Essendi et esse

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 20 févr. 2007, 01:03

Miam a écrit :"Faudrait-il concevoir le couple 'durée-temps' chez Spinoza de la même manière, le temps étant dès lors divisible mais la durée non ?"
Oui c'est cela.

Mais pourquoi vouloir trouver une durée en Dieu ?


justement, s'il existe une durée non divisible, donc indivisible, ne doit-elle pas être en Dieu, comme ce n'est que Dieu et ses attributs qui sont indivisibles?

Miam a écrit :La durée est réelle en tant qu' affection de l'existence comme le mode est réel en tant qu'affection de l'essence. Ce n'est pas pour cela qui faut confondre le mode et la substance ou la durée de l'existence modale et l'éternité de l'existence de la substance.


oui, il me semble que cela tienne la route, même si je ne sens pas encore très bien quelles conséquences cela pourrait avoir cc le statut de la durée.
Ne faudrait-il pas dire que dans ce sens, tout ce qui relève de l'imagination est également réelle? Autrement dit, si on l'explique tel que tu viens de le faire, une des conséquences n'est-elle pas que tout ce qui existe, même l'imagination et donc le temps, est réel? Si oui: cela me semble être problématique, vu que Spinoza veut que nous imaginions le temps, et que parfois il dit être 'imaginaire et non réel'.

Miam a écrit :La durée est indéfinie, non pas illimitée puisqu'on ne vit qu'un temps. Mais l'éternité n'est pas non plus une durée illimitée. L'éternité est toujours l'existence de l'essence, fût elle exprimée adéquatement ou non par les modes existants. C'est pourquoi l'essence des modes est une "vérité éternelle". L'essence du mode, l'essence de l'attribut et l'essence de Dieu sont une même chose. L'essence du mode c'est la production du mode dans l'essence éternelle de Dieu (son expression). Toutefois la manière d'exister de cette essence n'est pas la même dans le mode et dans la substance. Un mode n'existe pas comme une substance. L'essence d'un mode n'enveloppe pas l'existence comme celle d'une substance.


oui, tout à fait d'accord. C'est également ainsi que je lis l'Ethique.

Miam a écrit : L'essence d'un mode dure dans l'existence selon les hausses et chutes de puissances qui la produisent dans l'existence en fonction de chaque affect. Tel n'est pas le cas de ce qui est éternel.


mais est-ce qu'on ne pourrait pas dire exactement la même chose cc le temps: l'essence d'un mode par rapport à un temps et un lieu précis, c'est l'existence selon les hausses et chutes de puissances en fonction de chaque affect? En d'autres termes: si on parle en ces termes de la durée, qu'est-ce qui la distinguerait du temps? Si le temps est imaginaire et la durée réelle, il faudrait bien pouvoir les distinguer d'une manière essentielle, non?
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Messagepar Benoit_Careil » 20 févr. 2007, 21:10

D'accord.
Je propose une distinction appuyée sur la lettre de Spinoza (désolé pas retrouvé là tout de suite) traitant des différents "niveaux" de modifications de la substance. Voyez-vous la lettre ?
Chaque modification est une manière d'être différente, du mode éternel et infini aux modes finis singuliers. Pour chaque niveau de modification de la substance, être n'a pas la même signification.
Ainsi, seul l'être existe, et il se modifie en modes singuliers (dernier niveau de modification). Mais c'est la conn 1g qui permet de conn les modes singuliers comme singuliers et finis (conn confuse toutefois). Le temps étant un moyen de mesurer les modes finis, il est purement imaginaire, cad il relève de la conn 1g. La durée étant la mesure obtenu du temps des modes singulier, elle est aussi imaginaire, même raison. Le fait d'être imaginaire n'implique pas de ne pas exister, mais seulement de ne pas exister aux premiers niveaux de modification de la substance, de ne pas exister au sens où seul l'être est ce qui est (Parménide trouve ici sa place à mon goût).
La durée existe aussi du point de vue de la conn 1er g, car sous la conn 2 et 2g on ne conçoit que sous une certaine espèce d'eternité.
Donc, quant à moi, le temps n'est pas essentiellement moins existant que la durée. Mais ils n'existent pas réellement si on les compare à l'éternité.
Benoît CAREIL
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Messagepar Miam » 21 févr. 2007, 10:33

