Vieordinaire a écrit :
Je croyais avoir ete clair. Adopter une logique de l'ambiguite ne signifie l'abandon necessaire de la logique traditionelle. Je vais essayer de faire une esquisse (trop breve, confuse et incomplete) de certains elements d'une logique de l'ambiguite. Il me faudrait malheureusement plusieurs pages, plus d’intelligence ou de talent, et de temps ... De plus, le francais n'est plus ma langue d'usage--mon francais est donc tres tres tres rouille; je dois puisser avec effort du fond des abimes de ma memoire chacun des mots et chacune des tournures de ce post.
étant encore en train d'apprendre le français moi-même, ce ne sera pas moi qui pourrai le dire quand tu fais des fautes ... so join the club!

Anyway, don't hesitate to switch to English if you don't find the word you're looking for.
Vieordinaire a écrit :Je ne crois pas que ton exemple d'une femme soit adequate. Dieu, ou (sive) Nature. La Nature est (sinon il y aurait une separation en Dieu) et n'est pas (Naturata n'est pas Nuturans) Dieu. La Nature ne peut etre Dieu de la facon dont la femme est 'mère de ses enfants'. Il y a une dynamique avec l'expression 'ou' (sive) que ton cas ignore.
si si, la Nature est ET est Dieu! La Nature est aussi bien Natura Naturans que Natura Naturata. Les deux (naturans et naturata) ne sont que deux façons de concevoir Dieu ou la nature. C'est cela, le sens du
quatenus. Je ne vois pas en quoi cela nous obligerait de quitter la logique traditionnelle.
Vieordinaire a écrit :Les attributs ne sont pas des aspects partiels et particuliers de Dieu qua substance. La relation entre sujet/predicat, ou tout autre distinction du meme genre, ne s'applique pas a celle de substance/attribut. Il ne peut y avoir aucune realite partielle de la part des attributs--et ici est l'ambiguite fondamentale. Chaque attribut constitue ou exprime (l') essence de substance dans son entierete (as a whole); point final. Un attribut ne donne pas a l'intellect la 'moitie', ou une partie, de Dieu. Chaque attribut est substance.
en effet, les attributs ne sont pas des "parties" de Dieu, sinon Dieu serait divisible, ce qu'il n'est pas. Les attributs ne sont pas des prédicats accidentels non plus, mais je ne vois pas ce qui empêche de les considérer comme prédicats essentiels.
Que chaque attribut exprime l'essence de la Substance dans son entièreté n'est à mon sens aucunement ambigu. Il faut, justement, ne PAS penser cela en termes de parties pour que l'ambiguité (je parlerais plutôt d'une contradiction, d'ailleurs) disparaisse.
Vieordinaire a écrit :Aussi, l'essence, l'existence et la puissance de Dieu ne sont pas des aspects de Dieu. Essence=Existence=Puissance; Elles sont 'la meme chose' ou realite; et cependant il faut faire une distinction entre les trois ... A est a la fois A et non-A d'une certaine facon. Je comprends fort bien que tu ne puisses pas etre d'accord avec ces affirmations/interpretations.
ni l'essence ni l'existence ni la puissance de Dieu expriment ou constituent Dieu. Nous sommes ici à un tout autre niveau de la substance que quand nous parlons d'attributs. Je n'ai donc aucun problème à admettre que l'essence de Dieu et son existence sont la même chose, ou que sa puissance et son essence sont la même chose. Dès qu'on définit la substance comme ce qui est
causa sui, son existence doit effectivement suivre de son essence. Et dès que l'on définit une essence par le fait de produire des effets, d'agir, on peut aussi dire de la substance qu'elle est essentiellement puissance. Donc bon, je ne vois pas très bien où se trouverait ici un problème ou une ambiguité. Je ne vois pas comment tu peux parler ici d'un "A" qui est "à la fois A et non A". L'essence n'est pas du tout le contraire de l'existence ... . Idem en ce qui concerne la puissance. Essence, existence et puissance ne s'excluent pas mutuellement, elles ne sont pas du tout contradictoire. Qu'une chose existe, a une essence, et une puissance .. comment cela pourrait-il être contradictoire? Pourrais-tu expliquer davantage ton point de vue?
Vieordinaire a écrit :Un autre exemple. En tant qu'etre particulier, je ne suis pas un corps et un esprit; je suis un corps ou (sive) un esprit.
je ne crois pas que ceci soit très spinoziste. Jamais Spinoza ne parle d'un
Corpus sivi Spiritus. Si la Nature est elle-même Dieu, le corps n'est jamais lui-même un esprit, chez Spinoza. Tout comme l'attribut de la Pensée n'est pas du tout lui-même l'attribut de l'Etendue, d'ailleurs. Ou pour le dire en tes termes: la "logique" du
sive est différente de celle du
quatenus.
