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TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE
CHAPITRE X.
ON EXAMINE LES AUTRES LIVRES DE L’ANCIEN TESTAMENT
COMME ON A FAIT PRÉCÉDEMMENT LES DOUZE PREMIERS1
Plan du TTP
Je passe à l’examen des
autres livres de l’Ancien Testament. Je n’ai rien à dire de certain
ni d’important touchant les deux livres des Paralipomènes,
sinon qu’ils ont été écrits longtemps après
Hezras, et peut-être même depuis la restauration du temple
par Judas Machabée. L’historien nous y donne en effet (liv. I,
chap. IX) le " dénombrement des familles qui les premières
(c’est-à-dire dès le temps d’Hezras) habitèrent
Jérusalem. " Ajoutez à cela qu’au verset 17,
il nous désigne par leur nom les gardiens des portes (remarquez
que deux de ces noms se retrouvent dans Néhémias,
chap. XI, vers. 19), ce qui prouve que ces livres ont été
écrits longtemps après la reconstruction de Jérusalem.
Du reste, je n’ai rien à dire de certain touchant le véritable
auteur des Paralipomènes, ni sur l’utilité ou l’autorité
qu’il leur faut reconnaître, ni enfin sur la doctrine qui y est
contenue. Et je ne puis assez m’étonner qu’ils aient été
mis au nombre des livres saints par ceux-là même qui n’ont
pas voulu y comprendre le livre de la Sagesse, celui de Tobie,
et tous ceux qu’on appelle apocryphes. Du reste, mon dessein n’est pas
du tout de défendre ici l’autorité des Paralipomènes
; mais puisqu’on s’est accordé à les recevoir parmi les
livres saints, je n’y veux pas contredire et je passe outre.
Les Psaumes ont également été
réunis en corps d’ouvrage et divisés en cinq livres à
l’époque du second temple. Car le psaume 88, au témoignage
de Philon le Juif, fut mis au jour pendant la prison du roi Jéhojakim
à Babylone, et le psaume 89 après sa délivrance.
Or je ne pense pas que Philon eût attesté ce fait, s’il ne
l’eût recueilli de personnes dignes de foi, ou emprunté à
l’opinion générale de son temps.
Je crois aussi que les Proverbes de Salomon ont
été recueillis vers cette même époque, ou tout
au moins sous le règne de Josias. Je trouve en effet au dernier
verset du chapitre XXIV ces paroles : " Voici encore des
proverbes qui sont de Salomon ; ils ont été transportés
dans ce recueil par les serviteurs d’Hiskias, roi de Juda. "
Il m’est impossible de ne pas m’élever ici contre l’audace des
rabbins qui voulaient retrancher ce livre, ainsi que l’Ecclésiaste,
du canon des saintes Écritures, pour le mettre à part avec
les autres livres dont nous avons déjà regretté l’exclusion.
Et ils n’eussent pas manqué de le faire, s’ils n’avaient trouvé
dans les Proverbes et l’Ecclésiaste quelques endroits
où la loi de Moïse est mise en honneur. C’est une chose assurément
déplorable que le sort d’ouvrages aussi excellents, aussi sacrés,
ait pu dépendre de la décision de pareils juges. Je leur
dois cependant des actions de grâces pour avoir bien voulu nous
les conserver. L’ont-ils fait avec une fidélité scrupuleuse
et sans les altérer d’aucune façon ? c’est ce que je ne
veux point examiner de près en ce moment.
Je passe aux livres des Prophètes. Si on
les examine attentivement, on reconnaîtra que les prophéties
qu’ils contiennent ont été recueillies dans d’autres livres,
qu’elles ne sont point toujours disposées dans le même ordre
où elles ont été prononcées ou écrites,
enfin que ce ne sont point là toutes les prophéties, mais
seulement celles qu’on a retrouvées de côté et d’autre
; d’où il suit que ces livres ne sont véritablement que
des fragments des prophètes. Ainsi Isaïe n’y commence à
prophétiser que sous le règne d’Huzias, comme le collecteur
le témoigne lui-même au premier verset. Or il est certain
qu’Isaïe prophétisa avant cette époque et que, dans
un livre aujourd’hui perdu, il avait tracé l’histoire entière
du roi Huzias (voyez Paralipomènes, liv. II, chap. XXVI,
vers. 22). Les prophéties que nous avons d’Isaïe ont été
tirées des Chroniques des rois de Juda et d’Israël, ainsi
que nous l’avons prouvé plus haut. Ajoutez à cela que les
rabbins font vivre ce prophète jusqu’au règne de Manassé,
qui ordonna de le mettre à mort ; et bien que ce récit paraisse
n’être qu’une fable, on en peut cependant induire que les rabbins
n’ignoraient pas que toutes les prophéties d’Isaïe n’ont pas
été conservées.
