques rapides
La substance est expression, non pas chose;
Elle est forcément expression de quelque chose et elle exprime quelque chose, non ?
En toute chose, il faut commencer par ne pas comprendre, car c'est de l'incompréhension que naît la compréhension véritable. Et même les choses que nous comprenons il nous faut sans cesse les recomprendre jusqu au poiint où on ne les comprend plus, car c est alors que l'écorce révèle un nouveau noyau sans pour autant annuler la première vérité. Même ce que l'on a compris il faut arriver à ne plus le comprendre !
vous demandez : qu'est ce qu'une chose ?
Quand je parle de chose, j ai en vue la perception commune qui croit en la réalité de choses en soi, séparées les unes des autres, indépendantes et chacune pourvue d'un être propre. C''est le réalisme perceptif qui a conduit Aristote à dire: Socrate est une substance et même chaque partie de Socrate est une substance.
Spinoza fait la genèse de cette croyance en une substantialité des choses finies: nous croyons qu'elles sont des substances parce que nous les imaginons, et, les imaginant, nous ne les rapportons pas à leur source productrice, l'attribut substantiel.
Nous disons: cette table est une chose, parce que nous la rencontrons (par hasard), que notre corps est affecté et nous l'imaginons présente tant que dure la rencontre.
Mais en réalité, cette table n'est présente comme chose que pour l'imagination; il n'y a de choses que perçues cad imaginées. Par ex nous voyons le soleil comme un disque, cad que nous l'imaginons tel. Bien sûr nous le concevons comme une sphère parce que l'entendement ne pense pas uniquement sous le coup des rencontres; il détermine ce qui est réel dans ce que nous rencontrons. Ce qui nous est présent et que l'imagination réalise sous forme de choses dans l'espace et le temps (eux mêmes inclus dans l'imagination) n'est pas le tout du réel. La réalité excède ce qui se présente. Ce qui est présente enveloppe une réalité, cad une essence, cad un système de rapports avec l'univers entier et ce système ne nous est pas actuellement présent.
L'univers est en chaque point. Mais nous ne pouvons que le penser, nous ne pouvons pas le rencontrer. C'est en ce sens que je dis: l'univers n'est pas une chose, et ne le sera jamais; c'est un ensemble de rapports.
Ce que nous appelons "quelque chose" n'implique par contre pas nécessairement l'idée de présence. Par ex, le nombre 2 est "quelque chose", mais nous ne pouvons pas le rencontrer, pas plus que nous ne pouvons rencontrer l'essence de la sphère. Nous pouvons pourtant former une sphère, soit matériellement, soit imaginairement et alors elle sera quelque chose de présent. Mais en elle même la pshère est déjà quelque chose que nous pouvons penser, et dont nous pouvons connaître les propriétés.
Le problème est de savoir si la substance est une chose et, sinon, si elle est au moins quelque chose.
Que la substance ne puisse être rencontrée est évident: comme son existence est nécessaire, il est impossible de la concevoir sous le coup d'une rencontre, fatalement contingente (pour nous). C'est pourquoi Dieu n'est ni présent, ni objet de rencontre. nous sommes dans la dépendance de Dieu, que nous le voulions ou non, et il ne nous appartient pas de le rencontrer. Nous sommes reliés à lui par le moindre de nos muscles, la plus minuscule de nos pensées !
Est il quelque chose cependant ?
Si l'on considère le concept de substance, Spinoza dit ceci: nous savons QUE la substance est, mais nous percevons CE QU'elle est, par ses attributs. nul ne peut rencontrer l'infini, car tout ce qui se rencontre est dans l'expérience, donc relatif à une rencontre faite par hasard. La substance existant nécessairement, son concept ne peut se former en nous par rencontre, et par hasard.
Mais elle n est pas non plus quelque chose, à mon sens, car quelque chose est toujours un quelque chose "fini", que je peux désigner, ranger sous un concept en disant par ex: il y 10 tables dans cett pièce. 1,2,3..sont des nombres et le nombre désigne toujours une façon de ramener quelque chose qui se présente ou peut se présenter sous un concept; si on laisse de côté toutes les déterminations des choses finies, il ne nous reste plus rien d'autre que le concept complètement abstrait de "quelque chose en général", cad le concept d'un sujet indéterminé, mais fini.
