volonté et entendement: un problème logique
Joseph a écrit :Je voudrais avant tout dire que c'est à dessein que je n'ai jamais répondu directement aux appréciations concernant mon angle d'attaque "analytique", ou "linguistic turn". Non que je ne l'assume pas, mais surtout parce que je considère que cela ne fait pas avancer la question que je voulais soulever.
Bonjour Joseph,
en effet, tu avais signalé cela dès le début. Etant - comme tu l'auras entre-temps compris - pour l'instant assez convaincue de la thèse inverse, j'essayerai dans ce message de me limiter au stricte minimum, pour poursuivre la discussion dans l'autre sujet que tu viens d'ouvrir.
Joseph a écrit :Je pense en revanche que la philosophie en France (en Europe probablement), souffre d'une vraie maladie qui n'existait pas à l'époque de Spinoza. Un des symptômes de cette maladie est de répondre à un problème soulevé en renvoyant l'interlocuteur à son camp: "vous, vous faites de la philosophie analytique", ou bien "vous vous adhérez à la philosophie continentale, ou à l'idéalisme allemand", etc. Ce type de réflexe produit des effets désastreux.
il arrive certes que désigner le courant philosophique d'où est issue telle ou telle question posée par quelqu'un serve simplement à le faire taire, ce qui ne peut qu'avoir des conséquences tout à fait désastreuses pour la philosophie elle-même. Je suis également entièrement d'accord avec toi pour dire que cela arrive souvent, beaucoup trop souvent.
Mais cela ne signifie pas que l'on peut sans problème faire abstraction du point de départ, du sol, du fondement qui rend possible l'existence de telle ou telle question. Il me semble que ce qui arrive également (trop) souvent, c'est qu'à cause du fait que les philosophes écrivent en partie en utilisant le langage ordinaire, on lit un philosophe X en pensant aux contenus des mots propres à un tout autre courant de pensée Y, pour ensuite se heurter assez rapidement à des contradictions insurmontables. On aura alors tendance à attribuer cette "erreur" au philosophe Y, sans vérifier si le sens que l'on donne ainsi aux mots correspond bien au sens que revêtent ces mêmes mots dans la pensée de Y.
Joseph a écrit :On peut enfin évidemment toujours trouver dans n'importe quel système philosophique des manières d'éviter de répondre avec précision aux problèmes précis que l'on peut poser. Dire que toute idée pour Spinoza est essentiellement affirmative, mais aussi dire que l'affirmation et la négation ne se conçoivent pas indépendamment de l'idée, est ou bien problématique car contradictoire, ou bien trivial: j'affirme une négation, ou je nie une affirmation.
il s'agit d'un reproche qu'on entend souvent et qui certes parfois est tout à fait fondé. Toutefois, à mon sens les questions doivent être "travaillées" avant d'être proprement philosophiques, et ce travail fait que nécessairement, une question philosophique n'aura pas d'existence isolée, abstraction faite d'un certain nombre de présupposés fondamentaux, de choix philosophiques.
C'est ainsi qu'il peut arriver qu'une question ne peut pas recevoir de réponse satisfaisante, pour des raisons "structurelles" et non pas par simple désinvolture voire à cause d'un certain dogmatisme de la part de la personne interrogée (même si, encore une fois, on trouve hélas bon nombre de dogmatiques en philosophie). Ces raisons sont au moins doubles: ou bien la question n'est tout simplement pas philosophique, ou bien la question entraîne indissociablement avec elle un tas d'autres idées, idées non compatibles avec la pensée interrogée, ce qui fait que la question elle-même n'a plus aucun sens, une fois que l'on essaie de trouver une réponse en dehors de ces idées qui la constituent ou rendent possible.
C'est ce qui à mon sens se passe ici avec la question concernant la liberté de la volonté et l'affirmation. Bien sûr, si je prétends cela, il me faudra pouvoir montrer en quoi consistent les présupposés qui rendent cette question possible, et en quoi ces présupposés ne sont pas compatibles avec le spinozisme, ôtant par là à la question sa pertinence dès qu'on se meut à l'intérieur de ce type de pensée. C'est déjà ce que j'ai essayé de faire dans mes messages précédents, mais avant d'aller plus loin dans ce sens, il serait peut-être intéressant de connaître ton point de vue à ce sujet.
