Flumigel a écrit :Je ne sais si c'est de faiblesse intellectuelle qu'il faut parler. Ne peut-on pas rester lucide et critique sans pouvoir s'exprimer dans l'univers des hommes ? Birger Sellin, authentique autiste allemand, a prouvé que si. Il peut s'exprimer, très difficilement, à l'aide d'un clavier et d'un ordinateur, aidé par sa mère qui guide sa main dont il ne peut seul maîtriser les gestes. Seulement, socialement, il n'existe quasiment pas. Je veux dire que sa vie n'est pas une vie, car il ne peut communiquer oralement ni même gestuellement avec les autres. La cause de tout ça : le repli sur soi, qui plonge l'être dans le chaos de l'autisme. Et dans cette situation, même les sages préceptes de Spinoza pour atteindre la béatitude suprême sont difficiles à appliquer.
D'abord, je ne pense pas qu'on puisse parler de "préceptes", à appliquer pour accéder à la connaissance de notre béatitude, chez Spinoza : l'Ethique, et notamment la 5ème partie, décrit de quelle façon, par quel cheminement on accède naturellement à une telle connaissance. C'est en ce sens qu'il s'agit d'une éthique descriptive plutôt que d'une morale prescriptive. Ainsi une des conditions premières pour que la béatitude puisse émerger, c'est le calme intérieur : "Tant que notre mental n'est pas livré au conflit de passions contraires à notre nature, nous avons la puissance d'ordonner et d'enchaîner les affections de notre corps suivant l'ordre de l'entendement." (
E5P10). Autrement dit, si je suis actuellement soumis à des passions contraires à ma nature, j'ordonnerai les affections de mon corps suivant l'ordre de l'imagination, c'est-à-dire de façon inadéquate, ne pouvant être cause par moi-même de mes actions, ne pouvant donc en tirer la joie susceptible de me conduire à la connaissance de ma béatitude.
Ainsi, supposons un enfant qui a pour la première fois une rage de dents. Comme il ne saurait être par lui seul cause d'un tel état (puisqu'il est nuisible à son effort de persévérer dans l'être), il ne sera pas en mesure d'être cause adéquate de comportements physiques conformes à l'ordre de l'intellect : il ne sera pas en l'occurrence capable de chercher la raison de cet état pour la supprimer. Il faudra que ses parents l'emmènent chez le dentiste qui, ne souffrant pas en ce qui le concerne, pourra chercher cette cause et soigner ses effets : trop de sucre, une carie. Une fois soigné, l'enfant pourra comprendre comment les sucreries et une hygiène dentaire trop sommaire ont provoqué cette souffrance. Et s'il parvient à comprendre en quoi son comportement antérieur ne lui apportait qu'un petit bien pour un grand mal tandis qu'une faible souffrance (manger moins de bonbons, passer deux minutes de plus à se brosser les dents) apportera un plus grand bien (ne pas souffrir de ses dents, pouvoir croquer dans une pomme), il agira en conséquence.
Si donc un autiste ne connaît que la souffrance et qu'aucun soin ne permet de la diminuer pour qu'il trouve le calme intérieur nécessaire à l'exercice de son intellect, il ne pourra pas progresser sur la voie de la béatitude. Mais il est rare qu'une maladie ou une blessure ne laissent aucun répit ou qu'aucune médication ne puisse la réduire suffisamment, sans quoi la personne ne pourrait même pas dormir et mourrait en quelques semaines. C'est pourquoi, dans ces moments de calme, elle cherchera naturellement à comprendre ce qui l'entoure et la raison de sa souffrance pour la combattre, autant qu'il est en elle de le faire. Il est vrai cependant que dans le cas d'une souffrance dite psychique comme l'autisme, qui s'accompagne en fait toujours de comportements d'ordre physique indiquant un mal être, la souffrance peut être moins vive, au sens où elle n'empêche pas de manger, de boire, de dormir mais assez tout de même pour empêcher durablement le calme intérieur cité ci-dessus.
