hokousai a écrit :Que Dieu soit une substance c'est l' opinion de Spinoza. ...
C'est aussi celle de Leibnitz, qui a posé le premier le principe de raison suffisante ainsi dénommé (wikipedia) :
Le Principe de raison suffisante est un principe philosophique (ou axiome). Dans sa formulation originelle, par Leibniz, il stipule que « jamais rien n'arrive sans qu'il y ait une cause ou du moins une raison déterminante, c'est-à-dire qui puisse servir à rendre raison a priori pourquoi cela est existant plutôt que non existant et pourquoi cela est ainsi plutôt que de toute autre façon. » (Théodicée, I, 44).
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Qu'il y ait une raison suffisante pour l'existence de chaque chose n'implique pas que l'entendement humain y ait accès à chaque fois (Essais de théodicée, I, §44). Au contraire, pour tout ce qui concerne les actions humaines, et les « vérités contingentes », ou « vérités de fait » (vérités « certaines » mais non « nécessaires », cf. §13 Discours de métaphysique, il est indispensable de faire usage de ce principe ; il s'agit d'une notion qui apparaît lorsque Leibniz discute du problème des futurs contingents et s'oppose ainsi au fatalisme), seul l'entendement divin peut connaître les raisons suffisantes. Cette limitation de notre entendement explique pourquoi le monde peut nous paraître injuste ou absurde, bien que ce soit le « meilleur des mondes possibles ».
Toutefois, le principe de raison suffisante lui-même permet de remonter à Dieu, car il est le seul qui permet d'échapper à la chaîne de la causalité à l'œuvre dans les choses contingentes : « Ainsi il faut que la raison suffisante, qui n'ait plus besoin d'une autre raison, soit hors de cette suite des choses contingentes, et se trouve dans une substance, qui en soit la cause, ou qui soit un être nécessaire, portant la raison de son existence avec soi ; autrement on n'aurait pas encore une raison suffisante, où l'on puisse finir. Et cette dernière raison des choses est appelée Dieu. » (Principes de la nature et de la grâce, §8).
On ne saurait être plus clair et en l'espèce conforme à ce qu'en dit Spinoza.
Je suis persuadé que vous avez vu quelque chose, et en même temps je ne sais pas trop le traduire dans mon esprit. Comme il n’y a pas autre chose que les idées claires et distinctes pour percevoir la réalité, je ne vois pas de raison de séparer raison et cause immanente. Leibnitz ci-dessus s’appuie bien sur la raison, et parle bien d'une substance comme cause, ou de quelque chose qui existe en soi. Spinoza met bien en face de « cause de soi » (qu’il utilise cependant selon son sens propre dans E1P7) :
dont l’essence enveloppe l’existence, ou ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante. Je ne vois donc aucune différence de fond avec Leibnitz sur ce point.
Concernant la cause immanente : pour moi la causalité transitive est largement imaginaire (ou du moins un être de Raison) : les seules causes réelles, permanentes, sont les lois du Mouvement dans l’Étendue – et parallèlement pour Spinoza de l’Entendement infini dans la Pensée –, et elles sont immanentes (« tout corps est une certaine proportion de mouvement et de repos » ; « les corps se distinguent par le mouvement et le repos » – et non la forme, la taille, la couleur, la dureté, etc. –, etc.)
Encore une fois, la Physique suffit à tout comprendre : les Lois du Mouvement (ou du déploiement de l’Énergie cosmique), éternellement dans l’Étendue éternelle, suffisent à produire tout ce qui peut être produit (dont les choses particulières.) Et il n’y a ni cause ni raison à l’Étendue, ni à l’Énergie cosmique dans l’Étendue à part l’Étendue elle-même : elles existent sans cause ni raison ; elles sont c’est tout. Dieu est, point, pour employer le langage religieux.
Spinoza, Éthique, a écrit :E1P11S : … Il me suffit de faire remarquer que je ne parle pas ici des choses qui naissent de causes extérieures, mais des seules substances, lesquelles (par la Propos. 6) ne peuvent être produites par aucune cause de ce genre. Les choses, en effet, qui naissent des causes extérieures, soit qu’elles se composent d’un grand nombre ou d’un petit nombre de parties, doivent tout ce qu’elles ont de perfection ou de réalité à la vertu de la cause qui les produit, et par conséquent leur existence dérive de la perfection de cette cause, et non de la leur. Au contraire, tout ce qu’une substance à de perfection, elle ne le doit à aucune cause étrangère, et c’est pourquoi son existence doit aussi découler de sa seule nature et n’être autre chose que son essence elle-même. Ainsi donc la perfection n’ôte pas l’existence, elle la fonde ; c’est l’imperfection qui la détruit, et il n’y a pas d’existence dont nous puissions être plus certains que de celle d’un être absolument infini ou parfait, savoir, Dieu ; car son essence excluant toute imperfection et enveloppant la perfection absolue, toute espèce de doute sur son existence disparaît, et il suffit de quelque attention pour reconnaître que la certitude qu’on en possède est la plus haute certitude.
