un exercice philosophique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar Louisa » 16 juil. 2008, 14:36

Faun a écrit :Je pense que vous avez une vision statique de l'éternité des essences, donc des essences elles-mêmes, qui me parait davantage baudelairienne que spinoziste. Les essences sont dynamiques, changeantes, mutantes, ce sont des modifications. Seule l'essence de la substance est immuable.


les essences peuvent certes "changer", puisqu'elles se définissent par un degré de puissance, et qu'une affection de Joie augmente la puissance. Mais justement, la question est de savoir comment ces changements seraient possibles/concevables HORS TEMPS.

Pour l'instant, je suis en train d'explorer la piste qui postule que non, un changement hors temps n'est pas concevable dans le spinozisme. Tout changement prend du temps. Dans ce cas les modifications des attributs (les modes) qui constituent les essences des choses singulières, se font et sont défaites, mais uniquement dans le temps. En Dieu en revanche, tout est donné en une fois éternellement, Dieu n'a pas besoin de temps pour exercer sa puissance. Dieu produit une infinité d'effets d'un seul coup (d'où l'idée de puissance infinie). De même, là où l'intellect humain a besoin de temps pour penser à un maximum de choses, l'intellect de Dieu embrasse tout uno intuitu. Cela ne rend pas l'univers divin "statique", puisque pour être statique, il faut de nouveau du temps (il faut une permanence dans le temps; tout comme cela ne rend pas les essences des modes immortelles, puisque pour l'immortalité aussi, il faut du temps). Cela nous met plutôt devant l'énigme d'une production infinie mais instantanée, ou plutôt, sans nécessiter le temps.
L.

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Messagepar Louisa » 16 juil. 2008, 15:24

Durtal a écrit:
La durée n'est qu'une façon de concevoir abstraitement l'éternité, ou l'existence.

Louisa a écrit:
à mon sens CONCEVOIR LES CHOSES d'un point de vue de la durée, c'est non pas concevoir l'éternité abstraitement, c'est concevoir la réalité abstraitement.

Durtal:
Bah si... Parce que l'éternité est, je pense, l'essence de la réalité, c'est à dire la façon d'être d'une chose nécessaire. Mais peu importe.


à mon sens l'éternité caractérise une existence, et est une propriété d'une essence. Toute essence singulière étant un degré de puissance, elle est aussi un degré de réalité. Mais on ne va pas dire qu'elle est un "degré d'éternité". Par conséquent, éternité et réalité ne sont pas exactement la même chose.

Louisa a écrit:
Les points de vue sont des points de vue sur une seule et même chose, et non pas sur d'autres points de vue. On ne peut pas concevoir l'éternité du point de vue de la durée, puisque par définition l'éternité est hors temps, tu vois?

Durtal:
heu...non...je ne vois pas. Et je ne comprends même pas pourquoi tu dis ça . C'est sans doute à cause du "raccourci" éternité/ réalité. Mais c'est pas grave : disons "réalité" si ça te convient mieux.


je le dis parce que tu viens de dire que "la durée n'est qu'une façon de concevoir abstraitement l'éternité". Or il me semble que chez Spinoza, on peut concevoir les choses ou bien d'un point de vue de l'éternité, ou bien du point de vue de la durée.

Tout comme on peut concevoir un homme ou bien d'un point de vue de l'attribut de l'Etendue, ou bien du point de vue de l'attribut de la Pensée. Mais on ne peut pas concevoir un mode (ou attribut) spirituel du point de vue d'un autre mode (ou attribut), corporel par exemple, parce que pour concevoir quelque chose d'un certain point de vue, il faut que la chose et le point de vue aient quelque chose en commun. Il faut que le concept de l'un puisse envelopper le concept de l'autre. Or le concept d'un attribut n'enveloppe nullement le concept d'un autre attribut. C'est pourquoi il est impossible de considérer l'esprit du point de vue du corps, par exemple.

De même, la durée et l'éternité sont deux points de vue différents sur une seule et même chose. Cela veut dire que l'on ne peut pas considérer la durée du point de vue de l'éternité, ou l'éternité du point de vue de la durée. Ce qu'on peut considérer selon différents points de vue, c'est toujours une chose. Jamais un autre point de vue.

Spinoza dit bel et bien que lorsque nous concevons l'existence d'une chose du point de vue de la durée, nous la concevons abstraitement. Mais il y ajoute immédiatement ce que cela veut dire: nous concevons alors l'existence comme une espère de quantité. Cela ne signifie pas que nous concevons l'éternité abstraitement! Concevoir la chose d'un point de vue de l'éternité, c'est concevoir son existence non plus comme une espèce de quantité, mais comme une partie de la puissance infinie de Dieu. L'existence en tant que quantité est une existence dans le temps, avec un début et une fin. L'existence en tant que degré de puissance est une existence dans l'éternité, où il n'y a ni début ni fin NI durée.

Durée et éternité sont donc deux points de vue sur une seule et même chose. La durée n'est pas un point de vue sur l'éternité. Le point de vue de la durée ne conçoit pas l'éternité abstraitement, mais l'existence abstraitement. Ce point de vue de la durée étant néanmoins ce qui caractérise les modes, je ne crois pas que l'on puisse l'écarter du spinozisme quand il s'agit de comprendre un mode tel qu'une notion commune.

Durtal a écrit:
Et donc ce qui existe dans le temps à plus forte raison existe dans l'éternité. Si nous sommes éternels alors nous le sommes par définition toujours.

Louisa a écrit:
c'est dire que l'éternité implique la sempiternité. Spinoza rejette explicitement cette idée dans sa définition même de l'éternité, tout au début de l'E1.

