DGsu a écrit :Il faut tout de même constater que le premier message de cette série ne montre pas spécialement que son auteur manifeste de l'amitié pour ceux qu'il cite (au mieux, il se moque, au pire, il exprime de la haine) ou une ouverture à la discussion. Ou alors je n'ai pas compris, ce qui reste possible. Et loin de moi l'idée de dire que tous les messages de captain-troy/Korto étaient désagréables, il y en a même une bonne part qui sont plutôt intéressants (en ce qui me concerne). Mais d'autres reviennent toujours avec le même ton et un exercice systématique de la provocation, ou encore des remarques ad personam comme vous le disiez souvent, ce qui devient fatigant à la longue. Je ne dis pas que ce n'est pas intéressant, mais personne n'est obligé d'y répondre avec une béate bienveillance. Ces messages n'ont souvent eu comme résultat que de susciter une discussion autour de leur auteur, pas même sur ses idées et encore moins sur le thème de ce forum: Spinoza.
Vous me répondrez que tout message est une ouverture à la discussion et qu'il est toujours possible de s'attacher aux idées avant tout. D'accord. Mais de nouveau, nul n'est ne doit rester sans réagir promptement à son contenu à la fois moralisateur (ce qui est tout de même une des cibles préférées de BS) et toujours hostile vis-à-vis des individus plus que de leurs idées.
Salut DGsu,
merci de ces réflexions intéressantes, qui permettent clairement d'approfondir le débat.
D'abord, je dirais qu'effectivement, il est difficile de déduire du premier message de Captain-Troy une quelconque amitié pour ceux qu'il cite. Or en ce qui me concerne, ce qu'on peut légitimement déduire de ce message par rapport aux personnes mêmes derrière les pseudos qu'il cite s'arrête là.
Bien sûr, je peux tout à fait comprendre qu'on lit dans ce message essentiellement de la haine et du mépris. Mais je crois que le problème n'est pas là. Il n'est jamais difficile de lire cela dans les propos de l'autre, et il n'est pas rare du tout (ce forum tout comme la vie réelle en témoignent) de lire dans des propos qui pour beaucoup ont l'air d'être neutres néanmoins une grande haine "implicite". Ce que nous propose Spinoza, à mon sens, c'est ce qu'à très bien résumé Deleuze: il est aussi bête de dire que Pierre a voulu me faire du mal que de dire que la pierre a voulu me faire du mal. A mon sens les conséquences de cela vont assez loin.
Car cela signifie qu'on peut s'en tenir à l'effet que l'action ou le discours de l'autre a produit sur nous, mais alors on risque d'être à fond dans l'imagination (qui, rappelons-le, chez Spinoza n'est ni fausse ni vraie, mais qui exprime avant tout l'état de notre Corps à nous, de notre Corps en tant qu'affecté par l'acte de l'autre). Si cet effet est négatif (si l'effet produit sur nous est de prime abord désagréable), ce sera cela, c'est-à-dire une idée imaginaire, appartenant au premier genre de connaissance, qui déterminera notre réponse. Or on sait que c'est de là que naissent toutes nos idées inadéquates. Autrement dit, on risque fort de n'avoir rien compris de la nature ou de l'essence même de l'autre lorsqu'on base sa réponse sur la mesure dans laquelle ce qu'il vient de dire nous est agréable ou désagréable.