CT1Ch1 : (9) Que l'homme ait l'idée de Dieu, c'est ce qui résulte clairement de ce qu'il connaît les propriétés de Dieu, lesquelles propriétés ne peuvent être inventées par lui, puisqu’il est imparfait. Or, qu'il connaisse ces propriétés, c’est ce qui est évident : en effet, il sait, par exemple, que l'infini ne peut être formé de diverses parties finies ; qu'il ne peut pas y avoir deux infinis, mais un seul ; qu'il est parfait et immuable ; il sait aussi qu'aucune chose par elle-même ne cherche sa propre destruction, et en même temps que l'infini ne peut se changer en quelque chose de meilleur que lui-même, puisqu’il est parfait, ce qu'alors il ne serait pas ; et encore qu’il ne peut être subordonné à quelque autre chose, puisqu’il est tout-puissant, etc.
(10) On voit donc que Dieu peut être prouvé a priori comme a posteriori, et même beaucoup mieux a priori, car des choses prouvées a posteriori ne le sont que par une cause extérieure à elles, ce qui est en elles une évidente imperfection, puisqu’elles ne peuvent se faire connaître par elles-mêmes, et seulement par des causes extérieures. Dieu cependant, la première cause de toute choses, et même la cause de lui-même, Dieu doit se faire connaître lui-même par lui-même. C'est pourquoi le mot de Thomas d'Aquin n'a pas grande valeur : à savoir que Dieu ne peut pas être prouvé a priori, parce qu'il n'a pas de cause.
CT1Ch 2 : (10) Enfin, si nous voulons rapporter à une cause la substance qui est le principe des choses qui naissent de son attribut, nous aurons aussi à chercher la cause de cette cause, et de nouveau la cause de cette cause, et cela à l’infini. De telle sorte que s'il faut enfin s'arrêter et se reposer quelque part, autant le faire tout de suite dans cette substance unique.
(17) En outre, voici les raisons que nous avons d'affirmer que tous les attributs qui sont dans la nature sont une seule et même substance, et non des substances diverses que nous puissions distinguer entre elles par des caractères clairs et distincts :
1° Nous avons déjà vu qu'il doit exister un être infini et parfait, ce qui doit s'entendre en ce sens qu'il existe un être de qui toutes choses doivent être affirmées en toutes choses. En effet, un être qui a une essence doit avoir des attributs, et plus il a d'essence, plus on doit lui imputer d'attributs : donc si l’essence de cet être est infinie, il doit avoir un nombre infini d'attributs, et c'est cela même que l’on appelle un être infini.
2° En outre, l'unité de substance résulte de l'unité de la nature, en effet, s'il y avait plusieurs êtres distincts, l’un ne pourrait pas communiquer avec l’autre.
3° Nous avons déjà vu qu'une substance ne peut en produire une autre, et de plus que si une substance n'existe pas, il est impossible qu'elle commence à exister ; cependant dans aucune des substances que nous savons exister dans la nature, en tant que nous les considérons comme substances séparées, nous ne voyons pas qu'il y ait aucune nécessité d'existence, de telle sorte que l'existence n'appartient nullement à leur essence prise séparément ; il suit de là que la nature, qui ne naît d'aucune cause et que nous savons pourtant exister, doit être l’être parfait auquel l'existence appartient par essence.
hokousai a écrit :C' est pourquoi on doit parler d'un<b> rationalisme</b> .C' est pourquoi la connaissance de Dieu échappe à l'imagination et renvoie nécessairement à la raison .
La relation de Spinoza a Dieu n'est pas mystique ( pas dans le texte du moins ). Sa Théologie n'est pas négative telle que l'est celle du Tao.
Mystique, pas mystique, rationnel, causal… Personnellement je trouve ces différences radicalisées. E5P20, qui est
une première conclusion de l’Éthique :
Spinoza, Éthique, a écrit :E5P20 : Cet amour de Dieu ne peut être souillé par aucun sentiment d’envie ni de jalousie, et il est entretenu en nous avec d’autant plus de force que nous nous représentons un plus grand nombre d’hommes comme unis avec Dieu de ce même lien d’amour.
