Enegoid a écrit :Exercice, pour sortir des éternels exemples philosophiques insipides de "choses" : comment le dialogue de sourds, qui est une chose singulière, entre Louisa et Durtal, peut-il augmenter ma connaissance de Dieu ? (Je ne dis pas qu’il ne peut pas le faire…d’autre part, moi aussi, j’ai joué le sourd dans certains dialogues, donc je ne suis pas agressif)
Egenoid,
Suggestion informelle. Vous demandez des exemples de choses à connaître par le troisième genre de connaissance. Je ne saurais trop vous recommander tout d'abord d'abandonner celle que vous envisagez (laquelle ne vous conduira en effet, ni à la connaissance de Dieu ni à la connaissance de quoique ce soit d'autre d'ailleurs) en revanche vous retirerez sans doute plus de profit en considérant cet exemple de "chose" qu'est votre propre esprit. Car elle a un statut tout à fait particulier et qui pourrait vous intéresser: nous ne pouvons faire autrement que de la concevoir intuitivement lorsque nous la formons ( puisque en gros dans ce cas l'idée que nous avons: nous la sommes. Entre notre esprit et l'idée de notre esprit il n'y a qu'une distinction de raison) par ailleurs, cette chose est, comme toutes les autres, une chose de la nature, à ce titre une affection de la substance, ou Dieu en tant qu'il est affecté de l'idée d'une chose singulière.
Il peut donc ici se concevoir la possibilité d'une connaissance immédiate et intuitive d'une chose de la nature, donc de Dieu en tant qu'il est affecté d'une certaine modification, qui a nécessairement rapport à notre esprit, puisque la chose en question n'est rien d'autre, justement, que cet esprit.
L'illustration de E2 vise avant toute chose à donner une typologie des différentes façons dont l'esprit produit des perceptions et affirme pour lui même la vérité de quelque chose, cela de manière absolument générale et pour n'importe quel objet de perception. Or que l'exemple ne fonctionne plus soit avec des nombres plus importants soit en changeant la base est une remarque juste, mais qui à mon avis conduit à passer à coté de la propriété qu'entend exemplifier l'exemple: c'est à dire justement qu'avec des nombres très simples, l'esprit connaît la quatrième proportionnelle sans aucune opération ou calcul ( ce qu'il aurait au contraire besoin de faire si la base n'était pas la même ou si les nombres étaient plus importants). Le TIE donne un autre exemple plus "décevant" encore: si deux droites sont parallèles entre elles, et si une troisième est parallèle à la seconde alors elle est aussi parallèle à la première. Un élève de cours élémentaire, a donc au moins à l'endroit du parrallélisme des droites, des perceptions de l'esprit du 3eme genre. (ou 4eme en suivant la typologie du TIE)
Tel quel, je vous l'accorde, c'est pas bien "fameux" et on voit mal ce que Dieu vient faire là dedans.... Mais c'est aussi je crois qu'il ne vient en effet rien y faire du tout! Ce n'est pas ce que ces exemples ont en vue. En lecteurs trop pressés que nous sommes, nous voudrions qu'ils nous apprennent autre chose que ce qu'ils ont à nous apprendre au moment où ils sont produits et dans le contexte dans lequel ils sont produits.
Dieu "viendra y faire quelque chose" en revanche quand il sera question de connaître non plus des rapports simples entre des nombres ou des postulats élémentaires de géométrie, mais quand il sera question de connaître l'union que l'âme humaine a avec Dieu comme avec toutes les autres choses de la nature, connaissance qui se décline de la même manière qu'en son temps Spinoza la déclinait à propos de la quatrième proportionnelle:
a) nolens volens dans la confusion imaginative et passionnelle je perçois l'union de mon âme avec la nature, puisque ces choses sont les effets sur mon esprit de cette même union et par conséquent enveloppent l'idée de leur cause mais confusément et vaguement
b) Quand je vis tant soit peu sous l'ordre de la raison, ma perception de cette union se conclut au travers de notions générales dont l'adéquation est fondée et nécessitée par les propriétés que mon propre corps a en commun avec toutes les autres choses, (donc est uni à elles en ce sens là, ce qui produit des effets pratiques interessants, en particulier pour celles de ces propriétés qui fondent mon union avec les autres hommes) propriétés sur lesquelles mon esprit se régle pour penser les choses.