Cela est d'autant plus le cas pour la raison même qu'il n'y a pas de véritables causes finales dans le spinozisme. Car lorsqu'on base sa réponse sur l'affection désagréable, on risque fort de s'imaginer que l'intention de l'autre c'était de produire cet effet désagréable, en tant que désagréable, sur nous. L'effet qu'on a ressenti aurait donc été une cause finale de l'acte produit par l'autre. Ou dans un langage plus ordinaire: on s'imagine que ce qui a causé l'acte de l'autre, c'était l'idée de nous faire du mal, on s'imagine donc que cette mauvaise intention était la cause de l'acte. Alors que pour Spinoza il n'y a pas de causes finales, en réalité. Cela ne signifie pas qu'il nie qu'on peut avoir des idées où l'on s'imagine qu'on va s'efforce à diminuer la puissance de l'autre (= le haïr, par exemple en lui méprisant (le Mépris étant une des propriétés mêmes de la Haine, voir l'E3 Définition des Affects 22)). Il s'agit juste de reconnaître que ces idées sont précisément des idées imaginaires, autrement dit des idées dont la personne, l'Esprit qui les a n'est qu'une cause partielle. Ce qui nous oblige à retourner à ce qu'on vient de dire: puisque la personne même qui agit ainsi n'est que cause partielle de son acte, on ne peut pas se baser là-dessus pour essayer de mieux connaître cette personne.
Conclusion: lorsqu'on lit quelque chose qui pourrait être interprété comme du Mépris, on ne peut en tirer qu'une seule conclusion, que ce n'est pas cela qui nous permettra de mieux connaître la personne qui l'a écrit.
Bien sûr, si on avait lu ce message que parce qu'on s'intéresse (de manière positive ou négative) à la personne même de l'auteur du message, on pourrait facilement en rester là. Dans ce cas, le mieux, me semble-t-il, c'est se taire, puisque le message ne contient rien d'intéressant de ce point de vue.
Or, l'avantage de concevoir le Mépris ainsi, c'est qu'on ne doit plus s'occuper du registre personnel, on peut se demander quelle
idée est exprimée par le message en question. Et là, je ne peux que dire qu'à mon sens il est assez facile (une fois qu'on aborde un message ainsi, bien sûr, pas "en soi") de voir quelle idée était exprimée dans le premier message de Captain-Troy ci-dessus. Idée très puissante, me semble-t-il, et, encore une fois, dont je crois qu'il est très difficile de nier la vérité. Mais dès qu'on a compris cela, la conversation ne peut que basculer dans un tout autre registre, qui n'a plus grand-chose à voir avec celui de la haine. Ou si haine il y a, ce sera une haine de telle ou telle idée, ce qui me semble être une excellente base pour une conversation philosophique intéressante.
DGsu a écrit :Et loin de moi l'idée de dire que tous les messages de captain-troy/Korto étaient désagréables, il y en a même une bonne part qui sont plutôt intéressants (en ce qui me concerne). Mais d'autres reviennent toujours avec le même ton et un exercice systématique de la provocation, ou encore des remarques ad personam comme vous le disiez souvent, ce qui devient fatigant à la longue. Je ne dis pas que ce n'est pas intéressant, mais personne n'est obligé d'y répondre avec une béate bienveillance. Ces messages n'ont souvent eu comme résultat que de susciter une discussion autour de leur auteur, pas même sur ses idées et encore moins sur le thème de ce forum: Spinoza.
je crois que le problème est déjà là dès qu'on se demande avant tout dans quelle mesure l'un ou l'autre message nous plaît, nous est agréable ou désagréable. C'est se placer immédiatement sur le registre de l'imagination. Après, il devient en effet difficile de ne pas voir que des provocations etc., car il est propre au registre imaginaire de supposer que si quelque chose me fait mal, c'est que la cause doit être que l'autre a voulu me faire du mal. Et alors on a toute chance de répondre à ce qu'on a charactérisé comme étant du Mépris par du Mépris, c'est-à-dire en écrivant des choses qui très facilement peuvent être lues de manière purement imaginaires par l'autre (ce qu'on a pu appeler la loi spinoziste de "l'imitation des Affects").
C'est pour ça aussi que je crois que d'un point de vue spinoziste on ne peut pas dire que Korto par exemple était la seule et unique "cause" de la haine avec laquelle on lui a assez systématiquement répondu. Certes, les signes (toujours équivoques, par définition) qui constituaient ces messages ont causé pas mal de haine chez certains de ses interlocuteurs, mais si ces interlocuteurs ne seraient pas basés sur le sentiment d'être méprisé personnellement par lui, alors à mon sens il était fort probable qu'on aurait eu un tout autre type d'échange.
