Miam a écrit :Très cher Bardamu
Merci beaucoup pour ce magistral exposé de ce que tu penses être la physique spinozienne. Je crois que la différence de nos deux points de vue réside en ceci que tu entends valider cette physique d’un point de vue moderne alors que je la considère dans sa situation historique.
Salut,
comme je disais dans ma première phrase, il ne s'agit pas de la physique de Spinoza mais d'un schéma compatible avec les notions de mouvement du XVIIe et avec celles de Spinoza en particulier.
L'idée n'est pas d'exprimer la pensée de Spinoza mais ma pensée, contemporaine, dans l'espoir que tu saisisses mes références et que tu exprimes les tiennes.
En plus, en y repensant, je me dis que j'inverse le rapport que je voudrais faire paraître en parlant d'"intégration de mouvements composés" pour faire un corps simple, alors qu'en calcul différentiel ce serait plutôt une dérivation de corps composés en un corps simple.
C'est comme dans le système de dérivation de type newtonien où on passe de la force à l'espace par dérivation selon le temps, chaque opération étant un changement de nature :
F = ma ; force = masse * accélération
a = dv/dt ; accélération = dérivée de la vitesse par rapport au temps
v = dl/dt ; vitesse = dérivée de la longueur par rapport au temps
Le corps simple est au corps composé ce que la vitesse est à l'espace, l'accélération à la vitesse.
Mais comme avec Louisa, je crois que je vais abandonner les analogies personelles et rester plus près de Spinoza, parce qu'au final je ne me fais pas mieux comprendre et je n'avance guère dans la compréhension de ta pensée.
J'aimerais saisir les relations que tu fais entre diverses notions et ce que tu entends exactement par elles :
- mouvement : rapport entre durée et espace ? transport d'un voisinage à un autre ? masse multiplié par vitesse ? changement de coordonnées ? changement d'état ?
- composition infinitaire synthétique : corps plein ? synthèse d'infinitésimaux (ça non apparament...) ?
- structure : réseau statique ?
Comment relies-tu ces notions, quelle représentation, modélisation serait la plus proche de ta pensée ?
Miam a écrit :Ici aussi, je crois que tu considères les corps les plus simples comme des degrés de vitesse (ou de force ?) dans l’étendue, tandis que la « structure » n’apparaîtrait qu’au stade de l’essence actuelle. Je pense au contraire qu’ il n’y a que des formes-structures. L’essence formelle n’est pas moins structurée que l’essence actuelle. Comment le pourrait-elle s’il s’agit des essences formelles et actuelles du même mode ? Une composition partielle entre essences actuelles se traduira alors immédiatement dans les relations entre les essences formelles. Existence en acte, essence actuelle et essence formelles ne sont pas des modes différents mais le même mode perçu sous divers points de vue temporels EDT.
Dans mon schéma, tout est visible en 1 fois et donc, essences formelles et actuelles, durée, temps et éternité, sont là, ensemble, dans une relation nécessaire et réciproque. Malgré tout, de même que l'essence formelle (je suppose que tu appelles "essence formelle" l'essence sub specie aeternitatis) se distingue de l'essence actuelle en ne prenant pas en considération ce qui dépend de la durée, la "spirale" que je mets à l'intérieur de chaque "cellule" ou particules pour parler comme Spinoza se distingue du mouvement relatif exprimé par la flèche et qui dépend des chocs entre particules. Tu prends 1 toupie, tu la lances dans un espace vide et tu as son mouvement propre. Tu prends 10 toupies, tu les lances dans un espace fermé et tu vois combien leur mouvement propre diffère de leur mouvement libre. Chacune s'efforce de conserver son mouvement propre, chacune s'efforce de tourner comme elle le ferait sans les autres, mais au final, c'est la situation qui leur impose leur mouvement, c'est le tout qui détermine leur essence actuelle.
Miam a écrit : Bref, d’une manière générale, je ne vois pas comment les corps les plus simples pourraient être des points dynamiques sans forme ni structure, puisqu’il n’y a pas de force sans forme ni structure.
(...)
Encore une fois : pourquoi distinguer ici la force et la structure comme s’il s’agissait de deux êtres différents alors qu’il s’agit de deux points de vue complémentaires sur une même chose, la structure infinitaire étant une force constituante, de sorte que l’on puisse assimiler la totalité à la cause et la partie à l’effet.
Et pourquoi distinguer 2 attributs alors qu'il s'agit de 2 expressions de la même chose ?
Mais pour toi concevoir une force sans forme ni structure est problématique ?
Et une structure serait une force constituante ?
Ca me fait penser à des sortes de formes pré-existantes, des moules genre Aristote qui formerait les choses par l'action du Divin potier mais je suppose que ce n'est pas ça.
Miam a écrit :« "force", celle-ci étant un rapport de l'Etendue en tant qu'espace (mode infini immédiat) à l'Etendue en tant que durée (mode infini immédiat) ou à l'Etendue en tant que masse-inertie (mode infini immédiat) etc. »
Ca je ne comprend pas du tout. Il y a trois modes infinis immédiats ?
Il y en a une infinité peut-être.
