volonté et entendement: un problème logique

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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jvidal
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volonté et entendement: un problème logique

Messagepar jvidal » 04 juil. 2008, 16:04

Bonjour à tous les participants,

Je poste ici une idée que j'ai depuis longtemps au sujet du système de Spinoza
"Volonté et entendement sont une seule et même chose". La volonté, dit Spinoza, n'est rien en dehors de l'idée:
Dans l'esprit, il n'y a aucune volition, autrement dit aucune affirmation et négation, à part celle qu'enveloppe l'idée, en tant qu'elle est idée.

(Ethique 2, proposition 49).

Si l'on est cohérent avec une telle affirmation, cela signifie que la négation n'est qu'une abstraction illusoire si on la considère indépendamment de toute idée. La négation en dehors d'une idée singulière donnée est une illusion qui est de même nature que l'illusion du libre arbitre.

Ma question est: cette thèse spinoziste est-elle vraie? Si oui, alors:

(1) aucun usage de la négation abstraite ne doit correspondre à une expérience qui soit capable de prouver une idée.

(2) on ne doit pas non plus pouvoir comprendre la négation indépendamment de l'idée singulière.

Or il est facile de voir que les conséquences (1) et (2) sont fausses. La logique mathémaitique formelle présente la négation comme un opérateur qui change la valeur de vérité de l'énoncé. Soit un énoncé p, si p est vrai, alors non-p est faux, et si p est faux, alors non-p est vrai. Ce point est d'importance parce qu'il est au principe de la réduction à l'absurde, méthode chère à Spinoza: pour prouver la vérité de A, on nie A et l'on tente d'en dériver une absurdité, ce qui prouve que A est valide. On ne peut pas comprendre la réduction à l'absurde si l'on considère que la négation n'est pas un opérateur, c'est-à-dire une opération de l'esprit que l'on peut concevoir indépendamment d'une idée singulière donnée et qui peut s'appliquer à n'importe quelle idée. Le problème de la théorie de Spinoza, c'est qu'elle est en contradiction avec une des méthodes de démonstration qu'il emploie dans l'Ethique, à de très nombreuses reprises.

Le fait est que la méthode de réduction à l'absurde est une méthode claire et distincte de démonstration qui fait usage de la négation comme un opérateur abstrait. Le fait est que l'on comprend parfaitement ce qu'est la négation en dehors de l'idée singulière.

La théorie de Spinoza sur ce point est intéressante et provoquante, mais manifestement fausse, parce qu'elle ne correspond ni à notre usage intuitif de la négation, ni à la manière dont on décrit l'usage logique de celle-ci.

Par avance, merci de vos réactions.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 04 juil. 2008, 22:23

Le fait est que l'on comprend parfaitement ce qu'est la négation en dehors de l'idée singulière.


je ne vois pas bien l'objet de votre critique .

Il me semble qu' affirmer on nier n'a de sens que de quelque chose ( une idée par exemple )
Vous dites de quelqu'un "il affirmait ", c'est compréhensible s'il affirmait quelque chose .( à la limite il n'affirmait rien , ce qui est encore un objet de l'affirmation )

Comme vous le dîtes :
"""c'est-à-dire une opération de l'esprit que l'on peut concevoir indépendamment d'une idée singulière donnée et qui peut s'appliquer à n'importe quelle idée.""

On ne peut évacuer qu 'elle doive s 'appliquer .

Si c'est une règle elle est a même à chaque fois et elle existe dans l'acte à chaque fois .

Maintenant vous avez une idée générale de cette règle comme vous avez une idée générale de la cabaléité ce qui ne veut pas dire que la cabaléité existe .

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Louisa
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Messagepar Louisa » 04 juil. 2008, 23:04

Bonjour jvidal, et bienvenue sur ce forum!

jvidal a écrit :Si l'on est cohérent avec une telle affirmation, cela signifie que la négation n'est qu'une abstraction illusoire si on la considère indépendamment de toute idée. La négation en dehors d'une idée singulière donnée est une illusion qui est de même nature que l'illusion du libre arbitre.

Ma question est: cette thèse spinoziste est-elle vraie? Si oui, alors:

(1) aucun usage de la négation abstraite ne doit correspondre à une expérience qui soit capable de prouver une idée.

(2) on ne doit pas non plus pouvoir comprendre la négation indépendamment de l'idée singulière.


Peut-être que quelque chose d'essentiel m'a échappé, mais de prime abord j'avoue ne pas voir où se trouve le problème. Je m'explique.

A mon sens, Spinoza nous invite à concevoir la négation ainsi: nier une chose A d'une chose B, c'est dire que A et B sont de nature contraire (niveau logique), ou que ces deux choses ne peuvent se trouver dans un seul et même sujet (niveau ontologique) (voir E3P5).

Comment peut-on savoir qu'A et B s'excluent mutuellement? Par une opération rationelle, celle-ci consistant, dans le spinozisme, à comparer plusieurs choses/idées afin de comprendre "en quoi ces choses se conviennent, diffèrent ou s'opposent" (E2P29sc).