Seulement, la condition est vraiment de
ne pas penser en des termes de "qu'est-ce que l'autre pense de moi, est-ce qu'il m'aime ou me haït?" mais plutôt en termes d'idées que pourraient contenir (si on creuse un peu, puisqu'une idée n'est pas un signe, dont il faut bien faire un peu de travail avant de pouvoir y arriver) son message, et éventuellement en terme de l'amour ou la haine qu'il "semble" (c'est-à-dire à nos yeux, donc sachant qu'on risque toujours de mal interpréter) avoir par rapport à telle ou telle idée.
Enfin, je ne crois pas que le terme "béate bienveillance" a un sens, d'un point de vue spinoziste. C'est déjà pour cette raison que j'avais proposé à l'époque de ne pas utiliser le terme "bienveillance" dans la charte, mais celui par lequel Spinoza le remplace: la charité, sachant que dans le spinozisme la charité signifie l'effort d'aider un maximum d'autres gens non pas pour mériter son bonheur éternel après la mort mais parce que c'est précisément cela qui est le plus utile pour nous-mêmes, ici et maintenant. Avec la charité ainsi définie, on est dans un tout autre champ conceptuel, là où la bienveillance peut évoquer une certaine condescendance, une "tolérance", une "bonne intention" qui cache en fait un réel sentiment de supériorité et donc introduit un rapport de force là où il s'agit justement d'essayer d'en sortir.
DGsu a écrit :Sans devoir nécessairement adopter l'une ou l'autre attitude, ce qui relèverait d'une réaction chrétienne serait de répondre non seulement sans haine, mais aussi dans un esprit constamment ouvert, bienveillant, bénévole, prêt à recevoir une autre bourrade infructueuse.
oui, tout à fait d'accord.
DGsu a écrit :Quant à la réaction spinoziste, elle serait tout à la fois sans haine, mais sans manquer de fermeté.
non je ne crois pas. La fermeté spinoziste n'a rien à voir avec le rapport à l'autre, elle ne qualifie nullement une attitude par rapport à quelqu'un d'autre, elle ne porte que sur le rapport qu'on a avec soi-même. E3P59 scolie:
Spinoza a écrit :Toutes les actions qui suivent des affects se rapportant à l'Esprit en tant qu'il comprend, je les rapporte à la Force d'Ame, que je divise en Fermeté et en Générosité. Car par Fermeté j'entends le Désir par lequel chacun s'efforce de conserver son être sous la seule dictée de la raison.
on voit que la Fermeté ne désigne rien d'autre que notre Désir en tant qu'on s'efforce à faire ce que la raison nous dit être utile pour nous.
La partie de la Force d'Ame qui concerne notre rapport aux autres, c'est, justement, la Générosité, que Spinoza décrit ainsi: "
Et par Générosité, j'entends le Désir par lequel chacun, sous la seule dictée de la raison, s'efforce d'aider tous les autres hommes, et de se les lier d'amitié."
La dernière partie de la phrase me semble être cruciale:
et de se les lier d'amitié. Cela signifie qu'on n'est pas en train de réagir sous la conduite de la raison lorsqu'on fait autre chose que ce qui va aider à augmenter l'amitié entre soi-même et l'autre. La Générosité devient ainsi un Désir très particulier, qui demande un type de travail très spécifique aussi si l'on veut le cultiver davantage.
Les deux, Fermeté et Générosité, ne permettent à mon sens donc aucunément de dire que celui qui réagit par la haine à la haine, qui réagit par le Mépris (que celui-ci soit voulu ou non), serait en train d'agir sur base de sa Force d'Ame, c'est en réalité exactement l'inverse.