Joseph a écrit :Spinoza est un philosophe pour lequel j'ai beaucoup d'intérêt, mais qui, de manière assez étrange à mes yeux, n'échappe pas à une sorte de "divinisation", comme s'il n'avait jamais pu énoncer des thèses faibles ou contestables ou fausses ou inacceptables pour des raisons logiques ou scientifiques. Peut-on sérieusement penser qu'un philosophe, même un philosophe de l'envergure de Spinoza, puisse écrire LE système dont on puisse dériver toutes les vérités fondamentales pour la connaissance humaine? Qui peut croire cela sérieusement?
il y a certes des spinozistes qui y croient. Ce n'est pas mon cas. En effet, AUCUNE philosophie ne peut inventer un système d'où toutes les vérités fondamentales pour la connaissance humaine peuvent dériver (d'ailleurs, Spinoza le dit lui-même, en soulignant la nécessité de la médecine et des sciences expérimentales pour la connaissance humaine). Passer à une divinisation du texte philosophique est non seulement absurde, mais me semble plutôt relever du "sacrilège" quand il s'agit d'un philosophe qui ne propose que le more geometrico comme moyen de communcation d'une connaissance. Spinoza a voulu créer un système logiquement cohérent. Cela implique que le lecteur jamais n'abandonne son sens critique, mais le lit en exigeant sans cesse une rationalité maximale.
Seulement, pour moi on ne peut échapper à une telle divinisation philosophique que si l'on reconnaît que ... le philosophe n'a PAS les moyens d'atteindre une QUELCONQUE vérité fondamentale pour la connaissance humaine. Les vérités produites par un système philosophique trouvent leur fondement dans le système lui-même, sont vraies en tant que conséquences logiques des choix et présupposés initiaux. Elles ne sont jamais vraies dans l'absolu, et cela simplement parce qu'on n'a AUCUN moyen de vérifier les présupposés de base d'une philosophie.
C'est pourquoi je ne peux être d'accord avec Voltaire: jamais en philosophie on n'aura un Newton ou un Galilée, n'en déplaise aux russelliens et autres adeptes d'une "philosophie scientifique". Rêver de cela, c'est courir le risque de transformer les différents courants de pensée en des différentes formes de "croyances", en des noms de sectes en effet (l'enjeu consistant dès lors à appartenir à la seule "bonne" secte). La divinisation commence donc déjà le jour où l'on commence à "croire" dans le platonisme ou n'importe quel autre -isme, le jour où l'on érige ce qui n'est que hypothèse en quelque chose de l'ordre d'une vérité prouvée. Ou comme le disait Platon, père fondateur de la philosophie: c'est confondre la philosophie avec l'opinion ou avec la sagesse. Il n'y a pas de sagesse en philosophie. Même le sage spinoziste n'est pas un philosophe: il voit "immédiatement".
Joseph a écrit :J'ajoute un dernier point. Spinoza nie que nous ayons en nous le pouvoir de suspendre librement notre jugement. Or de la même façon que l'on montre que l'on peut nier tout énoncé doué de sens et engendrer par cette négation un énoncé négatif doué de sens, on peut aussi montrer que l'on peut isoler le contenu représentatif d'un énoncé en le mettant entre guiilemets pour ne considérer que sa signification et non sa référence, ce qui revient bien à suspendre son jugement.
Bref, la syntaxe est capable de fournir des contre-arguments à certains arguments spinozistes. On est libre ensuite de considérer que ces arguments sont superficiels. je pense qu'on doit au contraire les prendre au sérieux.
à la limite on pourrait ne pas référer au fait que c'est bel et bien la philosophie analytique qui a décidé d'ériger la syntaxe en critère de vérité. Il suffit de rappeler que le fait même de considérer quelque chose comme la syntaxe en tant que critère possible de vérité, est un choix philosophique. Car jamais on ne pourra démontrer véritablement que la syntaxe nous donne accès à des vérités fondamentales sur le monde. Cette thèse d'homologie entre le langage (du moins dans le cas d'une wff) et le monde extra-linguistique est une thèse extrêmement intéressante, mais rien d'autre qu'une thèse philosophique, l'un des fondements d'un courant de pensée tout à fait original et passionnant. Sans plus. Il se fait que d'autres courants ont proposé d'autres critères de vérité. En ce qui me concerne, je ne vois vraiment pas comment sélectionner l'un de ces courants pour commencer à y "croire".