Prenons par exemple la démonstration de l'E1P11, qui contient une de ces multiples reductiones ad absurdum: "Si tu le nies, conçois, si c'est possible, que Dieu n'existe pas. Donc son essence n'enveloppe pas l'existence. Or cela est absurde: Donc Dieu existe nécessairement".

En quoi cette démo consiste-t-elle? Il s'agit de concevoir la possibilité que Dieu n'existe pas. On va donc produire dans notre Esprit une idée qui nie l'existence (A) de Dieu (B). Si l'on tente d'y voir plus clair, il faut essayer de penser ensemble, dans une seule et même idée, l'idée que l'essence de Dieu n'enveloppe pas l'existence nécessaire, et l'idée de Dieu, substance qui est cause de soi, c'est-à-dire dont l'essence enveloppe nécessairement l'existence. Il est facile de voir qu'effectivement, les idées A et B s'opposent, sont contraires l'une à l'autre.

Or que venons-nous de faire plus précisément? Nous avons formé une troisième idée, C, qui, pour pouvoir comparer l'idée A et l'idée B, en fait l'objet d'une seule et même idée C. On constate immédiatement que cette idée C est une idée absurde, puisque A exclut B et inversement. C'est pourquoi il faut nier A de B. Autrement dit: l'idée qui affirme l'existence nécessaire de Dieu est vraie, l'idée qui nie cette existence nécessaire est fausse. L'idée C, qui compare A et B, enveloppe négation.

Autrement dit: je ne vois effectivement pas comment penser une négation proprement spinoziste sans qu'il n'y ait une idée qui l'enveloppe.

Ton problème vient peut-être du fait que tu considères que nier P, ou dire que P n'est pas vraie, ce serait former une idée "simple". D'un point de vue spinoziste, en revanche, l'idée qui nie la vérité de P, compare deux idées: l'idée de la vérité, et l'idée de P. Cette idée qui compare les deux, constate une opposition, donc enveloppe négation.

jvidal a écrit :La théorie spinoziste de la volonté est manifestement fausse, parce qu'elle ne correspond ni à notre usage intuitif de la négation, ni à la manière dont on décrit l'usage logique de celle-ci.


Qu'un concept philosophique ne correspond pas à une idée qui pré-existe à son invention me semble être plutôt la règle que l'exception. Je ne vois même pas très bien comment sans cela la philosophie pourrait être possible. La philosophie n'a pas à "ratifier" notre usage intuitif des idées, elle a à nous présenter d'autres idées, des idées nouvelles.

Puis je ne crois pas que la manière dont Spinoza nous invite à penser la négation s'oppose à ce qui se passe en logique. Il s'agit simplement de la concevoir autrement que ce qu'on proposé certaines autres philosophes, dès qu'il s'agit de faire de la négation non pas seulement une opération logique mais aussi l'objet d'un concept philosophique (tout comme différentes philosophes ont proposé différents concept de la vérité, sans pour autant s'opposer aux vérités purement logiques), non?
Cordialement,
L.

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bardamu
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Re: volonté et entendement: un problème logique

Messagepar bardamu » 04 juil. 2008, 23:49

jvidal a écrit :La logique mathémaitique formelle présente la négation comme un opérateur qui change la valeur de vérité de l'énoncé. Soit un énoncé p, si p est vrai, alors non-p est faux, et si p est faux, alors non-p est vrai
(...) On ne peut pas comprendre la réduction à l'absurde si l'on considère que la négation n'est pas un opérateur, c'est-à-dire une opération de l'esprit que l'on peut concevoir indépendamment d'une idée singulière donnée et qui peut s'appliquer à n'importe quelle idée. (...)

Bonjour,
a priori, tu te laisses abuser par le vocabulaire. Spinoza ne nie pas l'usage de la négation en tant qu'opérateur, il ne fait que re-qualifier son mode de fonctionnement.

Je verrais 2 questions :
1- dans la proposition que tu cites, Spinoza utilise "négation" plus ou moins au sens de disjonction d'ensembles, c'est-à-dire que la négation est, en gros, la délimitation d'un ensemble excluant le reste : A "nie" B, C, D etc.
La proposition signifie qu'une idée étant donnée, elle pose elle-même son contenu (affirmation) et sa limite (négation), qu'affirmation et négation sont à entendre dans un sens existentiel et pas dans un sens de faculté externe qui jugerait cette idée pour dire "j'approuve" ou "je désapprouve".
L'idée se pose d'elle-même.

2- dans le raisonnement par l'absurde, il s'agit de la question du tiers-exclu, c'est-à-dire de l'adoption d'une logique bivalente, de la disjonction des possibilités en seulement 2 ensembles, l'un recevant tel ou tel qualificatif (vrai, raisonnable, réel...) et l'autre son contraire (faux, déraisonnable, imaginaire...).
L'idée fausse va nier l'idée vraie comme l'idée vraie va nier l'idée fausse.

