Messagepar Louisa » 22 févr. 2007, 04:33
A Miam
en gros je suis tout à fait d'accord avec ce que tu viens d'écrire ci-dessus, et en effet, c'est également ainsi que j'avais plus ou moins compris la notion de durée chez Bergson.
Mais justement, je me demande dans quelle mesure transposer cette pensée en l'Ethique est bel et bien faisable. Car Bergson ne préconise-t-il pas de concevoir toutes choses 'sub specie durationis' (comme il le dit dans 'La pensée et le mouvant', pg. 176 de l'édition PUF 2005)? Pour Bergson, plus nous essayons de "percevoir toutes choses sub specie durationis, plus nous nous enfonçons dans la durée réelle". Or chez lui, cette 'durée réelle' a en tant que telle une sorte d'éternité, ce qui me semble être impensable chez Spinoza (tu seras d'accord là-dessus, je suppose?). Puis il propose de penser l'éternité non pas comme immutabilité, mais comme 'éternité de vie'. Tandis qu'il me semble que chez Spinoza, il y a bel et bien des mutations, mais tout de même pas des éternités 'mutables'. Les deux notions chez lui s'excluent mutuellement. C'est pourquoi interpréter la durée spinoziste par le biais de Bergson me paraît être une affaire assez risquée.
Macherey aussi fait le lien entre la durée spinoziste et durée bergsonienne (dans son Introduction à la 5e partie de l'Ethique il propose même de concevoir Spinoza comme un genre de 'précurseur' des concepts bergsoniens de durée), mais contrairement à toi, Macherey croît voir dans l'Ethique une 'durée éternelle'. C'est qu'il interprète la fin du scolie de l'E5P20 comme indiquant qu'il y aurait une durée de l'Esprit sans aucune relation à l'existence du Corps, mais qui se base sur l'essence du Corps sub specie aeternitatis. Du coup, il fait de cette durée une durée éternelle, qui s'opposerait à la durée temporelle, la première étant réelle, la deuxième imaginaire.
Mon problème, c'est que je ne vois ni dans ton cas, ni dans celui de Macherey sur quoi se baser, dans l'Ethique, pour pouvoir avancer une telle interprétation. Si Spinoza voulait dire 'écoulement subjectif du temps' quand il parle de durée, ne devrait-il pas l'indiquer quelque part, ne fût-ce que vaguement? Et pourquoi appeler cela alors plus réel que le temps imaginaire? Autrement dit: comment concilier une perception 'sub specie durationis' avec une compréhension 'sub specie aeternitatis'?
Enfin j'avoue que cela m'étonnait de lire que tu trouves que chez Spinoza, on est à tout moment 'responsable', et cela non seulement de l'acte du moment, mais également de tout ce qui précède et de ce qui suivra. Dans un monde spinoziste entièrement déterminé et dépourvu de libre arbitre, je ne vois pas trop comment y ré-injecter la notion de responsabilité, et encore moins une responsabilité pour tout ce qui arrive. Ou est-ce que tu voulais parler d'un sens du mot 'responsable' qui n'avait rien à voir avec le 'royaume moral'? Si oui, comment le comprendre alors?
A propos, je viens de trouver Israël chez Vrin. Merci encore pour le conseil! J'espère pouvoir le lire très bientôt, car en effet, il traite précisément du sujet qui nous occupe ici.
A Benoît
concevoir la durée comme ce qui est en principe mesuré par le temps, c'est ce que l'on fait spontanément en Occident, il me semble. Que prise dans ce sens, Spinoza devrait désigner dès lors la durée comme étant quelque chose de tout aussi imaginaire que le temps en est la conséquence logique. C'est l'hypothèse qui me tente le plus pour l'instant.
Mais cela implique qu'en Dieu, il n'y a pas de durées, je crois. Car l'imagination est faite d'idées inadéquates, donc la durée doit être une idée inadéquate elle aussi. Dieu en a bien sûr l'idée, mais en tant qu'il est infini et com-prend les idées de toutes les choses, il voit le monde non pas coupé en morceaux mais dans sa continuité indivisible. Si la durée est imaginaire, il ne peut donc pas avoir d'idée adéquate de la durée qui l'explique en tant que telle (la durée de la chose x pe), mais seulement de la durée en tant qu'elle ferait partie d'une continuité infinie. Mais continuité infinie de quoi? Pas du temps, car celui est divisible.
Bref, il me semble que quelque chose cloche, quand on part de l'hypothèse que la durée n'est qu'imaginaire. Mais je n'arrive pas à saisir clairement le problème.
A Hokousai
en ce qui me concerne, votre dernier message cc la question de l'appartenir me semble tout de même indiquer que nous sommes d'accord sur l'essentiel par rapport au sens que prend ce mot chez Spinoza. On peut bien sûr toujours se demander s'il ne valait pas mieux considérer les choses autrement que ce que propose Spinoza, mais comme déjà dit, par 'souci de méthode' ce genre de questions m'intéresse un peu moins pour l'instant, simplement parce qu'on ne sait pas faire tout à la fois: repenser soi-même et le monde en expérimentant la pensée d'un philosophe x ou y d'une part, développer la façon dont on perçoit et conçoit soi-même spontanément le monde d'autre part. Mais bon, vu nos discussions précédentes je ne crois pas vous dire en cela quelque chose de nouveau. Disons que mieux comprendre votre approche en tant que telle m'intéresse bien. Vous avez dit il y a quelques semaines qu'elle se base sur la pensée de Wittgenstein. Si un jour vous avez envie d'expliquer davantage comment vous voyez ce genre de choses, je le lirai et y réfléchirai avec plaisir.
Bonne nuit à tous,
et en particulier à l'essence éternelle du Corps de Spinoza (qui ne s'explique certes pas par le temps (donc pas par la nuit non plus) ... mais comme elle n'a pas été détruite il y a 330 ans, dure-t-elle toujours ... ?)
Louisa