Autrement dit: comment ne pas vouloir faire des différents courants philosophiques des sectes, et néanmoins utiliser un critère de vérité propre à un courant pour juger de la vérité d'un autre courant? Dans ce cas-ci: tu sembles dire qu'il faut préférer le critère de la vérité proposée par la philosophie analytique à celui de Spinoza. Je ne demande pas mieux que d'être convaincue de cela (car notre bonheur dépend de la connaissance de la vérité), mais je ne vois pas par quels moyens tu pourrais y arriver, et cela non pas parce que moi-même je "croirais" déjà en la vérité absolue du critère spinoziste, mais plutôt parce que je ne vois pas comment prouver la vérite de n'importe quel critère philosophique de la vérité, spinoziste ou autre, si tu vois ce que je veux dire?
Sur base de tout cela, il me semble qu'il faut conclure que quand Spinoza dit que nous ne pouvons pas suspendre notre jugement, il entend par là quelque chose de fort différent de ce qu'entend par là la tradition analytique. Il ne veut pas du tout nier le fait qu'une barre d'assertion est tout à fait différente de la barre horizontale frégéenne, indiquant le contenu du jugement. Il ne nie pas que nous pouvons former des représentations simples ou complexes SANS y ajouter un acte d'assertion. Seulement, le mot "juger" n'a pour lui pas du tout le même sens que ce que lui a donné la tradition analytique. Juger ne désigne pas l'acte gratuit d'ajouter une barre verticale ou non à une barre horizontale. Juger signifier avoir une idée vraie, c'est-à-dire une idée qui est "claire et distincte" (sachant que pour un lecteur du XXIe siècle, il est tout sauf clair ce que cela veut dire), ou une idée qui "convient" avec son objet (qui n'est pas la référence, mais l'affection du Corps, ou le "sens", si l'on veut absolument trouver un moyen de retraduire tout cela en des termes frégéens).
Chez Spinoza, "juger" a à voir avec un sentiment de "certitude" qu'accompagne chaque idée vraie, cette certitude étant également un concept philosophique propre à l'époque, qui nécessite pas mal de travail avant de pouvoir être compris par nous aujourd'hui. En attendant, on voit bien déjà qu'effectivement, la certitude n'est pas quelque chose que nous pouvons obtenir ou abolir à volonté. Je suis certaine que je suis en train d'écrire un message pour l'instant. Je pourrai certes m'imaginer que je ne suis pas en train de le faire, mais je SAIS que ce n'est pas vrai. C'est en ce sens précis que pour Spinoza il est impossible de suspendre son jugement. Ensuite, il DECIDE d'appeler "volition" ce genre de certitude. On peut certes contester cette décision, mais seulement sur base d'une autre décision, et non pas sur l'une ou l'autre "vérité", il me semble, non?
Bien cordialement,
louisa
jvidal a écrit :2) Mon argument a simplement pour fonction de montrer qu'il y a de solides raisons logiques pour croire au bien fondé de l'idée cartésienne selon laquelle la volonté est infini formellement en raison de cette capacité que nous avons de nier ou d'affirmer n'importe quelle idée.
3) Spinoza n'apporte pas de réfutation acceptable de cette théorie.
"Il y a quantité de choses que nous affirmons et nions parce qu'affirmer et nier cela est souffert par la nature des mots, mais non par la nature des choses."
Traité de l'amendement de l'intellect, § 89
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Bonjour à tous,
Je réponds ici à Bardamu brièvement, en le remerciant à nouveau de ses envois.
Bardamu a écrit:
C'est effectivement le cas dans l'interprétation standard de la négation: non-p se traduit aussi de manière classique par il est faux que p. Je considère que ce serait un contresens d'imaginer qu'on puisse traduire Spinoza en s'écartant de la logique classique. Je poursuis la citation, un peu plus loin tu écris:
Compte tenu du point précédent, je ne vois pas en quoi ce point peut poser le moindre problème à mon argument. Je traduis la volonté infinie par la possibilité indéfinie que l'on a de nier toute expression bien formée. Autrement dit:
p est équivalent à il est vrai que p et quel que soit p si p est une ebf alors non-p est aussi une ebf.
Je poursuis. Tu ajoutes:
Au contraire, il pense bien ainsi et je n'ai jamais rien tenté d'autre qu'une traduction formelle de ses concepts.