En d'autres termes, qu'elle soit vraie ou fausse, une idée s'affirme comme elle est et "nie" ce qu'elle n'est pas, et dans le cas d'un raisonnement par l'absurde on détermine 2 ensembles d'idées exclusifs, l'un par des définitions et ce qui en résulte et l'autre par hypothèses contradictoires et ce qui en résulte d'où la possibilité ensuite de qualifier l'un de "vrai" et l'autre de "faux".
Les hypothèses contradictoires et ce qui en résulte s'affirment comme elles sont et "nient" ce qu'elles ne sont pas mais elles passent d'un statut hypothétique à celui de "fiction utile" dès lors qu'on constate leur incohérence intrinsèque ou leur incompatibilité avec ce qu'on a posé comme vrai par définition.

Quelques références :

E1p8 scolie 1 : Le fini étant au fond la négation partielle de l'existence d'une nature donnée ...

E3p3 scolie : l'esprit qu'en tant qu'il a en soi quelque chose qui enveloppe une négation, en d'autres termes, qu'en tant qu'il est une partie de la nature

E3p11 scolie : je dois expliquer ici avec plus de clarté la Propos. l0, partie
3, afin qu'on comprenne plus aisément comment une idée est contraire à une autre idée. (...) la véritable cause (par la Propos. 8, partie 2), c'est une idée qui exclut l'existence de notre corps, et par suite de notre esprit, idée qui, en conséquence, est contraire à celle qui constitue l'essence de notre esprit.

---------
Au passage, sa manière de concevoir la négation, c'est-à-dire comme une sorte d'affirmation de différence, laisse une ouverture vers d'autres logiques que les logiques bivalentes. Logiques modales, floue, linéaire, quantique... il y a d'autres manières de formaliser que le oui/non.

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Messagepar jvidal » 05 juil. 2008, 00:13

Merci pour ces réactions qui vont m'aider, je l'espère, à préciser ma critique.
Spinoza soutient que Descartes a tort de croire au caractère "formellement infini" de la volonté qui réside, selon Descartes, dans la capacité que nous avons d'affirmer ou de nier n'importe quelle idée, quel que soit son contenu. Il répond à cette théorie dans la réponse à la troisième objection cartésienne possible qu'il évoque dans le scolie de la proposition 49 et il écrit:
Je nie absolument que nous ayons besoin d'autant de puissance de penser pour affirmer qu'est vrai ce qui est vrai, que pour affirmer qu'est vrai ce qui est faux."

Spinoza, conre Descartes, entend penser la volonté "in concreto", et non abstraitement, c'est en nominaliste qu'il poursuit:
c'est tout à fait le moment de noter que nous nous trompons facilement quand nous confondons les universels avec les singuliers, et les êtres de raison et abstraits avec les choses réelles."

Autrement dit affirmer une erreur est une impuissance et n'est en rien quelque chose de positif, affirmer le vrai est puissance puisque c'est dire le réel. Nous nous trompons donc, selon Spinoza, lorsque nous imaginons avec Descartes que la volonté est infinie par le seul fait que nous pouvons imaginer affirmer ou nier n'importe quelle idée, car les volontés réelles particulières ne sont rien d'autre que les idées qui se développent nécessairement dans le réel, avec la même nécessité que celle qui existent dans la géométrie (voire l'exemple qu'il prend pour la démonstration de la proposition 49.). Je crois avoir fidèlement exprimé la position spinoziste et la critique qu'il fait de la théorie cartésienne. J'essaie maintenant de savoir si cette théorie est vraie. Je ne nie pas son caractère original, percutant, intéressant de par ses conséquences éthiques. Je veux juste examiner si cette théorie de la volonté - comme non réellement distincte de l'affirmation et de la négation - est vraie, c'est-à-dire correspond à ce que l'on expérimente de l'affirmation et de la négation aussi bien dans l'expérience quotidienne que dans les preuves abstraites de la logique et des mathématiques.

Il est intéressant, et rare en philosophie, d'arriver à la conclusion qu'une théorie est fausse. Or en dépit de toute l'admiration que j'ai pour la beauté de l'Ethique et de la philosophie de Spinoza en général, je crois qu'il n'est pas très difficile de montrer sur ce point que la théorie spinoziste de la volonté comme non distincte de l'entendement est une théorie fausse au sens où elle est incapabe de rendre compte de certaines expériences cruciales de la volonté et de l'usage logique et théorique de la négation.