Durtal:
Et non…Encore une fois, si tu lis bien ce que j’écris, tu t’apercevra que je fais exactement l’implication inverse de celle que tu me prêtes.


tu dis: "si nous sommes éternels alors nos le sommes par définition toujours". Chez Spinoza, la définition de l'éternité comporte une "explication", où il nie explicitement la possibilité de dire que ce qui est éternel serait équivalent à ce qui est toujours.

Pour prendre un exemple plus concret: on sait que Spinoza dit que le sage est non pas celui qui a le plus d'idées adéquates de tous, mais celui dont la plus grande partie de son âme est constituée d'idées adéquates. Or Spinoza dit aussi que le bébé est fort ignorant, et qu'il a besoin de beaucoup de temps et d'instruction pour devenir adulte. Cela signifie que le sage ne naît pas sage. On DEVIENT sage. La sagesse est donc un phénomène qui se produit dans le temps. Spinoza y ajoute même que l'on peut se demander dans quelle mesure l'essence du bébé et l'essence de l'adulte sont une seule et même essence. Comment alors en conclure que la partie éternelle de notre Esprit, elle existe "toujours", c'est-à-dire elle serait permanente dans le temps?

Durtal a écrit : Une chose peut être éternelle sans exister dans le temps mais une chose qui existe dans le temps ne peut pas ne pas être aussi une chose éternelle. (c’est quand même le principe du salut chez Spinoza !!!!)


une idée inadéquate existe dans le temps. Est-elle aussi une chose éternelle? Non, car si c'était le cas, TOUT notre Esprit était éternel, et non seulement cette partie composée d'idées adéquates.

La servitude existe dans le temps. La mort existe dans le temps. Mais servitude et mort sont-elles éternelles? Ce serait absurde de le dire, non?

Il y a donc quelque chose de spécifique à la durée, que l'on ne retrouve pas du côté de l'éternité. A mon sens on ne peut pas éliminer cette spécificité quand on essaie de mieux comprendre ce que c'est qu'une notion commune.

Durtal a écrit:
"Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels ect..." et j'ajoute "Ici et maintenant" .

Louisa a écrit:
oui bien sûr, nous le sentons ici et maintenant. Cela signifie simplement que nous pouvons percevoir les choses d'un point de vue d'éternité, sachant que toute perception elle-même se fait dans le temps. Mais cela ne signifie pas encore que "la durée" peut "concevoir l'éternité", comme tu viens de le dire.

Durtal:
Non cela signifie que notre existence éternelle s’exprime lorsque nous faisons des démonstrations ou lorsque nous avons des idées adéquates des choses. Et bien sûr ce que nous concevons ainsi n’a aucun rapport au temps de quelque manière que ce soit.


pour moi c'est comme si tu admets qu'une pièce de monnaie ait deux côtés mais que tu ne veux pas regarder le côté face pour te concentrer uniquement sur le côté pile.

Car comment nier qu'il t'a bien fallu du temps, avant que tu as pu lire puis comprendre les démonstrations de la mathématique telles qu'on les apprend à l'école? Pour un homme, produire une idée adéquate, cela prend du temps. C'est bien pourquoi il faut un grand effort, et que beaucoup n'y arrivent pas.

Durtal a écrit : Car cela consiste précisément à percevoir les choses (nous mêmes et les autres choses) que nous comprenons habituellement sous le concept de la durée, sous une sorte d’éternité. Donc non pas à comprendre des choses différentes mais à comprendre les mêmes choses d’une façon différente, façon dans laquelle les concepts relatifs au temps, à « l’occurrence », à « l’événement » n’interviennent plus.


là-dessus nous sommes d'accord. Ce que j'y ajoute, et ce qui me semble être crucial d'un point de vue humain, c'est que le fait même de produire une conception d'une chose du point de vue de l'éternité, est un événement dans le temps. C'est cela le côté "pile" de l'affaire.


Durtal a écrit:
Que l'éternité ne soient pas la sempiternalité, ne veut pas dire que que notre existence se "dédouble" sur deux plans

Louisa a écrit:
si, cela veut dire qu'il y a, dans la façon dont nous pouvons concevoir les choses, un dédoublement. C'est de la même façon que Dieu se "dédouble" en une infinité d'attributs. Ce genre de dédoublement fait que nous pouvons concevoir les choses tantôt sous un point de vue, tantôt sous un autre, sachant que ces points de vue n'ont souvent rien en commun les uns avec les autres (c'est le cas pour les attributs, réellement distincts, mais aussi pour l'éternité et la durée, l'une ne se laissant pas du tout définir par ou retraduire en l'autre).

Durtal:
Qu’il y ait un dédoublement dans notre façon de concevoir les choses n’implique pas que la chose ainsi conçue se dédouble ( que cette chose soit Dieu ou l’existence). C’est toujours la même confusion que tu fais.
Que je sache, si je considère une même pièce de monnaie une fois coté pile et une fois coté face, je ne considère pas du même coup deux pièces de monnaies différentes ! Mais peut être que cela passe les limites de mon pauvre entendement.


:D
Désolée, mais de mon point de vue c'est plutôt toujours la même confusion que toi tu fais ... bien sûr, comme je dis depuis le début, côté pile et côté face sont deux aspects d'une seule et même chose, la pièce de monnaie. Ce que j'essaie de faire, c'est d'orienter ton regard vers le côté pile, tandis que tu ne me parles que du côté face, tu vois? Il ne s'agit pas de faire d'une seule et même CHOSE deux CHOSES, mais de reconnaître qu'une seule et même chose s'exprime de façon différentes. Quand tu nies cela, tu peux effectivement dire, comme tu l'as fait dans l'autre discussion, que le "corps c'est l'esprit". Mais c'est dire que le côté pile c'est le côté face, là où même un enfant sait reconnaître la différence pile-face, et que comme tu le sais, jamais le côté face d'une pièce deviendra le côté pile. C'est la même chose (mutatis mutandis) pour la durée et l'éternité: l'un n'enveloppe pas le concept de l'autre, on ne peut donc concevoir l'un du point de vue de l'autre (abstraitement ou non). Il s'agit de deux points de vue différents. Sur la même chose, bien sûr.
L.