Les prophéties de Jérémie, qui sont
présentées sous forme historique, ont été
également tirées de diverses Chroniques et rassemblées
par un collecteur. J’en trouve une preuve dans la confusion qui règne
parmi cette accumulation de prophéties où l’ordre des temps
n’est point observé. Ajoutez que le même récit est
souvent répété de plusieurs manières différentes.
Ainsi le chapitre XXI nous explique la cause des appréhensions
de Jérémie ; elles viennent de ce qu’il a prédit
à Zédéchias, qui le consultait, la dévastation
de Jérusalem. Tout à coup ce récit est interrompu,
et le chapitre XXII nous raconte les remontrances que Jérémie
adressa à Jéhojakim (qui régna avant Zédéchias),
et la prédiction qu’il lui fit d’une prochaine captivité
; puis, au chapitre XXV, viennent les révélations qui ont
été faites à Jérémie avant cette époque,
savoir, la quatrième année du règne de Jéhojakim
; puis enfin d’autres révélations que le prophète
a reçues quatre années auparavant. Le collecteur du livre
de Jérémie continue ainsi d’entasser les prophéties
sans garder l’ordre des temps, jusqu’à ce que, parvenu au chapitre
XXXVIII, il reprend le récit qu’il avait commencé au chapitre
XXI, comme si les chapitres intermédiaires étaient une simple
parenthèse. En effet, la conjonction par où commence le
chapitre XXXVIII se rapporte aux versets 8, 9 et 10 du chapitre XXI. De
plus, dans le récit du chapitre XXXVIII, la tristesse du prophète
Jérémie et la cause de sa longue détention dans le
vestibule de la prison sont racontées tout autrement que dans le
chapitre XXXVII, ce qui montre clairement que tout cela n’est qu’une collection
de matériaux empruntés à divers historiens, sans
quoi un pareil désordre serait véritablement inexplicable.
Quant au reste des prophéties contenues dans les autres chapitres,
où Jérémie parle à la première personne,
il y a toute apparence qu’elles ont été tirées du
livre que Jérémie dicta à Baruch, lequel ne contenait
(ainsi qu’on le voit par le chapitre XXXVI, verset 2) que les révélations
faites à Jérémie depuis Josias jusqu’à la
quatrième année du règne de Jéhojakim. Il
paraît aussi qu’on aura extrait de ce même livre dicté
à Baruch tout ce qui est compris entre le chapitre XLV, verset
2, jusqu’au chapitre LI, verset 59.
Il suffit de lire les premiers versets du livre d’Ézéchiel
pour se convaincre que ce livre n’est qu’un fragment. Qui ne voit en effet
que la conjonction par où il commence suppose un discours antérieur
qu’elle unit à ce qui va suivre ? Et non-seulement cette conjonction,
mais toute la contexture de l’ouvrage, marque d’autres écrits que
nous n’avons plus. Ce livre commence à l’an 30e, ce
qui prouve clairement que le prophète continue un récit
déjà commencé ; et l’auteur même du livre confirme
cette induction par une parenthèse qu’il a placée au verset
3 : " La parole de Dieu, " dit-il, " s’était
souvent fait entendre à Ézéchiel, fils de Buzé,
prêtre dans le pays des Chaldéens. " C’est
comme s’il disait expressément que les prophéties d’Ézéchiel,
dont il va faire le récit, sont une suite de révélations
antérieures qu’Ézéchiel avait reçues de Dieu.