Dans le Scolie de la proposition 49, Spinoza, contrairement à Leibniz, et de façon je crois plus convaincante et plus juste que Leibniz, accepte la conclusion du paradoxe de l'âne de Buridan: il accepte l'idée que des idées opposées et de forces équivalentes produisent une indécision qui peut être mortelle. Ainsi peut-on expliquer l'acte de celui qui se pend, ou comment l'on devient fou, etc. Je crois en effet que l'on ne peut pas écarter l'indifférence comme le plus bas degré de la volonté libre sans du même coup accepter la conséquence que nous montre le paradoxe de l'âne de Buridan. Mais là où Spinoza fait une erreur d'observation pardonnable, puisqu'il n'a je crois jamais eu d'enfants, est qu'il met sur le même niveau les enfants, les fous, celui qui se pend, etc. Or il est remarquable que l'enfant apprend à un moment de son développement, l'usage du "non", sans qu'il associe au "non" qu'il exprime une idée précise. Cela vient du fait que la négation est plus un acte qu'une idée: nier c'est faire quelque chose, c'est refuser, c'est dire qu'une idée est fausse, c'est se distinguer dans une relation ou un groupe, etc. Bien entendu, pour Spinoza toute idée est aussi un acte, "les idées ne sont pas comme des peintures muettes sur un mur", dit-il encore contre Descartes. Mais en disant cela, on s'interdit de faire la distinction cartésienne entre les représentations, et les opérations sur les représentations.
Enfin le plus embarrassant, comme j'ai tenté de le dire précedemment, est que la théorie spinoziste de la volonté rend incompréhensible tous les usages que Spinoza fait de la démonstration par l'absurde. Car si l'on ne pouvait distinguer l'affirmation ou la négation de l'idée qui est niée ou affirmée, s'il la distinction n'était pas réelle, alors nous ne pourrions pas non plus distinguer entre l'idée (la représentation) et l'idée vraie ou l'idée démontrée, ni entre la représentation et l'idée fausse ou l'idée réfutée. Or comme le montre un bon nombre de démonstration de l'Ethique (voir entre autres la preuve de la prop. 13 de l'Ethique 1), Spinoza opère une négation de la proposition P pour montrer que la négation conduit à l'absurde, montrant ainsi la validité de P.

Pour finir et en réponse à Baradamu particulièrement: Non, la méthode de réduction à l'absurde n'est pas strictement réservée aux logiciens classiques qui acceptent la bivalence, car les intuitionnistes la conservent également, en l'affaiblissant cependant puisque la réductoin à l'absurde de la thèse non-p réfute non-p et donc prouve non-non p qui n'est pas équivalent à p. Mais cela montre encore, que la négation est bien un opérateur, et qu'elle est dissociable de l'idée. Ceci répond aussi à l'issue vers d'autres logiques, qui est une fausse porte de sortie pour le problème qui se pose à un spinoziste authentique: toutes les logiques distinguent les énoncés élémentaires et les préfixes que l'on adosse à ces énoncés: le possible et le nécessaire, l'appartenance floue, etc. D'une façon générale je ne vois pas comment un logicien, quelle que soit ses options en logique, pourrait accepter l'idée spinoziste d'une indissociabilité réelle de la négation et de l'idée. La logique élémentaire des énoncés présente la négation comme un opérateur sur les énoncés et c'est un sol tellement bétonné que la théorie spinoziste de la volonté se brise dessus. C'est une remarque "à la Quine", et je suis convaincu que c'est une remarque pertinente.

Joseph ( auparavant " jvidal")

PS: si je laisse ma signature, c'est juste pour me présenter et uniquement pour cette raison. J'aurais dû le faire avant, mais je n'ai que mal maîtrisé les possiblités de ce forum.
Joseph Vidal-Rosset
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Messagepar jvidal » 05 juil. 2008, 00:29

Encore en réponse à Bardamu. Tu écris:
Spinoza ne nie pas l'usage de la négation en tant qu'opérateur, il ne fait que re-qualifier son mode de fonctionnement.

Si tel était le cas, alors la critique du libre arbitre cartésien n'aurait aucun sens, car le propre d'un opérateur, c'est qu'on peut le faire opérer librement, indifféremment, sur n'importe quel énoncé. Spinoza conteste l'idée que la volonté soit en réalité dissociable de l'idée puisqu'elle est un mode de la pensée et uniquement un mode (non une faculté autonome ou libre). Or un opérateur est réellement distinct d'un énoncé. Grammaticalement parlant il y a une distinction entre un énoncé, et la négation de cet énoncé, ou entre une phrase, et une phrase à la forme négative. Et la grammaire est quelque chose qui exprime une réalité, même pour un nominaliste comme Spinoza.

Je soutiens que sur cette question diffcile, la théorie de Descartes est plus simple, plus juste, plus éclairante que la théorie de Spinoza. D'où l'avatar que j'ai choisi. Je ne suis pas cartésien sur tous les sujets, mais sur celui-ci particulièrement je pense que Descartes apporte plus que Spinoza, et ce n'est pas de la provocation. :) Nous pourrons en discuter plus tard. Sur ce, je vais me coucher.... à bientôt.

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Messagepar Louisa » 05 juil. 2008, 01:02

Joseph a écrit :Spinoza soutient que Descartes a tort de croire au caractère "formellement infini" de la volonté qui réside, selon Descartes, dans la capacité que nous avons d'affirmer ou de nier n'importe quelle idée, quel que soit son contenu. Il répond à cette théorie dans la réponse à la troisième objection cartésienne possible qu'il évoque dans le scolie de la proposition 49 et il écrit:
Citation:
Je nie absolument que nous ayons besoin d'autant de puissance de penser pour affirmer qu'est vrai ce qui est vrai, que pour affirmer qu'est vrai ce qui est faux."

Spinoza, conre Descartes, entend penser la volonté "in concreto", et non abstraitement, c'est en nominaliste qu'il poursuit:
Citation:
c'est tout à fait le moment de noter que nous nous trompons facilement quand nous confondons les universels avec les singuliers, et les êtres de raison et abstraits avec les choses réelles."