Louisa,

N'a-tu jamais remarqué qu'une heure passe plus ou moins vite selon que tu t'ennuies ou que tu te divertis ? Une heure demeurera une heure, mais l'intensité et les variations d'affects ne seront pas les mêmes durant cette heure. C'est pourquoi la durée de cette heure t'apparaîtra différemment selon les cas.

Lorsqu'on considère le temps divisible, on se situe comme au dessus du temps et l'on considère celui-ci comme un espace homogène selon un mouvement régulier. Mais la durée n'est pas homogène. La durée est la "continuation indéfinie de l'existence", non pas le temps de l'existence. Comment saurai-je quand je n'existerai plus. Ai-je l'idée claire du temps qui me sépare de ma naissance ? Nos affects ne nous donnent jamais un temps régulier. Seulement des inflexions, accélérations et ralentissements. Comme il y a croissance ou décroissance de puissance, il y a bien un avant et un après. C'est un avant et un après comme autant d'extases temporelles à partir de l'affect présent. L'avenir reste alors ouvert et le passé est un passé réinterprété par le présent en fonction de l'affect présent. L'extase de la durée, c'est donc l'expression d'une essence qui est une vérité éternelle. A chaque moment de la durée affective npous sommes donc responsable de toute l'éternité de tout l'avant et de tout l'après. Rien d'"objectif" (au sens courant) dans la durée. Il en va de même chez Bergson lorsqu'il critique la notion kantienne de temps parce que selon lui Kant rabat une durée vitale continue sur l'espace homogène et divisible de Newton.

A+
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Messagepar Louisa » 22 févr. 2007, 04:33

A Miam

en gros je suis tout à fait d'accord avec ce que tu viens d'écrire ci-dessus, et en effet, c'est également ainsi que j'avais plus ou moins compris la notion de durée chez Bergson.

Mais justement, je me demande dans quelle mesure transposer cette pensée en l'Ethique est bel et bien faisable. Car Bergson ne préconise-t-il pas de concevoir toutes choses 'sub specie durationis' (comme il le dit dans 'La pensée et le mouvant', pg. 176 de l'édition PUF 2005)? Pour Bergson, plus nous essayons de "percevoir toutes choses sub specie durationis, plus nous nous enfonçons dans la durée réelle". Or chez lui, cette 'durée réelle' a en tant que telle une sorte d'éternité, ce qui me semble être impensable chez Spinoza (tu seras d'accord là-dessus, je suppose?). Puis il propose de penser l'éternité non pas comme immutabilité, mais comme 'éternité de vie'. Tandis qu'il me semble que chez Spinoza, il y a bel et bien des mutations, mais tout de même pas des éternités 'mutables'. Les deux notions chez lui s'excluent mutuellement. C'est pourquoi interpréter la durée spinoziste par le biais de Bergson me paraît être une affaire assez risquée.

Macherey aussi fait le lien entre la durée spinoziste et durée bergsonienne (dans son Introduction à la 5e partie de l'Ethique il propose même de concevoir Spinoza comme un genre de 'précurseur' des concepts bergsoniens de durée), mais contrairement à toi, Macherey croît voir dans l'Ethique une 'durée éternelle'. C'est qu'il interprète la fin du scolie de l'E5P20 comme indiquant qu'il y aurait une durée de l'Esprit sans aucune relation à l'existence du Corps, mais qui se base sur l'essence du Corps sub specie aeternitatis. Du coup, il fait de cette durée une durée éternelle, qui s'opposerait à la durée temporelle, la première étant réelle, la deuxième imaginaire.