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Messagepar Durtal » 16 juil. 2008, 15:31

A Louisa,


Louisa a écrit : ne pas être d'accord n'est pas la même chose que de ne pas lire attentivement.


Waitaminit':D . Autant que possible tachons d'éviter la mauvaise fois si le tu veux bien. Tu me disais que je venais de concéder qu'il y avait deux façons d'exister ce qui n'était pas le cas puisque je me contentais en suivant le scolie reproduit plus haut de répéter à la lettre ce qui y est dit, à savoir qu'il y a deux façon de concevoir l'existence. Tu assimiles "deux façons de concevoir l'existence" et "deux façons d'exister" c'est ton droit le plus strict. Mais je sais aussi quand même quelle genre de choses je dis, or en l'occurrence tu me faisais dire une chose que je n'avais pas écrite. Tu m'as mal lu ou mal interprété. C'est pas grave, je te le fais remarquer. Point.

Louisa a écrit :
Tentative de reformuler (toujours le même argument, auquel tu n'as toujours pas répondu; ce qui n'est pas un reproche):

comment pourrait-il y avoir deux façons de concevoir l'existence et seulement une façon d'exister???

S'il n'y a qu'une façon d'exister, et comme tu privilégies le point de vue de l'éternité, cela doit être, de ton point de vue, l'existence de l'essence en Dieu. Mais alors comment expliquer que chaque chose singulière a également une autre existence,


Petitio principi ma chère: tout ce que tu dis est que tu n'acceptes pas mon point de vue selon lequel il n'y a qu'une sorte d'existence et deux façon de la comprendre ( et j'ajoute en relation avec la dimension éthique de ces choses "de la vivre"). ça j'ai compris. Mais il est dans ce cas inopérant de m'objecter comme tu le fais: "comment se fait-il alors qu'il y ait deux existences? (ou une autre que celle là)". Parce que dans ces conditions, tu supposes ce qui est en question. Il faut trouver une objection qui soit indépendante des deux thèses en présence pour nous contraindre à consentir ou bien à l'une ou bien à l'autre. .

Je vais toutefois essayer de te répondre ( car c'est un problème difficile et j'aurais préféré ne pas être amené jusque là, mais tant pis)

Louisa a écrit : Mais alors comment expliquer que chaque chose singulière a également une autre existence qui quant à elle n'est pas du tout éternelle, mais a une durée tout à fait limitée dans le temps? Si tu ne considère que la façon d'exister en Dieu, tu ne peux plus penser le fait que l'homme est mortel. Dès lors, l'axiome de la 4e partie devient pour toi inconcevable. Mais c'est tomber dans le piège d'identifier éternité et immortalité ... .


Les choses singulières n'ont pas à proprement parler comme tu le dis "une durée tout à fait limitée dans le temps". Spinoza est très clair la dessus: l'essence d'une chose considérée simplement en elle même ne contient que ce qui pose l'existence de cette chose et par conséquent son essence doit être définie et conçue en dehors de toute relation à une durée quelconque. Ce qui termine une chose ce n'est pas que son essence contiendrait une "temps limité d'existence" c'est qu'il se trouve nécessairement une, (ou plusieurs choses agissant de concert) , qui développent une puissance supérieure à la sienne et qui défont ses propres rapports pour faire persévérer dans l'être les leurs propres.

Ce qui je pense répond à ta question sur la mortalité de l'homme laquelle s'explique non par l'essence singulière d'un homme, mais par le fait que cette essence n'est pas toute puissante et qu'elle ne peut pas, par conséquent, triompher de toutes les causes extérieures qui agissent sur elle, ni à l’inverse suffisamment puissante pour se faire exister elle même (c'est simplement que cette essence est éternelle certes, mais singulière et donc finie- faut quand même pas délirer- J). L’essence d’un être humain est une partie de l’essence de Dieu laquelle en comprend beaucoup d’autres qui la surpassent et la (dé)limitent. Ce qui correspond à la durée ou au « temps d’exister », c’est qu’un état général du monde se déduit de l’essence de Dieu qui engage cette essence à rentrer dans des réseaux de rapports déterminés avec d’autres essences de choses singulières (je nais par exemple) et qu’un autre état général du monde, fait que cette essence cesse d’entretenir ce réseau de rapports déterminés qu’elle avait avec les autres choses (Je meurs). Le réseau de rapports déterminés et spécifique qu’avait mon essence avec le reste des autres est défait parce qu’un piano m’est tombé dessus quand je traversais la rue = Un état du monde est produit dans lequel la compatibilité entre l’essence du piano et la mienne est exclue. Mon essence n’a plus le type de rapport avec les autres qu’elle avait, elle entre dans d’autres types de rapports et il peut même se faire par là ( au moins à titre « d’expérience de pensée ») que je « renaisse » c’est à dire que l’essence qui constitue mon individu se trouve à nouveau dans des rapports sinon identiques du moins semblables à ceux qui caractérisaient un état du monde antécédent, mais bien sûr je n’en pourrais rien savoir ! J

Bref « l’existence temporelle » n’est pas du tout incompatible avec l’éternité. Et d’une manière générale l’éternité sous-jacente à l’existence de toutes les choses singulières est saisissable par la compréhension des causes et des lois qui les produisent, parce que comprendre ça, c’est comprendre la puissance de Dieu et la façon dont elle opère de manière déterminée. C’est donc comprendre que la raison d’être de la chose finie consiste en ce qu’une réalité éternelle s’exprime par elle et en elle de telle et telle façon.


