Sescho a écrit :Ce qui reste c'est la proposition "Les choses singulières sont impermanentes." Ce n'est pas une définition, c'est une affirmation.
C'est certes une affirmation. Mais elle est tout sauf spinoziste. Pourrais-tu trouver ne fût-ce une seule citation de l'Ethique qui la confirme? Non. Aucune proposition de l'Ethique ne dit cela, aucun énoncé qui figure parmi les démonstrations ou scolies ou corollaires ne prétend cela.
Tu sembles écarter systématiquement le fait que Spinoza dit que les choses singulières n'existent pas seulement dans la durée (où tout est, effectivement, changeant), mais aussi "en Dieu".
Spinoza, E2P45 sc a écrit :Ici, par existence je n'entends pas la durée, c'est-à-dire l'existence conçue abstraitement, et comme une certaine espère de quantité. (...) Je parle, dis-je, de l'existence même des choses singulières en tant qu'elles sont en Dieu. Car, quoique chacune d'elle soit déterminée par une autre chose singulière à exister d'une manière précise, il reste que la force par laquelle chacune persévère dans l'exister suit de l'éternelle nécessité de Dieu.
Si donc tu dis que les choses singulières sont impermanentes, tu les considères d'un point de vue de la durée, c'est-à-dire SANS prendre en compte leur essence éternelle, donc de manière tout à fait abstraite. Or comme le dit l'axiome de l'E5, tout ce que Spinoza dit en l'E4 ne concerne QUE les choses singulières en tant qu'on les considère en relation à un temps et un lieu précis (= en tant qu'on considère leur impuissance), donc PAS en tant qu'on les considère en Dieu (= en tant qu'on considère leur puissance). Tu crois considérer les choses en Dieu quand tu les conçois impermanentes. D'un point de vue spinoziste, tu ne les considères que du point de vue de la durée ET DONC non pas du point de vue de Dieu ou de l'éternité.
Sescho a écrit :Invoquer une mystérieuse connaissance du troisième genre à ce sujet, qui serait la même chose en parfait, c'est de la pure invention, du rêve qui n'est soutenu en rien par le texte de Spinoza, sauf à prendre une interprétation ad hoc de la définition générale, qui est en fait bien trop générale pour conclure
il se fait que la définition du troisième genre de connaissance est très proche de toutes les autres définitions qui en l'histoire de la philosophie existent de l'intuition intellectuelle. Tu trouves que cette définition mérite d'être adaptée à tes idées à toi, et c'est tout à fait ton droit. Mais quand Spinoza est en train de démontrer les choses
more geometrico, nier une définition en disant qu'elle est trop générale selon ses propres goûts c'est nier le spinozisme. Ce qui, de nouveau, est tout à fait ton droit, et ne diminue en rien tes mérites.
Sinon je ne vois pas ce que tu veux dire par "la même chose en parfait". L'imparfait n'existe que du point de vue modal, pas du tout du point de vue éternel. Croire qu'une chose est imparfaite est une idée inadéquate dans le spinozisme.
Enfin, comme l'a souligné Gueroult, le spinozisme est une "mystique SANS mystères": il y a intuition intellectuelle des essences singulières, et
de iure cela est possible pour TOUTE essence singulière. D'où le "rationalisme absolu" attribué traditionnellement au spinozisme.
Sescho a écrit :Sinon, ce serait quoi le mécanisme du troisième genre ? A quoi sert donc le second genre (à part "donner un désir" de connaissance du troisième genre, de laquelle il ne démontrerait rien) ?
justement, il n'y a PAS de "mécanisme" du troisième genre. Le mécanisme caractérise les rapports de cause à effets tels que décrits par la physique classique (pas la physique contemporaine).
Le deuxième genre se caractérise par le fait de nous faire comprendre quelque chose des propriétés communes des choses singulières, ce qui ne peut que provoquer le désir d'aller plus loin, de toucher maintenant aussi aux essences singulières mêmes de ces choses. Le passage se fait par la notion d'éternité. Il est déjà propre à la raison (deuxième genre de connaissance) de considérer les choses singulières sous un certain aspect d'éternité (celui de la nécessité). Une fois "pris goût" à l'éternité, on désire inévitablement en savoir plus. C'est là qu'on découvre l'éternité de notre propre essence, et une fois qu'on comprend cela, cette connaissance adéquate de l'éternité de notre propre essence ne peut que constituer la cause formelle de la connaissance adéquate de l'éternité de l'essence d'autres choses singulières, hors de nous.
Tout cela n'empêche en rien que le deuxième genre (et même le premier) de connaissance a également son "utilité": car pour bien pouvoir vivre notre vie "dans la durée", il vaut mieux savoir ce que nous avons en commun avec les autres choses singulières, histoire de pouvoir chercher en eux ce qui est le plus utile pour notre propre survie et bonheur. Que le troisième genre de connaissance soit une connaissance adéquate de l'essence des choses n'entrave donc en rien l'utilité du deuxième. Ce que l'un et l'autre peuvent nous donner est différent, mais pas opposé.
Sescho a écrit :Il y a par ailleurs bien quelque chose de progressif dans le "procède à partir de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu vers la connaissance adéquate de l'essence des choses."
more geometrico certes, il y a progression. Mais non pas en réalité. E5P31 sc:
Spinoza a écrit :Mais il faut noter qu'ici, quoique nous soyons maintenant certain que l'Esprit est éternel, en tant qu'il conçoit les choses sous une espèce d'éternité, néanmoins, et pour que s'explique plus aisément et se comprenne mieux ce que nous voulons montrer, nous ferons comme nous avons fait jusqu'ici, et nous le considérons comme s'il venait de commencer d'être, et à comprendre les choses sous une espèce d'éternité (...)
la "progression" n'est là que pour pouvoir démontrer
more geometrico comment le troisième genre de connaissance est possible.
Comme il le dit en E5P33 sc:
Spinoza a écrit :(...) l'Esprit a eu de toute éternité ces mêmes perfections que nous avons feint qu'elles venaient de s'ajouter à lui (...). Que si la Joie consiste dans le passage à une plus grande perfection, la béatitude, à coup sûr, doit consister en ce que l'Esprit est doté de la perfection même.
Tu vois que "voir la même chose en parfait" n'est nullement une "invention", un "rêve", pour Spinoza, mais simplement une question de voir l'Esprit dans ce qu'il est réellement. Bien sûr, tout cela est fort contra-intuitif, à notre époque actuelle. Et alors?