La mise entre guillemets d'un énoncé a pour fonction d'isoler la signification de l'énoncé et de la faire divorcer de la référence pour qu'elle se marie aux mots. Cela revient à dire : je pense que P; et cela est bien différent d'affirmer P. Définir l'équivalent coporel ne changerait rien au problème: Spinoza considère que la volonté infinie formellement n'est qu'une abstraction détachée de la réalité naturelle où tout est déterminé selon un déterminisme causal strict. Descartes maintient la thèse de la réalité du caractère formellement infini de la volonté. En me plaçant du côté de Descartes, je défie le spinoziste de m'exhiber une idée singulière concrète, ou un énoncé qui soit dans mon langage une ebf dont la négation soit syntaxiquement impossible. Spinoza nie que l'on ait le libre pouvoir de suspendre son jugement. De la même façon je demane au spinoziste de m'exhiber une ebf qu'il est impossible de mettre entre guillemets. Je ne vois pas comment être plus clair.
Enfin:
Personne ne se risquerait aujourd'hui à avancer la thèse que nos processus neuronaux sont strictement déterminés et qu'une théorie correcte qui pourrait les expliquer devrait être strictement déterministe. Sur ce point la philosophie de la connaissance contemporaine a beaucoup de retard, mis à part les philosophes, peu nombreux, qui ont saisi le fait que la connaissance scientifique contemporaine repose sur une base probabiliste et non pas déterministe (voir P. Suppes, Probabilistic Methaphysics, pour de plus amples développements.)
à bientôt,
Joseph
Je réponds ici à Bardamu brièvement, en le remerciant à nouveau de ses envois.
Bardamu a écrit:
- l'idée contient d'elle-même sa vérité/fausseté, sa qualité de correspondance à son objet, sa valeur sémantique
C'est effectivement le cas dans l'interprétation standard de la négation: non-p se traduit aussi de manière classique par il est faux que p. Je considère que ce serait un contresens d'imaginer qu'on puisse traduire Spinoza en s'écartant de la logique classique. Je poursuis la citation, un peu plus loin tu écris:
- si on veut une volonté "formellement infinie", on peut au mieux imaginer un homme "infini" passant en revue toutes les idées, c'est-à-dire concevoir que l'homme a à sa disposition un infini potentiel d'affirmation/négation correspondant à un infini de perception d'idées, c'est-à-dire que l'entendement/volonté infini actuel en Dieu est potentiel chez l'homme, mais toujours avec une correspondance entre la valeur sémantique de l'idée, sa vérité, et sa forme
Compte tenu du point précédent, je ne vois pas en quoi ce point peut poser le moindre problème à mon argument. Je traduis la volonté infinie par la possibilité indéfinie que l'on a de nier toute expression bien formée. Autrement dit:
p est équivalent à il est vrai que p et quel que soit p si p est une ebf alors non-p est aussi une ebf.
Je poursuis. Tu ajoutes:
Si Descartes ne pense pas ainsi ...
Au contraire, il pense bien ainsi et je n'ai jamais rien tenté d'autre qu'une traduction formelle de ses concepts.
Quel est l'équivalent corporel d'une mise entre guillemets ?
Qu'affirme notre cerveau quand il met entre guillemets ?
La mise entre guillemets d'un énoncé a pour fonction d'isoler la signification de l'énoncé et de la faire divorcer de la référence pour qu'elle se marie aux mots. Cela revient à dire : je pense que P; et cela est bien différent d'affirmer P. Définir l'équivalent coporel ne changerait rien au problème: Spinoza considère que la volonté infinie formellement n'est qu'une abstraction détachée de la réalité naturelle où tout est déterminé selon un déterminisme causal strict. Descartes maintient la thèse de la réalité du caractère formellement infini de la volonté. En me plaçant du côté de Descartes, je défie le spinoziste de m'exhiber une idée singulière concrète, ou un énoncé qui soit dans mon langage une ebf dont la négation soit syntaxiquement impossible. Spinoza nie que l'on ait le libre pouvoir de suspendre son jugement. De la même façon je demane au spinoziste de m'exhiber une ebf qu'il est impossible de mettre entre guillemets. Je ne vois pas comment être plus clair.
Enfin:
Et dans tout ceci, il n'y a pas plus de libre-arbitre qu'il n'y en a dans une activation ou non-activation neuronale.
Personne ne se risquerait aujourd'hui à avancer la thèse que nos processus neuronaux sont strictement déterminés et qu'une théorie correcte qui pourrait les expliquer devrait être strictement déterministe. Sur ce point la philosophie de la connaissance contemporaine a beaucoup de retard, mis à part les philosophes, peu nombreux, qui ont saisi le fait que la connaissance scientifique contemporaine repose sur une base probabiliste et non pas déterministe (voir P. Suppes, Probabilistic Methaphysics, pour de plus amples développements.)
