vous avouez ne pas comprendre le sens de la pensée chez Spinoza, comment pouvez vous donc prétendre qu'il s'est trompé en faisant de l'amour un mode de la pensée, au lieu d'en faire un attribut à part entière ?
Bardamu et moi-même vous avons répondu auraravant, mais vous continuez de faire comme si Spinoza réduisait la Pensée à la pensée discursive et médiate. Vous dites "j'ai une conception plus restrictive de la pensée". Mais il faut savoir, est-ce que nous discutons du bien fondé de la doctrine de Spinoza sur la question ou de celle de Hokousai ?
Si comme je l'ai dit, la pensée enveloppe à la fois la pensée discursive, intellectuelle au sens où vous l'employez, et intuitive, alors le simple fait de parler de "connaissance intellectuelle" d'un côté et de "connaissance affective" de l'autre montre que vous vous situez toujours, que vous le vouliez ou non dans ce que Spinoza appelle la pensée puisqu'il ne saurait y avoir de connaissance autrement que dans le cadre de la pensée, une connaissance étant la représentation vraie ou fausse d'un objet.
Si le gamin que vous évoquiez "comprend" la différence entre aimer et penser, c'est simplement qu'on lui dit que penser c'est "parler dans sa tête" et qu'aimer, c'est "vouloir manger quelque chose ou lui faire plein de bisous quand il n'est pas comestible"... Oh oui, il verra bien la différence. La belle affaire ! Comme si on ne pouvait pas farcir la tête d'un enfant de toutes sortes de préjugés en partant de définitions d'une fausse simplicité. Expliquez lui en revanche que penser, c'est faire exister en lui la pierre ou la chaise, se les rendre "présentes" même quand elles ne sont plus là, il comprendra très bien qu'imaginer est une forme de pensée au même titre que prononcer mentalement le mot qui désigne ces objets, au même titre que les aimer, mais de trois façons différentes.
Ensuite, je vous ai expliqué, par la distinction entre l'idée et l'affect, pourquoi Spinoza n'était pas intellectualiste : l'idée n'est pas cause de l'amour. Mais vous reprenez votre argument comme si de rien n'était, en disant qu'une idée quelconque n'est pas cause d'amour. Et Succube d'enchaîner sur une analyse poétique, euh pardon, phénoménologique de l'amour comme mystère de la présence absente de l'en deça de la non-chose, avec en prime un petit hommage aux cent thalers qui n'existent pas sauf dans la poche de Kant (qui n'existe plus)...
Essayons tout de même de reprendre cela. Quand je distingue l'idée de l'affect, ce n'est pas, vous l'avez bien compris, une opposition. J'ai dit "L'affect caractérise l'existence des idées en tant qu'elles ont une dynamique propre. " Expliquons cela avec un exemple.
Soit l'idée que je marche. Cette idée est une représentation de quelque chose de déterminé mais en même temps, elle n'est pas une "peinture muette dans mon esprit" comme le serait un tableau dans un musée. En tant qu'affection de la substance, elle est affirmation de soi, elle persévère dans son être (qui est d'être un état de mon esprit, un mode de ce mode de la pensée qu'est mon esprit) tant qu'une autre idée plus forte ne vient pas la supplanter. Et cela n'est pas que du domaine de la théorisation formelle du rapport substance/attribut/mode, nous en faisons l'expérience tous les jours.
A ce titre, l'idée contient sa volonté propre, elle n'est pas ce qui est affirmé par une volonté extérieure, elle est en même temps que représentation une affirmation de soi : désir, ou volonté si on ne la rapporte qu'à l'esprit. Elle est donc affectivité.
Il est alors facile de comprendre l'enchaînement suivant : si l'idée est désir, alors telle idée enveloppera la possibilité de la joie et de la tristesse, selon qu'elle est confirmée, augmentée dans sa puissance de s'affirmer ou niée, diminuée dans cette puissance. Si enfin cette idée rencontre une autre idée à laquelle elle s'associe plus ou moins adéquatement - qu'importe ici - dans le sens d'une joie, l'idée enveloppera l'amour. Ce n'est pas l'idée de la chose extérieure qui est cause de l'amour, c'est le désir que contenait cette idée de s'affirmer soi-même, à titre de puissance d'être affecté, qui est ici en cause : non une simple représentation mais l'idée en tant qu'affect.
Reprenons l'idée que je marche. J'ai ensuite l'idée que je respire mieux. Au lieu de penser à autre chose en marchant, je vais alors prendre conscience que je marche avec d'autant plus de clarté que j'aurai l'idée que cela me fait du bien. Mais je ne vais pas aimer marcher parce que je pense que cela me fait du bien ; c'est au contraire parce qu'en marchant, j'augmente ma puissance d'exister, en l'occurrence en respirant mieux, que je vais éprouver un plaisir et parce qu'en pensant à cela, j'augmente ma puissance de me penser que je vais éprouver une joie. Ce n'est donc évidemment pas parce que je juge que "marcher est bon" que je vais désirer et aimer le faire mais parce que je le désire que je vais juger ainsi.
Quand enfin vous me reprenez :
Vous dîtes " la haine est le contraire de l'amour, autrement dit (E3P5) : la haine et l'amour ne peuvent coexister dans un même être"
Mais si ,ce qui est de l’affect peut coexister ,. et la haine et l 'amour sont du même registre ( ou attribut )
Nous sommes là en présence d'un trait apparemment caractéristique de votre manière de discuter : si vous avez un style "haché" à la Wittgenstein, il semble que votre lecture le soit aussi : vous réagissez d'emblée aux premiers mots sans lire manifestement la suite, alors qu'il y avait justement déjà une réponse à votre objection et en oubliant par là même l'argument gênant qui s'ensuivait :
la haine et l'amour ne peuvent coexister dans un même être sans que l'un ne puisse détruire l'autre comme vous le dites vous-même dans ce fil il me semble. En ce sens, il est impossible que la haine soit mode de l'amour car ce qui découle d'un attribut est affirmation de celui-ci et non négation, cf. toute la première partie (de l'Ethique).
Pour vos autres objections, je vous invite donc en toute amitié à relire de plus près les précédents posts si vous voulez comprendre ce qu'il peut y avoir de fondé dans la doctrine spinoziste de l'amour comme simple mode de la pensée.
Cordialement,
Henrique