Autrement dit affirmer une erreur est une impuissance et n'est en rien quelque chose de positif, affirmer le vrai est puissance puisque c'est dire le réel.


je ne crois pas qu'on puisse déduire des passages cités qu'il soit possible d'affirmer une erreur. Ce que Spinoza y dit, c'est qu'une fois que nous voyons qu'une idée est vraie, il nous est tout à fait impossible de la nier. Exemple: pour l'instant, il est vrai qu'il fait nuit à Nancy. On pourra s'imaginer que pour l'instant, le soleil brille à Nancy, mais on ne pourra jamais l'affirmer réellement. On n'a pas de "choix", en ce qui concerne la vérité ou la négation, dès qu'il s'agit de choses réelles.

Puis n'oublions pas que savoir que telle ou telle idée contient une erreur n'est possible que du point de vue du deuxième genre de connaissance. Affirmer que l'idée x contient une erreur, c'est avoir une idée y ayant cette idée x comme objet, l'idée y étant adéquate, car elle constitue la compréhension de l'erreur d'adhérer à x. Si donc affirmation d'une erreur il y a, il s'agit d'une puissance, d'une idée vraie qui vient de découvrir l'erreur. L'affirmation enveloppée dans une idée qui est une imagination, ne contient aucune erreur en tant que telle.

Joseph a écrit :Nous nous trompons donc, selon Spinoza, lorsque nous imaginons avec Descartes que la volonté est infinie par le seul fait que nous pouvons imaginer affirmer ou nier n'importe quelle idée


En effet, on peut s'imaginer qu'il est dans notre pouvoir d'affirmer ou de nier n'importe quelle idée, mais en réalité, il n'en est rien. Je ne pourrai jamais nier que pour l'instant je suis en train d'écrire un message, par exemple.

Joseph a écrit :J'essaie maintenant de savoir si cette théorie est vraie. Je ne nie pas son caractère original, percutant, intéressant de par ses conséquences éthiques. Je veux juste examiner si cette théorie de la volonté - comme non réellement distincte de l'affirmation et de la négation - est vraie, c'est-à-dire correspond à ce que l'on expérimente de l'affirmation et de la négation aussi bien dans l'expérience quotidienne que dans les preuves abstraites de la logique et des mathématiques.


j'avoue que ce procédé, en philosophie, me semble être douteux. L'homme est un animal sensible aux idées, disait déjà Platon. Raison pour laquelle on avait besoin de philosophie: sans elle, il est difficile de prendre conscience des idées qui déterminent habituellement toutes nos expériences, de s'en distancier, et d'en expérimenter de toutes nouvelles.

On peut donc sans problème prendre notre idée quotidienne de la négation, que l'on retrouvera de toute façon spontanément déjà dans notre façon de concevoir les preuves de la logique, puis voir dans quelle mesure ce que différents philosophes proposent comme CONCEPT de la négation y correspond. Très souvent, on constatera que non, il n'y a pas de correspondance. Or en quoi cette non correspondance entre l'une conception de la négation (celle que nous utilisons spontanément, parce que, dirait Spinoza, la "rencontre fortuite avec la nature" nous a déterminé à concevoir de telle ou telle façon le mot "négation" (E2P18 sc, E2P40 sc I) et l'autre (celle inventée par tel ou tel philosophe, parce qu'il en avait besoin dans sa façon de repenser notre façon de concevoir les choses) pourrait-elle attester de la "vérité" ou fausseté de l'une ou l'autre conception?

Joseph a écrit :Il est intéressant, et rare en philosophie, d'arriver à la conclusion qu'une théorie est fausse. Or en dépit de toute l'admiration que j'ai pour la beauté de l'Ethique et de la philosophie de Spinoza en général, je crois qu'il n'est pas très difficile de montrer sur ce point que la théorie spinoziste de la volonté comme non distincte de l'entendement est une théorie fausse au sens où elle est incapabe de rendre compte de certaines expériences cruciales de la volonté et de l'usage logique et théorique de la négation.


qu'est-ce qui te fait penser que la philosophie voudrait rendre compte de nos expériences cruciales, au lieu de nous inviter à faire de toutes nouvelles expériences? Certes, une partie de la philosophie analytique prétend faire cela, mais ce genre d'exercices est fort récent, comparé aux 2500 années de pratique philosophique, et j'avoue ne pas être convaincu de la possibilité d'une telle recherche.