Louisa a écrit : Bref, pour moi tu opères sans cesse une réduction à un seul point de vue, celui de l'éternité. Ce faisant, c'est toute la deuxième, troisième et quatrième (voire cinquième) partie de l'Ethique qu'il faut abolir, car Spinoza y étudie systématiquement l'existence des choses singulières du point de vue de la durée.

Louisa a écrit : Du point de vue de l'éternité, encore une fois, les essences ne changent pas. Elles ne sont pas affectées. Il n'y a pas de "désir", pas de tendance à persévérer dans l'être, pas de Joie ni Tristesse, et donc pas servitude, pas de besoin de remède aux affects, pas de désir de liberté, et ainsi de suite. Car tout cela ne vaut que du point de vue de la durée.


Non je ne crois pas qu’il faille abolir les livres de l’éthique. Je pense au contraire que cette réduction à un unique point de vue est ce vers quoi tous ces livres nous conduisent progressivement en nous « prenant comme par la main ». En nous dégageant progressivement des idées inadéquates, des passions, de la conception des choses sous le rapport de la durée, de la contingence et de la corruptibilité, pour nous amener à comprendre et à vivre les choses : sub species aeternitatis. C’est à dire du point de vue de la réalité.
Du point de vue de l’éternité il y a une jouissance infinie d’exister, ou encore la béatitude. L’éternité est ce qui nous fait vivre de « la vie de Dieu ». Et je trouve le poème de Baudelaire rappelé à notre attention par Faun parfaitement bienvenue en manière de contrepoint. Je ne veux pas faire de lyrisme de pacotille mais ce n’est pas l’éternité « du cimetière », il s’agit d’ une éternité active et vivante, qui vit et qui agit de la vie et de la puissance même d’agir de Dieu.

Louisa a écrit : Autrement dit, en ne voyant que le caractère éternel de la notion commune, tu te situes que du point de vue de Dieu. Or à mon sens on ne sait pas comprendre ce que c'est qu'une notion commune si l'on n'y ajoute pas aussi un point de vue modal, et donc le point de vue de la durée. Il faudrait donc que tu démontres en quoi la notion commune n'a rien à voir avec le temps, l'affection etc, avant que je puisse être convaincue de la pertinence de ta conception des notions communes, tu vois?


La dessus je ne peux que te renvoyer à Spinoza lui même Louisa. Sérieusement prend la peine de le relire un peu. Si vraiment tu ne trouves rien je te ferais une sélection mais ce n’est pas très difficile. Il te faut prendre garde surtout à la caractérisation que Spinoza fait de la raison

D.

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Messagepar Louisa » 16 juil. 2008, 15:52

Louisa a écrit:
ne pas être d'accord n'est pas la même chose que de ne pas lire attentivement.

Durtal:
Waitaminit' . Autant que possible tachons d'éviter la mauvaise fois si le tu veux bien. Tu me disais que je venais de concéder qu'il y avait deux façons d'exister ce qui n'était pas le cas puisque je me contentais en suivant le scolie reproduit plus haut de répéter à la lettre ce qui y est dit, à savoir qu'il y a deux façon de concevoir l'existence. Tu assimiles "deux façons de concevoir l'existence" et "deux façons d'exister" c'est ton droit le plus strict. Mais je sais aussi quand même quelle genre de choses je dis, or en l'occurrence tu me faisais dire une chose que je n'avais pas écrite. Tu m'as mal lu ou mal interprété. C'est pas grave, je te le fais remarquer. Point.


entre-temps, tu as effectivement dit que pour toi "deux façons de concevoir l'existence" et "deux façons d'exister" n'est pas la même chose. Pour moi, ne pas identifier les deux est difficilement conciable avec le spinozisme. Par conséquent, il est évident que si tu ECRIS l'un, je ne vais pas spontanément penser que tu refuses l'autre.

C'est pourquoi à mon sens tu y vas trop vite quand tu supposes un manque d'attention ou une mauvaise foi. Tu sais bien sûr ce que toi tu PENSES quand tu DIS quelque chose. Mais avant d'avoir dit TOUT ce que tu penses, comment croire que ton interlocuteur le saurait déjà, surtout, comme je viens de le dire, quand en réalité pour l'instant nous pensons bel et bien différemment?

C'est pourquoi ce "conseil" spinoziste me semble être si efficace: celui de s'efforcer à ne jamais voir des "vices" chez l'autre (mauvaise foi, ne me lit pas, ...). Cela t'oblige à te concentrer maximalement sur la pensée de l'autre, au lieu de supposer qu'il pense déjà ce qu'on pense soi-même mais que par l'un ou l'autre "affect-passion" il fait encore semblant de ne pas être d'accord, préférant méchamment la discorde, ou cherchant la "victoire" plutôt que la vérité.

En ce qui concerne le sujet dont nous discutons pour l'instant, il y a des désaccords réels, tout simplement, et c'est bien plutôt cela qui à mes yeux n'est pas grave. Si je ne discute que des désaccords entre nous, ce n'est pas pour t'embêter, c'est parce que je ne vois pas l'intérêt de discuter de tout ce dont visiblement nous sommes déjà d'accord, puisque seul là où il y a réellement désaccord, je peux apprendre en discutant.
A bientôt pour la suite de ton message,
L.

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Messagepar Durtal » 16 juil. 2008, 16:08

Louisa a écrit :
Louisa a écrit:
ne pas être d'accord n'est pas la même chose que de ne pas lire attentivement.

