Joseph a écrit :Spinoza soutient que Descartes a tort de croire au caractère "formellement infini" de la volonté qui réside, selon Descartes, dans la capacité que nous avons d'affirmer ou de nier n'importe quelle idée, quel que soit son contenu. Il répond à cette théorie dans la réponse à la troisième objection cartésienne possible qu'il évoque dans le scolie de la proposition 49 et il écrit:
Citation:
Je nie absolument que nous ayons besoin d'autant de puissance de penser pour affirmer qu'est vrai ce qui est vrai, que pour affirmer qu'est vrai ce qui est faux."
Spinoza, conre Descartes, entend penser la volonté "in concreto", et non abstraitement, c'est en nominaliste qu'il poursuit:
Citation:
c'est tout à fait le moment de noter que nous nous trompons facilement quand nous confondons les universels avec les singuliers, et les êtres de raison et abstraits avec les choses réelles."
Autrement dit affirmer une erreur est une impuissance et n'est en rien quelque chose de positif, affirmer le vrai est puissance puisque c'est dire le réel.
je ne crois pas qu'on puisse déduire des passages cités qu'il soit possible d'affirmer une erreur. Ce que Spinoza y dit, c'est qu'une fois que nous voyons qu'une idée est vraie, il nous est tout à fait impossible de la nier. Exemple: pour l'instant, il est vrai qu'il fait nuit à Nancy. On pourra s'imaginer que pour l'instant, le soleil brille à Nancy, mais on ne pourra jamais l'affirmer réellement. On n'a pas de "choix", en ce qui concerne la vérité ou la négation, dès qu'il s'agit de choses réelles.
Puis n'oublions pas que savoir que telle ou telle idée contient une erreur n'est possible que du point de vue du deuxième genre de connaissance. Affirmer que l'idée x contient une erreur, c'est avoir une idée y ayant cette idée x comme objet, l'idée y étant adéquate, car elle constitue la compréhension de l'erreur d'adhérer à x. Si donc affirmation d'une erreur il y a, il s'agit d'une puissance, d'une idée vraie qui vient de découvrir l'erreur. L'affirmation enveloppée dans une idée qui est une imagination, ne contient aucune erreur en tant que telle.
Joseph a écrit :Nous nous trompons donc, selon Spinoza, lorsque nous imaginons avec Descartes que la volonté est infinie par le seul fait que nous pouvons imaginer affirmer ou nier n'importe quelle idée
En effet, on peut s'imaginer qu'il est dans notre pouvoir d'affirmer ou de nier n'importe quelle idée, mais en réalité, il n'en est rien. Je ne pourrai jamais nier que pour l'instant je suis en train d'écrire un message, par exemple.
Joseph a écrit :J'essaie maintenant de savoir si cette théorie est vraie. Je ne nie pas son caractère original, percutant, intéressant de par ses conséquences éthiques. Je veux juste examiner si cette théorie de la volonté - comme non réellement distincte de l'affirmation et de la négation - est vraie, c'est-à-dire correspond à ce que l'on expérimente de l'affirmation et de la négation aussi bien dans l'expérience quotidienne que dans les preuves abstraites de la logique et des mathématiques.
j'avoue que ce procédé, en philosophie, me semble être douteux. L'homme est un animal sensible aux idées, disait déjà Platon. Raison pour laquelle on avait besoin de philosophie: sans elle, il est difficile de prendre conscience des idées qui déterminent habituellement toutes nos expériences, de s'en distancier, et d'en expérimenter de toutes nouvelles.
On peut donc sans problème prendre notre idée quotidienne de la négation, que l'on retrouvera de toute façon spontanément déjà dans notre façon de concevoir les preuves de la logique, puis voir dans quelle mesure ce que différents philosophes proposent comme CONCEPT de la négation y correspond. Très souvent, on constatera que non, il n'y a pas de correspondance. Or en quoi cette non correspondance entre l'une conception de la négation (celle que nous utilisons spontanément, parce que, dirait Spinoza, la "rencontre fortuite avec la nature" nous a déterminé à concevoir de telle ou telle façon le mot "négation" (E2P18 sc, E2P40 sc I) et l'autre (celle inventée par tel ou tel philosophe, parce qu'il en avait besoin dans sa façon de repenser notre façon de concevoir les choses) pourrait-elle attester de la "vérité" ou fausseté de l'une ou l'autre conception?
Joseph a écrit :Il est intéressant, et rare en philosophie, d'arriver à la conclusion qu'une théorie est fausse. Or en dépit de toute l'admiration que j'ai pour la beauté de l'Ethique et de la philosophie de Spinoza en général, je crois qu'il n'est pas très difficile de montrer sur ce point que la théorie spinoziste de la volonté comme non distincte de l'entendement est une théorie fausse au sens où elle est incapabe de rendre compte de certaines expériences cruciales de la volonté et de l'usage logique et théorique de la négation.
qu'est-ce qui te fait penser que la philosophie voudrait rendre compte de nos expériences cruciales, au lieu de nous inviter à faire de toutes nouvelles expériences? Certes, une partie de la philosophie analytique prétend faire cela, mais ce genre d'exercices est fort récent, comparé aux 2500 années de pratique philosophique, et j'avoue ne pas être convaincu de la possibilité d'une telle recherche.