Joseph a écrit :Dans le Scolie de la proposition 49, Spinoza, contrairement à Leibniz, et de façon je crois plus convaincante et plus juste que Leibniz, accepte la conclusion du paradoxe de l'âne de Buridan: il accepte l'idée que des idées opposées et de forces équivalentes produisent une indécision qui peut être mortelle. Ainsi peut-on expliquer l'acte de celui qui se pend, ou comment l'on devient fou, etc. Je crois en effet que l'on ne peut pas écarter l'indifférence comme le plus bas degré de la volonté libre sans du même coup accepter la conséquence que nous montre le paradoxe de l'âne de Buridan. Mais là où Spinoza fait une erreur d'observation pardonnable, puisqu'il n'a je crois jamais eu d'enfants, est qu'il met sur le même niveau les enfants, les fous, celui qui se pend, etc. Or il est remarquable que l'enfant apprend à un moment de son développement, l'usage du "non", sans qu'il associe au "non" qu'il exprime une idée précise. Cela vient du fait que la négation est plus un acte qu'une idée: nier c'est faire quelque chose, c'est refuser, c'est dire qu'une idée est fausse, c'est se distinguer dans une relation ou un groupe, etc. Bien entendu, pour Spinoza toute idée est aussi un acte, "les idées ne sont pas comme des peintures muettes sur un mur", dit-il encore contre Descartes. Mais en disant cela, on s'interdit de faire la distinction cartésienne entre les représentations, et les opérations sur les représentations.


je crois que d'un point de vue spinoziste, un enfant qui dit non sans nier quelque chose de précis, ne fait que tester l'effet de la prononciation de ce mot (qu'il prononce par simple imitation) sur les personnes qui l'entourent. Il comprendra vite que juste dire "non", sans plus, provoquera la question : "ok mais QU'EST-CE QUE tu ne veux pas?". Sans cette question, la négation n'a aucun sens. Il faut donc bel et bien nier telle ou telle idée, avant que la négation constitue un véritable acte au sens stricte du mot (avant que nier devienne une cause capable de produire un effet).

Si par "représentation" tu entends "idée": je ne vois pas comment Spinoza ne les distinguerait pas. Comme déjà dit, les opérations sur les idées consistent pour lui à les comparer entre elles pour voir en quoi elles se conviennent, diffèrent ou s'opposent. Seulement, comparer, c'est de nouveau former une idée, idée qui com-prend les deux idées comparées.

Joseph a écrit :Enfin le plus embarrassant, comme j'ai tenté de le dire précedemment, est que la théorie spinoziste de la volonté rend incompréhensible tous les usages que Spinoza fait de la démonstration par l'absurde. Car si l'on ne pouvait distinguer l'affirmation ou la négation de l'idée qui est niée ou affirmée, s'il la distinction n'était pas réelle, alors nous ne pourrions pas non plus distinguer entre l'idée (la représentation) et l'idée vraie ou l'idée démontrée, ni entre la représentation et l'idée fausse ou l'idée réfutée. Or comme le montre un bon nombre de démonstration de l'Ethique (voir entre autres la preuve de la prop. 13 de l'Ethique 1), Spinoza opère une négation de la proposition P pour montrer que la négation conduit à l'absurde, montrant ainsi la validité de P.


à mon avis tu remets sur un seul niveau ce qui chez Spinoza en constitue deux, comme j'ai essayé de le montrer dans mon message précédent. Supposer que la négation de P est possible, ce n'est pas suspendre la vérité de P, pour considérer P en tant qu'idée "neutre", pour ensuite y accoler à volonté le caractère "vrai" ou "faux". Il faut toujours nier QUELQUE CHOSE de quelque chose. Voir mon exemple de l'E1P11: on va supposer qu'on nie que l'essence de Dieu enveloppe l'existence nécessaire. C'est nier que X enveloppe Y, autrement dit, c'est nier l'idée Y de X, ou concevoir les deux idées comme s'opposant, pour ensuite les examiner de plus près, et constater qu'une autre idée s'oppose à cette opposition.

Joseph a écrit : La logique élémentaire des énoncés présente la négation comme un opérateur sur les énoncés et c'est un sol tellement bétonné que la théorie spinoziste de la volonté se brise dessus. C'est une remarque "à la Quine", et je suis convaincu que c'est une remarque pertinente.


je dirais plutôt qu'une certaine PHILOSOPHIE de la logique conçoit ainsi la logique. Philosophie anglo-américaine, en effet. Car c'est exactement en ces termes que Russell décide de caractériser le monisme versus le pluralisme, et de s'opposer au monisme (voir notamment le chapitre 5 de l' Histoire de mes idées philosophiques). Ainsi le monisme concevrait-il les rapports comme étant internes aux termes qu'ils relient, là où le pluralisme se caractériserait par une extériorité des relations par rapport aux termes. Concevoir la négation comme extérieure aux idées qu'elle met en rapport, c'est adopter un atomisme philosophique en logique. Cette attitude me semble être fort intéressante, mais je ne vois pas comment dire qu'elle serait "plus vraie" que le monisme, pour lequel aucune relation n'est concevable hors les termes/choses reliées par elle?

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Messagepar Louisa » 05 juil. 2008, 01:19

Joseph a écrit :Or un opérateur est réellement distinct d'un énoncé. Grammaticalement parlant il y a une distinction entre un énoncé, et la négation de cet énoncé, ou entre une phrase, et une phrase à la forme négative. Et la grammaire est quelque chose qui exprime une réalité, même pour un nominaliste comme Spinoza.


idem: poser la thèse qu'un opérateur est réellement distinct d'un énoncé, c'est proposer l'idée que la relation soit externe aux termes, ce qui correspond à la façon dont Russell caractérise le monisme (typologique qui effectivement se base sur une certaine philosophie du langage). On peut préférer être un pluraliste, au sens russellien du terme, mais je ne vois pas comment on pourrait rendre cette position purement philosophique plus ou moins "vraie" qu'une autre position philosophique (en l'occurrence: le monisme).