Une autre preuve, c’est que Josèphe, dans ses Antiquités
(liv. X, chap. IX), nous rapporte qu’Ézéchiel prédit
à Zédéchias qu’il ne verrait pas Babylone. Or nous
ne trouvons pas cette prophétie dans le livre d’Ézéchiel
que nous avons aujourd’hui ; tout au contraire, nous y voyons, au chapitre
XVII, que Zédéchias sera conduit en captivité à
Babylone 2. - Pour Hosée,
je ne puis affirmer qu’il ait écrit un plus grand nombre de prophéties
que nous n’en avons dans le livre qui porte son nom. Et toutefois il y
a lieu d’être surpris qu’il nous reste si peu de chose d’un prophète
qui, au témoignage de l’écrivain sacré, a prophétisé
pendant plus de quatre-vingt-quatre ans.
Nous savons du moins en général que les
Écritures ne contiennent ni tous les prophètes, ni toutes
les prophéties de ceux qui n’ont pas entièrement péri.
Ainsi nous n’avons absolument rien de tous les prophètes qui ont
prophétisé sous le règne de Manassé, et dont
il est fait mention dans le livre II des Paralipomènes (chap.
XXXIII, vers. 10, 18 et 19) ; et quant aux douze petits prophètes,
nous sommes loin de posséder toutes leurs prophéties. Il
me suffira de citer Jonas, dont nous n’avons que la prophétie qu’il
adressa aux Ninivites ; or nous savons qu’il prophétisa aussi aux
Israélites, comme on le voit par le second livre des Rois
(chap. XIV, vers. 25).
Le livre de Job et Job lui-même ont fait
l’objet d’un grand nombre de controverses. Quelques-uns pensent que Moïse
est l’auteur de ce livre, et que l’histoire de Job tout entière
n’est qu’une parabole. C’est l’opinion de certains rabbins dans le Talmud
; et Maimonide, dans son livre More Nebuchim, y incline fortement.
D’autres admettent que l’histoire de Job est véritable ; et parmi
ceux-là quelques-uns pensent que Job a vécu du temps de
Jacob, et qu’il a même pris en mariage sa fille Dina. Mais Aben-Hezra
est fort éloigné de ce sentiment, comme j’ai déjà
eu occasion de le dire ; il est d’avis (voyez son commentaire) que le
livre de Job est une traduction ; et, quant à moi, je voudrais
bien qu’il en fût ainsi ; car il en serait d’autant plus évident
que les gentils ont eu aussi des livres saints. Mais il est plus sage
de tenir la chose pour douteuse ; et je me borne à penser, comme
simple conjecture, que Job était un gentil d’une grande force d’âme,
qui passa d’une fortune prospère à des destinées
malheureuses, pour revenir ensuite à sa première condition
de prospérité. Ézéchiel, en effet (chap. XIV,
vers. 12), le cite entre quelques autres personnages, et je suis porté
à croire que ces alternatives de la destinée de Job et la
force d’âme qu’il a déployée donnèrent occasion
à plusieurs de discuter sur la providence de Dieu ; ou du moins
elles déterminèrent l’auteur du livre de Job à
composer un dialogue sur cette matière ; car ni le fond de cette
composition ni le style ne portent le caractère d’un auteur accablé
par la maladie et couvert de cendres ; elles trahissent au contraire le
travail et le loisir du cabinet. Sous ce point de vue, j’incline à
l’opinion d’Aben-Hezra, que le livre de Job est une traduction. L’auteur
en effet paraît imiter la poésie des gentils ; car le père
des dieux y convoque deux fois l’assemblée où Momus, sous
le nom de Satan, critique les actions de Dieu avec une extrême liberté,
etc. Mais ce ne sont là, je l’avoue, que de simples conjectures,
et elles ne sont point assez fondées pour qu’on y insiste.