DGsu a écrit :Il suffit de relire les lettres à Blyenbergh pour constater que même Spinoza rit parfois de ses interlocuteurs, se moque gentiment d'eux et de leur tendance à voir le monde exclusivement à partir de leur nombril.
disons que j'ai toujours trouvé assez marrant qu'on invoque les Passions Tristes que Spinoza, comme n'importe quel autre être humain, a nécessairement eues pour en justifier d'autres ...
DGsu a écrit :Ceci écrit, je trouve bien plus d'agressivité et de menaces à l'extérieur que sur ce forum, tout ceci reste assez inoffensif et comporte un niveau de haine très faible (qui peut vraiment affirmer qu'il est totalement sans haine ?). Si nous restons sur le plan des idées, que nous tentons d'éviter de nous identifier trop personnellement avec elles ou de viser les individus qui les portent, toutes les discussions, sur tous les sujets, restent possibles.
oui je le pense aussi. Mais n'était-ce pas précisément le point que Captain-Troy voulait faire par son premier message ci-dessus ... ? Que tout ici soit bien calme comparé à la folie du monde non virtuel ... ?
C'est à cela que j'ai voulu répondre que je pense que la haine qui circule sur ce forum peut éventuellement être d'intensité plus faible, cela ne la rend pas moins réelle, et en ce sens le monde extérieur est bel et bien présent, ce qui inversément fait qu'on peut essayer d'envisager ce forum comme une sorte de laboratoire où l'on peut tenter d'inventer des nouveaux moyens, remèdes ou "traitements" de la haine.
DGsu a écrit :Et puis, je me pose une question en vous relisant. Bien sûr qu'accéder aux causes de la haine permet de soi-même l'éviter en retour, probablement. Sinon c'est toujours le mépris auquel on cède parce qu'on n'a pas envie de "se fatiguer" à réfléchir à une réaction qui produirait d'autres effets que le cercle vicieux de la haine en retour. Cependant, comment faut-il alors réagir lorsqu'on se sent pour le moins importuné, si on désire 1. ne plus l'être 2. manifester qu'on ne désire plus l'être 3. manifester que l'on a bien entendu les propos de l'autre mais qu'on ne les approuve pas ou qu'on n'est pas sur la même ligne de pensée ? Il ne me semble pas que les trois points précités soient automatiquement associés à la moindre haine.
je ne pense pas que Spinoza propose de traiter la haine par la tentative de remonter à sa cause. Ou bien on ressent soi-même de la Haine, mais alors on n'est que cause partielle de cet effet, qu'il faudra traiter en allant chercher ce qui s'affirme de positif de soi-même là-dedans (et non pas en allant chercher l'autre cause partielle, car celle-là on ne pourra probablement jamais vraiment la connaître). Ou bien on se dit que quelqu'un haït, mais c'est dire qu'il est en train de pâtir en tant que cause partielle, et aller savoir quelle était l'autre cause partielle est encore plus difficile (d'ailleurs, souvent il y a plus que deux causes partielles, il me semble, on a déjà tout un
cluster de grandes et petites causes, ce qui le rend plus confus encore).
Au lieu de donc essayer de "catalogiser" l'autre, lorsqu'on pense qu'il nous haït, en supposant quelques "lois" auxquelles on s'imagine alors qu'il est soumis, il me semble que Spinoza conseille tout autre chose, quant à apaiser la haine que l'on peut éventuellement ressentir (et à part le travail qu'il faut d'abord et avant tout faire sur soi-même, sinon c'est de toute façon déjà foutu..): c'est l'Amour. On ne vainc pas les âmes par les armes, mais par l'Amour, comme il l'a dit. L'Amour étant ici l'Amour intellectuel de Dieu, ce qui signifie qu'il faut essayer de voir, comme il le dit dans l'E5P10, ce est de "bon" en l'autre, ce en quoi il affirme lui aussi une puissance singulière et entièrement "positive". Aussi longtemps qu'on fixe son attention sur ce qu'on imagine être ses défauts, on risque de réagir d'une manière qui rend tout pire (pour soi-même et pour l'autre).
Autrement dit, je crois que 1, 2 et 3 sont très différents les uns par rapport aux autres.