à bientôt,
Joseph
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A Louisa, quelques mots, puisque la migration vers une autre partie du forum est en train de se aire.
En ce qui concerne le rapport de la philosophie avec la connaissance en général et la connaissance scientifique en particulier, je suis d'accord à 100% avec les mots de Quine à la fin de Word and Object. Je te renvoie aux pages finales de l'ouvrage, traduit par Gochet, chez Flammarion, sous le titre Le Mot et la Chose, pp. 377-378. Je ne cite ici que le dernier alinéa:
Je te laisse lire ces pages. Tu écris ensuite:
C'est plus simple que ça: on ne peut pas ne pas respecter les règles syntaxiques sans tomber dans le non-sens. A vrai dire, si mon analogie entre la possibilité syntaxique que l'on a de nier tout ebf et le caractère formellement infini de la volonté est correcte, alors je ne vois pas bien comment on peut nier ce que Descartes au sujet de la négation possible de toute idée. Bien sûr ça n'est qu'une analogie, mais aucune réponse n'a pu monter son caractère inadéquat ou illégitime.
Tu as tort de relativiser les conséquences philosophiques de la syntaxe, à moins que tu ne considères avec Carnap, que le fameux théorème d'incomplétude de Gödel (qui est un théorème qui s'appuie sur la syntaxe de l'arithmétique formelle) n'a en fait aucune conséquence philosophique assignable. Mais cela me surprendrait que tu puisses spontanément rejoindre Carnap....
Ce que Spinoza entend doit pouvoir aussi être entendu par qui que ce soit qui comprend la langue et le mot "juger". Je comprends qu'il entend par "juger" avoir une idée ET affirmer cette idée, ce qui pour lui ne fait qu'un, de même lorsque cette idée est négative et que le jugement est un rejet, ou l'idée de la fausseté d'une autre idée. Mais je soutiens avec Descartes que nous avons une idée plus formelle et plus simple de l'affirmation et de la négation et que cette idée plus formelle est au coeur de ce que nous appelons "volonté". Si un spinoziste continue de croire que c'est une erreur, la tâche lui incombe de répondre à l'argument simple que j'ai énoncé, ou de montrer pourquoi cette analogie avec la syntaxe de notre langue est totalement inadéquate. Il me faut une preuve de cette inadéquation, et non la répétition inlassable du même argument obscur que Spinoza développe contre la 3e objection qu'il s'adresse, dans le scolie de la prop. 49 et l'Ethique 2.
Enfin lorsque tu écris:
Il n'est pas compris parce que l'usage par Spinoza de ce terme de "certitude" est tout simplement incompréhensible. Contrairement à ce que tu écris, cela n'est nullement un "sentiment" et n'est en rien subjectif puisque avoir une idée vraie et être certain sont deux choses indistinguables chez Spinoza.
à bientôt,
Joseph
En ce qui concerne le rapport de la philosophie avec la connaissance en général et la connaissance scientifique en particulier, je suis d'accord à 100% avec les mots de Quine à la fin de Word and Object. Je te renvoie aux pages finales de l'ouvrage, traduit par Gochet, chez Flammarion, sous le titre Le Mot et la Chose, pp. 377-378. Je ne cite ici que le dernier alinéa:
La tâche du philosophe diffère alors de celle des autres théoriciens, dans le détail; mais non d'une manière aussi privilégiée que ceux qui imaginent que le philosophe jouit d'un point d'observation privilégié situé à l'extérieur du schème conceptuel qu'il prend à sa charge. Il n'y a pas pareil exil hors du cosmos. Le philosophe ne peut pas étudier et réviser le schème conceptuel fondamental de la science et du sens commun sans posséder quelque schème conceptuel, que ce soit le même ou un autre, qui n'échappe pas davantage à l'obligation d'un examen philosophique."
Je te laisse lire ces pages. Tu écris ensuite:
Il suffit de rappeler que le fait même de considérer quelque chose comme la syntaxe en tant que critère possible de vérité, est un choix philosophique. Car jamais on ne pourra démontrer véritablement que la syntaxe nous donne accès à des vérités fondamentales sur le monde.
