Messagepar Henrique » 03 oct. 2007, 12:02
Hokousai, votre question si j'ai bien compris revient finalement à savoir si durée et éternité ne seraient pas deux ordres de réalité se transcendant mutuellement. Ainsi, passer de la durée à l'éternité constituerait une fin extrinsèque, la durée n'étant que le moyen d'accéder à l'éternité.
Dans le cadre des pensées chrétiennes occidentales orthodoxes, on comprend bien qu'il en soit ainsi : l'éternité serait ce à quoi on accède une fois que notre âme serait libérée du corps, intriqué quant à lui dans la durée, et ce au moyen de la mort - que ce soit pour accéder à une éternité de joie dans le Paradis ou une éternité de souffrance en Enfer.
Chez Spinoza, vous savez bien qu'il n'en est rien : c'est dans cette vie même que nous pouvons accéder à la connaissance de notre éternité, parce que notre corps comme notre mental sont déjà éternels. Et en dehors de la durée de notre corps, Dieu a de toute éternité l'idée de celui-ci dans son intellect infini or comme cette idée même constitue notre mental ou conscience de nous-mêmes, cette constitution de notre conscience précède et survit à la durée de notre corps, sans qu'il soit pour autant question le moins du monde de réincarnation ou de résurrection des corps (chaque corps produit par la Nature est absolument unique et donc aussi chaque mental, qui n'en est que l'idée).
Et pour cause, l'éternité est immanente à la durée : Dieu est éternel, or tout ce qui est, est en Dieu, donc tout ce qui est, y compris ce qui dure, se comprend d'abord comme éternel ! L'éternité en effet, c'est l'existence même d'une chose, en tant qu'elle dérive nécessairement d'une chose qui n'a ni commencement ni fin : l'éternité, ce n'est pas une durée sans commencement ni fin, c'est l'existence même d'une chose en tant qu'elle n'a n'a ni commencement ni fin, dès lors qu'elle dérive de l'essence de Dieu.
En Dieu, votre corps existe déjà de toute éternité, puisque tout ce qui est possible en Dieu, est déjà déployé, actualisé et que votre corps est une possibilité découlant de l'essence même de Dieu. La durée, c'est la continuation de l'existence d'une chose : cette seule définition nous montre déjà l'intrication chez Spinoza de la durée et de l'éternité. L'existence d'un corps se continue à partir d'autres corps et tant que d'autres corps ne le détruisent pas : cette continuité a donc un commencement et une fin mais pour autant, cette existence même, indépendamment de sa continuité plus ou moins grande, demeure nécessaire en Dieu, ce qui la rend éternelle.
En ce sens, on peut considérer un corps du point de vue de sa durée seule, si on fait abstraction de Dieu, c'est-à-dire de la nature totale en laquelle une chose existe, naturante et naturée. Mais une telle abstraction ne signifie en aucun cas que Dieu ou la nature cessent d'exister réellement, donc l'éternité d'un corps est connaissable dès cette vie, parce qu'elle est immanente à la durée, un peu comme le cercle A est immanent au rayon B que l'on conçoit à partir de ce cercle : le rayon se comprend d'abord comme partie de ce tout qu'est le cercle et ne peut adéquatement se déterminer comme étant de telle ou telle longueur qu'à titre de partie de ce tout.