Salut Aurobindo,
aurobindo a écrit :Pour etre bref , j'avais conscience de mes pensées sans m'identifier a elles, sans etre pris dans leur contenu et l'enchainement des autres pensée qui en decoulait ,j'observais ces pensées en tant que pensée, independemment de leur contenu , comme séparée de moi, provenant de l'exterieur, et dans le meme temps je distinguais les pensées venant de l'interieur ou de mon etre propre. Cela correspondait a une sensation de libération trés concréte mais par rapport a la pensée.
L'expérience que tu as vécue ne doit pas être facile à décrire. Mais telle que tu l'écris, probablement pas telle que tu l'as réellement vécue, il me semble qu'il s'agirait plus d'une expérience de la dimension négative et donc mutilée de la béatitude que de sa dimension pleinement positive. Cela ressemble à une pratique yoguique : prise de conscience que je ne suis pas mes pensées, d'où la sensation de libération dont tu parles mais aussi cette sensation de séparation. La béatitude dont parle Spinoza serait plutôt à mon sens la prise de conscience que je ne suis pas
que mes pensées, c'est-à-dire l'idée de mon corps, ni que ce corps lui-même. Mais que
ce qui pense, dans l'idée du corps auquel je me rapporte, est non un moi borné mais la substance unique de toute pensée, c'est-à-dire la nature naturante ou Dieu.
Dans un cas on a une pensée discriminante qui se libère de la limitation en la niant (mais en risquant de se perdre dans l'indétermination vague), dans l'autre une pensée englobante qui se libère de la limitation en l'affirmant, c'est-à-dire en saisissant l'unité positive de la substance et de ses modes, de l'infini et du fini, non pas en faisant de l'ego particulier une substance mais en comprenant intuitivement l'ego comme expression éternelle de la substance. D'où la possibilité de conserver cet état de conscience en "tâche de fond", tandis que l'état d'absorption que tu sembles décrire est nécessairement passager car les mille choses ne cessent pas d'exister, de t'affecter, et c'est heureux.
Le plus étonnant est dans la perception de l'unicité de la matière qui ,elle, au lieu de libèration m'a procuré l'experience d'une joie incroyablement intense, pure et qui reposait sur ma faculté de comprendre que chaque chose etait une ou que tout etait un. Sentir plutot que comprendre, comme une nouvelle respiration qui te brule de joie qui t'etend aussi, il ny'a plus d'invidualité, il y a juste cela , une seule chose, schématiquement je dirais que le divers des corps et objets materiels avaient tous la meme "couleur" ,etaient tous en essence des modifications d'une seule essence. Tout est un....c'est vraiment l'intuition fondamentale qui encore aujourd'hui m'ouvre a cette joie immmense, le mot joie semble en fait trop faible...
J'ai la première fois fait cette expérience peu après avoir lu l'article de Misrahi sur Immanence et Transcendance dans l'encyclopaedia universalis, quand j'avais 19 ans, c'était à la bibliothèque municipale de Limoges

. Tout d'un coup sentir l'illimité, être illimité. Mais pas pour autant de perte de l'individualité, pas d'absorption annihilante dans le grand Tout : saisie que tout est un, ce qui n'exclut pas le moi mais l'englobe, l'enveloppe en tant qu'expression éternelle. La joie venant de la conscience de ne plus y être réduit. La vague n'est pas séparée de l'océan, elle n'est rien en elle-même, mais elle n'est pas rien pour autant : elle est façon d'être de l'océan.
Le fait est que ce genre de connaissance, j'en suis persuadé est a la portée de tous , non difficile en soi mais plutot par l'habitude de se raccrocher a ce qui nous en détourne..
Tout à fait, d'autant plus que la béatitude ne commence pas à proprement parler : comme nous y baignons en permanence, nous ne la voyons pas, comme un poisson qui n'ayant jamais connu que l'eau ne se rend pas compte d'y baigner, et nous attardons notre attention sur la surface changeante des phénomènes.
Cette experience m'est arrivé a plusieurs reprises ,a chaque fois pendant des durées plus longue, et la dernière fois j',ai vraiment senti que cela pouvait continuer indéfiniment tant que je comprendrai les choses de cette maniére.
Cette expérience te prenait n'importe quand ou dans certaines conditions assez précises ?
Je n'en parle pas beaucoup en général car je prefere parler a partir de l'etat réel que d'un souvenir . Mais ayant du mal a le retrouver, j'aurais souhaité en parler avec vous et avoir vos réactions. Les enjeux m'apparaissent tout de meme assez énorme pour la conception de la philosophie meme....