Durtal:
Waitaminit' . Autant que possible tachons d'éviter la mauvaise fois si le tu veux bien. Tu me disais que je venais de concéder qu'il y avait deux façons d'exister ce qui n'était pas le cas puisque je me contentais en suivant le scolie reproduit plus haut de répéter à la lettre ce qui y est dit, à savoir qu'il y a deux façon de concevoir l'existence. Tu assimiles "deux façons de concevoir l'existence" et "deux façons d'exister" c'est ton droit le plus strict. Mais je sais aussi quand même quelle genre de choses je dis, or en l'occurrence tu me faisais dire une chose que je n'avais pas écrite. Tu m'as mal lu ou mal interprété. C'est pas grave, je te le fais remarquer. Point.


entre-temps, tu as effectivement dit que pour toi "deux façons de concevoir l'existence" et "deux façons d'exister" n'est pas la même chose. Pour moi, ne pas identifier les deux est difficilement conciable avec le spinozisme. Par conséquent, il est évident que si tu ECRIS l'un, je ne vais pas spontanément penser que tu refuses l'autre.

C'est pourquoi à mon sens tu y vas trop vite quand tu supposes un manque d'attention ou une mauvaise foi. Tu sais bien sûr ce que toi tu PENSES quand tu DIS quelque chose. Mais avant d'avoir dit TOUT ce que tu penses, comment croire que ton interlocuteur le saurait déjà, surtout, comme je viens de le dire, quand en réalité pour l'instant nous pensons bel et bien différemment?


Mais attends Louisa, remonte dans le post si tu veux. Bien avant ça j'ai fait la distinction entre "deux types différents d'existence" ( ton expression) et deux façons de les concevoir (celle de spinoza dans le Scolie) alors ça va quoi...

D.

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Messagepar Louisa » 16 juil. 2008, 16:17

Durtal a écrit :Bien avant ça j'ai fait la distinction entre "deux types différents d'existence" ( ton expression) et deux façons de les concevoir (celle de spinoza dans le Scolie) alors ça va quoi...


en effet. Je croyais donc qu'entre-temps, tu avais compris ton erreur (de ce qui est de mon point de vue actuel une erreur, bien sûr), et que tu ne distinguais plus les deux. C'est pour cette raison que je parlais d'oubli, dans le message en question. La seule conclusion adéquate à tirer de tout cela, c'est que nous n'avions pas encore tout à fait clairement exprimé ce qu'on pense, sinon ce genre de malentendu ne s'était pas produit. Voir la deuxième partie du scolie de l'E2P47.
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Messagepar Durtal » 16 juil. 2008, 17:19

Louisa,


Louisa a écrit : à mon sens l'éternité caractérise une existence, et est une propriété d'une essence. Toute essence singulière étant un degré de puissance, elle est aussi un degré de réalité. Mais on ne va pas dire qu'elle est un "degré d'éternité". Par conséquent, éternité et réalité ne sont pas exactement la même chose.


Non l'éternité caractérise l'existence de Dieu et de notre essence en tant qu'elle est une partie de la sienne. Dieu est l'essence de toute réalité ou la réalité même. Et c'est là tout ce que je voulais dire. Du reste je t'ai dit que peu importait cette question qui ne change rien à notre problème et que tu pouvais y substituer "réalité" sans que cela change rien pour moi (puisque par éternité je veux dire "réalité" justement). Alors pourquoi y revenir sur une une demi-page?

Louisa a écrit :De même, la durée et l'éternité sont deux points de vue différents sur une seule et même chose. Cela veut dire que l'on ne peut pas considérer la durée du point de vue de l'éternité, ou l'éternité du point de vue de la durée. Ce qu'on peut considérer selon différents points de vue, c'est toujours une chose. Jamais un autre point de vue.


Une des raisons qui me faisait faire ce raccourci c'est que ces deux points de vues ( au contraire de ce qui a lieu pour le modes ou la substance) ne sont pas symétriques. La durée est une conception abstraite de l'existence qui passe par des signes, des comparaisons effectuées par l'imagination et qui ne saisit pas la réalité dans son essence singulière. Alors que l'éternité est ce que nous saisissons lorsque nous comprenons l'existence des choses de façon singulière et réelle.


Durtal a écrit :
Et donc ce qui existe dans le temps à plus forte raison existe dans l'éternité. Si nous sommes éternels alors nous le sommes par définition toujours.


Louisa a écrit :
c'est dire que l'éternité implique la sempiternité. Spinoza rejette explicitement cette idée dans sa définition même de l'éternité, tout au début de l'E1.



Durtal a écrit ::
Et non…Encore une fois, si tu lis bien ce que j’écris, tu t’apercevra que je fais exactement l’implication inverse de celle que tu me prêtes.


Louisa a écrit : tu dis: "si nous sommes éternels alors nos le sommes par définition toujours". Chez Spinoza, la définition de l'éternité comporte une "explication", où il nie explicitement la possibilité de dire que ce qui est éternel serait équivalent à ce qui est toujours.


Ok, tu sautes sur le terme "définition" que j'aurais du éviter d'employer ici. Dans le contexte cela signifiait "trivialement" mais je retire "par définition" qui prête en effet à confusion. Toujours est-il que je ne dis pas que c'est la même chose. Au lieu de rester accrochée, comme une moule à son rocher à cette définition de E1 essaye plutôt de voir ce que la négation de ma proposition entraîne. En effet l'éternité ne se définit pas comme une "durée indéfinie", mais est-ce à dire pour autant qu'elle exclue la durée? C'est à toi de voir: Si une chose éternelle cesse de l'être du moment qu'elle dure, alors elle n'est plus éternelle ce qui est contre l'hypothèse. Donc l'éternité d'une chose n'exclut pas que cette chose dure.


Louisa a écrit :"Pour prendre un exemple plus concret: on sait que Spinoza dit que le sage est non pas celui qui a le plus d'idées adéquates de tous, mais celui dont la plus grande partie de son âme est constituée d'idées adéquates. Or Spinoza dit aussi que le bébé est fort ignorant, et qu'il a besoin de beaucoup de temps et d'instruction pour devenir adulte. Cela signifie que le sage ne naît pas sage. On DEVIENT sage. La sagesse est donc un phénomène qui se produit dans le temps. Spinoza y ajoute même que l'on peut se demander dans quelle mesure l'essence du bébé et l'essence de l'adulte sont une seule et même essence. Comment alors en conclure que la partie éternelle de notre Esprit, elle existe "toujours", c'est-à-dire elle serait permanente dans le temps?"