Passons au livre de Daniel. Il n’y a aucun doute
qu’à partir du chapitre VIII ce livre ne soit l’ouvrage du prophète
dont il porte le nom. Mais d’où a-t-on tiré les sept premiers
chapitres ? voilà ce qu’il est facile de dire. Il y a toute apparence
que ç’a été des chronologies chaldéennes,
tous ces chapitres, excepté le premier, ayant été
écrits en chaldéen. Si ce point était une fois bien
établi, nous y trouverions un éclatant témoignage
de la vérité de ce principe, que la Bible ne doit pas son
caractère de livre saint aux paroles et aux discours qu’elle contient,
ou à la langue où elle est écrite, mais aux choses
mêmes que l’intelligence y découvre ; et par conséquent
tous les livres qui contiennent des récits et des renseignements
d’une moralité excellente, en quelque langue qu’ils soient écrits,
chez quelque nation qu’on les rencontre, sont également sacrés.
Quoi qu’il en soit, nous pouvons toujours noter ici que les sept premiers
chapitres de Daniel ont été écrits en chaldéen,
et qu’ils n’en sont pas réputés moins sacrés que
tout le reste de la Bible.
Le premier livre d’Hezras est si étroitement
lié à celui de Daniel, qu’il est aisé d’y
reconnaître l’ouvrage d’un seul et même auteur, qui continue
dans ce dernier livre à exposer l’histoire des Juifs depuis leur
première captivité.
Pour le livre d’Esther, je n’hésite pas
à le rattacher à celui d’Hezras, la conjonction par
où il commence ne pouvant s’interpréter dans un autre sens.
Et il ne faut pas croire que ce livre d’Esther soit celui que Mardochée
a écrit, puisqu’au chapitre IX (vers. 20, 21, 22) un autre que
Mardochée parle de Mardochée lui-même, des lettres
qu’il a écrites et de ce qu’elles contenaient. De plus, il est
dit au verset 31 du même chapitre que la reine Esther avait confirmé
par un édit toutes les sûretés relatives à
la célébration de la fête des Sorts (Purim),
et qu’on avait écrit cet édit dans le Livre, c’est-à-dire,
en langage hébraïque, dans un livre parfaitement connu de
tous à cette époque. Or il faut bien avouer ici, comme le
fait Aben-Hezra, que ce livre a péri avec les autres. Enfin, le
reste de l’histoire de Mardochée est emprunté aux chroniques
des rois de Perse. C’est donc une chose certaine que le livre d’Esther
est l’ouvrage du même historien qui a écrit le livre de Daniel,
celui d’Hezras, et sans doute aussi celui de Néhémias
3, qu’on appelle le second
livre d’Hezras. Maintenant qu’il est établi que les quatre
livres de Daniel, d’Hezras, d’Esther et de Néhémias
sont du même auteur, on me demandera quel est cet auteur. J’avoue
franchement que je n’en sais rien, et je n’ai même à proposer
sur ce point aucune conjecture. Mais, dira-t-on, de quelle source l’auteur,
quel qu’il soit, de ces quatre livres a-t-il pu tirer les récits
historiques qui les remplissent, et dont il a peut-être écrit
lui-même la plus grande partie ? Je ferai remarquer ici que les
chefs ou princes des Juifs, à l’époque du second temple,
avaient, comme les rois au temps du premier, des scribes ou historiographes,
qui étaient chargés d’écrire les annales de l’empire
et de consigner la chronologie des événements. Ainsi dans
les livres des Rois nous trouvons souvent citées les annales
ou la chronologie de leur règne. De même les annales des
princes et des pontifes sont citées dans Néhémias
(chap. XII, vers. 23) et dans les Machabées (liv. Ier,
chap. XVI, vers. 14). Il n’y a donc aucun doute que ce livre des annales
ne soit celui dont nous parlions tout à l’heure (voyez Esther,
chap. IX, vers. 31), où devaient se trouver l’édit d’Esther
et l’histoire de Mardochée, et qui a péri, comme nous en
sommes tombés d’accord avec Aben Hezra. Et il résulte de
là que tous les récits historiques contenus dans les quatre
livres de Daniel, d’Hezras, d’Esther et de Néhémias
ont été tirés de ce livre des annales, puisque c’est
le seul qui soit cité dans les quatre autres, et le seul aussi
qui eût, à notre connaissance, le caractère et l’autorité
d’un document public. Si maintenant on veut avoir la preuve que ces quatre
livres n’ont pas été écrits par Hezras ni par Néhémias,
il suffit de considérer que dans Néhémias
(chap. XII, vers. 9 et 10) la généalogie du grand pontife
Jésuhga est continuée jusqu’à Jaduah, le sixième
pontife, celui qui alla au-devant d’Alexandre, à l’époque
où l’empire des Perses était déjà presque
entièrement abattu (voyez Josèphe, Antiquités,
liv. XI, chap. VIII ; voyez aussi Philon le Juif, qui, au livre des Temps,
appelle Jaduah le sixième et dernier pontife qui ait exercé
le sacerdoce sous la domination des Perses). De plus, dans ce même
chapitre de Néhémias, on lit au verset 22 : Quant
aux Lévites qui étaient du temps d’Eljasib, de Joïada,
de Jonathan et de Jaduah, les noms des chefs de famille et des prêtres
ont été écrits au-dessus 4
du règne de David. C’est dans les chronologies que ces noms
avaient été écrits. Or, je ne pense pas que personne
soutienne qu’Hezras ou Néhémias 5
aient vécu assez longtemps pour voir mourir quatorze rois des Perses.