Puis pour Spinoza, le langage n'est qu'un mouvement corporel, il n'est qu'IMAGES, c'est-à-dire affections du Corps. Se baser sur la façon dont ces images s'enchaînent dans l'imagination pour créer une théorie vraie de quoi que ce soit (la grammaire étant parmi ce genre de "liens associatifs" entre images), c'est non pas confondre les idées avec des peintures muettes, mais confondre les idées et les mots, les unes étant des modes de l'attribut de la Pensée, les autres des modes de l'attribut de l'Etendue. Une idée adéquate, justement, se défait de toute "association" de ce genre, pour passer à un autre type de liens: convenance, différence, opposition.
Bonne nuit,
louisa

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Re: volonté et entendement: un problème logique

Messagepar Faun » 05 juil. 2008, 01:29

jvidal a écrit :Si l'on est cohérent avec une telle affirmation, cela signifie que la négation n'est qu'une abstraction illusoire si on la considère indépendamment de toute idée. La négation en dehors d'une idée singulière donnée est une illusion qui est de même nature que l'illusion du libre arbitre.


La négation en effet n'existe pas, même si on la cherche dans un idée singulière réelle. Mais je ne saisis pas bien comment vous passez de cette affirmation, que la négation n'est rien, à ces deux idées :

(1) aucun usage de la négation abstraite ne doit correspondre à une expérience qui soit capable de prouver une idée.

(2) on ne doit pas non plus pouvoir comprendre la négation indépendamment de l'idée singulière.



Pour ce que vous dites des enfants, vous confondez la négation avec l'aversion, me semble-t-il. L'aversion se rapporte au désir et non à l'intellect. C'est un affect.

Pour ce que vous dites concernant la prop. 13 de la partie 1, je n'y vois aucune négation. Spinoza y examine deux idées, c'est-à-dire qu'il affirme deux idées, mais compte tenu des autres idées qu'il a en même temps dans son esprit (la prop. 5 et la prop. 11), ces deux idées se détruisent elles-mêmes, elles sont impossibles. Il en conclut qu'elles n'existent pas, qu'elles sont imaginaires ou fausses, absurdes. Ce n'est pas Spinoza qui les nie à l'aide d'une faculté qui serait distincte des idées, ce sont les autres idées qui s'affirment dans son intellect qui repoussent ces deux idées. Il n'y a donc pas de faculté intellectuelle qui opère des affirmations et des négations, il n'y a que des idées qui s'affirment, et d'autres qui sont niées ou détruites par celles qui s'affirment, tout simplement parce qu'elles n'existent pas et n'ont jamais existé ailleurs que dans l'imagination.

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Messagepar bardamu » 06 juil. 2008, 04:43

jvidal a écrit :(...)
Autrement dit affirmer une erreur est une impuissance et n'est en rien quelque chose de positif, affirmer le vrai est puissance puisque c'est dire le réel. Nous nous trompons donc, selon Spinoza, lorsque nous imaginons avec Descartes que la volonté est infinie par le seul fait que nous pouvons imaginer affirmer ou nier n'importe quelle idée, car les volontés réelles particulières ne sont rien d'autre que les idées qui se développent nécessairement dans le réel, avec la même nécessité que celle qui existent dans la géométrie (voire l'exemple qu'il prend pour la démonstration de la proposition 49.). Je crois avoir fidèlement exprimé la position spinoziste et la critique qu'il fait de la théorie cartésienne. J'essaie maintenant de savoir si cette théorie est vraie.(...)

Bonjour Joseph,
Au lieu de dire "affirmer une erreur est une impuissance et n'est en rien quelque chose de positif", je pense qu'il vaut mieux dire : "une idée fausse affirme une moindre puissance qu'une idée vraie, le faux n'étant rien de positif". Affirmer est toujours une puissance même si il s'agit d'une affirmation fausse (cf E2 Prop. 17 scolie pour l'imagination en tant que puissance).

Je profite d'une phrase de Louisa qui me semble une mauvaise perception du problème pour exprimer mes vues.
La phrase de Louisa : "Je ne pourrai jamais nier que pour l'instant je suis en train d'écrire un message, par exemple".
L'absurdité de la négation "sémantique" du fait n'impliquerait pas l'absurdité de sa négation syntaxique, mais le point important me semble que la négation syntaxique sera tout simplement l'affirmation d'une autre idée selon une sorte d'opérateur de symétrie lequel n'a pas de privilège particulier.
P : "j'écris un message"
non-P : "je n'ecris pas un message", selon une négation "classique"
non-P : "j'écris une suite de mots", selon une différenciation sur "message"
etc.

En d'autres termes, l'affirmation d'une chose déterminée est d'emblée la "négation" ou la différenciation de toute autre idée. En ce sens, il devient effectivement difficile d'en faire un opérateur au sens logique "classique" mais c'est normal puisqu'en l'occurrence l'énoncé est lui-même opérant, que la détermination d'une idée particulière est une "négation", une exclusion d'idées incompatibles.