La sagesse n'a pas de rapport avec la question. Sinon tu es en train de me dire que l'on "devient éternel" ce qui est contre l'hypothèse ect.

Je ne dis pas que l'essence de l'esprit dure "toujours" je dis, encore une fois, que si notre essence est éternelle alors le fait que nous vivions dans le temps ne change pas ce fait et qu'elle est donc aussi pour cela éternelle "ici et maintenant" ou "actuellement".

Durtal a écrit : Une chose peut être éternelle sans exister dans le temps mais une chose qui existe dans le temps ne peut pas ne pas être aussi une chose éternelle. (c’est quand même le principe du salut chez Spinoza !!!!)



Louisa a écrit :une idée inadéquate existe dans le temps. Est-elle aussi une chose éternelle? Non, car si c'était le cas, TOUT notre Esprit était éternel, et non seulement cette partie composée d'idées adéquates.


Une idée inadéquate n'a qu'une existence relative à l'esprit humain donc une pseudo existence ( ce n'est qu'une dénomination extrinsèque): En fait il n'existe absolument parlant aucune idée inadéquate car toutes les idées sont en Dieu adéquates. Par conséquent toutes expriment son éternité. Pour expliquer pourquoi tout dans l'esprit humain n'est pas néanmoins pour cela éternel, je te renvoie à mon message précédent sur la question des rapports entre essences.

Louisa a écrit :Il y a donc quelque chose de spécifique à la durée, que l'on ne retrouve pas du côté de l'éternité. A mon sens on ne peut pas éliminer cette spécificité quand on essaie de mieux comprendre ce que c'est qu'une notion commune.


Je ne crois pas justement. Je pense au contraire que la conception des choses sous le concept de la durée est un effet des limitations de l'entendement humain. Dieu par exemple ne conçoit pas les choses ou lui même sous le concept de la durée.

Louisa a écrit : pour moi c'est comme si tu admets qu'une pièce de monnaie ait deux côtés mais que tu ne veux pas regarder le côté face pour te concentrer uniquement sur le côté pile.


Cet exemple avait une valeur générale, c'était simplement pour dire que je ne vois pas pourquoi on inférerait de ce que Spinoza dit qu'il y a deux façon de concevoir l'actualité des choses qu'il y a pour cela "deux types d'existences différentes".
Ensuite comme je l'ai expliqué plus haut, l'exemple de la pièce touche à ses limites en ce que les deux façons de concevoir marquent une dissymétrie. Il y "a un coté de la pièce" qui a plus de vérité que l'autre.

Louisa a écrit :Car comment nier qu'il t'a bien fallu du temps, avant que tu as pu lire puis comprendre les démonstrations de la mathématique telles qu'on les apprend à l'école? Pour un homme, produire une idée adéquate, cela prend du temps. C'est bien pourquoi il faut un grand effort, et que beaucoup n'y arrivent pas.


Même chose que plus haut cela n'a rien à voir avec la question. Il n'y a aucun sens à dire que l'on "devient" éternel ou qu'on est "un peu plus" éternel qu'auparavant.

Durtal a écrit : Car cela consiste précisément à percevoir les choses (nous mêmes et les autres choses) que nous comprenons habituellement sous le concept de la durée, sous une sorte d’éternité. Donc non pas à comprendre des choses différentes mais à comprendre les mêmes choses d’une façon différente, façon dans laquelle les concepts relatifs au temps, à « l’occurrence », à « l’événement » n’interviennent plus.


Louisa a écrit :là-dessus nous sommes d'accord. Ce que j'y ajoute, et ce qui me semble être crucial d'un point de vue humain, c'est que le fait même de produire une conception d'une chose du point de vue de l'éternité, est un événement dans le temps. C'est cela le côté "pile" de l'affaire.


Durtal a écrit :Qu’il y ait un dédoublement dans notre façon de concevoir les choses n’implique pas que la chose ainsi conçue se dédouble ( que cette chose soit Dieu ou l’existence). C’est toujours la même confusion que tu fais.
Que je sache, si je considère une même pièce de monnaie une fois coté pile et une fois coté face, je ne considère pas du même coup deux pièces de monnaies différentes ! Mais peut être que cela passe les limites de mon pauvre entendement.


Louisa a écrit :Il ne s'agit pas de faire d'une seule et même CHOSE deux CHOSES, mais de reconnaître qu'une seule et même chose s'exprime de façon différentes. Quand tu nies cela, tu peux effectivement dire, comme tu l'as fait dans l'autre discussion, que le "corps c'est l'esprit".


je n'ai jamais dit cela j'ai dit que c'était la même modification. Mais c'est pas grave.

Louisa a écrit : Mais c'est dire que le côté pile c'est le côté face, là où même un enfant sait reconnaître la différence pile-face, et que comme tu le sais, jamais le côté face d'une pièce deviendra le côté pile. C'est la même chose (mutatis mutandis) pour la durée et l'éternité: l'un n'enveloppe pas le concept de l'autre, on ne peut donc concevoir l'un du point de vue de l'autre (abstraitement ou non). Il s'agit de deux points de vue différents. Sur la même chose, bien sûr.


Je ne dis pas que l'éternité et la durée sont la même chose je dis que l'existence conçue sous la durée et l'existence conçue sous l'éternité renvoient à la même existence. Et si tu n'es pas d'accord avec cela alors c'est toi qui doit m'expliquer pourquoi concevoir une pièce selon son coté pile et son coté face nous oblige a poser deux pièces différentes.

