Sinusix a écrit :Préambule : message sans haine, émis dans l’Allégresse (Hilaritas) Spinoziste.
Vous avez un art consommé d’infantiliser votre (vos) interlocuteur(s) et/ou de prendre leur propos par le petit bout de la lorgnette. De fait, ledit (lesdits), convaincu(s) qu’il(s) est (sont) de la rigueur conceptuelle et démonstrative de la pensée Spinoziste, n’a (n’ont) pour seul recours que de retourner à ses (leurs) chers études. Voyez-vous !
Bonjour Sinusix,
merci de votre message, qui est pour moi aussi mystérieux qu'il est intéressant. Mystérieux car j'avoue que je ne vois pas très bien le lien entre ce que vous écrivez et ce que vous venez de citer de moi. Intéressant parce que vous y dites des choses auxquelles je n'avais pas encore pensées. Tentative d'expliquer davantage.
D'abord
jamais je ne dis à mes interlocuteurs qu'ils sont prétentieux etc. de dire ceci ou cela de Spinoza et qu'ils doivent d'urgence aller l'étudier davantage avant de pouvoir dire ce qu'ils en pensent. Et que je ne le dise jamais n'est pas un hasard, c'est parce que je ne le pense jamais non plus. Au contraire, cette idée va tout à fait à l'encontre de ce que je pense être le but même d'un forum de discussion philosophique.
Dès lors, d'où vient le sentiment que certains ont (car en effet, vous n'êtes pas le seul) d'être "infantilisé" par mes messages ... ? Mon hypothèse: de l'indignation que j'éprouve parfois face à telle ou telle idée proposée par quelqu'un, indignation que je ne fais aucun effort de réprimer avant de répondre ... ? Si cette hypothèse est vraie, il faudrait dire que si je veux être bien comprise, il me faudrait attendre le moment où l'idée avec laquelle je ne suis pas d'accord ne me choque plus avant de répondre. Ce qui n'est peut-être pas inintéressant ... .
En attendant, je ne peux que vous répéter que si j'explique en quoi je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, et vous n'êtes pas d'accord avec ma réponse, alors je n'attends pas du tout de vous que vous allez d'abord un peu étudier pour seulement ensuite être autorisé à dire ce que vous en pensez. Savoir ou essayer de comprendre
pourquoi vous n'êtes pas d'accord est la seule chose qui m'intéresse. Si pour ce faire vous voulez d'abord retourner dans le texte ou non, c'est une décision qui ne me regarde pas.
Sinon il est vrai que, surtout dans votre cas (mais aussi assez régulièrement et pour la même raison dans le cas de Hokousai), j'ai tendance à ne répondre qu'à une ou deux choses que vous dites. Or si je laisse de côté le reste, ce n'est pas parce que j'ai envie de vous embêter, c'est parce que souvent votre manière de réfléchir est trop éloignée de la mienne pour pouvoir faire quelque chose avec, donc je ne prends que ce qui me fait penser moi, et très souvent cela signifie prendre l'une ou l'autre idée concernant Spinoza et avec laquelle de prime abord je ne serais pas d'accord. Cela n'implique
aucun Mépris par rapport à ce que vous écrivez par ailleurs, et encore moins par rapport à vous en tant que personne. C'est juste que souvent, vous semblez être dans la construction d'une vision du monde à vous, et il se fait que personnellement une telle démarche ne me parle pas, au sens où je n'en vois pas l'intérêt. Mais dire cela ou penser cela ne contient aucun jugement de valeur. Ou il faudrait peut-être dire: ne
devrait contenir aucun jugement de valeur, car il est vrai que lorsqu'une idée m'indigne, voire même une démarche (ce qu'on peut peut-être sentir en me lisant), qu'on pourrait dire qu'il s'agit d'une dévalorisation, ce qui en un sens est correct. Mais seulement en
un sens: au sens où là moi je
pâtis, je réagis sur base d'une Haine d'une idée, sachant que toute Haine est une idée inadéquate, et ne correspond surtout pas à ce que je pense en vérité de mon interlocuteur.
