bardamu a écrit :... chacun, en tant que mode particulier, vit dans son temps et dans son lieu, dans sa relation propre aux autres modes particuliers, et c'est chacun qui dans sa vie même est "instrument" de production de ce que la Nature produit en elle-même notamment l'entendement infini.
Je suis bien d'accord. Mais 1) Les modes particuliers ne sont pas en soi mais en Dieu, ils sont impermanents et interdépendants ; ce sont des phénomènes. 2) L'entendement infini appartient à Dieu. Ce qui appartient "en propre" à l'homme et qui vaut vraiment, ce sont les idées claires et distinctes, les seules - entières et non tronquées - à pouvoir à proprement parler être dites faire partie de l'entendement infini. Une question cruciale, chez Spinoza comme en réalité, c'est de ne se baser que sur les idées claires et distinctes (pas de réaffirmer la psyché commune, faite pour beaucoup d'imagination.) Spinoza nous en donne le cheminement : le raisonnement sur la base des notions communes, sublimé en science intuitive. Et ce raisonnement, qui dégage l'essentiel, ne porte pas sur les choses singulières en tant que singulières. Il ne les gomme pas comme telles, mais c'est après seulement, de l'ordre de la cerise sur le gâteau. Si l'on commence par focaliser sur les cerises, on n'a jamais le gâteau...
Peut-être me trompé-je, mais ce qui me dérange nettement dans ce que tu dis est que tu me sembles faire des choses singulières des formes substantielles, comme si elles avaient un être en soi, alors qu'elles ont un être en autre chose et qu'elles sont changeantes, et tu plaques Dieu là-dessus. Tu sembles dire que le commun est de prendre les choses en général, alors que pour moi le commun c'est de prendre les choses comme réellement particulières, différentes. C'est de voir les choses comme séparées (et aussi comme changeantes d'ailleurs, car c'est une évidence.) C'est en-deçà de la science, pas au-delà.
Parce que moi je n'ai aucun problème avec la richesse de la Nature, bien au contraire, cette grande variété qui montre - et encore forcément partiellement - l'étendue de sa puissance.
Ce qui est très rare de mon point de vue, ce n'est pas de voir du particulier en tout, c'est de voir tout comme simple mode, manière d'expression, incarnation, de la Substance en mouvement éternelle. Aucun ego n'est compatible avec cela. Aucun. Cela c'est rarissime, au delà des déclarations.
bardamu a écrit :L'entendement infini, il se construit aussi aujourd'hui par la compréhension aujourd'hui de ce qu'hier Spinoza ne pouvait connaître.
Là, c'est pour le commun.
Mon avis : L'entendement infini est éternel. Tout ce qui est attribué à la Science n'est pas intuitif. Je ne vois pas que la science moderne ait recalé Spinoza, au contraire. En matière de Psychologie, tout a été dit depuis longtemps quelque part ; c'est la science la plus ancienne. Les développements récents n'y changent rien.
bardamu a écrit :Pour le singulier, on ne peut pas, pour moi, prétendre à la sagesse quand on ne sait pas voir Pierre ou Paul comme une personne et plutôt qu'un cas particulier d'Homme en général, quand on ne voit pas que l'essentiel chez lui est ce qui fait son caractère unique sans référence nécessaire à une certaine idée de l'Homme.
Tu ne me prends pas pour un abruti au moins ? Bien sûr qu'en première instance je ne vois que des cas particuliers, comme n'importe qui sur cette Terre. Mais ce que je vois de mieux en mieux et qui est rare et précieux, c'est ce que j'ai décrit plus haut, et que nous indique Spinoza. Ce qui est évident, c'est la différence et la séparation ; ce qui ne l'est pas c'est la communauté d'être et l'éternité qui va avec. Par ailleurs, la singularité me semble plus tenir dans l'imagination qui a cumulé les circonstances si variables d'une vie que dans la perception des lois éternelles de la Nature.
bardamu a écrit :Si le biologiste ou le médecin peuvent s'intéresser à quelqu'un comme à un homo sapiens parmi d'autre parce que leur pratique est basée sur le commun, la relation éthique exige pour moi une attention particulière au singulier. Au nom de "bons principes", on peut facilement se voir investi de la mission de changer l'autre pour le faire aller vers sa propre idée de l'"Homme accompli"
Les lois sont éternelles, les circonstances particulières. Il faut faire avec les deux ; c'est cela la science. Qu'est-ce qui est éternel et accessible - autant que possible - à l'homme ? Les lois. Et la béatitude est une loi , celle de la puissance, celle de la science intuitive de l'ordre hiérarchisé de la Nature. Il ne s'agit de forcer personne, mais d'atteindre la sagesse. La Tradition multi-millénaire est là pour dire que les lois de la sagesse sont uniques, et
in fine, c'est-à-dire, dans l'état de sagesse, les circonstances sont indifférentes, ou presque. Il n'y a aucun prosélytisme là-dedans. Il n'y a pas de sagesse à la carte, c'est tout. Le problème n'est pas de voir qu'autant de tête, autant d'avis ; c'est de la première évidence. Il s'agit de vivre selon la sagesse, qui est précieuse autant que rare.
bardamu a écrit :Connaître différemment, n'est pas pour moi connaître les "mêmes choses".
Nous avons déjà abordé ce point. Dans l'exemple de la proportion, il s'agit de connaitre la même chose : le quatrième chiffre qui soit au troisième comme le second au premier. C'est cela que j'entends et rien de plus. Nous sommes bien d'accord que le connaître change avec la qualité de la connaissance ; c'est une lapalissade.
bardamu a écrit :Le 3e genre annule notamment le processus successif d'exposition, celui qui va des attributs à Dieu ou des attributs aux modes.
