Captain-Troy a écrit :Un peu l'impression, en effet, de gens qui continueraient à débattre d'un point de traduction dans le grand salon d'un Titanic à demi submergé que même les derniers musiciens ont aussi déserté. Quelque chose entre le panache et la folie... de quand même assez terrifiant.
Il y a le philosophico-religieux et l'économico-politique, les deux pôles s'influençant, se nourrissant et se construisant mutuellement.
Le philosophico-religieux établit une grille de lecture du monde économico-religieux, y découpe des formes et des prises et y définit un plan d'action, les fruits de cette action projetant, inversement, de nouvelles ombres-idées sur l'écran blanc du philosophico-religieux. Et ainsi de suite.
Ainsi va le monde. Ainsi ont fonctionné les derniers systèmes philosophico-religieux poursuivant cette tradition millénaire d'engagement dans le monde, pour le monde.
Le renoncement à cette dialectique, par enfermement du philosophico-religieux sur lui-même et par affranchissement infini et irréductible du monde et donc du monde économico-politique, est inédit et ne pourrait mener qu'à ce monde et à cette vie vue par Shakespeare comme "une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus." et comme "une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien."
Bonjour Captain-Troy,
difficile de ne pas être d'accord avec ce que vous venez d'écrire ici.
Cela me fait penser à un étudiant - remarquablement brillant - en philosophie qui entre-temps est devenu professeur à l'université (à un âge très jeune). Un jour, on discutait de l'utilité de la philosophie. Il trouvait qu'il fallait être franc: la philosophie ne sert à strictement rien, et si on fait son métier de la philo, c'est par goût d'érudition, tout simplement.
Bien sûr, il était fils de 'bourgeois', et n'avait jamais eu l'occasion de voir de ses propres yeux combien ce que vous appelez l'"économico-politique" pouvait être responsable de désastres humanitaires et combien cette dimension économico-politique était elle-même liée à une certaine idéologie philosophico-religieuse (qui par là même devient autant "responsable" de ces fléaux).
Qui plus est, il était clairement de gauche ... mais en croyant si fortement en les présupposés de gauche (= sans les interroger) que je comprends que cela ne pouvait qu'irriter ses étudiants qui éventuellement étaient de droite. Si c'est ce genre de professeurs de philosophie que vous avez eu vous-mêmes, je comprends que cela ne vous a pas trop convaincu ..

. Mais bon, il faudrait peut-être qu'on voie si l'on comprend la même chose par là ... .
Captain-Troy a écrit :"Un forum comme un laboratoire virtuel d'un nouveau type de paix sociale", je voudrais bien, mais je n'y ai jamais vu ça, pas plus aujourd'hui qu'hier, et vous êtes bien la seule à tenter de briser le cercle vicieux de la haine par la haine, ce qui est au moins ça et amortit un peu le bruit et la fureur d'un monde livré à lui-même. Mais "je peux me tromper", comme vous dites si souvent.
je ne sais pas si ça "se voit". C'est plutôt de l'ordre de l'expérience personnelle, je crois. On constate qu'en faisant ceci ou cela, sur un forum, on augmente la Haine, et en faisant autre chose, on la diminue. Mais cela ne se voit pas forcément en lisant simplement les messages. Puis tout dépend de l'interlocuteur qu'on a. Si on sait trouver un "fond commun" avec tel ou tel interlocuteur, alors là il est probable de trouver aussi un moyen de discuter vraiment, "d'homme à homme", mais sans cela on a beau dire ce qu'on pense, on risque toujours d'avoir des réponses plutôt haineuses ... .
Sinon, je peux effectivement me tromper (d'ailleurs, merci de me prendre au sérieux quand je dis cela), mais je ne crois pas du tout être la seule ici qui "tente de briser le cercle vicieux de la haine par la haine", même si je pense pouvoir comprendre ce que vous voulez dire par là.
Car en effet, on pourrait se dire que si l'on lit par exemple ce qu'on vous répond en règle générale dans ce fil, ou ce qu'on a répondu à Korto à l'époque, alors on ne peut que constater qu'on a souvent répondu à la haine par la haine. Ce qui n'est pas très spinoziste, cela va de soi. Mais est-ce qu'on peut en conclure qu'on n'essayait même pas de faire autrement? Je ne pense pas.
En fait - et en tout respect - je crois qu'une telle conclusion est plus "chrétienne" que spinoziste. Car pour ce dire (= pour dire qu'on n'a même pas essayé de répondre à la haine autrement que par la haine), il faut supposer qu'on puisse mesurer l'intention à l'effet, autrement dit qu'on peut comprendre la cause en se basant sur l'effet, ce qui est l'inverse de ce que prône Spinoza. C'est-à-dire, il faut supposer que si quelqu'un dit quelque chose d'haineux, son intention c'était de se faire haïr. En réalite, je crois que ce qui se passe est très différent.
Pourquoi est-ce que pas mal de réponses ci-dessus témoignent si clairement de la haine? Parce qu'on "veut" répondre à la haine par la haine? C'est peu probable. Selon Spinoza, on ne répond à la haine par la haine que si cette haine qu'on s'imagine devoir subir de l'autre est ce qui va déterminer la réaction. Et alors on répond à la haine par la haine simplement parce qu'on espère (à tort, bien sûr) que c'est précisément cela qui va diminuer la haine de l'autre.
Autrement dit: supposons que X dit de Y quelque chose que Y comprend comme "X me haît". La réaction spontanée de Y (qu'il "ait lu" Spinoza ou non ...), ce sera de se dire que le seul moyen de faire diminuer la haine de X, c'est de le haïr, de lui montrer mon mépris. C'est de s'imaginer que lorsqu'on méprise l'autre, c'est-à-dire (selon la définition spinoziste du Mépris) lorsqu'on fait moins de cas de lui qu'il n'est juste, on diminuera sa puissance et donc aussi sa capacité de nous haïr ou faire du mal. Or, répond Spinoza, dans la pratique, cela ne sert à strictement rien, au contraire même. Plus on diminue la puissance de l'autre, plus il sera "passif" c'est-à-dire vulnérable à la haine, donc à me haïr.
Conclusion: je crois que d'un point de vue spinoziste il faut vraiment dire que les gens qui répondent à la haine par la haine n'essaient
pas moins de briser le cercle vicieux que ceux qui parviennent réellement à ce faire, le seul problème qu'il y a, c'est qu'ils ont une idée peu adéquate de
comment briser ce cercle. Ils pensent qu'on ne sait briser ce cercle qu'en insultant l'autre, alors qu'en pratique, c'est tout à fait l'inverse: on ne saura briser ce cercle vicieux que si l'on "convainc les âmes par l'amour et non pas par les armes", comme le dit Spinoza. Il faut arrêter de considérer le Mépris comme une arme capable de combattre la Haine, il faut au contraire comprendre que le Mépris très souvent ne fait que provoquer davantage de Haine encore.
Enfin, disons que cela, je crois l'avoir appris de Spinoza (
et, pour tout dire, de l'éducation catholique que j'ai eue). Mais comme vous le dites très bien, il se peut que je me trompe ... . Puis vous ne serez peut-être pas d'accord avec ce que je viens de dire ... ?
Bien à vous,
L.