Vous me dites que puisqu'elle ne convainquent pas grand monde, les preuves spinoziennes de l'existence de Dieu ne prouvent rien, comme si l'universalité en droit que rend possible une preuve avait jamais eu un lien direct et nécessaire avec l'unanimité de fait de sa réception. Vous en déduisez que si ces preuves étaient de véritables preuves, tous les hommes de raison seraient aujourd'hui spinozistes ou bien seraient des idiots.
Une preuve chez Spinoza, c'est une démonstration. Or une démonstration ne se propose pas de convaincre mais de donner les conditions de la certitude. Chers amis, Yves, Zériou et j'ajouterais Sacha, vous confondez certitude et conviction.
Après avoir montré qu'entendement et volonté sont une seule et même chose, Spinoza dit (E2P49,S) :
Nous avons montré plus haut que l'erreur consiste uniquement dans la privation de connaissance qu'enveloppent les idées mutilées et confuses. C'est pourquoi une idée fausse en tant que fausse n'enveloppe pas la certitude. Aussi, quand nous disons qu'un homme acquiesce à l'erreur ou qu'il y croit sans mélange de doute, nous ne disons pas pour cela qu'il est certain, mais seulement qu'il acquiesce à l'erreur ou qu'il n'en doute pas, aucune cause ne jetant son imagination dans l'incertitude.
Le doute est une idée qui s'affirme partiellement dans l'esprit et est partiellement niée par d'autres idées. La certitude est une idée entièrement positive. La conviction est la simple absence de doute et l'erreur, l'absence de certitude.
Ainsi, on peut être convaincu de quelque chose sans en être véritablement certain, ex. être convaincu de l'existence du yéti parce que je ne connais aucune raison d'en douter sans posséder réellement d'idée de la nécessité de son existence.
Mais on peut également être face à une évidence objective et trouver mille raisons d'en douter pour des motifs psychologiques ou plus simplement encore parce que cette évidence là ne semble pas pouvoir s'accorder avec ce que l'on croyait plus anciennement pouvoir tenir pour certitude (alors qu'il ne s'agissait probablement que de convictions, mais ici l'effet est le même. ex. le mari trompé, face aux preuves de l'infidélité de sa femme, ne sera pourtant pas "convaincu" de cette infidélité parce qu'il y a une idée qu'il n'a jamais remise en doute : "je suis l'homme le plus désirable du pays"... Idem en ce qui concerne les preuves ontologiques avec des convictions du type : "un concept ne peut contenir l'existence" ou "Kant a définitivement réfuté la preuve ontologique"... ). On peut donc être en face d'une certitude dont on ne peut pourtant se convaincre.
D'après vous, si Spinoza avait eu raison sur Dieu, il n'y aurait plus d'athées aujourd'hui. Mais pour toi, Zérou..., Spinoza a eu raison en ce qui concerne sa critique du libre arbitre, si j'ai bien compris, et pourtant combien "croient" à la libre nécessité aujourd'hui ? Ne serait-ce que parmi les philosophes ?
S'il y a une chose que j'aurais à reprocher à Comte Sponville, c'est ce besoin grégaire de ne pas trop choquer la foule. Comment ! "par perfection et par réalité j'entends la même chose" ? Mais personne ne peut comprendre cela, nous dit-il (ah les sceptiques qui ne cessent de dire "personne", "jamais", "aucun" !...). Eh oui, la perfection pour la foule, c'est l'idéal inacessible, croire que la réalité c'est la perfection, quelle folie ! Pourtant, une fois qu'on a bien compris la critique du finalisme chez Spinoza, ainsi que le rapport entre affirmation et réalité, cette définition de la perfection comme réalité est d'une évidence cristalline.
Et je finirai par un contre-exemple qui suffit à démentir votre confusion de la preuve et de la conviction :
Aristarque de Samos a élaboré vers 225 avant J.C. la première théorie "héliocentrique", avec à l'appui un certain nombre de preuves objectives (cf. un exemple), mais comme certaines idées en vogue à l'époque étaient contredites par ce système, l'héliocentrisme a du attendre le 16°s. avec Copernic pour être réellement remis au goût du jour. Aristarque de Samos n'a pas convaincu, malgré l'admiration de ses contemporains pour lui. Et malgré la justesse de ses arguments, il est resté ignoré ou vaguement révéré pendant des siècles. Ptolémée, St Thomas etc. étaient-ils pour autant des idiots parce qu'ils ont préféré maintenir le géocentrisme d'Aristote ? Non, ils n'ont simplement pas su procéder à l'emendatio requise pour utiliser au mieux leur intellect sur cette question, et pourtant ils avaient bel et bien un intellect et s'en servaient beaucoup.
Henrique