Miam a écrit :« De même qu'une vitesse a pour dimension une longueur divisée par un temps, chaque être combine différentiellement plusieurs aspects de l'Etendue qui sont ses dimensions dans l'Etendue : kg, mètres, secondes, ampères etc. autant d'unités chargées de porter des aspects de l'Etendue dont le rapport défini un mode de réel qualitatif. »
Je ne vois pas où tu trouves de tels « aspects de l’étendue » chez Spinoza. Chez Descartes si : les natures simples matérielles sont des « aspects de l’étendue ». Par ailleurs, kg, mètre, secondes, ampère, sont des « mesures » et appartiennent de ce fait aux auxiliaires de l’imagination selon Spinoza. Ce ne sont pas des « aspects de l’étendue » mais des modes de penser (êtres de raison) qui permettent de mesurer l’étendue.
Ces aspects, je les trouve dans la physique.
Et j'ai bien dit que les unités, les mesures, étaient chargées de porter des aspects de l'Etendue mais il faut s'intéresser à ces aspects pas aux mesures, de même qu'il faut s'intéresser à la durée et pas au temps. Spinoza ne connaissait pas grand chose en physique et pouvait se contenter d'un mécanisme mais aujourd'hui il faudrait plutôt parler de formes d'énergie qui, au moins dans notre univers, semble constituer des champs infinis, des modes infinis (médiats ou immédiats ?) : champ gravitationnel, champ électro-magnétique.
Mais bon, ce sont peut-être des références qui ne t'intéressent pas si tu veux rester dans une étude historique de la pensée de Spinoza. Laissons tomber.
Miam a écrit :Selon Daniel Parrochia (« physique et politique chez Spinoza » in « Kairos » 11), la physique spinozienne serait une véritable synthèse entre les tourbillons cartésiens et les cycloïdes de Huygens, que d’ailleurs tu reprends tous deux en quelque manière dans tes dernières illustrations. Et ce n’est pas con du tout, bien qu’un peu court (pas toi, Parrochia !).
Quand on lit les lettres sur Boyle, c'est beaucoup moins "pur" comme physique. Ses histoires de particules pointues qui passent dans les pores de la langue pour nous donner la sensation de piquant rend sa conceptualisation assez naïve. Et d'ailleurs, un passage me fait douter qu'il n'ait pas adopter une forme d'atomisme :
dans la lettre VI, selon les notes de l'édition Flammarion (notes d'Appuhn ?) "Boyle se demande s'il existe une portion de matière composée de parties si petites et si mobiles, que, soumises à une action extérieure qui les divise encore ou à une compression, elles puissent sans qu'il y ait d'espace vide entre elles, et sans qu'elles occupent un espace plus grand, se déplacer les unes par rapport aux autres, d'un mouvement incessant."
Spinoza répond : Il faut répondre affirmativement à moins qu'on ne veuille admettre un progrès à l'infini ou accorder l'existence du vide, ce qui est la plus grande absurdité.
Le "progrès à l'infini" c'est un peu l'écueil que je voyais dans ta conception et qui me semblait empêcher toute détermination, mais je ne sais pas si c'est ça qu'il entendait, ou bien si à cette époque il acceptait une forme d'atomisme.
Miam a écrit :
« Pourquoi ne pourrait-on pas dire que l'essence actuelle du corps est dépendante des contingences de l'existence ? C'est bien parce que nous sommes affectés de toute part par des choses que nous ne maîtrisons pas que nous avons des idées inadéquates. Celles-ci traduisent justement les affections du corps, les images. »
L’essence actuelle du Mental est constituée des idées, adéquates ou non, que nous avons dans l’existence (II 11). De même l’essence actuelle d’un corps est constitué des affections de ce corps.
Si l'essence actuelle est constituée d'idée inadéquate et vu que les idées inadéquates naissent des contingences de l'existence (c'est-à-dire de ce qu'on ne connait pas), il me semble légitime de considérer que l'essence actuelle est dépendante de ces contingences.
Cela ne veut pas dire qu'elle est définie par ces contingences, cela veut dire qu'elle est... dépendante, non libre. Libérons notre essence !
Miam a écrit :Non non. Par « géométrique », je voulais dire un monde « en deux dimensions » (un plan d’immanence dirait Deleuze) avec des intensités qui y sont « contenues » et donc non individualisées. Ces intensités sont aussi des formes, des structures.
Faudra que je vérifie, mais pour autant que je connaisse Deleuze, ces intensités ne sont pas des formes, ce sont justement les infinitésimaux dont je parle et qui constituent des points singuliers d'où on isole des formes, des structures.
Pour faire une forme, il faut au moins 2 intensités.
Miam a écrit :L’étendue exprime la puissance infinie de la matière. Et comme cette puissance est infinie, la matière peut prendre toutes les formes qui s’interpénètrent et se composent alors selon une sorte de combinatoire infinie - d’un point de vue structural, et à ceci près que l’on se trouve du point de vue de l’éternité - tandis que d’un point de vue dynamique elle prend tous les degrés de puissance, celui du mouvement s’étendant toujours sur tous les autres. Ces degrés de puissance sont bien physiques. En tant que degrés de puissance en acte, elles correspondent à des choses qui existent, ont existé ou existeront « réellement », à des causes actives et non à des effets seulement.