Le rapport exprimé par le terme
sive est un rapport
symétrique: Dieu ou la Nature, cela signifie que Dieu est entièrement Nature, la Nature est entièrement Dieu.
Le rapport exprimé par le terme
quatenus, en revanche, est
asymétrique: on peut considérer Dieu "en tant qu"il s'exprime dans un attribut ou un mode, mais on ne peut pas considérer un mode "en tant qu"il s'exprime en Dieu ... . Un mode exprime Dieu (= AUTRE CHOSE que le mode), mais Dieu S'exprime LUI-MEME dans un mode. Le rapport n'est plus symétrique ici. Considérer A en tant que B n'implique pas que l'on peut considérer B en tant que A.
Vieordinaire a écrit : Tu ne peux pas ajouter le corps a l'esprit (et vice-versa) afin de former de facon complete l'etre en question--en ce sens il y a ambiguite. Mon corps n'est pas la 'moitie' de mon etre: il est ce que je suis (sous l’attribut de l’etendue)!
ce que tu constates à mon sens correctement, c'est qu'effectivement, les deux modes qui constituent une chose, ou les attributs qui constituent Dieu, ne sont pas des "parties" de ce qu'ils constituent (sinon le constitué serait divisible). Mais cela ne veut pas encore dire qu'il y aurait "ambiguité"!! Cela signfie simplement qu'il faut penser ce genre de relations de ce qui constitue à ce qui est constitué autrement que par le rapport partie-tout. Mais ce n'est pas parce qu'on parle d'un autre type de relation qu'on aurait déjà nécessairement une ambiguité.
Vieordinaire a écrit :"Là. en effet. nous avons montré que l'idée du corps et le corps lui-même c'est-à-dire (par la Propos. 13, partie 2) l'âme et le corps, ne font qu'un seul et même individu conçu tantôt sous l'attribut de la pensée, tantôt sous celui de l'étendue" (2p21)
La presence de 'tantot' (iam) n'est pas anodin. Il souligne une dynamique qui est fundamentale a la logique de l'ambiguite.
j'avoue que je ne te suis pas. Pour moi il n'est en tout cas pas très bizarre de considérer une chose tantôt d'une façon, tantôt d'une autre. Pensons aux taches de Rorschach: l'une d'entre elle est aussi bien lapin que cygne (canard? je ne sais plus très bien). Il suffit de la concevoir tantôt d'une façon, tantôt d'une autre pour voir comment une seule et même chose peut exprimer deux choses.
Mais cela ne veut pas dire que le dessin est ambigu. L'ambiguité comporte nécessairement une connotation d'incertitude, une zone d'ombre, d'indécision, d'équivoque. Or rien n'est obscure dans cette tache. Il se fait qu'elle puisse seulement exprimer deux choses différentes, tout en restant la même. Si tu veux, on pourrait parler d'une logique de l'expression (voir Deleuze). Cela me semble en tout cas mieux convenir que "ambiguité".
Vieordinaire a écrit :L'actualisation, ou l'expression, d'un attribut 'exclut' celle de tout autre attribut. Une analogie est celle de la figure vieille dame/jeune fille.
non, pas vraiment. On peut concevoir un attribut par soi et en soi, c'est-à-dire sans penser nécessairement à d'autres attributs. Mais Dieu est l'ensemble des attributs, donc aucun attribut n'exclut la possibilité ou l'essence ou l'actualité (plutôt qu'actualisation, puisque tout est toujours déjà actualisé, chez Spinoza) d'un autre.
Vieordinaire a écrit :Tu ne peux pas concevoir ensemble et d'un seul coup la vieille femme et la jeune fille. Une doit exclure l'autre; chacune est concue 'a travers elle-meme', "c'est-à-dire l'un sans le secours de l'autre" (1p10).
notre attention humaine effectivement ne peut se fixer que sur une chose à la fois. Mais cela ne veut pas dire que la réalité que l'on conçoit tantôt sous un tantôt sous un autre aspect, contient des aspects qui s'excluent ... .
Vieordinaire a écrit :"In this connection, Thomas C. Mark talks about a sort of ontological synonymy between attributes.
la synonymie, relation symétrique, concerne le
sive, non pas le
quatenus, qui a trait aux attributs.