c) Quand je perçois enfin ( si cela arrive )cette même union selon le troisième mode possible de fonctionnement de l'esprit je conclus directement à elle de ce que je suis effectivement uni à Dieu. ( je veux dire: mon esprit a toujours été uni à Dieu, ce qui n'a pas toujours été le cas, en revanche c'est de tirer la connaissance que j'en ai de cette union elle même).
Et à cet égard la connaissance que j'ai de moi et de Dieu, est du même type ( au sens de la typologie des modes de perceptions de l'esprit) que celle par laquelle je perçois, que la quatrième proportionnelle est 6 dans l'exemple proposé, qui n'est pas un résultat que j'ai calculé mais qui est simplement l'expression brute et nue ( pour ainsi parler) dans mon esprit de ce fait que la quatrieme proprotionnelle est effectivement 6 (et non 57 ou n'importe quel autre nombre) mon esprit réfléchit alors comme un miroir (bien poli) ce qui est, il produit l'idée du résultat comme un effet dont la nécessité des mathématiques elle même est la cause prochaine et immédiate.
Cela étant dit et pour terminer là dessus, il y aurait un malentendu à penser que le troisième genre de connaissance est la meilleure des perceptions pour faire des mathématiques,ou pour faire de la physique, je crois que Spinoza ne pense pas du tout que l'esprit humain puisse parvenir à faire de la physique et des mathématiques en enchaînant continuement ses perceptions, d'intuitions intellectuelles en intuitions intellectuelles. Pour ce qui est de la compréhension des rapports de proportion entre les nombres, ou des modes de compositions "des petits corps les plus simples", on ne peut pas aller trés loin par "science intuitive". "L'automate sprituel" se met assez rapidement à avoir des "ratés", et il doit en revenir aux calculs et aux démonstrations dès qu'il sort des petits nombres ou aux expériences et inférences dès qu'il s'agit de comprendre (par ex) les propriétés du salpêtre.
Mais la raison en est simplement me semble-t-il que, connaissance du 3eme genre ou pas, l'esprit humain reste une chose finie et limitée, (dont Spinoza souligne qu'il ne connaît la nature que par "bribes", "nul ne sait ce que peut un corps"etc.) il ne saurait donc se mettre à produire les idées comme Dieu le fait c'est à dire effectivement par une intuition intellectuelle infinie de lui même (peut être en revanche que Spinoza pense que c'est ce qui se passe après la "destruction du corps" ou peut être pas. Je n'en sais rien )
Mais inversement, faire des mathématiques ou mener l'entreprise indéfinie, collective, aléatoire; de la connaissance des choses de la nature, n'est pas non plus la voie la plus directe et la plus effective ethiquement parlant et nous n'avons pas besoin de connaître toutes les choses de la nature par le 3eme genre de connaissance (heureusement d'ailleurs: nous ne le pouvons certainement pas), pour le but qui est celui de Spinoza: le salut et la béatitude de l'homme.
Il suffit en effet comme je le disais en commençant que cela se fasse pour une seule de ces choses: notre propre esprit et ce qui lui arrive.
Il est enfin inutile j'espère d'insister ici sur le fait que ces buts précisément parce qu'ils ne sont pas les mêmes (pas concurrents) ne sont pas mutuellement exclusifs, on peut très bien s'efforcer de faire progresser la médecine (c'est la période des prix nobels : grands praticiens de la connaissance du 2eme genre) et s'efforcer dans le même temps ( pas besoin pour cela d'aller dans une grotte et de renoncer au monde et à ses semblables) de "bien vivre et de bien agir" selon le 3eme genre. (c'est une petite pique- amicale- à destination de Sinuxis)