C'est plus simple que ça: on ne peut pas ne pas respecter les règles syntaxiques sans tomber dans le non-sens. A vrai dire, si mon analogie entre la possibilité syntaxique que l'on a de nier tout ebf et le caractère formellement infini de la volonté est correcte, alors je ne vois pas bien comment on peut nier ce que Descartes au sujet de la négation possible de toute idée. Bien sûr ça n'est qu'une analogie, mais aucune réponse n'a pu monter son caractère inadéquat ou illégitime.
Tu as tort de relativiser les conséquences philosophiques de la syntaxe, à moins que tu ne considères avec Carnap, que le fameux théorème d'incomplétude de Gödel (qui est un théorème qui s'appuie sur la syntaxe de l'arithmétique formelle) n'a en fait aucune conséquence philosophique assignable. Mais cela me surprendrait que tu puisses spontanément rejoindre Carnap....

il entend par là quelque chose de fort différent ...
Ce que Spinoza entend doit pouvoir aussi être entendu par qui que ce soit qui comprend la langue et le mot "juger". Je comprends qu'il entend par "juger" avoir une idée ET affirmer cette idée, ce qui pour lui ne fait qu'un, de même lorsque cette idée est négative et que le jugement est un rejet, ou l'idée de la fausseté d'une autre idée. Mais je soutiens avec Descartes que nous avons une idée plus formelle et plus simple de l'affirmation et de la négation et que cette idée plus formelle est au coeur de ce que nous appelons "volonté". Si un spinoziste continue de croire que c'est une erreur, la tâche lui incombe de répondre à l'argument simple que j'ai énoncé, ou de montrer pourquoi cette analogie avec la syntaxe de notre langue est totalement inadéquate. Il me faut une preuve de cette inadéquation, et non la répétition inlassable du même argument obscur que Spinoza développe contre la 3e objection qu'il s'adresse, dans le scolie de la prop. 49 et l'Ethique 2.
Enfin lorsque tu écris:
Chez Spinoza, "juger" a à voir avec un sentiment de "certitude" qu'accompagne chaque idée vraie, cette certitude étant également un concept philosophique propre à l'époque, qui nécessite pas mal de travail avant de pouvoir être compris par nous aujourd'hui.
Il n'est pas compris parce que l'usage par Spinoza de ce terme de "certitude" est tout simplement incompréhensible. Contrairement à ce que tu écris, cela n'est nullement un "sentiment" et n'est en rien subjectif puisque avoir une idée vraie et être certain sont deux choses indistinguables chez Spinoza.
à bientôt,
Joseph
jvidal a écrit :1) Je ne soutiens pas que Spinoza défende une théorie de la volonté qui soit fondée sur la logique et je suis d'accord pour dire que c'est avant tout à la psychologie qu'il pense. Je ne soutiens pas non plus qu'il défende une conception non-standard de la négation.
J'ai du mal m'exprimer. Car le problème de la dérivation d'une théorie de la volonté à partir de la logique était plus un problème à la charge du Cartésien. Je vais faire court :
Est-ce que je peux espérer ton accord sur les deux points suivants?
a) Au point de vue du calcul des propositions Spinoza s'accorde parfaitement avec Descartes pour dire que si p est une ebf, alors -p en est également une.
(oui/non... rayez la mention inutile:D)
b) Que l'objet précis de sa critique à l'égard de Descartes (que cette critique soit bien ou mal fondée par ailleurs) consiste à dire que ce dernier propose une théorie de la volonté, fondée, inspirée par les règles du calcul propositionnel qui dans leur formulation n’ont aucun égard aux conditions de production concrètes de tel ou tel jugement ( en particulier ne prennent pas en considération la dimension temporelle des jugements.)
(oui/non... rayez etc.)
jvidal a écrit :3) Spinoza n'apporte pas de réfutation acceptable de cette théorie.
Oui mais laquelle ? T1) La théorie « psychologique» relative à l’affirmation et à la négation ? ou T2) « la théorie logique» relative à l’affirmation et à la négation ? Si tu penses à T2 alors je crois qu’il ne cherche pas du tout à la réfuter, et donc à plus forte raison certes, il n’en fournit pas de réfutation acceptable. Si tu penses à T1 là je te trouves quand même très sévère car certes on pourra toujours arguer que de l’affirmation simultanée de « p et –p » ou encore « pv-p » il résulte des énoncés bien formés, mais il est quand même beaucoup plus discutable de les appeler des « jugements », ou des « propositions » à proprement parler.