Vieordinaire a écrit :To elucidate the relation of expression of the same substance in different attributes, he uses the analogy of the same musical composition transposed into different keys. "It is meaningless to ask whether the transpositions do or do not 'correspond to' the music. A transposition does not represent the music to us, it just gives us the music." (De Dijn, p.201)
une expression n'est effectivement pas une représentation. L'exemple d'une transposition musicale n'est peut-être pas inintéressant. Il a l'avantage de faire comprendre qu'effectivement, quand quelque chose change dans une partition, selon le même rapport quelque chose doit changer dans toutes les autres, qui contiennent les transpositions. Nous avons donc une référence au fait qu'il n'y a qu'un seul ordre de causes et effets dans tous les attributs.
Mais justement: est-ce que tu dirais qu'une transposition "exclut" l'autre ... ? Si oui: pourquoi?
Et est-ce que tu dirais qu'une transposition est "contraire" à l'autre?
Enfin, je ne vois pas non plus en quoi on pourrait dire qu'il y aurait une "ambiguité" entre les différentes transpositions. A mon sens il n'y en a aucune. Chaque transposition exprime tout à fait clairement le même rapport entre les notes, sans aucune zone d'ombre ou équivoque.
Vieordinaire a écrit :Tu as ecrit: "Il n'y a pas contrariété, il y a diversité." Mais qu'est-ce que cela veut vraiment dire? Diversite exprime une certaine difference. Diversite: "caractère de ce qui est divers, de ce qui est varié"- variés : "divers, différents les uns des autres"
cela veut dire que les diverses transpositions ne se contredisent pas, elles sont simplement de différentes expressions d'une seule et même chose.
Vieordinaire a écrit :L'idee d'une certain forme d'exclusion entre attributs ne peut etre ignoree.
je dirais plutôt l'inverse: il est impossible d'injecter dans le spinozisme une idée d'une quelconque "exclusion" entre les attributs.
Vieordinaire a écrit :Et en ce sens nous pouvons dire qu'ils sont 'contraires'. Les attributs ne sont pas des ‘machins’ en paralleles ou complementaires--entendre par la qu'ils co-existent separement.
si, ils sont paralléles. Mais non, ils n'existent pas "séparément" (cela diviserait la substance), ils existent d'une façon "réellement distincte". Il faut donc approfondir le concept d'être "réellement distinct" pour mieux comprendre, en tout clarté et sans qu'aucune contradiction ou ambiguité ou quoi que ce soit soit nécessaire, la théorie des attributs chez Spinoza.
Vieordinaire a écrit : Peut-il vraiment avoir deux expressions entieres et concommitanttes d'une essence unique? Est-ce que cela n'equivaut pas a se resoudre a une certain forme de multiplicite?
oui, mais il s'agit d'une multiplicité qualitative, et non pas numérique.
Vieordinaire a écrit : Il y a besoin ou exigence d'unite qui doit s'affirmer de facon absolue--5a1 est simplement un cas particuliar de cette exigence, ou plus precisement necesssite, d'unite dans l’ordre modal pour le cas d’un etre particulier.
non, en 5a1 il s'agit de choses qui tirent l'esprit dans des directions différentes. Dans la substance, les attributs ne sont pas du tout des choses qui la tirent dans des sens différents. La contrariété n'existe QUE au niveau modal (ce qui est contraire à la nature d'une chose particulière est ce qui est mauvais pour elle), pas du tout au niveau de la substance (qui ne connaît ni bon ni mauvais).
Vieordinaire a écrit : Imaginer la verite de 2p7 sous la representation d’un certain parallelisme est l'une des plus importantes et repandues parmi les incomprehensions des idees de Spinoza faites par ses commentateurs ; bien que cette erreur soit toute a fait naturelle lorsque nous considerons la nature, ou les necessites, de l'imagination. Les idees de complements et de parallélisme sont simplement des 'etres de raison' que nous formont afin de 'resoudre' l'impossibilite--du point de vue de la logique traditionelle--des attributes.
tu sais, ce que tu appelles "logique traditionnelle" me semble plutôt consister dans le fait que tu as des difficultés de concevoir d'autres types de relations que celle du partie-tout. Or déjà Aristote en mentionnait un tas d'autres, et l'histoire de la philosophie n'a cessé de les multiplier. Le problème est CONCEPTUEL, et non pas LOQIQUE.
D'ailleurs, je crains que cette confusion existe très souvent parmi les commentateurs de tradition analytique et/ou anglo-américaine: on aborde un concept en pensant à un AUTRE concept, et alors certaines choses deviennent obscures. On n'attribue pas cette obscurité à la confusion des concepts qu'on est inconsciemment en train d'opérer, mais on l'attribue à l'auteur même, et on l'appelle "contradiction" (ou, si on veut être un peu plus clément par rapport à l'auteur, "ambiguité"). Pour moi il s'agit simplement d'un manque de rigueur proprement philosophique, rigueur qui exige que l'on apprenne à suspendre ses propres concepts (et donc d'abord de s'en rendre compte), ce qui n'est pas facile du tout, et que l'on ne fait pas sans formation appropriée.