Scholie : … Il faut remarquer en outre que les inquiétudes de l’âme et tous ses maux tirent leur origine de l’amour excessif qui l’attache à des choses sujettes à mille variations et dont la possession durable est impossible. Personne, en effet, n’a d’inquiétude ou d’anxiété que pour un objet qu’il aime, et les injures, les soupçons, les inimitiés n’ont pas d’autre source que cet amour qui nous enflamme pour des objets que nous ne pouvons réellement posséder avec plénitude. Et tout cela doit nous faire comprendre aisément ce que peut sur nos passions une connaissance claire et distincte, surtout, ce troisième genre de connaissance (voyez le Schol. de la Propos. 47, part. 2) dont le fondement est la connaissance même de Dieu ; car si cette connaissance ne détruit pas absolument nos passions, comme passions (voyez la Propos. 3, et le Schol. de la Propos. 4, part. 5), elle fait du moins que les passions ne constituent que la plus petite partie de notre âme (voyez la Propos. 14, part. 5). De plus elle fait naître en nous l’amour d’un objet immuable et éternel (voyez la Propos. 15, part. 5), que nous possédons véritablement et avec plénitude (voyez la Propos. 45, part. 2) ; et cet amour épuré ne peut dès lors être souillé de ce triste mélange de vices que l’amour amène ordinairement avec soi ; il peut prendre des accroissements toujours nouveaux (par, la Propos. 15, part. 5), occuper la plus grande partie de l’âme (par la Propos. 16, part. 5) et s’y déployer avec étendue. …
Si ce n’est pas « mystique », cela… La plus grande puissance est de voir intuitivement que tout est en Dieu et concevable justement seulement par Dieu, qui
seul peut être considéré en soi et non en autre chose. Par ailleurs, Dieu est une prémisse, c’est à dire quelque chose de l’ordre de l’intuition et non de la démonstration, tout en étant indispensable à la démonstration. Sans prémisse, ou notion commune – autre nom de l’axiome s’il est admis par tous ou presque –, pas de Raison possible. Or
ces prémisses ne sont pas de l’ordre du raisonnement, mais de l’intuition première ; relève aussi de l’intuition la connaissance supérieure du troisième genre (que Spinoza associe plus ou moins à la Raison, prise alors dans une acception large, vers la fin : c’est l’entendement vrai, clair et distinct.)
Il est vrai que certaines traditions (le plus grand nombre de mémoire) considèrent que Dieu est définitivement au-dessus des mots, qu’on ne peut dire que ce qu’il n’est pas (ni ceci, ni cela)… Spinoza s’affiche dans une autre disposition d’esprit, puisqu’il parle des propres de Dieu, mais il dit tout en même temps que ce n’est pas cela qui peut nous permettre de connaître Dieu :
Spinoza, Court Traité, a écrit : CT1Ch2 : (29) Toutes les propriétés que les hommes attribuent encore à Dieu en dehors de ces deux attributs (si toutefois elles lui appartiennent) ne sont, ou bien que des dénominations extrinsèques, comme : qu'il subsiste par lui même, qu'il est unique, éternel, immuable ; ou bien ne sont que ses opérations, comme : qu'il est cause, prédestinateur, directeur de toutes choses : ce sont bien là en effet les propres de Dieu, mais nous n'apprendrons rien par là de ce qu'il est en lui-même.
hokousai a écrit :Le problème qui persiste est celui de la raison d' exister<b> des choses</b>. De mon point de vue Spinoza ne s'est pas sorti du problème de la finitude des choses singulières et ce parce qu'il est dans un tradition essentialiste.
Que Dieu ait sa raison d'exister, pas de problème ! Mais comment se fait- il qu'il la transmette aux choses. On a un dualisme dans l'intervention lequel n'est pas résolu par l'invocation de cause immanente.
Il lui aurait fallu affirmer avec plus de force que les modes n' existent pas . Ce faisant il tombait dans le <b>phénoménisme</b> et adieu à Dieu et à la substance.
Je ne vois pas en quoi le « phénoménisme » pourrait se passer de Dieu : la seule alternative est la régression des causes immanentes à l’infini ; et ce n’est pas une « alternative » bien crédible intuitivement (selon le principe d’économie / rasoir d’Occam ?)… Le « modèle physique » que j’indique ci-dessus le dit.