Donc on dit la même chose mais pas dans le même ordre...
Miam a écrit :Mais ce même cheval ailé est possible (et donc réel) au niveau des essences formelles parce que celles-ci n’expriment pas un rapport interne de mouvement et peuvent n’être que des effets. Spinoza nous dit seulement qu’elles sont des « formes » de l’étendue d’un point de vue structural (essences dont on peut avoir l’idée) ou dynamiques (degrés de puissance des causes ou êtres formels).
Que de complications...
Et pourquoi ne pas considérer tout simplement que les choses n'existant pas signifie "les choses n'existant pas en ce moment", tandis que le cheval ailé est tout simplement un être d'imagination, un jeu de notre corps qui mélange comme il veut les traces qu'il a en mémoire ?
Le cheval ailé existe au minimum en tant que mouvement de notre corps imaginant un cheval ailé.
Miam a écrit :« Je ne vois pas quelle particularité a la Pensée par rapport aux autres attributs »
Pourtant cela me paraît clair. L’attribut pensée est le seul qui s’applique sur tous les autres attributs via l’idée de Dieu et les êtres objectifs qui en suivent. C’est pourquoi la puissance de penser de Dieu égale sa puissance d’agir, puisqu’elles s’étendent également à tous les attributs.
Et la puissance de mouvement de Dieu n'égale pas sa puissance d'agir ?
Ce n'est pas la première fois qu'on me parle d'une particularité de la Pensée mais je ne vois pas comment on peut accepter le parallélisme et dire que la Pensée est spéciale par rapport à l'Etendue ou à tout autre attribut.
Miam a écrit :« La facies totius universi des corps est la même chose que celle de la pensée mais en mouvement »
Ca je ne comprends pas. Je crois que tu voulais dire le contraire, non ?
Euh... non. La structure du monde comme composition infini d'idée, comme composition de l'attribut Pensée est la même chose que la structure du monde comme composition infini de corps, comme composition de l'attribut Etendue. Même ordre et connexion dans les idées et dans les corps, même structure, même dynamisme.
Miam a écrit :« L'idée de Dieu est la connaissance de l'essence de Dieu d'où découle une infinité de modes infinis, or, l'entendement n'est qu'un mode infini parmi d'autres. L'infini absolu de l'essence de Dieu n'est-il pas supérieur à cet infini "en son genre" qu'est l'entendement ? »
Ce ne sont pas des modes qui suivent de l’idée de Dieu, mais les êtres objectifs des modes. Et l’idée de Dieu est aussi un mode infini (I 21 scolie). Il ne s’agit pas de l’essence de Dieu mais de son idée seulement. Et toute idée est un mode du penser.
Aarghhh... Peux-tu me préciser cette distinction que tu fais entre "être objectif" et "être objectif des modes" ?
L'être objectif n'est-il pas l'idée des choses et donc un mode ?
Et je disais que c'est de l'essence de Dieu que découle une infinité de modes infinis (E1P16) et pas de l'idée de Dieu.
Miam a écrit :Le cercle est déterminé par sa production même. Je n’ai pas besoin de préciser l’épaisseur de ma pointe de compas ni même de mesurer la longueur du fil avant d’avoir produit ce cercle. La grandeur du rapport est appréhendée dans sa production même (notion commune). Quant à sa mesure, elle découle seulement de cette production. La production du cercle suffit à déterminer le cercle, bien qu’il ne soit pas encore « défini » par des nombres.
Question simple : comment, selon toi, se "finissent" les choses finies ?
Comment se finit un cercle fini, comment fait-il pour avoir une grandeur finie ?
Miam a écrit :« les infinitésimaux, sont la base de l'analyse classique en math. »
Mais Spinoza ne connaissait pas les infinitésimaux. Pour lui, l’infini demeure inanalysable. Et je ne suis pas sûr qu’il ait été d’accord avec l’infini infiniment divisible de Leibniz, parce que l’expression de l’infini, chez Spinoza et chez Leibniz, sont totalement différents (encore plus que veux bien le dire Deleuze).
Il ne connaissait pas non plus "la composition infinitaire synthétique". Tout cela c'est notre vocabulaire et c'est là qu'est le problème puisque je ne comprends pas ton vocabulaire et que tu ne comprends pas le mien.
Quand tu parles d'inanalysable pour quelque chose d'infiniment composé, cela n'a pas de sens pour moi puisque justement l'analyse fonctionnelle se fait sur ces principes.
Et je ne crois pas que Spinoza emploie les termes d'analyse ou de synthèse. La meilleure présentation du mode de composition me semble être dans la lettre 32 avec la lymphe et le chyle formant le sang, où il montre que chaque chose peut tantôt être prise comme un Tout, tantôt comme une partie.
Si la chose se dit par rapport à un Tout, elle se dit aussi en tant que Tout.
Heureusement, sinon on ne parlerait que de Dieu transformé en ceci, et de Dieu transformé en cela, ce qui ne serait pas très pratique même si c'est le fond de sa pensée.