Les lois d'identité, d'appartenance, d'inclusion, etc. légifèrent le multiple, mais ne disent pas ce qu'il faut tenir pour un multiple ni quel est le premier multiple. D'où la question de l'origine radicale de toute multiplicité.
On peut défendre soit que cette origine est le UN, soit que c'est le 0.
Or la théorie des ensembles promeut l'ensemble vide au rand de premier ensemble EXISTANT, l'ensemble qui est tel qu'aucun multiple ne lui appartient et qui est pourtant l'énoncé existant de cette asbence de multiple.
Son énoncé est le suivant: il existe un ensemble, l'ensemble vide, tel qu'il n'existe pas d' a lui appartenant.
Ce qui, remarquez bien, ne signifie pas que l'ensemble vide n'existe pas.
Tout au contraire !
La théorie des ensembles se donne un multiple vide initial qui n'appartient pas à la matière ou à l'existence déterminée d'aucun ensemble de multiple. Cet ensemble existe en tant que soustrait à toute détermination; il désigne la pure possibilité d'un ensemble quelconque sans référence à aucune qualité précise (propriété) d'un ensemble déterminé.
La production des ensembles déterminés à partir de l'ensemble vide se fait comme suit:
0
{0}
{0,{0}}
etc
La proposition fondamentale de la théorie des ensembles énonce: si l'ensemble vide n'existe pas, x n'existe pas, et par suite non plus aucune fonction f(x) n'est concevable.
L'énoncé de la théorie des ensembles est plus fondamental que celui qui rapporte la possibilité de propriétés de choses déterminées à l'existence d'au moins un élément d'un ensemble donné.
Tout x (d'un ensemble quelconque non vide) présuppose l'existence de l'ensemble vide.
On ne peut se contenter de dire que tout x présuppose un ensemble dont x serait élément (sous entendu un ensemble non vide) puisque l'ensemble vide est inclus dans tout ensemble donné (c'est une propriété universelle de l'ensemble vide).
L'ensemble vide existe en l'absence de toute matière déterminée, et aucun nombre déterminé n'existe qui ne comprennen dans sa définition l'ensemble vide.
Toute la question est alors de savoir si l'énoncé: je suis, je pense (véritable formulation cartésienne définitive) est un énoncé matériel, ou l'énoncé du vide dont se soutient toute vérité matérielle.
a) l'ensemble vide existe et son existence est première par rapport à tout ensemble matériel
b) tout ensemble déterminé est tissé de vide
On ne peut donc réduire l'existence à l'appartenance à un ensemble, puisqu'il existe au moins un ensemble auquel rien n'appartient et que cet ensemble est inclus dans tout ensemble déterminé.
Tout ceci est resté complètement inaperçu de Frege, et cela a donc au moins à cet égard certaines conséquences.
Les exemples caricaturaux que je viens de reproduire sont extraits de http://www.spinozaetnous.org/ftopic-794-days0-orderasc-20.html et de http://www.spinozaetnous.org/ftopic-794-days0-orderasc-30.html. L'incapacité à replacer la théorie des ensembles de Cantor dans son contexte historique, les copier-coller wikipédiesques intempestifs et mal maîtrisés ("il existe un ensemble, l'ensemble vide, tel qu'il n'existe pas d' a lui appartenant"), les confusions grossières entre "multiple" et "entier", entre "ensemble" et "cardinal", entre logique et physique (" l'ensemble vide existe et son existence est première par rapport à tout ensemble matériel"), les analogies abusives ("tout ensemble est tissé de vide", "la production des ensembles déterminés à partir de l'ensemble vide"), les non-sens manifestes ("La proposition fondamentale de la théorie des ensembles énonce: si l'ensemble vide n'existe pas, x n'existe pas, et par suite non plus aucune fonction f(x) n'est concevable", "L'énoncé de la théorie des ensembles est plus fondamental que celui qui rapporte la possibilité de propriétés de choses déterminées à l'existence d'au moins un élément d'un ensemble donné"), inventaire auquel il ne manque guère que le raton laveur, tout cela, affirmé sur un forum prétendument philosophique, manifeste une profonde méconnaissance de la culture scientifique, de la pensée rigoureuse et de la philosophie. Bien entendu, comme le souligne Bouveresse,
Il faudrait, bien entendu, être tout à fait naïf pour croire que l'ignorance de la science ou le manque total de sérieux et la désinvolture avec lesquels sont traités certains de ses résultats constituent la source principale de la mauvaise philosophie. Les sources de la mauvaise philosophie sont en réalité beaucoup plus nombreuses, beaucoup plus diversifiées et probablement aussi beaucoup plus triviales que cela. Au nombre d'entre elles figure, bien entendu, en premier lieu le besoin de prestige et de pouvoir. Et, comme dirait Musil, écrire d'une façon qui fait si sérieux qu'un non-mathématicien se persuade immédiatement que seul un mathématicien peut parler ainsi, n'est qu'un des nombreux moyens d'obtenir le prestige et le pouvoir que l'on cherche. (Bouveresse, qu'appellent-ils "penser" ?)
Malgré tout le propos de Bouveresse vise des écrits qui, pour être abracadabrantesques, n'en sont pas moins assumés par des auteurs identifiés et, par ailleurs, dignes de respect (Régis Debray, Julia Kristeva, Jacques Derrida, etc.). On pourrait, à ce titre, considérer les tentatives malheureuses de leurs auteurs pour s'aventurer imprudemment sur le terrain logico-mathématico-scientifique comme des excroissances présomptueuses d'un ego quelque peu surdimensionné, mais néanmoins cohérent en terme d'une identité objective connue et reconnue. En revanche, je soutiens que l'auteur des propos reproduits supra n'assumerait pas ses affirmations : il rougirait de honte s'il ne se dissimulait pas derrière le pseudonymat protecteur d'Internet. Bref, je prétends que celui qui écrit "la théorie des ensembles promeut l'ensemble vide au rand [sic] de premier ensemble EXISTANT, l'ensemble qui est tel qu'aucun multiple ne lui appartient et qui est pourtant l'énoncé existant de cette asbence [re-sic] de multiple", celui-là se mépriserait profondément s'il était doté d'une identité objective (un "caractère" comme dirait Ricoeur) cohérente. A contrario, c'est uniquement à la faveur de la disparition d'une telle identité, disparition encouragée, sinon engendrée par Internet, que l'on peut proférer, sans entamer l'estime de soi-même, de tels borborygmes sémantiques. Je ne puis me résoudre à croire qu'une personne, qui a probablement une culture philosophique non négligeable (ce que montre, à l'évidence, la teneur de certaines interventions dudit contributeur) aurait déployé autant d'arrogance, d'insolence, de suffisance si je l'avais eue en face de moi. Et même si l'exemple que j'analyse est, certes, caricatural, il confirme néanmoins ma thèse selon laquelle en général, on ne peut pas faire de philosophie sur Internet.
Philippe Jovi (professeur de philosophie).