Il convient aussi de rappeler que « mode » implique « substance » : ce sont des manières d’être de la substance. Spinoza ne peut pas faire autrement que de distinguer ce qui dans les phénomènes revêt un caractère individuel (structure durable dans l’existence, mais néanmoins pas sempiternelle) et des constantes entre individus (« essence de genre », qui seule peut être dite assurément ainsi durer dans la manifestation), ce qui lui permet ensuite de raisonner là-dessus. Car
les modes ne se déduisent pas de la substance, et doivent donc être pris en premier lieu selon ce que l’expérience indique. Ceci n’empêche pas pour autant d’avoir la vision supérieure de Dieu – Nature en même temps, et surtout au-dessus.
Il ne s’agit pas de dire que les modes n’existent pas (ils existent et tout ce que nous voyons est réel, même si c’est toujours partiellement vu), mais juste de prendre les modes pour des modes : du réel qui n’existe pas en soi et
n’est pas concevable par soi, mais seulement par Dieu (si on n’assimile pas pleinement ce que cela veut dire, on passe à côté de l’essentiel : prendre le mode comme concevable en soi, puis « plaquer Dieu par là-dessus » – de façon confuse, donc. Ou placer la sensation immédiate
en l’état en amont de tout, puis se demander d’où pourrait bien venir cet entendement de l’ordre de la Nature...)
La finitude n’existe pas réellement chez Spinoza, pas plus que la partie et le Tout : la frontière entre deux modes finis n’est pas étanche et ne peut l’être. Plus, loin de pouvoir être assimilée à une séparation (ce que voudraient peut-être les tenants à tout crin de « l’essence singulière », position parfaitement opposée à l’esprit de Spinoza selon moi) elle est en fait la preuve de la continuité : seules des choses appartenant à un même monde (celui de l’Étendue) peuvent se limiter mutuellement. La seule chose qui existe vraiment c’est le déploiement de l’Énergie cosmique éternelle, et ceci ne crée pas de discontinuité dans l’Étendue même. Ceci n’empêche pas de constater (a posteriori en l’absence de lien logique accessible à l’homme) que des phénomènes complexes structurellement durables se produisent dans ce cadre (sinon il n’y aurait d’ailleurs personne pour se poser toutes ces questions…)
Pour moi, le « phénoménisme » est bien la base première (Étendue + Mouvement-Repos) chez Spinoza, mais il n’en considère pas moins comme tout esprit pertinent ce qui
manifestement dure dans l’existence même, est connaissable au moins en partie, et participe de la bonté pour l’Autre et l’Amour pour Dieu-Nature en qui tout est.
hokousai a écrit : je ne suis pas d'accord avec cette remarque
ces oppositions apparemment radicales (comme prétendument entre Bouddhisme et Adavaïta Vedanta par exemple), et régulièrement affirmées - voire caricaturées - comme telles, qui s'avèrent nulles ou presque à l'examen approfondi.
Vous forcez dans le sens du syncrétisme . Moi je vois des différences .
Je vous dis « différences artificiellement radicalisées » ; vous me répondez symétriquement « syncrétisme… » Bon… Je veille à ne pas tomber dans le syncrétisme (terme péjoratif désignant un rassemblement artificiel, un fatras, de choses incompatibles sous une même bannière prétendument cohérente.) Et il y a bien par ailleurs beaucoup de « différences radicales évidentes » (entre Bouddhisme et Advaïta vedanta, comme dit, ou entre les Idées-Formes de Platon et les Essences ou Formes de Spinoza, etc., etc.) qui sont bidons : seulement des gros traits apparents de surface – voire une simple confusion sur les mots – qui ne résistent pas à un véritable examen de fond. C’est très fréquent même, et peut même prétendre se trouver chez un même auteur, alors qu’il est au fond parfaitement cohérent : il ne parle pas de la même chose, ou différemment de la même chose, c’est tout. Par ailleurs je cherche d’abord le fond avant la forme, l’essentiel avant le détail, et la cohérence avant l’opposition. Des différences, il y en a toujours, mais reste à savoir si elles portent sur l’essentiel, ou sur le détail, la forme, etc.
Par exemple, je ne mettrais jamais un tenant du libre-arbitre en association avec Spinoza (avec une exception pour les stoïciens qui ont peiné pour essayer d’en laisser un brin, plus ou moins en apparence seulement, d’ailleurs) : c’est incompatible. De même avec les pseudo-sceptiques scientistes ou relativistes universels – qui sont déjà incohérents par eux-mêmes –, etc.
Entre Lao-zi (de mémoire) et Spinoza il n’y a pas différence essentielle à mon souvenir.
Connais-toi toi-même.