Enfin ... je ne sais pas dans quelle mesure ceci aidera à clarifier les choses ... (en remerciant en passant DGsu, puisque c'est grâce à l'un de ces messages ci-dessus que j'ai commencé à faire attention à l'idée qu'on peut avoir une idée en Haine et qu'il ne suffit peut-être pas de ne pas Haïr un interlocuteur pour briser maximalement le cercle vicieux de la Haine... et si Captain-Troy lit ceci: qu'en penses-tu...?)?
Sinusix a écrit :Préambule : message sans haine, émis dans l’Allégresse (Hilaritas) Spinoziste.
Vous avez un art consommé d’infantiliser votre (vos) interlocuteur(s) (...)
sachant que je cours le risque de produire le même effet que lors de mon message précédent ... ce que j'ai voulu dire dans ce que vous citez ci-dessus, s'applique également à ce que vous écrivez ici.
Infantiliser quelqu'un, c'est le Mépriser. Or le Mépris chez Spinoza est une propriété de la Haine. Si donc vous vous sentez infantilisé par ce que j'écris, vous vous imaginez que je vous Haï,
d'un point de vue spinoziste. Ce qui est d'office une idée inadéquate. C'est là où commence à mon sens le remède spinoziste aux idées: dès qu'on se sent Méprisé par quelqu'un, il faut se dire qu'il s'agit d'une idée inadéquate, et donc que dans un certain sens on se trompe, on ne lui a pas bien compris. C'est cela par exemple qui à mon avis permet de comprendre au moins quelque chose (peut-être pas encore tout) de ce que Captain-Troy a voulu dire dans son tout premier message dans ce fil. Il ne s'agit pas de nier qu'il y avait dans un certain sens du Mépris pour Louisa, Durtal etc. dans ce message, il s'agit de comprendre que ce Mépris contient toujours aussi quelque part une idée adéquate, et qu'il faut l'aborder de ce côté-là pour pouvoir en discuter un peu sérieusement au lieu de renforcer la Haine mutuelle (ce qui bien sûr parfois est plus facile à dire qu'à faire, d'où l'importance de s'entraîner à ne voir que du bon chez l'autre (E5P10 propose vraiment une sorte de schéma d'entraînement de l'imagination et de l'attention) ...).
Mais quand je dis cela (ou quand j'y ajoute un "vous voyez?", qui peut-être a une autre connotation (pas du tout moralisant) en anglais qu'en français .. ?) ce n'est pas pour donner des leçons, je dis simplement ce que je pense, à vous de me dire où je me trompe ou ou vous n'êtes pas d'accord si c'est le cas (le "vous voyez?" est à lire au sens de "vous voyez ce que je veux dire, vous comprenez ce que je veux dire, ou je dois ré-expliquer autrement?", et non pas au sens de "voici maintenant La Vérité, contemplez-la jusqu'à ce que vous voyez vous aussi La Lumière" ...).
Sinusix a écrit :Or, et tel était bien mon propos, nulle Philosophie (en tant qu’on la limite à la manipulation réflexive de concepts et de raisonnements, même débouchant sur la connaissance adéquate) ne prépare le Corps à la rencontre d’événements inconnus de lui, a fortiori quand ils sont exceptionnels. D’où le rappel de E3P2.
Dans la mesure en effet où nul ne sait ce que peut le Corps, en ce bien compris Son propre Corps, aucun savoir « théorique » ne peut prétendre nous préparer à affronter une situation donnée, s’il n’est accompagné d’une « Pratique » du Corps, quelle qu’en soit l’origine (innée, apprentissage manuel, apprentissage situationnel, expérience vécue), toutes pratiques qui vont permettre l’enregistrement des enchaînements qu’appelle le mode de fonctionnement propre à notre nature (Habitude, Désir, Mémoire), selon la mécanique corporelle induite par le postulat V de E2P13 (on remarquera au passage que Spinoza fonde un aspect essentiel de sa pensée sur une considération purement imaginative, à savoir l’opposition dur/mou. Passons !).
mais justement ... le même E3P2 dit que le Corps et l'Esprit c'est "une seule et même chose", et ce qui se produit dans l'un va "de pair" avec ce qui se produit dans l'autre. C'est dire que
tout changement dans l'Esprit a
en même temps un changement parallèle dans le Corps et inversément ("vous voyez?", je voulais y ajouter, mais je commence à m'en méfier ...