Vieordinaire a écrit : d’une certaine maniere, toute idée est a la fois adequate and inadequate (A et non-A).
pourrais-tu préciser de quelle manière?
En attendant ton explication: à mon sens il s'agit d'une erreur.
Vieordinaire a écrit :Je crois aussi que ce que ton commentaire neglige et ignore est le fait ces 'commentateurs' critiquent Spinoza sur le compte que ses idees ne semblent pas etre consistentes avec lois et conventions de la logique traditionelles--telles que la plupart de nous les comprennent. Ces commentateurs ne veulent pas le comprendre, ou ne l'ont pas compris, precisement parce qu'il fait, selon eux, faux bond aux principes de la logique traditionelle. Si tu refuses leurs positions, cela souleve une probleme interessant (bien qu'il puisse etre deconcertant de ton point de vue): la logique traditionelle semblent etre le sujet d'interpretrations variees and diverses. Nos convictions ne sont pas seulement, et tres tres rarement comme Hokousai l'a souligne, le resultat d'efforts rationels et conscient, selon des principles logiques, apres tout.
fort bien, mais je vois beaucoup trop le procédé d'interprétation non philosophique à l'oeuvre, chez ce genre de commentateurs, pour pouvoir leur donner cet avantage du doute. Voir ce que je viens de dire ci-dessus à ce sujet. Il s'agit à mon sens simplement d'erreur METHODOLOGIQUE. On oublie qu'en philosophie, les mots n'ont pas un sens univoque, et que les présuppositions des philosophes étudiés sont rarement les mêmes que celles du lecteurs. E-NOR-ME-MENT de ces soi-disant "inconsistances", "ambiguités", "contradictions" etc se dissipement immédiatement dès qu'on est prêt à accepter qu'il existe davantage de concepts que ceux qu'on connaît déjà ou que l'on utilise couramment, dès qu'on est prêt à reconstruire activement de nouveaux concepts. Ce n'est pas une question de logique, mais de travail conceptuel. C'est très différent.
Louisa a écrit:
Et c'est cela ce que j'ai voulu dire dans mon message que tu cites (et en général dans la discussion ici avec Hokousai et Sescho): le moyen le plus solide pour prétendre à la vérité d'une interprétation de Spinoza, c'est la "raison", car elle seule sait construire un commentaire profond ET communicable à tous. [\quote]
Vieordinaire:
Est-ce que par 'raison' tu entends la connaissance du deuxieme genre ou la pensee symbolique et reflexive (prise dans un sens tres large)? Il ne faudrait pas confondre les deux.
euh ... il faudrait peut-être définir explicitement ce que tu veux dire par "pensée symbolique et réflexive prise dans un sens très large" avant que je sache ce qui à tes yeux il ne faut pas confondre ... ?
Sinon oui, j'entends par la connaissance rationnelle la connaissance du deuxième genre.
Vieordinaire a écrit : Il est vrai que Spinoza a associe certaines pretentions avec la connaissance du deuxieme genre (voir par exemple les distinctions qu'il etablit quant entre la foi/theologie et la ratio/philosophie dans le TTP) mais je crois, comme l'histoire nous le prouve, que Spinoza n'a pas eu tout a fait raison sur ce point particulier (il faudrait que je m'explique plus clairement sur ce sujet mais je n'ai pas le temps).
ok, j'attends ton explication.
Vieordinaire a écrit :Spinoza etait un homme apres tout, et un homme qui, comme nous tous, n'a jamais tout a fait transcende son epoque.
Spinoza était en effet un homme de son temps. Rembrandt aussi. Mais leurs OEUVRES transcendent bel et bien leur époque. Elles ont donc une consistance propre, qui dès lors n'a plus rien de "personnelle" (ni de purement matérielle). En quoi consiste-t-elle? A mes yeux c'est à ceux qui les étudient de la mettre en évidence, de la reconstruire maximalement. Tâche qu'abandonnent trop rapidement ces commentateurs qui ne se consacrent pas au travail "lent et patient" des concepts, pour passer rapidement à ce qui ne colle pas avec leurs propres préjugés, et alors arrêter le travail là en se disant que, "après tout", ces philosophes étaient des hommes, donc devraient bien se contredire ici et là de temps en temps.
Cordialement,
L.