Ce que tu dis concernant la mention des énoncés déclaratifs à l’aide de guillemets me paraît exposé à une critique du même genre. Soit la phrase « le chat est sur la table » (un grand classique !). Ce qui est entre guillemet c’est l’énoncé, le groupe de terme, pas la signification. Et on ne peut pas jouer sur les deux tableaux à la fois : soit effectivement rien n’est jugé mais c’est parce que l’on a égard à l’énoncé seul, mais un groupe de lettre n’est pas une proposition et n’a pas de valeur de vérité, soit on a égard à sa signification et dans ce cas là automatiquement on sait aussi ce qui rendrait vrai cette proposition, si elle est fausse, et fausse si elle est vrai. Bref quel genre de chose elle affirme et quelle genre de chose elle nie (quelle genre de chose on nie ou on affirme quand on pense sa signification).Tu peux très bien de contenter de « comprendre » cette proposition, par exemple sans y croire, mais cela n’empêche pas que cette signification « signifie » une affirmation. (j'ajoute que c'est nécessaire ne serait-ce que pour formuler CE QUE tu ne crois pas)
Concernant enfin ce qui je pense est le cœur de ton problème à savoir la question de l’adhésion ou de la non adhésion au représentations que nous avons. Je dirais qu’il y a une difficulté de part et d’autre. Il est en effet assez difficile de croire que nous ne pouvons faire autrement que d’adhérer au contenu représentatif des idées que nous formons, mais il l’est tout autant de comprendre comment on pourrait adhérer (au sens plein du mot) à quelque chose si la volonté était tout à fait indéterminée (par exemple je crois que le procédé du raisonnement par l’absurde est tout aussi problématique dans ce cas figure même si c’est pour une raison différente : il faut bien que l’absurdité nous contraigne en quelque manière à refuser l’hypothèse qui l’engendre). Or il me semble que Spinoza et Descartes, chacun de leur coté mettent en œuvre des mécanisme correctifs ou compensatoires. Descartes en affirmant que la liberté d’indifférence est aussi le degré le plus imparfait et le plus bas de la liberté (mais cela pose à nouveau des problèmes) et Spinoza en faisant jouer les actes de croyances involontaires les uns contre les autres de façon à obtenir un équivalent formel de la suspension du jugement (au sens de la considération d’une représentation « sans y croire »). Ce que je trouve personnellement amusant et intriguant dans cette situation c’est que chacun est contraint d’affaiblir sa thèse princeps en faisant intervenir des considérations annexes, pour tenter de parvenir à une description viable de l’expérience du jugement.
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Durtal a écrit :Est-ce que je peux espérer ton accord sur les deux points suivants?
a) Au point de vue du calcul des propositions Spinoza s'accorde parfaitement avec Descartes pour dire que si p est une ebf, alors -p en est également une.
(oui/non... rayez la mention inutile:D)
Oui, au sens où Spinoza verrait dans ce calcul une abstraction, mais une abstraction illusoire dès qu'il s'agit de comprendre les volitions singulières réelles.
b) Que l'objet précis de sa critique à l'égard de Descartes (que cette critique soit bien ou mal fondée par ailleurs) consiste à dire que ce dernier propose une théorie de la volonté, fondée, inspirée par les règles du calcul propositionnel qui dans leur formulation n’ont aucun égard aux conditions de production concrètes de tel ou tel jugement ( en particulier ne prennent pas en considération la dimension temporelle des jugements.)
(oui/non... rayez etc.)
Non, au sens où Descartes n'est pas inspirée par la logique formelle (qu'il méprise) et que Spinoza reconnaitrait que la dimension temporelle est bien présente dans les Méditations
jvidal a écrit :3) Spinoza n'apporte pas de réfutation acceptable de cette théorie.
Oui mais laquelle ? T1) La théorie « psychologique» relative à l’affirmation et à la négation ? ou T2) « la théorie logique» relative à l’affirmation et à la négation ? Si tu penses à T2 alors je crois qu’il ne cherche pas du tout à la réfuter, et donc à plus forte raison certes, il n’en fournit pas de réfutation acceptable.