Pour faire référence à ce que dit Miam par ailleurs et avec quoi je suis tout à fait d'accord, la béatitude est dans le cheminement (non au bout du cheminement, non à reproduire) : "le « béat » doit nécessairement s’attaquer à des problèmes de plus en plus complexes et pouvoir digérer des affects de plus en plus dangereux". C'est pourquoi écrire à ce propos peut être une façon de dépasser le déjà-vécu pour pouvoir s'ouvrir à un vécu de plus en plus subtil.
Par aileurs, je me suis lancé cette année dans un mémoire sur Spinoza mais j'eprouve des difficultés a naviguer entre ce que j'estime etre le sens vrai et son adaptation dans un travail académique.
Sur quoi porte ton mémoire ?
C'est sûr qu'il peut y avoir un hiatus entre le vécu et le formalisme académique, mais il ne faut pas le mépriser. Ce travail ne t'apportera sans doute pas la béatitude mais il t'apprendra à construire un raisonnement suivi sur de longues pages, et ainsi à communiquer de façon approfondie. Ce n'est pas rien. Pour ce qui est de parler du sens vrai de Spinoza dans le style qui te semblerait le plus convenable, si tu te sens frustré de ne pas pouvoir le faire dans ton mémoire, ne te prives pas de venir le faire sur ce forum ou en proposant des articles !
Je ne pense pas qu'il y ait vraiment de recette ou de methode a vrai dire. Spinoza en a peut etre proposé une, mais fondamentalement on ne peut pas vraiment etre pris " comme par la main" , il faut une part d'implication personelle d'intensité et de sincérite du désir que l'on a pas habituellement je crois.
Oui mais être pris "comme par la main", ce n'est pas être poussé dans le dos et devoir avancer malgré soi, c'est être guidé doucement, ce qui suppose que celui qui est guidé a le désir d'aller au but.
En fait l'approche de krishnamurti est peut etre plus viable lorsqu'il nous conseille de simplement essayer de faire ce qu'il nous explique. L'ethique je la concois plus comme une demonstration rationelle de l'experience de la beatitude, un monument ou une oeuvre d'art plus qu'un itineraire proposé au lecteur meme si certaines parties peuvent ns aider.
Rien ne lui empêche d'être les deux : une démonstration de la béatitude et une méthode (prise de conscience de sa puissance d'exister, de son unité avec la substance, travail sur les passions tristes qui empêchent cette conscience de perdurer, culture d'une imagination positive, laisser l'intellect intuitif s'épanouir).
Maintenant si l'on veut vraiment connaitre ce dont spinoza parle je pense qu'a un moment il faut fermer le livre. C'est a dire essayer d'agir sur ses propre pensée et sa vision du monde plutot que de discuter la pensée de spinoza et sa vision du monde. Je pense que l'essentiel n'est pas tant de connaitre l'ethique par coeur meme si'l est bon de la connaitre que de retrouver les inspiration fondamentales de spinoza qu'il presente dans le traité de la reforme de l'entendement, une volonté sincére de tout mettre de coté pour trouver le souverain bien, un désir veritablement vital qui n'st pas tout a fait le notre lorsqu'on se contente d'admirer ou de commmenter le texte.
Tout à fait d'accord : la carte n'est pas le chemin. Mais l'examen de la carte et l'élaboration d'un itinéraire personnel font partie du voyage

En fait, de plus en plus, je concois ce troisiéme genre comme une faculté naturelle chez chacun de nous. En demander la recette c'est comme demander une recette pour lever le bras ou pour sauter, tu le fais tous simplement, je pense que c'est la meme chose pour la science intuitive la seule maniére d'en faire l'expérience c'est de le faire meme si cela apparait paradoxal...Il faut sentir l'unicité de la matiére et prendre conscience de ses pensé...je suis désolé j'ai conscience que je m'exprime relativement mal..
Pas si mal : "A qui comprend, un seul mot suffit" (TTP7), mais pour qui ne comprend pas, les descriptions et explications les plus prolixes sont parfois insuffisantes. Il ne s'agit évidemment pas de se contenter de prendre tel et tels ingrédients et de touiller : ici les ingrédients, c'est tout, difficile alors de touiller. Mais l'Ethique propose néanmoins un itinéraire pour passer de la conscience bornée sur sa finitude à la conscience ouverte sur l'infini : ce n'est pas une technique qu'il suffirait d'exécuter de l'extérieur sans être impliqué, c'est une pratique dans laquelle l'agent se modifie lui-même.
Et si tu as des difficultés à exprimer tout ce dont tu as l'intuition, c'est normal, mais en travaillant à surmonter cette confusion par l'écriture essentiellement, ton expérience gagnera en clarté (même si après avoir fermé le livre, il faut aussi fermer le cahier ou la fenêtre de l'ordinateur).
Amicalement,
Henrique