Mon problème, c'est que je ne vois ni dans ton cas, ni dans celui de Macherey sur quoi se baser, dans l'Ethique, pour pouvoir avancer une telle interprétation. Si Spinoza voulait dire 'écoulement subjectif du temps' quand il parle de durée, ne devrait-il pas l'indiquer quelque part, ne fût-ce que vaguement? Et pourquoi appeler cela alors plus réel que le temps imaginaire? Autrement dit: comment concilier une perception 'sub specie durationis' avec une compréhension 'sub specie aeternitatis'?

Enfin j'avoue que cela m'étonnait de lire que tu trouves que chez Spinoza, on est à tout moment 'responsable', et cela non seulement de l'acte du moment, mais également de tout ce qui précède et de ce qui suivra. Dans un monde spinoziste entièrement déterminé et dépourvu de libre arbitre, je ne vois pas trop comment y ré-injecter la notion de responsabilité, et encore moins une responsabilité pour tout ce qui arrive. Ou est-ce que tu voulais parler d'un sens du mot 'responsable' qui n'avait rien à voir avec le 'royaume moral'? Si oui, comment le comprendre alors?
A propos, je viens de trouver Israël chez Vrin. Merci encore pour le conseil! J'espère pouvoir le lire très bientôt, car en effet, il traite précisément du sujet qui nous occupe ici.

A Benoît

concevoir la durée comme ce qui est en principe mesuré par le temps, c'est ce que l'on fait spontanément en Occident, il me semble. Que prise dans ce sens, Spinoza devrait désigner dès lors la durée comme étant quelque chose de tout aussi imaginaire que le temps en est la conséquence logique. C'est l'hypothèse qui me tente le plus pour l'instant.
Mais cela implique qu'en Dieu, il n'y a pas de durées, je crois. Car l'imagination est faite d'idées inadéquates, donc la durée doit être une idée inadéquate elle aussi. Dieu en a bien sûr l'idée, mais en tant qu'il est infini et com-prend les idées de toutes les choses, il voit le monde non pas coupé en morceaux mais dans sa continuité indivisible. Si la durée est imaginaire, il ne peut donc pas avoir d'idée adéquate de la durée qui l'explique en tant que telle (la durée de la chose x pe), mais seulement de la durée en tant qu'elle ferait partie d'une continuité infinie. Mais continuité infinie de quoi? Pas du temps, car celui est divisible.
Bref, il me semble que quelque chose cloche, quand on part de l'hypothèse que la durée n'est qu'imaginaire. Mais je n'arrive pas à saisir clairement le problème.

A Hokousai

en ce qui me concerne, votre dernier message cc la question de l'appartenir me semble tout de même indiquer que nous sommes d'accord sur l'essentiel par rapport au sens que prend ce mot chez Spinoza. On peut bien sûr toujours se demander s'il ne valait pas mieux considérer les choses autrement que ce que propose Spinoza, mais comme déjà dit, par 'souci de méthode' ce genre de questions m'intéresse un peu moins pour l'instant, simplement parce qu'on ne sait pas faire tout à la fois: repenser soi-même et le monde en expérimentant la pensée d'un philosophe x ou y d'une part, développer la façon dont on perçoit et conçoit soi-même spontanément le monde d'autre part. Mais bon, vu nos discussions précédentes je ne crois pas vous dire en cela quelque chose de nouveau. Disons que mieux comprendre votre approche en tant que telle m'intéresse bien. Vous avez dit il y a quelques semaines qu'elle se base sur la pensée de Wittgenstein. Si un jour vous avez envie d'expliquer davantage comment vous voyez ce genre de choses, je le lirai et y réfléchirai avec plaisir.
Bonne nuit à tous,
et en particulier à l'essence éternelle du Corps de Spinoza (qui ne s'explique certes pas par le temps (donc pas par la nuit non plus) ... mais comme elle n'a pas été détruite il y a 330 ans, dure-t-elle toujours ... ?)
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Messagepar hokousai » 22 févr. 2007, 12:08