), c'est-à-dire toute pratique du Corps a un effet simultané sur l'Esprit (voir notamment l'E4P38).
Donc il y a au moins une philosophie qui conteste ce que vous écrivez ici, c'est celle de Spinoza, non ... ?
Vous pouvez bien sûr ne pas être d'accord avec Spinoza sur ce point (ou vous allez peut-être me faire voir en quoi c'est moi qui à ce sujet lis mal Spinoza), mais il faut savoir que la distinction "théorie-pratique" que vous utilisez ici est tout à fait kantienne. Je ne veux pas du tout dire par là que vous auriez lu Kant et est ici en train de l'appliquer, je veux dire par là que la distinction théorie-pratique telle qu'elle fait aujourd'hui partie du sens commun, n'est pas plus ou moins vraie que la pensée spinoziste, c'est avant tout simplement une
idée, idée qui a été développée par l'un des philosophes qui a le plus laissé son empreinte sur le sens commun contemporain en Occident. Vous allez peut-être me dire que c'est faux parce que pour vous c'est la réalité qui est ainsi, c'est la "pratique", vous n'avez pas d'abord inventé cette idée "en théorie" (ou lue chez Kant) pour ensuite l'appliquer au réel, vous avez essayer de vous demander ce qu'est en réalité la vie humaine et vous avez "constaté", dans la "pratique", que la philosophie est incapable à nous préparer à des rencontres avec des corps inconnus, mais la seule chose que j'essaie de dire, c'est que pour pouvoir éprouver ainsi la vie humaine, il faut
déjà posséder les catégories de "théorie" et de "pratique". Tandis qu'il suffit de ne pas les accepter (ne fût-ce un instant) pour pouvoir ressentir le réel tout autrement, par exemple selon des catégories spinozistes.
Sinusix a écrit :Permettez-moi de citer ce passage extrait du livre de Laurent Bove (Stratégie du Conatus – p117) :
Laurent Bove a écrit :"C’est que l’Ecole (philosophie morale et science de l’éducation), l’Appareil sanitaire (la médecine), le Monde du travail (la mécanique) sont trois institutions qui concernent et côtoient directement la vie et la mort des hommes, l’existence même du Conatus. Mais plus particulièrement encore ces institutions concernent les corps, leur "équilibre", l’"agrément de la vie". On comprend alors mieux la détermination sociale-historique de ces « aptitudes corporelles » auxquelles Spinoza attribue un rôle essentiel en ce qu’elles sont, dans la vie pratique, à la base des modifications de l’esprit et, dans le même mouvement d’affirmation, à la base de la production des idées vraies."
en tout respect pour Laurent Bove, qui est un commentateur très intéressant, je crois que dire que les aptitudes corporelles sont "à la base" des modifications de l'esprit risque d'induire en erreur. On sait que chez Spinoza le Corps n'a pas du tout le pouvoir de produire des effets sur l'Esprit.
Sinusix a écrit :C’est pourquoi encore et enfin, aucune Philosophie ne peut vous permettre de répondre par anticipation volontariste et réfléchie à la mise en situation que propose Enegoïd avec sa planche et ses deux rescapés provisoires. (je prend la première situation, car il est difficile de lui trouver une période de conditionnement préparatoire, au contraire de la seconde).
pas mal de philosophies laissent tomber l'idée du libre arbitre. Cela ne les empêche aucunement de proposer une manière de penser la situation proposée par Enegoïd. Et à mon sens il suffit de s'entraîner suffisamment dans cette manière de penser pour que lorsqu'une situation nouvelle pour nous arrive, on la "ressentira" immédiatement selon les catégories conceptuelles auxquelles on s'est habituée. C'est le sens même de la philosophie que de pouvoir produire de tels effets. Sans cela, toute philosophie ne serait qu'un épiphénomène, un peu de blabla érudit pour occuper notre Esprit ... non?