1. Comment réagir lorsqu'on se sent pour le moins importuné, si on ne désire plus l'être?
Là il n'y a rien à faire, aussi longtemps qu'on sent cela, on réagira sur base d'une Passion Triste donc sur base d'une idée inadéquate donc on ne provoquera probablement rien de bon, ni pour soi-même ni pour l'autre. Ici la seule réaction pertinente, c'est d'essayer de mettre de côté l'idée d'une cause extérieure pour pouvoir ainsi détruire l'Affect même, chez soi-même.
E5P2: "
Si nous éloignons une émotion de l'âme, autrement dit un affect, de la pensée d'une cause extérieure, et la joignons à d'autres pensées, alors l'Amour ou la Haine à l'égard de la cause extérieure, ainsi que les flottements de l'âme qui naissent de ces affects, seront détruits."
Les autres pensées, c'est notamment le fait qu'il est aussi bête de penser que Pierre a voulu me faire du mal que de pense que la pierre a voulu me faire du mal.
Ce qui nous mène directement à 2:
2. Comment manifester qu'on ne désire plus l'être?
Je crois que faire cela de toute façon n'a pas beaucoup de sens. Souvent cela ne fait en rien avancer les choses. On va juste exprimer sa haine par rapport à l'autre, on va s'adresser à ce qu'on s'imagine être la cause extérieure pour lui informer du fait qu'on n'aime pas l'effet qu'elle produit sur nous. On risque ainsi de lui donner comme message principal qu'on ne l'aime pas, et alors souvent l'autre va se sentir haï, et voilà, le cercle vicieux est là.
Donc je dirais: aussi longtemps qu'on se sent importuné, il ne faut surtout pas essayer d'exprimer ou de communiquer cela, ou alors, si l'on veut vraiment essayer, on a tout intérêt à parler maximalement de soi-même et à éviter tout propos qui pourrait suggérer qu'on est en train d'accuser l'autre (ce qui d'ailleurs est aujourd'hui à la base même de ce qu'on appelle la "non violent communication" (voir Google, je n'ai pas le lien ici)). Mais cela demande souvent déjà pas mal de puissance de penser, alors que justement, lorsqu'on se sent importuné, sa puissance vient de baisser, donc c'est pas vraiment le moment ... .
3. Comment manifester que l'on a bien entendu les propos de l'autre mais qu'on ne les approuve pas ou qu'on n'est pas sur la même ligne de pensée ?
Une fois qu'on a pu traiter de manière efficace chez soi-même le sentiment d'être importuné, on aura l'Esprit tout à fait libre pour expliquer avec quelle idée on n'est pas d'accord et pourquoi. On ne devra plus du tôt référer aux Passions supposées de l'autre, on peut maintenant immédiatement aller à l'essentiel même du message en question. Ici c'est donc le
pourquoi qui est important, je crois, plutôt que le fait même de manifester un désaccord (ce qui en tant que tel ne sert à strictement rien, et risque même d'être interprété comme une nouvelle haine de la personne même de l'interlocuteur).
DGsu a écrit :Ou alors, faut-il se taire ? Peut-être.
aussi longtemps qu'on sent qu'on n'a rien de proprement constructif à dire, je crois qu'il est effectivement mieux de se taire, sinon on ne risque de rendre les choses pires et donc plus "fatiguant" encore.
DGsu a écrit :Ou alors réagir fermement en disant à l'autre "tu m'ennnuies, tes idées me sont désagréables, et je trouve que tu adoptes systématiquement tel comportement qui n'est, selon moi, pas constructif dans une discussion" ?
cela, justement, c'est ce que le langage ordinaire appelle "réagir fermement". Je ne crois pas que cela a quelque chose à voir avec la Fermeté spinoziste, comme je viens d'essayer de l'expliquer.
