Messagepar ShBJ » 20 juin 2008, 13:48
A Durtal, salut !
Je ne me greffe que tardivement sur la discussion, et voudrais revenir quelque peu en arrière, c'est à savoir sur les longs messages que tu as consacrés à la différence entre Spinoza et Descartes quant au concept de substance...
D'abord quelques remarques :
1) Je m'accorde tout à fait avec ton explication de la connexion nécessaire entre les attributs par l'univocité de la causalité qui peut être entendue, par une analogie stricte, comme une même application s'inscrivant dans l'attribut pensée comme dans l'attribut étendue - ce qui semble supposer que Dieu est une certaine forme, ou cause formelle : mieux encore, que Dieu est cause immanente et non transitive de toutes choses, précisément en ceci, qu'il est cause immanente de la causalité transitive qui assure l'ordre et la connexion des choses.
2) D'accord également sur la façon dont une partie de l'esprit est éternelle quand même le corps dont l'esprit est l'idée est périssable.
3) D'accord, en fait, avec presque tout ce que tu as pu écrire.
4) En revanche, la discussion avec Louisa sur la question propre de l'union de l'esprit et du corps, si elle a certainement donné lieu à des clarifications d'importance, me semble parfaitement vaine : c'est une plaisanterie de Spinoza, qui fait du terme d'union, comme de bien d'autres, un usage strictement polémique - inutile de gloser le terme lui-même.
J'en viens maintenant au point qui m'intéresse véritablement, et sur lequel je souhaiterais de te voir me donner quelque lumière :
1) Tu reconduis avec raison la question du rapport entre un esprit et un corps singuliers à celle du rapport entre les attributs pensée et étendue, qui en effet constitue sa condition de possibilité - Spinoza règle en effet d'abord quant à la substance ce qui concerne par la suite les modes.
2) Mais il me semble que deux difficultés se posent alors, dont la première touche à la démonstration de la pluralité des attributs de la substance, la seconde au passage du plan de la substance à celui des modes.
3) La première difficulté se joue en Ethique, I, 9-10. Je reprends à ce propos, en faisant bref, des considérations que j'ai développées dans un machin sur la preuve ontologique, dans la rubrique "réfléchir", au chapitre de l'ontologie (machin inachevé, et j'en suis désolé, mais je n'ai guère le temps de m'occuper de Spinoza autant que je le voudrais).
a) E, I, 9 établit qu'une substance peut avoir plusieurs attributs, E, I, 10 et son scolie que la distinction réelle des attributs est compatible avec l'indistinction numérique (unité) de la substance.
b) E, I, 9 est explicitement démontrée par E, I, déf. 4. Elle ne me semble en fait reposer que sur un appel au sens commun, précisément à une analogie entre les étants finis et les étants infinis (ramenés lexicalement à l'unité de la res), ceux-ci devant être compris par l'observation de ceux-là pour assurer la possibilité d'une pluralité d'attributs en une seule substance, comme il y a une pluralité de qualités dans un étant fini – ainsi, pour un corps, sa forme, sa couleur, sa masse, sa densité, etc. Comment justifier la légitimité d'une telle analogie, après que le fini et l'infini ont été clairement distingués, et le lecteur mis en garde contre leur confusion dans le scolie de E, I, 8 ?
c) C'est le scolie de E, I, 10 qui énonce précisément le problème en même temps que sa solution : « De là il apparaît que, bien que l'on conçoive deux attributs réellement distincts, c'est-à-dire l'un sans l'aide de l'autre, nous ne pouvons pourtant pas en conclure qu'ils constituent deux étants, autrement dit deux substances différentes. »
L'apparent paradoxe se résoud par la conversion d'une proposition universelle négative, laquelle suppose implicitement un complément à la théorie des distinctions élaborée (tout aussi implicitement) en E, I, 4. Aux distinctions réelle et modale, il faut ajouter la distinction numérique. La différence entre le fini et l'infini entre ici en jeu : la distinction numérique n'a de sens que pour les étants finis, c'est-à-dire sur fond d'indistinction réelle. Un corps fini, par exemple, est numériquement distinct d'un autre corps fini, dans la mesure où ils se limitent réciproquement, autrement dit ne se peuvent comprendre l'un sans l'autre. A la limite, un corps ne se peut concevoir concrètement sans référence à la totalité des corps dans l'espace et le temps. La distinction numérique n'est ainsi jamais réelle. Par conséquent, par la conversion de la proposition universelle négative, la distinction réelle n'est jamais numérique. La pluralité des attributs ne s'oppose en rien à l'unité de la substance.
d) Par suite, la démonstration ne me paraît pas reposer, ainsi que tu l'affirmes, sur ceci que E, I, 10 est la converse de E, I, 9, mais uniquement sur une opération logique (conversion) qui s'appuie sur une constatation triviale, laquelle ne saurait s'appliquer à la substance. Ta démonstration (comme celle de Spinoza) est donc incomplète car hypothétique : si la substance a une pluralité d'attributs, alors cette pluralité ne s'oppose en rien à l'unité de la substance - mais la condition n'est pas donnée.
4) Admettons cependant que la substance ayant une infinité d'attributs existe bel et bien - une infinité, car si elle en a au moins deux, alors elle en a une infinité. Admettons également que l'ordre et la connexion des choses soit le même que l'ordre et la connexion des idées, selon l'explication que tu en donnes. Il reste que les modifications dans l'ordre de la pensée pourrait strictement coïncider avec les modifications de l'étendue, sans pour autant que mes idées (ou celles de n'importe quel esprit singulier) correspondent aux modifications de mon corps (ou de celles de n'importe quel autre corps singulier), puisque ce n'est qu'une correspondance globale qui a été démontrée au plan de la substance. Il n'y a pas de principe d'individuation qui assurerait la liaison de cet esprit et de ce corps que je dis être miens.
En d'autres termes, il me semble que Spinoza, comme en E, I, 9, fait appel au sens commun pour ne pas avoir à justifier la conciliation de l'individuation et de la correspondance non causale entre les attributs. S'il y a union au sens courant (cartésien) du terme, c'est là qu'elle intervient, mais comme un impensé regrettable.
Tiens-toi en joie bonne et contentement serein.
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ShBJ le 16 août 2008, 22:04, modifié 1 fois.