Est-ce que cela interdit un raisonnement par l'absurde ou de manière plus générale comment se détermine une valeur de vérité entre propositions ?

La pensée est animée de conflits d'idées et la vérité s'échelonne en degrés de puissance/connaissance. Quand s'affirme l'idée que le Soleil est à plus de 600 diamètres terrestre, elle renvoie au statut d'"erreur" celle produite par l'imagination selon laquelle le Soleil est à 200 pieds.
Elle le fait parce qu'elle est plus solide, enchainée à toute une série de preuves. Il s'agit moins de se placer en position de juge entre 2 représentations pour voir si elles correspondent à leur objet (comment le connaîtrait-on hors des représentations ?) que d'entrer dans le mécanisme de production immanent qui fait que de l'idée de Dieu découlent objectivement ce qui découlent formellement de ses attributs.
Les raisonnements par l'absurde, comme les autres, sont essentiellement des procédures de mise en confrontation d'idées faisant émerger des preuves ou des incohérences, des forces ou des faiblesses. Une idée hypothétique incapable de découler d'une idée assurée sort de l'"arbre de preuve" pour aller dans celui des êtres de raisons, des êtres d'imagination etc.

Comme dit le scolie :
Percevoir un cheval ailé, qu'est-ce autre chose en effet qu'affirmer de ce cheval qu'il a des ailes ? Car enfin si l'âme ne percevait rien de plus que ce cheval ailé, elle le verrait comme présent, sans avoir aucune raison de douter de son existence, ni aucune puissance de refuser son assentiment ; et les choses ne peuvent se passer autrement, à moins que cette représentation d'un cheval ailé ne soit associée à une idée qui exprime qu'un tel cheval n'existe pas ; en d'autres termes, à moins que l'âme ne comprenne que l'idée qu'elle se forme d'un cheval ailé est une idée inadéquate ; et alors elle devra nécessairement nier l'existence de ce cheval ailé, ou la mettre en doute.

Preuve : percevoir un cheval ailé, puissance de l'imagination
Contre-preuve : idée exprimant l'incompatibilité physique (ou de définition) entre ailes et cheval
Conclusion : le cheval ailé est un être de fiction (puissance faible)

Pour tout dire, de ce que je connais de logique formelle, c'est le travail de J-.Y. Girard sur la logique linéaire et la ludique, qui me semble le plus proche de l'état d'esprit de Spinoza, même si Girard souffre d'allergie au sub specie aeternitatis.
Leur rapprochement me semble assez naturel dès lors que Spinoza a mis en place un "automate spirituel" universel et que les idées de Girard sont liées à la théorie de la démonstration et à l'informatique.

Girard va vers un "géométrisme" d'emblée positif (plan où les choses s'exposent), sort de l'infini ensembliste "statique" pour un infini dynamique, plus algorithmique, il abandonne l'opposition syntaxe/sémantique (preuve/interprétation) pour une construction immanente d'une géométrie de preuves (preuve/contre-preuve), on ne multiplie plus des sémantiques au petit bonheur la chance pour tenter de coller au réel mais on observe le déploiement de structures par des confrontations interactives concrètes entre processus (hypothèses, discussions...) et, notamment, la négation n'est pas une simple inversion de valeurs de vérité mais l'échange de positions dans une dynamique interactive : entrée/sortie pour une interprétation informatique de la logique linéaire, proposant/opposant dans les confrontations de la Ludique.

Les critères de vérité sont du côté de l'efficience, de l'opérativité d'un processus, de la conclusion au terme de l'interaction.

Quelques références :
La logique comme géométrie du cognitif
Introduction à la Ludique et applications à la Pragmatique
page d'articles de Girard
avec pour les courageux Locus solum, from the rules of logic to the logic of rules

Ceci pour dire qu'on peut sans doute concevoir une logique formelle dissociant d'une part la négation en tant que propriété de détermination d'un élément d'énoncé, et la négation en tant que rôle d'opposition dans un processus de preuve.
D'un côté, la négation est la limitation du vrai/réel par rapport au vrai/réel absolu qu'est Dieu, de l'autre elle joue un rôle positif de mise en confrontation de ce qui a été délimité pour en tester les forces.

Mais bon, n'étant ni logicien, ni mathématicien, et malgré quelques maigres efforts, je suis loin de pouvoir montrer un tel système formel collant à ma lecture de Spinoza.

Concernant l'affirmation d'un "non" par les enfants, il est chez Spinoza, impossible qu'elle ne corresponde pas à une idée à moins qu'on ne veuille voir dans ce "non" qu'un mode de l'étendue, c'est-à-dire quelque chose à décrire du simple point de vue d'une mécanique sonore. Au demeurant, je dirais que l'idée qu'apprend l'enfant c'est celle du "moi", le commencement de la détermination de soi par distinction des autres.

Fabien

P.S. : par défaut, je tutoies sur les forums mais j'adopte le vouvoiement pour qui veut.


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