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Messagepar Louisa » 16 juil. 2008, 22:48

Bonjour Durtal,

Louisa a écrit:

Tentative de reformuler (toujours le même argument, auquel tu n'as toujours pas répondu; ce qui n'est pas un reproche):

comment pourrait-il y avoir deux façons de concevoir l'existence et seulement une façon d'exister???

S'il n'y a qu'une façon d'exister, et comme tu privilégies le point de vue de l'éternité, cela doit être, de ton point de vue, l'existence de l'essence en Dieu. Mais alors comment expliquer que chaque chose singulière a également une autre existence,

Durtal:
Petitio principi ma chère: tout ce que tu dis est que tu n'acceptes pas mon point de vue selon lequel il n'y a qu'une sorte d'existence et deux façon de la comprendre ( et j'ajoute en relation avec la dimension éthique de ces choses "de la vivre"). ça j'ai compris.


si tu coupes la phrase juste avant l'argument, en effet, il n'y a pas de petitio principi mais simplement répétition, comme je le déjà disais moi-même.

L'argument était: si tu dis qu'il n'y a qu'une sorte d'existence, l'existence éternelle, que l'on peut ou bien comprendre correctement (d'un point de vue de l'éternité) ou bien abstraitement (d'un point de vue de la durée, selon toi), comment expliquer le fait que chaque chose singulière à un certain moment de sa vie meurt, c'est-à-dire cesse d'exister dans le temps, pour ne plus exister qu'en Dieu? C'est pourquoi à mon sens il faut reconnaître que l'existence dans un temps et un lieu précis n'est pas le même type d'existence que l'existence éternelle en Dieu. Sinon c'est comme si la mort n'est pas une véritable mort, mais juste une idée abstraite. Certes, le sage pense à rien moins qu'à la mort, mais cela signifie avant tout qu'il n'en a pas peur, que ce genre de craintes ne détermine aucune action dans sa vie. Cela ne signifie pas qu'il va nier la vérité de l'axiome de l'E4, qui dit que tôt ou tard, chaque chose sera détruite par une autre plus puissante qu'elle, destruction qui ne vaut que (dira l'E5) en tant que la chose vit dans un temps et un lieu précis, c'est-à-dire en tant qu'elle existe dans la durée. C'est ce qui distingue l'existence dans la durée de l'existence dans l'éternité: dans le premier cas chaque chose à un certain moment de sa vie est détruite, dans le deuxième c'est destruction est inconcevable.

Autrement dit: pour ne pas juste répéter ton interprétation mais pour réellement réfuter la mienne, il faut pouvoir montrer en quoi une existence dans le temps ne serait finalement pas différente d'une existence dans l'éternité, ce qui revient à mon sens à montrer que la mort n'existe pas, autrement dit, à nier la vérité de l'axiome de l'E4.

Louisa a écrit:
Mais alors comment expliquer que chaque chose singulière a également une autre existence qui quant à elle n'est pas du tout éternelle, mais a une durée tout à fait limitée dans le temps? Si tu ne considère que la façon d'exister en Dieu, tu ne peux plus penser le fait que l'homme est mortel. Dès lors, l'axiome de la 4e partie devient pour toi inconcevable. Mais c'est tomber dans le piège d'identifier éternité et immortalité ... .

Durtal:
Les choses singulières n'ont pas à proprement parler comme tu le dis "une durée tout à fait limitée dans le temps". Spinoza est très clair la dessus: l'essence d'une chose considérée simplement en elle même ne contient que ce qui pose l'existence de cette chose et par conséquent son essence doit être définie et conçue en dehors de toute relation à une durée quelconque.


??
Spinoza, en tant que chose singulière, était né en 1632, mort en 1677. Cela nous donne une durée tout à fait limitée dans le temps: 45 ans. Que ce soit, comme toujours, une cause extérieure à l'essence de Spinoza qui a détruit son existence sur terre n'empêche en rien que celle-ci a bel et bien été limitée. Certes, l'essence elle-même n'affirme que ce qu'elle est, et ne contient pas sa propre raison de destruction. Mais je ne vois pas en quoi cela te ferait croire que cette destruction ne serait qu'une chose "abstraite" ... ?

Durtal a écrit :Ce qui je pense répond à ta question sur la mortalité de l'homme laquelle s'explique non par l'essence singulière d'un homme, mais par le fait que cette essence n'est pas toute puissante et qu'elle ne peut pas, par conséquent, triompher de toutes les causes extérieures qui agissent sur elle, ni à l’inverse suffisamment puissante pour se faire exister elle même (c'est simplement que cette essence est éternelle certes, mais singulière et donc finie- faut quand même pas délirer- J).


justement, QUELLE existence de l'essence est menacée par les causes extérieures? Non pas l'existence en Dieu, puisque celle-ci est éternelle. Cette menace ne concerne que l'existence dans le temps. Dire cela n'est pas produire une idée abstraite, dans le spinozisme ceci est une idée adéquate, une vérité éternelle. Comme tout le combat de l'homme contre les passions se déroule lui aussi uniquement dans le temps, tout comme l'accès à la béatitude, réduire l'existence de l'essence à l'existence en Dieu me semble revenir à nier le problème fondamentale de l'existence dans le temps, qui est d'essayer de persévérer le plus longtemps possible dans l'existence sur terre.