Sinusix a écrit :Les situations extrêmes (comme les autres d'ailleurs, de manière générale, mais avec moins de marge d'appréciation théorique préalable) ne peuvent que se vivre pour permettre de connaître la réaction qu’aura le Corps, réaction dont on peut certes admettre qu’elle puisse être partiellement préparée (mises en épreuves extrêmes, technique préparatoire de commando ou de kamikaze, etc.) ou conditionnée par notre nature innée (les deux rescapés sont mère et fille, par exemple). Tout autre laïus ne pourrait qu’être assimilé à l’Utopie stoïcienne de la maîtrise totale, par la volonté et l’ascèse, de l’événementiel du Corps, quelle que soit la cruauté ou l’horreur de ce qu'il subit (n’est pas Jean Moulin qui croit pouvoir l’être).
en tout respect, je ne vois pas ce qui vous fait dire cela. A mon sens vous confondez l'idée de maîtrise totale et donc de libre arbitre avec l'idée d'un monde déterminé dans lequel l'Esprit humain est une puissance réelle comme tous les autres "êtres physiques".
Pour changer d'idées, et pouvoir orienter son Esprit sur base d'autres idées que celles que nous avons plus ou moins spontanément, on n'a nullement besoin de l'hypothèse d'un libre arbitre ou d'une maîtrise totale. Il suffit de considérer l'enchaînement des idées comme un enchaînement de puissances, et notre Esprit comme une idée et donc une puissance, pour utiliser cette puissance autrement que ce qu'on fait spontanément.
Sinusix a écrit :Dans ces conditions, que la Béatitude Spinoziste relève pour moi de l’Utopie, vous l’aurez compris depuis longtemps (ne l’est-elle pas d’ailleurs pour lui également ?). Mais ceci ne retranche rien à la pertinence opérationnelle, dans cette vie, de la Stratégie personnelle et collective que Spinoza élabore pour y parvenir, le chemin emprunté pour parvenir à l’Idéal étant en soi pertinent.
Mais c’est un chemin d’exercice pratique, et non d’accumulation logomachique évanescente.
non je n'avais pas encore compris que pour vous la Béatitude spinoziste relève de l'utopie. J'en prends bonne note.
Sinon, encore une fois, pour Spinoza les mots sont des mouvements corporels. Déjà cette idée seule (et comment la nier ... ?) nous met dans un tout autre paradigme conceptuel que celui du sens commun d'aujourd'hui où les mots, et encore plus les idées, ne seraient que des épiphénomènes, et non pas des entités naturelles à part entière.
Certes, devenir plus heureux demande, aussi chez Spinoza, pas mal d'exercices pratiques. Mais exercer son Esprit à ne pas sentir de la Haine lorsque quelqu'un se fâche sur nous
c'est un exercice
pratique. Il faut partir d'un dualisme qui n'est en rien spinoziste (mais pas moins théorique pour autant!!) et il faut oublier que "dire c'est faire", comme l'a montré notamment Austin, pour pouvoir reléguer les mots dans une sorte de monde "surnaturel", qui n'aurait plus de pouvoir causal sur les phénomènes naturels. Et pour tout dire, c'est à mon sens rater l'essence et l'utilité même de la philosophie, de
toute philosophie. C'est pourquoi j'ai dit ci-dessus que c'est votre démarche même qui à mon sens est hautement problématique, au sens où elle est non seulement non philosophique, mais elle semble être aussi anti-philosophique. Ce qui ne signifie en rien qu'elle est à mes yeux sans valeur, ou que je pense mieux savoir que vous ce qu'est la philosophie à cause de l'une ou l'autre qualité personnelle que moi j'aurais et que vous n'auriez pas. Je ne peux que vous dire que d'après ma pratique philosophique à moi, mon expérience me dit que la philosophie est beaucoup plus puissante (et donc nécessaire) que ce que vous en dites, ce dont j'aimerais bien vous convaincre, tandis qu'en même temps cela ne m'intéresse pas moins de voir si vous n'allez pas pouvoir me convaincre du contraire.
Enfin ...
Amicalement,
L.