Code : Tout sélectionner

repenser soi-même et le monde en expérimentant la pensée d'un philosophe x ou y d'une part, développer la façon dont on perçoit et conçoit soi-même spontanément le monde d'autre part.


chère Louisa

Dans mes derniers messages ( concernant appartenir à ) je me réfère au texte de Spinoza .( Ethique )

Si sur certains sujets j exprime une philosophie personnelle des choses , cela doit se voir, mais l’inverse quand je commente Spinoza (ou l’interprète) au plus près cela doit se voir aussi .
Je travaille avec le texte sous les yeux et je suis (suivre) tout ce que Spinoza m’indique de renvois .

Ces renvois il est vrai que je ne les rappelle pas, je fais une synthèse personnelle de la démarche telle qu’elle m’apparaît .Je souhaite que ces résumés ne trahissent pas le texte . C’est un souhait et bien évidemment je ne suis pas certain , jamais , de bien interpréter , mais la volonté est là .

Mais n’allons pas dire : soit que j’ essaie de noyer le poisson , soit que je divague .


hokousai[/b]

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Messagepar Louisa » 22 févr. 2007, 14:01

Hokousai a écrit :Ces renvois il est vrai que je ne les rappelle pas, je fais une synthèse personnelle de la démarche telle qu’elle m’apparaît .Je souhaite que ces résumés ne trahissent pas le texte . C’est un souhait et bien évidemment je ne suis pas certain , jamais , de bien interpréter , mais la volonté est là .

Mais n’allons pas dire : soit que j’ essaie de noyer le poisson , soit que je divague .


cher Hokousai,

d'une part je ne vois pas du tout l'intérêt de se faire sur un forum des 'procès d'intention', d'autre part on fait tous des synthèses personnelles quand on parle d'un philosophe. Si donc j'ai parlé de 'méthode', c'est précisément parce que j'ai l'impression que votre façon d'aborder la philosophie, à mes yeux, relève d'une vraie 'méthodologie', qui est de plus en plus répandue (et qui dans le monde anglo-américain est entre-temps peut-être même devenue la façon dominante de pratiquer la philosophie). Ou en tout cas disons que j'y vois pas mal de ressemblances. Cette méthode ne se définit par forcément par plus de 'divagations' ou moins de rigueur, elle est avant tout simplement autre, parce qu'elle se base, au fond, sur une autre conception de la philosophie (celle du premier Wittgenstein notamment). C'est une conception à laquelle je n'adhère pas, mais je ne demande pas mieux que ceux qui l'appliquent essaient de me convaincre de son utilité. Or qui dit, en philosophie, autre conception de la philosophie elle-même, dit aussi autres questions posées, autres problèmes, autres moyens de les résoudre, autres 'valeurs' (pe le 'sens commun' y est beaucoup plus utilisé comme critère d'évaluation d'une pensée ou d'un concept que dans la méthode que je préfère moi-même).
Si donc parfois j'ai un problème avec la façon dont vous traitez le texte de Spinoza, ce n'est pas dans le sens où je trouverais que vous ne respectiez pas les 'normes établies'. J'ai plutôt l'impression que vous utilisez (de façon consciemment décidée ou non) d'AUTRES normes, normes dont on ne peut pas/plus dire qu'elles sont exceptionnelles, en philosophie (au contraire, outre-Manche et même de plus en plus en France, ces normes sont en train de remplacer celles auxquelles j'adhère moi-même).
Dès lors, ce qui m'intéresse, c'est de comprendre ce qui vous intéresse dans cette méthode. De voir si je pouvais vous convaincre de l'utilité généralement supérieure de celle que je préfère moi-même, ou si vous pouvez me convaincre de la supériorité de la vôtre. Ce débat n'a rien à voir avec le sujet ici, donc il faudrait qu'on ouvre un nouveau fil. En plus, encore une fois, pour moi ce débat dépasse entièrement ce qui pourrait être lié à la 'psychologie' de celui qui la pratique. Bref, je n'ai aucun souci par rapport à votre 'volonté' de bien lire, au contraire, il s'agit d'un sujet entièrement 'technique'. Ce qui me semble intéressant à discuter, c'est comment l'on peut comprendre ce 'bien lire' différemment (supposant que ne pas trahir le texte est sans doute une valeur partagée par tous, indépendamment de la méthodologie pratiquée), et quels arguments l'on pourrait avancer pour l'une ou l'autre interprétation de ce 'bien' lire. Y réfléchir un instant en discutant pourrait peut-être nous apporter quelque chose.
A bientôt,
Louisa