Joseph a écrit :Dans le Scolie de la proposition 49, Spinoza, contrairement à Leibniz, et de façon je crois plus convaincante et plus juste que Leibniz, accepte la conclusion du paradoxe de l'âne de Buridan: il accepte l'idée que des idées opposées et de forces équivalentes produisent une indécision qui peut être mortelle. Ainsi peut-on expliquer l'acte de celui qui se pend, ou comment l'on devient fou, etc. Je crois en effet que l'on ne peut pas écarter l'indifférence comme le plus bas degré de la volonté libre sans du même coup accepter la conséquence que nous montre le paradoxe de l'âne de Buridan. Mais là où Spinoza fait une erreur d'observation pardonnable, puisqu'il n'a je crois jamais eu d'enfants, est qu'il met sur le même niveau les enfants, les fous, celui qui se pend, etc. Or il est remarquable que l'enfant apprend à un moment de son développement, l'usage du "non", sans qu'il associe au "non" qu'il exprime une idée précise. Cela vient du fait que la négation est plus un acte qu'une idée: nier c'est faire quelque chose, c'est refuser, c'est dire qu'une idée est fausse, c'est se distinguer dans une relation ou un groupe, etc. Bien entendu, pour Spinoza toute idée est aussi un acte, "les idées ne sont pas comme des peintures muettes sur un mur", dit-il encore contre Descartes. Mais en disant cela, on s'interdit de faire la distinction cartésienne entre les représentations, et les opérations sur les représentations.
je crois que d'un point de vue spinoziste, un enfant qui dit non sans nier quelque chose de précis, ne fait que tester l'effet de la prononciation de ce mot (qu'il prononce par simple imitation) sur les personnes qui l'entourent. Il comprendra vite que juste dire "non", sans plus, provoquera la question : "ok mais QU'EST-CE QUE tu ne veux pas?". Sans cette question, la négation n'a aucun sens. Il faut donc bel et bien nier telle ou telle idée, avant que la négation constitue un véritable acte au sens stricte du mot (avant que nier devienne une cause capable de produire un effet).
Si par "représentation" tu entends "idée": je ne vois pas comment Spinoza ne les distinguerait pas. Comme déjà dit, les opérations sur les idées consistent pour lui à les comparer entre elles pour voir en quoi elles se conviennent, diffèrent ou s'opposent. Seulement, comparer, c'est de nouveau former une idée, idée qui com-prend les deux idées comparées.
Joseph a écrit :Enfin le plus embarrassant, comme j'ai tenté de le dire précedemment, est que la théorie spinoziste de la volonté rend incompréhensible tous les usages que Spinoza fait de la démonstration par l'absurde. Car si l'on ne pouvait distinguer l'affirmation ou la négation de l'idée qui est niée ou affirmée, s'il la distinction n'était pas réelle, alors nous ne pourrions pas non plus distinguer entre l'idée (la représentation) et l'idée vraie ou l'idée démontrée, ni entre la représentation et l'idée fausse ou l'idée réfutée. Or comme le montre un bon nombre de démonstration de l'Ethique (voir entre autres la preuve de la prop. 13 de l'Ethique 1), Spinoza opère une négation de la proposition P pour montrer que la négation conduit à l'absurde, montrant ainsi la validité de P.
à mon avis tu remets sur un seul niveau ce qui chez Spinoza en constitue deux, comme j'ai essayé de le montrer dans mon message précédent. Supposer que la négation de P est possible, ce n'est pas suspendre la vérité de P, pour considérer P en tant qu'idée "neutre", pour ensuite y accoler à volonté le caractère "vrai" ou "faux". Il faut toujours nier QUELQUE CHOSE de quelque chose. Voir mon exemple de l'E1P11: on va supposer qu'on nie que l'essence de Dieu enveloppe l'existence nécessaire. C'est nier que X enveloppe Y, autrement dit, c'est nier l'idée Y de X, ou concevoir les deux idées comme s'opposant, pour ensuite les examiner de plus près, et constater qu'une autre idée s'oppose à cette opposition.
Joseph a écrit : La logique élémentaire des énoncés présente la négation comme un opérateur sur les énoncés et c'est un sol tellement bétonné que la théorie spinoziste de la volonté se brise dessus. C'est une remarque "à la Quine", et je suis convaincu que c'est une remarque pertinente.
je dirais plutôt qu'une certaine PHILOSOPHIE de la logique conçoit ainsi la logique. Philosophie anglo-américaine, en effet. Car c'est exactement en ces termes que Russell décide de caractériser le monisme versus le pluralisme, et de s'opposer au monisme (voir notamment le chapitre 5 de l'
Histoire de mes idées philosophiques). Ainsi le monisme concevrait-il les rapports comme étant internes aux termes qu'ils relient, là où le pluralisme se caractériserait par une extériorité des relations par rapport aux termes. Concevoir la négation comme extérieure aux idées qu'elle met en rapport, c'est adopter un atomisme philosophique en logique. Cette attitude me semble être fort intéressante, mais je ne vois pas comment dire qu'elle serait "plus vraie" que le monisme, pour lequel aucune relation n'est concevable hors les termes/choses reliées par elle?