Durtal a écrit :L’essence d’un être humain est une partie de l’essence de Dieu laquelle en comprend beaucoup d’autres qui la surpassent et la (dé)limitent. Ce qui correspond à la durée ou au « temps d’exister », c’est qu’un état général du monde se déduit de l’essence de Dieu qui engage cette essence à rentrer dans des réseaux de rapports déterminés avec d’autres essences de choses singulières (je nais par exemple) et qu’un autre état général du monde, fait que cette essence cesse d’entretenir ce réseau de rapports déterminés qu’elle avait avec les autres choses (Je meurs). Le réseau de rapports déterminés et spécifique qu’avait mon essence avec le reste des autres est défait parce qu’un piano m’est tombé dessus quand je traversais la rue = Un état du monde est produit dans lequel la compatibilité entre l’essence du piano et la mienne est exclue. Mon essence n’a plus le type de rapport avec les autres qu’elle avait, elle entre dans d’autres types de rapports et il peut même se faire par là ( au moins à titre « d’expérience de pensée ») que je « renaisse » c’est à dire que l’essence qui constitue mon individu se trouve à nouveau dans des rapports sinon identiques du moins semblables à ceux qui caractérisaient un état du monde antécédent, mais bien sûr je n’en pourrais rien savoir ! J

Bref « l’existence temporelle » n’est pas du tout incompatible avec l’éternité.


bien sûr que non, puisque nous existons des deux façons! Je suis tout à fait d'accord avec tout ce que tu viens d'écrire, le problème n'est pas là. La question qui se pose pour l'instant, c'est précisément celle de l'articulation du temps et de l'éternité dans le spinozisme. Car là il s'agit du fait que toute idée adéquate dans ma tête a besoin d'une production dans le temps, ce qui fait qu'il ne suffit pas de dire que toute vérité est éternelle pour dire que j'ai toujours cette idée adéquate, même avant de l'avoir produite, avant de l'avoir présent à l'esprit, etc.

Durtal a écrit :Et d’une manière générale l’éternité sous-jacente à l’existence de toutes les choses singulières est saisissable par la compréhension des causes et des lois qui les produisent, parce que comprendre ça, c’est comprendre la puissance de Dieu et la façon dont elle opère de manière déterminée. C’est donc comprendre que la raison d’être de la chose finie consiste en ce qu’une réalité éternelle s’exprime par elle et en elle de telle et telle façon.


oui oui, tout cela est parfait, SI tu considères les choses singulières du point de vue de l'éternité. Les choses se montrent en revanche sous un tout autre aspect quand il s'agit de les considérer du point de vue de la durée.

Louisa a écrit:
Bref, pour moi tu opères sans cesse une réduction à un seul point de vue, celui de l'éternité. Ce faisant, c'est toute la deuxième, troisième et quatrième (voire cinquième) partie de l'Ethique qu'il faut abolir, car Spinoza y étudie systématiquement l'existence des choses singulières du point de vue de la durée.

Louisa a écrit:
Du point de vue de l'éternité, encore une fois, les essences ne changent pas. Elles ne sont pas affectées. Il n'y a pas de "désir", pas de tendance à persévérer dans l'être, pas de Joie ni Tristesse, et donc pas servitude, pas de besoin de remède aux affects, pas de désir de liberté, et ainsi de suite. Car tout cela ne vaut que du point de vue de la durée.

Durtal:
Non je ne crois pas qu’il faille abolir les livres de l’éthique. Je pense au contraire que cette réduction à un unique point de vue est ce vers quoi tous ces livres nous conduisent progressivement en nous « prenant comme par la main ». En nous dégageant progressivement des idées inadéquates, des passions, de la conception des choses sous le rapport de la durée, de la contingence et de la corruptibilité, pour nous amener à comprendre et à vivre les choses : sub species aeternitatis. C’est à dire du point de vue de la réalité.


ok, mais comme tu le dis toi-même: il s'agit bien de réussir à VIVRE, ici et maintenant, donc dans le temps, une idée vraie. Pour y arriver, il faut, comme tu le dis, tout un processus. C'est dire qu'une idée adéquate doit être produite avant d'être présente chez tel ou tel Esprit. Que toute idée vraie est éternellement vraie n'y change rien.

Durtal a écrit :Du point de vue de l’éternité il y a une jouissance infinie d’exister, ou encore la béatitude. L’éternité est ce qui nous fait vivre de « la vie de Dieu ».


l'éternité nous donne accès à une propriété de Dieu. Si dans le spinozisme "vie" signifie "conatus", je ne crois pas que Dieu a une vie quelconque. Il ne doit pas s'efforcer à persévérer dans l'être, il est, tout simplement.

Louisa a écrit:
Autrement dit, en ne voyant que le caractère éternel de la notion commune, tu te situes que du point de vue de Dieu. Or à mon sens on ne sait pas comprendre ce que c'est qu'une notion commune si l'on n'y ajoute pas aussi un point de vue modal, et donc le point de vue de la durée. Il faudrait donc que tu démontres en quoi la notion commune n'a rien à voir avec le temps, l'affection etc, avant que je puisse être convaincue de la pertinence de ta conception des notions communes, tu vois?

Durtal:
La dessus je ne peux que te renvoyer à Spinoza lui même Louisa. Sérieusement prend la peine de le relire un peu.


:D
Je suppose que tu comprends facilement toi-même en quoi ce type d'"argument" est peu convaincant ... ?
L.

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Messagepar Durtal » 16 juil. 2008, 23:29

:arrow:
Modifié en dernier par Durtal le 16 juil. 2008, 23:30, modifié 1 fois.

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Messagepar Durtal » 16 juil. 2008, 23:30

Durtal a écrit :
Louisa a écrit : :D
Je suppose que tu comprends facilement toi-même en quoi ce type d'"argument" est peu convaincant ... ?
L.


Aussi n'est ce pas un "argument" mais ce qu'on appelle un conseil. Et concernant les notions communes et la raison je crois en effet que tu devrais le suivre. Car autant les questions du rapport de la temporalité et de l'éternité sont difficiles, abstruses et sujettes à caution et à interprétation, autant il y a certaines choses que tu ne dirais plus si tu faisais ce que je te conseille de faire. En désespoir de cause je le ferais même pour toi.

D.


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