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Miam
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Messagepar Miam » 22 févr. 2007, 18:31

Louisa a écrit : « C'est pourquoi interpréter la durée spinoziste par le biais de Bergson me paraît être une affaire assez risquée. »

D’accord. La comparaison avec Bergson n’était qu’une illustration. La durée chez Bergson demeure subjective et se confine aux « états de conscience » qui saisissent un « élan vital » durant éternellement. Spinoza distingue durée et éternité là où Bergson ne le fait pas. Mais la comparaison concernait la distinction de la durée et du temps, pas de la durée et de l’éternité. Dans cette mesure, et dans cette mesure seulement, on peut comparer Spinoza et Bergson pour les opposer tous deux au temps kantien.

« C'est qu'il interprète la fin du scolie de l'E5P20 comme indiquant qu'il y aurait une durée de l'Esprit sans aucune relation à l'existence du Corps, mais qui se base sur l'essence du Corps sub specie aeternitatis. Du coup, il fait de cette durée une durée éternelle, qui s'opposerait à la durée temporelle, la première étant réelle, la deuxième imaginaire. »

Ah bon ? Il a écrit cela Macherey ? Mais je ne vois pas le terme de durée dans le Scolie de V 20. « qu'il y aurait une durée de l'Esprit sans aucune relation à l'existence du Corps, » . Je ne vois pas non plus où Spinoza distinguerait la durée du Corps et la durée du Mental. Il y a bien un écart temporel dans le Mental en ce qu’il est constitué cumulativement dans la durée par des idées qui ne lui appartiennent pas nécessairement. Mais selon le « parallélisme » qui se dit en termes de « simultanéité », la durée du Corps ne peut pas être différente de la durée du Mental.

Dans ce Scolie il s’agit ici du « Mental éternel » constitué des idées adéquates (ou affects actifs) du Corps. Cet Mental éternel est bien constitué durant l’existence. Mais il est éternel dans la mesure où il est constitué de vérités éternelles, c’est à dire des idées qui appréhendent le rapport singulier de mouvement et de repos du Corps ou encore l’essence du Corps. Cette essence du Corps est « une vérité éternelle » combien même ce Corps disparaîtrait, puisque sa production participe à celle de tous les autres modes d’un même attribut éternel (si j’ai l’idée adéquate de l’essence d’une chose, cette idée reste éternelle combien même disparaîtrait cette chose).

Ta question concerne donc la distinction de l’éternité et de la durée. Il faut alors comprendre que l’éternité est une « existence nécessaire » ou « infinie » (PM II, 1). Mieux : l’éternité est « l’existence elle-même » (Ethique I D8). En raison de l’assimilation entre « …dont l’essence enveloppe l’existence » (dans l’Ethique) et « …dont l’essence enveloppe l’existence nécessaire » (dans l’Ethique et par exemple la Lettre 35) il convient de soutenir que l’existence est toute entière éternité. L’ Eternité est « … une jouissance infinie de l’existence (existentiae) et de l’être (esse) » (Lettre 12), tandis que : la durée est seulement « une affection de l’existence » (PM II, 1) ou « la continuation indéfinie de l’existence » (II D5), à savoir le manière d’exister de l’essence actuelle ou effort pour persévérer dans l’être (esse) du mode fini. C’est pourquoi la Lettre 12 peut énoncer sans contradiction que « la durée est issue des choses éternelles » : l’essence actuelle, elle-aussi, est une « vérité éternelle ».