C'est ce que j'ai dit moi-même. Il annule le successif, mais pas le processus (d'où le "procède" dans la définition du troisième genre de Spinoza.) Dieu est toujours présent. Toujours.
bardamu a écrit :C'est là que je vois la différence éthique : être concentré sur des propriétés générales et en chercher des cas particuliers, ou être concentré sur la réalité concrète et y voir des propriétés générales mais aussi singulières (4/2 n'est pas 8/4 même si les deux rapports donnent 2).
Reste à montrer qu'on peut avoir une idée claire et distincte des propriétés "singulières"... Sinon, pour l'exemple, 8/4, 4/2 et 2 c'est exactement la même chose en Mathématique.
bardamu a écrit :Au cas où ça n'aurait pas été clair : il ne s'agit pas pour moi de dire qu'il faut partir du singulier pour fonder Dieu, il s'agit pour moi de dire que c'est en un seul concept, d'un seul coup, que l'Un et le Multiple sont Dieu, que la Communauté et la Singularité sont Dieu, unique multiplicité ou communauté de singularités.
Alors d'accord. Sachant que l'important c'est Dieu ; le détail c'est le détail, pas l'essentiel. Encore une fois, la goutte qui fait distinguer une vague de la suivante ne saurait être plus qu'une goutte pour cette raison. Et en outre que Dieu est d'abord infini, ensuite en Mouvement, et ensuite multiple. Sans ôter une étape.
bardamu a écrit :Par exemple, dans le souci du détail, je remarque que dans la sélection (ta sélection ?)
Non. Le tri sélectif c'est fréquent, mais ce n'est pas mon style. Je ne peux pas voir tous les sens (et encore moins ceux qui ne s'y trouvent pas) de toutes les formulations de toutes les oeuvres de Spinoza à l'occasion d'un post...
bardamu a écrit : ... il manque E5p29 et son scolie, ainsi que E5p30.
C'est pourtant important : Notre âme, en tant qu'elle connaît son corps et soi-même sous le caractère de l'éternité, possède nécessairement la connaissance de Dieu, et sait qu'elle est en Dieu et est conçue par Dieu.
J'ai déjà cité le premier vis-à-vis du sujet qui nous occupe, et les deux vont parfaitement dans le sens de mon interprétation. A partir du moment où je rapporte les choses à Dieu, je connais Dieu (comme cause de tout.) La démonstration est claire ; elle reste très générale. Il s'agit de "connaître sous le caractère de l'éternité" ; sinon pourquoi ajouter "sous le caractère de l'éternité", "connaître" suffirait dans ton interprétation. J'ai l'impression que tu l'as gommé, et qu'encore une fois tu places le singulier d'abord, et qu'ensuite tu plaques Dieu dessus...
bardamu a écrit :Les définitions que Spinoza donne des affects, la manière dont il mène son étude anthropologique, traduisent sa propre sensibilité et on peut sans grande conséquence en diverger.
Mais non : Spinoza énonce des lois générales, et ce sont les circonstances qui changent, outre les petites particularités de l'essence propre (non circonstancielle ; ne relevant pas de la remémoration / l'imagination) de chacun.
bardamu a écrit :Crois-tu alors que le mariage n'est raisonnable que si il est "accompagné du désir d'avoir des enfants" (E4 appendice chap. XX) ? Un couple ne peut se former raisonnablement sans ce désir ?
Un couple de sages ; car c'est de cela dont nous parlons, pas du lot commun. Oui, même s'il y a des contextes différents d'époque, je crois que Spinoza est dans le vrai. Une vision large de la vie saine implique de désirer des enfants si l'on choisit de s'unir. Participer à la propagation de la vie ; les éduquer pour en faire des êtres sages et bons. La sexualité uniquement pour la sexualité, au-delà d'être une expérience comme une multitude d'autres, c'est quand-même une perversion de la pulsion de propagation. Paul Diel dit d'ailleurs exactement la même chose. Mais bon, ce n'est pas l'essentiel de l'
Ethique, quand-même.
bardamu a écrit :Alors pourquoi Spinoza précise que les notions communes sont insuffisante pour la détermination d'essences singulières ?
Parce que c'est vrai, et qu'il ne se soucie pas du détail.
bardamu a écrit :... je dirais que c'est la partie mineure l'essentiel puisque c'est ce qui détermine l'essence singulière.
Une notion commune pourrait être : l'essence est dans les détails.
Voilà parfaitement résumée toute l'étendue de nos divergences.
bardamu a écrit :... tu connais la morale de l'histoire : "comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare."
Je la connais, et je la constate en permanence dans les faits. Ce n'est pas en s'asseyant sur l'
Ethique, ni en la lisant 101 fois qu'on peut se sortir de l'erreur. Celle-ci a son
conatus aussi...
bardamu a écrit :Je ne doute pas que se préoccuper principalement de ce qui est communément vu comme éternel soit apaisant, mais je doute que ce soit le stade ultime de ce que propose Spinoza.
Pour moi, la question n'est pas du tout de savoir si l'on est au stade ultime ou pas : il y a de l'ego qui transpire partout, ce qui montre que la détermination de toute chose n'est même pas assimilée intuitivement. L'enjeu, à part pour quelques rares individus, c'est encore de se sortir tant soit peu du vulgaire...
bardamu a écrit :Pour ma part, je suis sur la 2e option, je ne suis pas très confiant quand on me promet la Lune et je préfère la considérer comme une de ces choses que tout le monde voit mais que personne n'habite, ne vit.
Moi je crois que pour la voir vraiment il faut l'habiter, et que tout simplement les locataires sont rares... Le problème ce n'est pas de passer à l'enseignement ultime du Vajrayana, non. Juste de pénétrer réellement la trame de l'
Ethique ; vraiment...
Serge
Connais-toi toi-même.