Si la substance était quelque chose, Spinoza n'hésiterait pas à lui appliquer les catégories du nombre. Tout quelque chose doit pouvoir être nombré à défaut d'être rencontré. Je peux nombrer par ex des tables rêvées; il n'est pas nécessaire qu'elles soient présentes, il suffit que j'en ai une représentation finie.
L'infini, par définition, est le concept de ce qui excède tout ce qui peut se présenter (il est imprésentable), et tout ce qui peut être nombré et déterminé. L'infini est radicalement indéterminé.
On pourrait en rester là: la substance absolument infinie n'est ni une chose, ni quelque chose. Mais Spinoza ajoute qu'une fois que l'on a supprimé toute tentative d'imaginer la substance, de la chosifier, on peut encore la penser comme une puissance expressive. Etant par delà tout être déterminé, tout quelque chose, l'infini n'est pas pour autant "néant". On ne doit pas le concevoir comme quelque chose de statique parce que justement on réintroduirait les fictions de l'imagination qui demande: qu'est ce qui détermine la substance à agir ? comme si la substance était une chose qui avait besoin d'une autre chose pour être déterminée, etc.
Rien ne détermine la substance à agir, puisqu'elle est elle-même par elle-même agir, puissance causale sans substrat préalable. La substance n'est pas quelque chose qui produirait un effet sur autre chose, ce qui serait une causalité finie, transitive. La substance, quand elle cause, ne présuppose rien.
En revanche, tout ce qui en elle, du fait de son agir, est et existe a une essence, en tant qu'effet, et cet effet est réel, objectif; cette réalité est l'essence.
Cette essence, cette réalité à son tour peut devenir une "chose" si nous la rencontrons et la percevons en fonction de notre corps et de sa constitution particulière, bref si nous l'imaginons. C'est alors que nous croyons que la substance serait comme une boite et que les choses finies seraient DANS cette boite. Certains vont même jusqu'à dire que la substance ne serait que l'ensemble des choses finies !
Dans ce cas, la substance ne serait qu'une chose finie étendue, exténuée, dépouillée, bref une abstraction.
Mais non, ce qui s'exprime dans la substance et de la substance, c'est son absolue infinité, et les formes de son expression ce sont les attributs. Les modes, quant à eux, sont bien DANS la substance, mais ils ne sont pas substantiels du tout; ils n'ont rien à voir avec la substance; et l'on peut mettre bout à bout toutes les choses de l'univers on ne parviendra pas à la substance !
Les choses (finies) ne doivent leur essence et leur existence qu'à la substance qui n'est rien de fini, et n'est pas du tout une chose. La substance est un dynamisme producteur de singularités, à l'infini.
Par ex. quand je perçois cette table, je ne perçois pas la substance, mais un corps. j'ai l'idée de ce corps en tant que mon corps est affecté par d'autres, et que mon âme est affecté par d'autres idées. Le processus perceptif est un acte expressif. Je ne perçois pas cette table parce qu'elle existe, et parce que mon esprit est déterminé par une chose extérieure. Je la perçois existante parce que dans l'acte perceptif lui même est enveloppé une puissance qui pose, affirme l'existence de l'objet pensé. Toute réalité est enveloppée dans la perception, et aussi bien dans l'objet perçu.
C'est la puissance de l'infini qui me fait actuellement percevoir cette table, et qui me la fait percevoir comme existante et présente.
Mais l'on ne peut pas dire que c'est quelque chose qui me la fait percevoir ainsi. CAr "quelque chose" c'est CE QUE je perçois ou imagine.
Quelque chose est toujours du côté du perçu, de l'imaginé, du fini, non de l'acte expressif. Percevoir est un acte, ce n'est pas une chose, ni l'effet d'une chose. Percevoir est une puissance, l'expression d'une puissance infinie qui, en raison de la finitude de notre âme, idée d'un corps, s"opacifie, s'épaissit en perception d'une chose ici et maintenant.
C'est ainsi que l'expression devient représentation et que les choses surgissent, apparaissent et disparaissent au gré des rencontres.
MAis la substance, le fondement expressif, non représentatif de notre perception, lui, ne disparaît pas, il n'est d'ailleurs jamais apparu non plus.
Ce fondement n est ni de moi, ni des choses, même s'il fait qu'il y a pour moi, un moi et des choses.