L’éternité est l’existence elle-même telle qu’elle s’identifie à l’essence de la substance et est exprimée par chaque attribut éternel. La durée du mode fini est « une affection de l’existence ». Donc la durée est une affection de l’éternité. De même que le mode est une affection de l’attribut (et de la substance) la durée du mode est une affection de l’éternité de l’attribut (et de la substance). La durée de l’existence du mode c’est donc l’essence-existence de la substance elle-même, mais affectée selon la manière d’exister de cette essence en chacun de ses modes. C’est, comme on l’a dit déjà, la variation de puissance de l’essence (actuelle) du mode en tant qu’il participe à l’éternité de l’essence. Chaque affect est l’expression de l’essence actuelle du mode. Or cette essence est une vérité éternelle. Chaque affect « contient » donc toute l’éternité de même que chaque mode « contient » l’essence de l’attribut exprimée d’une certaine manière. C’est pourquoi la durée est indivisible : chaque moment affectif participe à la continuation indéfinie de l’existence du mode et, partant à l’existence et à l’essence de l’attribut (et de la substance) qui est indivisible, infinie et éternelle. Chaque affect est, si l’on veut, la dérivée d’une fonction indéfinie qui exprime l’essence de l’attribut infini. Par conséquent chaque affect ne met pas seulement en jeu l’existence du mode fini mais l’existence éternelle de l’attribut et de la substance. Dans tous les cas c’est l’existence qui est la cause efficiente de l’essence. Et en ce sens dans chacun de nos affects nous sommes « responsables » de toute la production éternelle.

Bien sûr : il ne faut pas comprendre cette responsabilité à partir d’un libre arbitre. Alléguer un libre arbitre, c’est au contraire poser un jugement qui serait comme extérieur à la nécessité éternelle des choses. C’est considérer que la volonté peut comme arrêter la durée, le temps d’un jugement. Ainsi chez Descartes la durée du « regard » et de la méditation s’oppose à l’instant du jugement qui est aussi celui de la « création continuée » et décide « quand » une idée est claire et distincte. C’est donc aussi considérer que l’on reste au moins par la volonté comme indépendant de la durée et de l’éternité de la production des choses. En ce sens, le libre-arbitre déresponsabilise puisque : 1° Notre jugement ne concerne que nous, au mieux notre âme, mais pas du tout les autres choses ; 2° Il la concerne selon des valeurs préétablies, et non selon la production de ces valeurs elles-mêmes, puisque notre jugement reste extérieur à cette production. Alléguer le libre arbitre, c’est donc alléguer une liberté purement formelle et déresponsabilisante. C’est une liberté formelle, parce que je ne peux que choisir dans un éventail tout fait plutôt que de produire ma propre liberté (à savoir chez Spinoza, en connaissant adéquatement). Si au contraire chacun de mes affects participe à une production éternelle, je suis à chaque moment responsable de cette production éternelle et je produis ma propre liberté : selon la définition même de la liberté, être libre c’est être cause adéquate. Soit donc la liberté est conçue comme un libre choix et concerne le sujet de ce choix, soit elle est conçue comme une autoproduction et concerne l’éternité. Qui est le plus libre ? Qui est le plus responsable ?

Miam

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Messagepar Louisa » 22 févr. 2007, 19:15

salut Miam,

comme je dois partir, rapidement juste ceci:

Miam a écrit :Louisa a écrit:
« C'est qu'il interprète la fin du scolie de l'E5P20 comme indiquant qu'il y aurait une durée de l'Esprit sans aucune relation à l'existence du Corps, mais qui se base sur l'essence du Corps sub specie aeternitatis. Du coup, il fait de cette durée une durée éternelle, qui s'opposerait à la durée temporelle, la première étant réelle, la deuxième imaginaire. »

Ah bon ? Il a écrit cela Macherey ? Mais je ne vois pas le terme de durée dans le Scolie de V 20.