Disons que je pense à T1 au sens où la critique possible du point de vue spinoziste de la théorie de l'infinité formelle de la volonté tombe à plat: si c'est l'essence adéquate de la volonté qui est présente dans cette abstraction, alors on ne voit pas pourquoi la philosophie devrait considérer cette abstraction comme trompeuse. Le fait que je puisse nier n'importe quelle ebf est aux yeux du spinoziste une illusion dès lors qu'on ignore la cause des négations singulières qui sont les seules volitions négatives réelles. Mais ce fait appartient pour Descartes à la puissance de la volonté humaine et exprime son caractère formellement infini. On peut apprécier Spinoza plus que Descartes, mais, personnellement, je préfère être considéré comme un homme libre au sens ordinaire du terme, c'est-à-dire doué d'une volonté propre et autonome - que comme un automate, même spirituel....
Concernant enfin ce qui je pense est le cœur de ton problème à savoir la question de l’adhésion ou de la non adhésion au représentations que nous avons.
Non, le coeur de mon problème est précisément dans l'argument qui consiste à montrer que si l'on présente l'infinité formelle de la volonté par analogie avec notre capacité à produire une ebf via la négation de n'importe quelle ebf, alors le point de vue spinoziste échoue à donner une explication de ce fait autre que par l'idée non justifiée selon laquelle ce fait serait une abstraction vide. La méthode de démonstration par l'absurde que Sopinoza utilise montre bien que tel n'est pas le cas.
à bientôt,
Joseph
Je ne comprend pas très bien pourquoi vous dites que Spinoza nie l'infinité de l'intellect. Je le cite :
"nous pouvons, par cette faculté de vouloir, affirmer une infinité de choses (l'une après l'autre cependant ; car nous ne pouvons pas affirmer une infinité de choses en même temps)"
scolie de la proposition 49 partie 2.
De plus, tout intellect est une partie de l'intellect de Dieu, qui est évidemment infini.
C'est la connaissance des automatismes de la pensée et des affects qui nous libère, la liberté n'est jamais niée par Spinoza, seulement le "libre arbitre" qui est un concept précis.
Sinon le livre 5 ne s'appellerait pas "de la puissance de l'intellect, autrement dit, de la liberté humaine."
Si Spinoza avait eu pour but de démontrer l'esclavage total de l'homme, il aurait inversé les deux derniers chapitres de l'Ethique...
"nous pouvons, par cette faculté de vouloir, affirmer une infinité de choses (l'une après l'autre cependant ; car nous ne pouvons pas affirmer une infinité de choses en même temps)"
scolie de la proposition 49 partie 2.
De plus, tout intellect est une partie de l'intellect de Dieu, qui est évidemment infini.
On peut apprécier Spinoza plus que Descartes, mais, personnellement, je préfère être considéré comme un homme libre au sens ordinaire du terme, c'est-à-dire doué d'une volonté propre et autonome - que comme un automate, même spirituel....
C'est la connaissance des automatismes de la pensée et des affects qui nous libère, la liberté n'est jamais niée par Spinoza, seulement le "libre arbitre" qui est un concept précis.
Sinon le livre 5 ne s'appellerait pas "de la puissance de l'intellect, autrement dit, de la liberté humaine."
Si Spinoza avait eu pour but de démontrer l'esclavage total de l'homme, il aurait inversé les deux derniers chapitres de l'Ethique...
- jvidal
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Faun a écrit :Je ne comprend pas très bien pourquoi vous dites que Spinoza nie l'infinité de l'intellect. Je le cite :
"nous pouvons, par cette faculté de vouloir, affirmer une infinité de choses (l'une après l'autre cependant ; car nous ne pouvons pas affirmer une infinité de choses en même temps)"
scolie de la proposition 49 partie 2.
De plus, tout intellect est une partie de l'intellect de Dieu, qui est évidemment infini.On peut apprécier Spinoza plus que Descartes, mais, personnellement, je préfère être considéré comme un homme libre au sens ordinaire du terme, c'est-à-dire doué d'une volonté propre et autonome - que comme un automate, même spirituel....
C'est la connaissance des automatismes de la pensée et des affects qui nous libère, la liberté n'est jamais niée par Spinoza, seulement le "libre arbitre" qui est un concept précis.
Sinon le livre 5 ne s'appellerait pas "de la puissance de l'intellect, autrement dit, de la liberté humaine."
Si Spinoza avait eu pour but de démontrer l'esclavage total de l'homme, il aurait inversé les deux derniers chapitres de l'Ethique...
Bonjour Faun,
Ce n'est pas ce que je nie (bien que votre réponse m'ait laissé un peu perplexe sur le sens de mon argument jusqu'à provoquer en moi le doute, mais je me suis repris ...

Joseph Vidal-Rosset
Université de Nancy 2 - Archives Poincaré
Département de philosophie
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