Messagepar sescho » 01 mai 2015, 22:40
A balise75 :
Arnaud Desjardins / Swami Prajnanpad (advaïta vedanta) dit : « l’esclavage total est la liberté parfaite », et ceci rejoint le passage de Maître Eckhart cité (considéré aussi comme un maître spirituel de tout premier plan de manière générale : il faut donc effectivement avant de le contredire déjà pouvoir bien réfléchir au niveau requis.) Comment cette contradiction totale apparente peut-elle être admise ?
Déjà, l’esclavage dont il s’agit n’est évidemment pas la soumission aux passions (qui est l’esclavage selon Spinoza, alors à juste titre dans une acception négative), bien au contraire, mais d’admettre sa « propre » immersion, intégralement, dans la Nature, ou l’Être, ou Dieu selon Spinoza, plus grand que soi, et donc cause ontologique (raison, englobante) de soi, cause d'elle-même, et donc cause première et de tout.
Conjointement, quand Spinoza, d’une part, dit que l’homme se trompe quand il se croit libre, et d’autre part intitule la dernière partie de l’Éthique « de la liberté de l’Homme », il est de la plus élémentaire évidence qu’il n’en parle pas dans la même acception...
On agit d’autant mieux et d’autant plus librement qu’on ne superpose pas un double factice, l’ego, et une « volonté volontariste » personnelle associée : il suffit de laisser l’action se produire « en soi », en vivant en pleine conscience d’être immergé à 100% dans la Nature.
Par ailleurs, Dieu, c’est l’être factuel, concret, de tout ce qui est, a été, sera (peu importe le détail là), corps ou pensée. Ce qui est, est, et ne peut pas être et être autre chose, soit n’être pas en premier lieu. De là le principe premier que « rien ne vient de rien », que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », que « l’être est, le non-être n’est pas », A = A, A ou !A, le principe de Raison, etc. Or si le passage du néant à l’être est une totale fiction, le libre-arbitre entendu comme un pouvoir de création personnelle à partir de rien (création absolue) est une aberration, et un déni de l’immersion (intégrale) dans la Nature. Et c’est cela qui coûte le max ! Même Dieu-Nature, qui ne peut en aucun cas changer de nature, rien ne venant de rien, ne crée quoi que ce soit absolument : il est, c’est tout. On peut encore ajouter que si quelque chose peut venir de rien, toute affirmation est sans objet, et le pyrrhonisme le plus strict s’impose... Plus simplement, il convient surtout, entre autre activités du même type, de se cantonner strictement à aller aux fraises, si toutefois il y en a encore...
Note : un gros problème potentiel, là, c’est de confondre la théorie (il y a pourtant bien toujours un sujet, un individu, une action non contrainte et donc volontaire, un pur sentiment de liberté, etc.) avec ce qui est visé, savoir seulement une imagination fallacieuse mais intégrée, au sujet de sa « propre » nature, qui s’y surajoute très très nuisiblement. Une erreur majeure concomitante dans l’interprétation de Spinoza est de comprendre la « causalité immanente » comme de la causalité transitive, comme si l’immersion dans Dieu-Nature était une action de marionnettiste sur sa marionnette. Pas du tout et très grave erreur : ce qui nous anime est Dieu-Nature même, directement, sans aucun intermédiaire. Notre liberté c’est celle de Dieu même (qui, encore une fois, ne dispose pas du libre-arbitre au sens d’une création à partir de rien non plus... Il est ! Il est EST ! Son nom est « EST » !))
P.S. Il y a bien un enjeu éthique, et effectivement l’homme n’est pas Dieu-Nature. Confondre les deux plans est ne rien comprendre à Spinoza. Dieu-Nature est au-dessus du Bien et du Mal, mais pas l’homme (en dehors du parfait sage, et encore reste-t-il la douleur corporelle), alors même qu'il est à 100% expression du précédent. Ce sont des « lois » de la nature de Dieu-Nature qui fixent pour l'Homme ce Bien / Mal (et effectivement encore l’un ne peut aller sans l’autre, en tant que tendances tout au moins.)
P.S. 2 Spinoza utilise « volonté » dans deux acceptions différentes. Dans un premier temps, pour s’opposer à Descartes qui a posé une faculté d’assentir (volonté) distincte de l’idée même, qu’il réfute ; dans un deuxième temps, dans son sens habituel de « force motrice » (désirs, volitions, intentions, impulsions, etc.)
Connais-toi toi-même.