Messagepar Benbarka » 23 sept. 2006, 14:29
Ne sachant pas ce que vous voulez me voir approfondir, il me semble pertinent de partir du problème du droit naturel et du pacte social (d'autant plus que Hokousai s'y perd).
Tout d'abord, la définition du droit naturel par Spinoza :
« Par droit ou loi d’institution naturelle, je désigne tout simplement les règles de la nature de chaque type réel, suivant lesquelles nous concevons chacun d’entre eux comme naturellement déterminé à exister et à agir d’une certaine manière. […]. C’est-à-dire que le droit de la nature s’étend jusqu’aux bornes de sa puissance ; or la puissance de la nature est la puissance même de Dieu : l’Etre dont le droit s’exerce, en pleine souveraineté, sur tout sans exception. Mais la puissance globale de la nature entière n’étant rien de plus que la puissance conjuguée de tous les types naturels, il s’ensuit que chaque type naturel a un droit souverain sur tout ce qui est en son pouvoir ; autrement dit, le droit de chacun s’étend jusqu’aux bornes de la puissance limitée dont il dispose. Nous formons donc ici la loi suprême de la nature : toute réalité naturelle tend à persévérer en son état, dans la mesure de l’effort qui lui est propre, sans tenir compte de quelque effort que ce soit. […]. A cet égard, nous ne faisons aucune différence entre les hommes et les autres réalités naturelles, ni entre les individus sains d’esprits et les idiots ou les déments. […]. Le droit naturel de chaque homme est donc déterminé non par la saine raison, mais par le désir et la puissance. »
Le droit naturel est ainsi défini dans le cadre de l’ontologie spinoziste. Il se confond pleinement avec le conatus. Chaque mode exprime à un degré déterminé la puissance de la substance, c'est-à-dire participe à la perfection de Dieu. Pour Spinoza, il ne s'agit pas de légitimer ce droit naturel, dans la mesure où sa légitimité est d'emblée posée par sa consistance ontologique.
Le droit naturel est un droit individuel, puisqu'il est le droit inaliénable de chaque individu à persévérer dans son être. A bien y regarder, l'analyser comme individuel n'a cependant pas beaucoup de sens. Comme l'épistémologie de l'Ethique le fait remarquer, ce n'est que par nos affections (qui impliquent la rencontre avec d'autres corps) que nous formons des idées. Cela implique donc que notre persévérance s'inscrit immédiatement dans la sphère de l'interaction. Nos variations conatives dépendront de la positivité ou négativité de nos rencontres. Le problème de l'individu et de la réalisation de son effort est donc un problème de collectivité.
"Personne ne vit sans angoisse entre les inimitiés, les haines, la colère et les ruses; il n'est donc personne qui ne tâche d'y échapper, dans la mesure de l'effort qui lui est propre (ndlr: c'est-à-dire selon don droit naturel!) On réfléchira encore que, faute de s'entraider, les hommes vivraient très misérablement et [...] ne parviendraient jamais à développer en eux la raison. Dès lors, on verra très clairement que, pour vivre en sécurité et de la meilleur vie possible, les hommes ont dû nécessairement s'entendre. et voici quel fut le résultat de leur union : le droit, dont chaque individu jouissait naturellement sur tout ce qui l'entourait, est devenu collectif." TTP, chap. XVI
C'est donc en vertu du droit naturel que la collectivité est créée. Le doute et la crainte qui découle de l'imagination, dont j'ai déjà parlé, sont déterminants dans la création d'un droit collectif. Spinoza le dit expressément, c'est la sécurité qui est recherchée par tous. Or, cette sécurité ne peut exister tant qu'un intérêt commun n'est pas accepté par tous.
Le problème est que l'homme suit le plus souvent "la seule impulsion de la convoitise" et très rarement ce que la raison intime. L'homme peut être raisonnable, mais est fondamentalement déraisonnable. Et cela en vertu de sa situation épistémique, et non pour des raisons morales.
Aussi, le pacte qui est la base du droit social est insuffisant. Sitôt que les citoyens penseront pouvoir augmenter leur puissance en désobéissant aux lois de la cité, dès lors qu'ils vivent sous le régime de l'imagination (c'est-à-dire dans l'ignorance de l'ordre causal), ils le feront.
C'est de cette tension (nécessité rationnelle d'un intérêt commun et désobéissance "naturelle" des individus en raison de l'ignorance propre à l'imagination) que découle le problème de l'autorité chez Spinoza.
Dans "l’état de nature", chacun suit ses inclinations propres, suivant ce que Spinoza nomme son « naturel » (ingenium). Celui-ci définit la complexion passionnelle déterminant les enchaînements affectifs singuliers. Le désir de chacun se retrouve ballotté en fonction de son imagination qui le pousse tantôt vers une chose, tantôt vers une autre. Il faut donc qu'une complexion commune soit créée afin que l'Etat soit stable et que la sécurité y soit garantie. Pour ce faire, il faut une autorité qui détermine les habitude des citoyens par un corpus de lois auxquel tous adhèrent. Et pour que tous y adhèrent, il faut que l'autorité frappe l'imagination des individus de façon à susciter la dévotion (fondamentale dans le TTP).
La façon d'exploiter l'imagination sera alors déterminante. L'une conduira les citoyens à un développement de leur raison, tandis que l'autre les laissera cloisonnés dans l'imagination, ce qui à terme conduira de toute façon à la dissolution de l'Etat (voir l'Etat hébreu dans le TTP).
Bon, il serait bien de développer cette distinction, mais j'ai déjà beaucoup écrit, alors il me semble préférable de m'arrêter ici, pour développer à partir de vos réactions. J'espère avoir été clair en vous exposant ce qui me semble les prémisses d'une réflexion adéquate sur le problème de l'autorité chez Spinoza.
Bien à vous, Ben Barka