La dernière phrase du scolie V 20: "Il est donc temps maintenant que je passe à ce qui appartient à la durée de l'Esprit sans relation au Corps.", 'quae ad Mentis durationem sine relatione ad Corpus pertinent'. Macherey dit être d'accord avec Appuhn quand celui-ci décide d'ajouter 'sans relation à l'EXISTENCE DU Corps' dans sa traduction de cette phrase. Si je ne m'abuse, j'y fais référence dans ma réponse dans ce fil à C 162, mais il faudrait que je vérifie.
A bientôt pour la suite,
Louisa

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Messagepar hokousai » 22 févr. 2007, 23:23

chère Louisa

Vous faites erreur

Je me suis pourtant expliqué
je ne vais pas ouvir un autre débat , je suis las , fatigué .

Quand je lis et essaie de comprendre Spinoza je le fais à l’intérieur du texte avec les moyens ordinaires de la pensée ( logique , intuition et travail). Je dis bien » intuition « et je dis ordinaire car nous n’avons pas de moyens extraordinaires

Ce que j ‘ ai appris dans le second Wittgenstein (et non dans le premier ) ce sont des façon de lire un texte philosophique à l’intérieur d’un texte à partir de ses concepts .
Wittgenstein qui n’était pas porté sur les textes traditionnels usait de sa méthode sur des propositions du langage ordinaires dont il jugeait qu’elles étaient comprises sur fond de métaphysique implicite .

Par exemple :
la substitution des mots :"si on disait de cette façon plutôt que de celle ci".Au lieu de dire Dieu disons la nature( ce qui n’est pas trahir Spinoza) au lieu de dire essence disons : ce qu’est une chose .
Je ne peux comprendre sans déplacer ou sans me déplacer . Sinon je fais de la paraphrase , je redis sans rien comprendre en croyant que je comprends .

Je n’ai pas véritablement de méthode j’ai des habitudes .
Chacun aborde le texte de Spinoza ( ou n’importe que l’autre ) avec des habitudes de penser ce qui est à bien distinguer d ‘un corpus de convictions philosophiques personnelles .
Je vous le dis parce que la plupart du temps je ne juge pas de Spinoza , je ne me prononce pas sur le vrai ou le faux selon tel ou tel critères etc etc ou alors je le dis expressément , je dis telle affirmation de Spinoza est pour moi difficile à accepter au regard de ma philosophie personnelle, mais je le dis et c’est assez rare .
En revanche je me prononce sur ce que dit miam (ou vous même ) de ce qui serait ce que Spinoza à pensé

.il y a donc trois strates
ce que je pense comprendre de Spinoza
Mon opinion sur certaine de ses assertions
et mon opinions sur les vôtres .
Le problème c’ est qu il y a parfois interférences des trois strates dans un même message .


Vous allez me dire que tout ça n’est guère important , que ce qu’il faut c’est parler de Spinoza et qu’en parler sans réfléchir à ce qui se passe , cela suffit bien . .
Sans examen de ce qui se passe on fonce dans le brouillard .

Je fais le pari que derrière les mots de Spinoza qui ne sont plus nos mots il y a une pensée simple, accessible et ma foi évidente, mais que la manière de parler d’ il y a trois siècles empêche d’ atteindre .Si Spinoza est allé derrière les mots qu’il ne s’est pas laisse prendre au piège des mots (le voile des mots dont parle Berkeley ) alors ce n’est pas en le paraphrasant dans ses mots et en développant à l’infini des textes de facture scolastique qu’on avance .

Je vous l'ai dit plus haut
je suis las , fatigué et peu enclin à poursuivre .

je vous remercie
hokousai

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Messagepar Pourquoipas » 24 févr. 2007, 16:09

Cher Hokousai,

Veuillez recevoir toutes mes amitiés.


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