Dire cela c'est accuser l'autre d'être la cause extérieure de votre Tristesse. Que pourra-t-il faire avec un tel message? Il va de soi que parfois cela fait du bien de pouvoir s'exprimer ainsi, mais je crois que l'intérêt de dire cela à quelqu'un s'arrête là: il faut le faire si on sent qu'on en a vraiment besoin, que c'est cela qui va permettre de se sentir mieux (car aussi longtemps que vous vous sentez mal, vous réagirez mal aussi).
Mais je ne crois pas que cela peut avoir un effet vraiment constructif, sauf peut-être dans le cas où on le dit dans le cadre d'une amitié qui est déjà suffisamment forte pour que l'autre puisse éventuellement avoir envie de prendre ces mots comme un signe, signe qu'il va falloir s'attarder un instant sur ce problème car en principe en tant qu'amis on doit pouvoir en parler et trouver une solution, puisqu'on s'intéresse activement au bien-être de chacun. Mais en dehors de cela, donc en dehors d'une véritable amitié, je ne vois pas trop comment on pourrait faire avancer les choses ainsi, surtout pas lorsque l'autre ne semble pas encore trop s'intéresser à se lier d'amitié avec vous, et veut tout simplement parler d'autre chose (ce qui est très souvent le cas sur un forum, il me semble), et ce faisant vous a vexé.
DGsu a écrit :Que se passe quand on sent que, pour l'instant, nous ne sommes pas capables (j'écris bien capable, ce n'est pas une question de volonté) de composer nos rapports avec d'autres rapports parce qu'on sent qu'ils ne nous conviennent tout simplement pas (convenance/inconvenance) ? En d'autres termes puisqu'il s'agit de relations humaines, je ne me sens pas nécessairement bien disposé à l'égard de tous et tous ne se sentent pas nécessairement bien disposés à mon égard.
ne faudrait-il pas dire que, comme l'a encore rappelé récemment Enegoid, chez Spinoza selon l'essence on ne peut que convenir? Ce qui signifie que votre essence éternelle singulière et la mienne conviennent nécessairement, "quoi qui arrive". La disconvenance, le fait de ne pas être bien disposé à l'égard de quelqu'un, cela ne se produit que lorsqu'on n'agit pas sous la conduite de la raison mais sous la conduite de l'une ou l'autre Passion. Par conséquence,
toute disconvenance est purement imaginaire.
Essayer de se rendre compte de cela, à mon sens c'est exactement ce que Spinoza nous conseille de faire lorsqu'on sent qu'on n'est pas bien disposé à l'égard de quelqu'un. Il faut donc commencer par se dire, lorsque cela arrive (et il va de soi que cela arrive souvent à nous tous), qu'en tant qu'on n'est pas bien disposé à l'égard de X, on n'a
rien compris d'essentiel de X. Ce faisant, on éloigne déjà l'idée d'une cause extérieure de cette disposition, donc on l'aura (= la disposition) par là même détruite (et on aura évité d'agir sur base de cette disposition, donc on aura évité de mettre en branle la loi de l'imitation des Affects, autrement dit on aura évité d'essayer de détruire la cause extérieure elle-même, par exemple en lui écrivant des choses peu flatteuses).
Ensuite, on pourra commencer à réfléchir à l'essence même de l'autre, ou, ce qui est plus facile, à ce qu'on pourrait avoir en commun avec lui (car en ce qu'on a quelque chose en commun, on ne pourra que convenir).
Il s'agit donc de quitter le plan de 'l"instant", comme vous le dites bien, pour passer au plan de l'éternité, mais cela bel et bien "ici et maintenant". Selon l'éternité on ne peut que convenir, et seul ce qui est éternel est vrai.
DGsu a écrit :Addendum: Et pour terminer ce message que j'espère vous ne trouverez pas trop confus (il l'est un peu), comprendre l'origine de la haine peut-il se faire à partir des quelques messages ci-dessus ?
non je ne crois pas. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai dit ci-dessus que je pense que d'un point de vue spinoziste le remède à la haine n'est pas la recherche de cause, c'est bien plutôt le fait d'essayer d'éloigner l'
idée même d'une cause extérieure de sa haine (et non pas la chose extérieure en tant que telle).