Cyrus est, en effet, le premier de ces rois qui ait permis aux Juifs de
rebâtir leur temple, et depuis cette époque jusqu’à
Darius, quatorzième et dernier roi des Perses, on compte plus de
230 années. Je regarde donc comme une chose certaine que ces livres
ont été écrits longtemps après que Judas Machabée
eut rétabli le culte du temple ; et ce qui me le fait croire, c’est
qu’à cette époque on voit se répandre de faux livres
de Daniel, d’Hezras et d’Esther, fabriqués
dans des vues perfides par des hommes qui appartenaient sans doute à
la secte des saducéens ; car les pharisiens n’ont jamais, que je
sache, reconnu l’autorité de ces faux livres. Et bien qu’on rencontre
au livre qu’on nomme le quatrième d’Hezras de certaines
fables qui se trouvent également dans le Talmud, ce n’est point
une raison pour les attribuer aux pharisiens, puisqu’il n’y a personne
parmi eux, sauf quelques entêtés absolument stupides, qui
ne tombent d’accord que ces fables ont été introduites après
coup dans le texte par une moquerie sacrilège, ou, à ce
que je crois, avec l’intention de rendre leurs traditions ridicules. Une
autre raison qu’on peut donner de la publication des livres dont il s’agit
à l’époque que j’ai assignée, c’est qu’on avait alors
intérêt à montrer au peuple que les prophéties
de Daniel s’étaient accomplies, afin de le confirmer de la sorte
dans la piété, de relever son courage et de lui donner l’espérance
d’une prospérité prochaine au milieu des calamités
dont il était accablé. Du reste, bien que ces quatre livres
soient si récents et si nouveaux, il s’y trouve néanmoins
beaucoup de fautes, qui doivent s’expliquer, si je ne me trompe, par l’extrême
précipitation des copistes. On y rencontre, en effet, comme dans
les autres livres de la Bible, outre plusieurs de ces notes marginales
dont nous avons parlé dans le chapitre précédent,
un certain nombre de passages qui ne peuvent s’expliquer que par une transcription
précipitée, ainsi que je le ferai voir tout à l’heure.
Mais je veux d’abord faire remarquer, au sujet de ces leçons marginales,
que si l’on accorde aux pharisiens qu’elles sont aussi anciennes que le
texte, il faudra dire alors que ceux qui ont écrit ce texte (en
supposant qu’il ait été écrit par plusieurs) ont
ajouté ces notes à la marge, parce qu’ils ne trouvaient
pas les chronologies qu’ils avaient sous les yeux d’une exactitude suffisante,
et que, tout en y reconnaissant très-clairement des fautes, leur
respect pour les anciens les a empêchés de les corriger directement.
