A hugoboxel
J’aimerais prolonger mes précédentes réflexions à propos du libre arbitre et de la liberté.
J’ai admis que la thèse du libre arbitre se traduisait par une question portant sur l’expression : « être libre de faire tel choix ».
J’ai ensuite essayé de montrer que, non pas abstraitement mais dans la situation concrète de son énonciation par un individu particulier, cette question ne pouvait se conjuguer qu’au futur (serai-je libre de faire tel choix ?) ou au passé (ai-je été libre de faire tel choix ?). Ce que j’ai également réuni sous forme d’une question au futur antérieur (aurai-je été libre de faire tel choix ?)
J’en ai déduit que, dans ces conditions, la question du libre arbitre ne pouvait pas réellement se poser.
Je préciserai ici qu’à vouloir nier (ou à soutenir, c’est pareil) la thèse du libre arbitre, et pour parler comme un Sceptique Grec, « nous ne saurions ni dire vrai ni nous tromper ».
Ce qu’il faut voir maintenant, c’est que j’ai supposé jusqu’ici que la question du libre arbitre se posait à un individu considéré dans le temps. Il est clair que, pour celui-ci, cette question arrive toujours ou trop tôt ou trop tard.
Mais il y a une autre façon de voir un individu, c’est de le considérer sub specie aeternitatis, c’est-à-dire en tant qu’il est en Dieu (cf. E II 45 sc.)
Je m’appuierai ici sur un texte de Pierre Macherey dans lequel il présente le livre de Pascal Sévérac : Le devenir actif chez Spinoza.
On trouve ce texte en :
http://stl.recherche.univ-lille3.fr/sem ... cipal.html
Je cite Macherey :
« La réponse que propose Spinoza à cette question [comment devenir libre ?] est on ne peut plus paradoxale, et étonnante de la part d’un penseur de l’époque classique, ce qui justifie qu’il ait été par la suite considéré comme un moderne, très en avance sur son temps : elle consiste à dire que, devenir libres, sans aucun doute nous le pouvons, tout simplement parce que nous le sommes déjà de toute éternité, hors de toute considération temporelle […] »
Comment comprendre cela ? Je cite à nouveau Macherey, cette fois plus longuement :
« […] cet Autre en lequel il [un mode fini] est, et par lequel il est conçu, Dieu ou la Nature, ne se présente pas vis-à-vis de lui comme une réalité surplombante avec laquelle il entretiendrait un rapport de forces et pourrait entrer en conflit, comme c’est le cas des autres choses finies dont le réseau le conditionne à la fois en tant que cause et en tant qu’effet, ce qui a pour conséquence qu’il n’agit dans le cadre propre à ce réseau que parce qu’il est déterminé à le faire ; mais il représente la puissance à laquelle, sans avoir à entrer avec elle dans une relation d’échange, il participe intimement : elle lui communique l’élan qui le pousse à persévérer dans son être, la part de l’infini divin qui est tout au fond de lui, comme une source d’activité qui ne peut tarir, dans laquelle il lui faut replonger pour se relancer dans le sens du passage à une perfection plus grande, dont l’autre nom est l’amour de Dieu, au sens, non de l’amour qu’on porterait à Dieu comme à un être extérieur et transcendant, mais de l’amour qui vient de Dieu, amour que Dieu se porte à soi-même en nous ; car si nous ne sommes pas Dieu, en raison de notre condition d’êtres finis, nous n’en sommes pas moins de Dieu, c’est-à-dire à la fois produits par lui et produits en lui, n’y ayant rien qui puisse être extérieur à sa nature. Ceci constitue le thème central d’une philosophie de l’immanence, au point de vue de laquelle la liberté est en conséquence l’élément naturel dans lequel nous vivons, au sens où l’eau est l’élément dans lequel vivent les poissons, et non un objectif lointain, un possible abstrait dont nous serions séparés par les obstacles que lui oppose concrètement la nature des choses qui tendrait en permanence à nous ramener au statut d’êtres contraints, que leur finitude condamne à la passivité. »
Pour en terminer et faire le lien avec mon précédent message dans lequel je cite directement Sévérac lorsqu’il explique ce que c’est qu’être actif, je cite une dernière fois Macherey :
« Etre libre, c’est être actif, en exploitant au maximum la disposition à agir, la « vertu » (virtus, en un sens voisin de la virtu machiavélienne) qui résulte de la participation à la puissance infinie de Dieu. »
Bien à vous