Ce qu'il y a à comprendre, c'est d'une part l'essence singulière éternelle d l'autre, d'autres part ce qu'on pourrait avoir en commun avec lui (ce qui diffère de personne à personne).
DGsu a écrit :Je lisais il y a quelques semaines un bouquin très intéressant de A.S. Neill, le pédagogue anglais (on peut lire également Alice Miller). De larges chapitres sont consacrés à la haine exercée/transmise par les parents, souvent à leur insu, contre/à leurs enfants... haine que l'on peut mettre en lien avec des préjugés et attitudes toutes humaines: finalisme, volonté libre, morale, éducation, égoïsme. N'est-ce pas là que se trouve une des sources de la haine, quand elle s'applique déjà aux nouveaux-nés ?
merci pour la référence, que je ne connaissais pas.
Je crois effectivement que pour Spinoza les idées fausses qu'on associe à certaines imaginations augmentent la haine. Mais l'origine de la haine, chez Spinoza, me semble plutôt être, comme vient de le dire Captain-Troy, "innée": en tant qu'on n'est qu'une partie de la nature, on pâtit nécessairement, on sera nécessairement de temps en temps cause partielle, on subira nécessairement des Passions Tristes, on éprouvera nécessairement de temps en temps de la haine. Le tout est de savoir comment la prévenir maximalement et, une fois qu'elle est là, comment la traiter efficacement.
DGsu a écrit :Une haine bien plus fondamentale que celle que l'on trouve dans la réaction puisque qu'un bébé n'exprime aucune haine, mais un désir de vivre extrêmement puissant. Ce même désir qui sera brisé à la mesure de la haine qu'il aura reçue et le transformera lui-même en un être haineux et mort-vivant.
le bébé étant pour Spinoza l'exemple même d'une âme impuissante, ne faudrait-il pas dire (aussi étonnant que cela puisse de prime abord être) que la majorité de son Esprit est composée d'idées inadéquates et donc de Tristesse et de Haine? C'est parce que sa puissance est si petite (et donc aussi sa capacité ou son désir de vivre), comparée à ce qu'il sera adulte, qu'il a sans cesse besoin d'aide de l'extérieur.
Or heureusement qu'en tant qu'adulte on est en général spontanément assez bien disposé par rapport aux bébés. Ils nous affectent très souvent d'Amour, ce qui ne veut pas dire qu'ils sont en train de nous aimer nous, cela veut dire qu'on ressent nous de fortes affections d'Amour à leur égard, c'est-à-dire d'augmentation de notre puissance accompagnées de l'idée du bébé comme cause extérieure. C'est là qu'on va spontanément s'imaginer qu'il nous aime, qu'il est heureux quand sa bouche forme ce qui ressemble à un sourire, qu'il trouve qu'on est de bon parents etc. Bref je crois que le rapport de l'adulte au bébé est d'un point de vue spinoziste le lieu même où l'imagination bat son plein.
Et même si le bébé est confronté à des parents qui ne lui donnent pas l'affection (les affections, on serait tenté de dire) qu'il faut, souvent il va néanmoins grandir et devenir adulte, c'est-à-dire ...
beaucoup plus puissant qu'il ne l'était bébé. Qu'il devienne un adulte haineux n'empêche en rien que sa puissance de penser et d'agir n'a plus rien à voir avec la toute petite puissance qu'il avait en tant que bébé, et est devenue beaucoup plus grande.
Bref, je ne pense pas qu'on peut défendre d'un point de vue spinoziste l'idée que le bébé est tout à fait "bon" et que c'est la société qui le rend "mauvais". Ou en tout cas disons que je ne vois pas sur quoi se baser, chez Spinoza, pour pouvoir dire cela.
Enfin, finalement ce message est devenu plus long que prévu ... désolée si cela vous dérange.
Au plaisir de vous lire,
L.