A ce qu'il me semble, il n'y a pas dans le cerveau de l'autiste - pour des raisons phylogénétiques ou ontogénétiques, peu importe - il n'y a pas les filtres qui permettent d'organiser ses sensations et ainsi de leur donner ordre et sens, d'où un affect généralisé d'insécurité ou de peur lié à l'idée de désordre et d'absurdité qu'il se forme dès qu'il entre en contact avec le monde extérieur, d'où le repli sur soi et la grande difficulté où se trouve alors son intellect pour se développer. Mais de même qu'un aveugle de naissance peut pallier sa difficulté à s'orienter dans le monde, en développant d'autres formes de sensibilité - ce qui l'amène à avoir des choses à apprendre aux voyants - de même il peut arriver que certains autistes trouvent des stratégies leur permettant d'ordonner leurs sensations, en passant par des voies tortueuses ignorées des autres hommes, pour enfin pouvoir entrer en contact avec eux. Tous n'y parviennent pas, de même que tout homme ne guérit pas forcément d'une simple rougeole.
Cela aussi, Spinoza permet de l'expliquer à ceux qui ont la chance de ne pas avoir trop souffert dans leur vie pour exploiter leurs souffrance et en faire des instruments de développement mental/physique (tout ce qui ne me tue pas - immédiatement ou à petit feu - me renforce) et qui souffrent cependant à l'idée de leur impuissance à venir en aide à leurs semblables : la nature n'est pas ordonnée pour le service de l'homme, sa perfection n'est pas de pouvoir nous paraître juste, comme si elle avait à faire société avec nous...
Pour les autres, ceux qui souffrent, il n'y a que la solidarité de ceux qui ne souffrent pas et ont assez connu de joie dans leur vie pour comprendre qu'aider un autre être humain à accroître sa puissance d'exister, c'est s'aider soi-même. L'aider en le soignant autant que possible, mais aussi en l'entourant avec respect, de façon à lui permettre de développer des notions communes qui lui permettront petit à petit d'éprouver des affects actifs et peut-être un jour plus d'affects actifs que passifs : en voici
un exemple à propos d'un handicap lourd. Il paraît aussi qu'Einstein, dont le spinozisme est bien connu, souffra d'autisme dans son enfance.
Oui, il faut en tenir compte, dès la conception. Mais je pense malgré tout que les gènes, ou pour être plus précis, notre nature physique, suffit souvent à elle seule à expliquer une grande part de notre être. J'observe les enfants autour de moi. Il existe par exemple des enfants timides et des enfants sûrs d'eux... Ces traits de caractère me semblent pré-exister à toute interaction. On remarque chez un enfant des signes avant-coureurs qui ne trompent pas sur sa nature, et sur ce qu'il deviendra peu ou prou étant adulte. Vous me direz : l'environnement social, même à cet âge premier, a déjà commencé à faire son oeuvre. Je réponds, il a fait son oeuvre, mais relativement superficiellement, dans le sens où il n'altère que rarement la personnalité profonde de l'être.
Il y a probablement chez certains enfants timides des déterminants génétiques qu'aucune éducation ne pourra effacer, il pourrait s'agir alors d'une sorte d'autisme léger. Cela pourrait s'expliquer par une plus grande sensibilité ou pouvoir d'être affecté que la moyenne donnant lieu à une plus grande difficulté à organiser la masse des idées éprouvées. Mais il s'agit là de quelque chose de très différent de ce qu'on pourrait appeler une origine génétique de la pédophilie, qui est un comportement d'une complexité telle qu'aucune phylogénèse ne pourrait l'expliquer. Tenter cependant d'isoler certains déterminants possibles, ce serait juger par avance des personnes qui auraient très bien trouver d'autres stratégies pour tenter de résoudre les difficultés que présente leur configuration génétique. Et qu'y aurait-il à gagner à dépister les caractères génétiques qui conduisent, en partie, à l'attitude d'introversion qu'on observe chez le timide ? Ce serait une façon d'empêcher l'enfant timide de trouver par lui-même les moyens de résoudre ses difficultés, une façon d'uniformiser l'espèce humaine là où sa richesse se situe dans la diversité des problèmes comme des solutions possibles. A vouloir trop aider les enfants en leur fournissant des solutions toutes faites qu'ils ne peuvent comprendre, à vouloir les prémunir de toute souffrance comme si celle-ci était par nature mauvaise, ainsi que le signalait Serge, on affaiblit les enfants plus qu'on ne les renforce.