Mais, pour ne point revenir ici sur un sujet déjà épuisé,
je passe à cette espèce de fautes qui ne sont point indiquées
à la marge. 1° Il s’en trouve d’abord, je ne sais combien, dans
le chapitre II d’Hezras ; car au verset 64 la somme totale de ceux
qui sont comptés séparément dans le corps du chapitre
est fixée à 42,360 : or, en réunissant les sommes
partielles, on ne trouve que 29,818, de sorte qu’il faut nécessairement
qu’il y ait une erreur, soit dans le total général, soit
dans les sommes partielles. Or, il paraît bien que le total général
doit être exact, vu que chacun l’avait très-certainement
retenu de souvenir, comme une chose mémorable ; et par conséquent,
si l’erreur eût porté sur ce total, elle eût été
évidente pour chacun et facilement corrigée. Mais pour les
sommes partielles, il en est tout autrement. Cette indication est confirmée
par le chapitre VII de Néhémias, qui n’est (comme
on le voit au verset 5) qu’une transcription du chapitre d’Hezras
dont nous venons de parler, lequel est connu sous le nom d’Épître
de la généalogie. Dans Néhémias,
en effet, le total général est le même que celui d’Hezras
; mais les sommes partielles sont notablement différentes, tantôt
plus grandes, tantôt plus petites que celles d’Hezras, et elles
donnent, prises ensemble, le chiffre de 31,089. II résulte évidemment
de cette comparaison que les erreurs nombreuses qui se rencontrent dans
Hezras et dans Néhémias portent uniquement
sur les sommes partielles. Les commentateurs, en présence de contradictions
si manifestes, se mettent en devoir de les concilier chacun de son mieux
; mais où les conduit cette idolâtrie des Écritures
? à exposer au mépris les auteurs des livres saints, et
à les faire passer pour incapables d’écrire un récit
et d’exposer les événements avec un peu d’ordre. Ils se
vantent d’éclaircir l’Écriture ; mais ils l’obscurcissent
en effet, à ce point que, s’il était permis de l’interpréter
suivant leur méthode, il n’est point de passage dont l’explication
ne devînt incertaine. Au surplus, je ne veux point insister sur
ce point, bien convaincu que, si quelque historien voulait suivre dans
l’exposition des faits les procédés qu’ils attribuent dévotement
aux auteurs de la Bible, ils le tourneraient en ridicule tout les premiers.
Mais je les entends s’écrier que c’est être un blasphémateur
que d’imputer une erreur à l’Écriture. Quel nom faudra-t-il
donc leur donner, à eux qui mettent sur son compte toutes les chimères
de leur imagination, et qui, prostituant la Bible à leurs caprices,
transforment les auteurs des livres saints en enfants qui balbutient et
embrouillent tout ? Ne les entend-on pas nier dans l’explication de la
Bible les sens les plus clairs, les plus évidents ? Y a-t-il, par
exemple, rien de plus intelligible dans l’Écriture que ce fait,
savoir, qu’Hezras et ses compagnons, dans l’Épître de la
généalogie (qui se trouve au chapitre II du livre d’Hezras),
ont fait, par sommes partielles, le compte de tous les Hébreux
partis avec eux pour Jérusalem ? La preuve en est qu’on y donne
le compte, non-seulement de ceux qui ont indiqué leur généalogie,
mais aussi de ceux qui n’ont pu le faire. N’est-il pas également
clair, par le verset 5 du chapitre VII de Néhémias,
que l’auteur de ce livre n’a fait que transcrire cette épître
d’Hezras ? Par conséquent, ceux qui donnent à
ces passages une explication différente nient le vrai sens de l’Écriture
; que dis-je ? ils nient l’Écriture elle-même. Ridicule piété,
qui, sous prétexte d’expliquer un passage de la Bible par d’autres
passages, subordonne les endroits clairs à ceux qui sont obscurs,
les parties vraies et saines à celles qui sont altérées
et corrompues ! Loin de moi, toutefois, la pensée d’accuser
de blasphème ceux qui expliquent l’Écriture de la sorte
; leurs intentions sont pures, et je sais que l’erreur est le partage
inévitable de l’homme. Mais je reviens à mon sujet.
Outre les erreurs qu’il faut bien reconnaître dans
les supputations de l’Épître de la généalogie,
celles de Néhémias comme celles d’Hezras, il s’en rencontre
encore plusieurs autres dans les noms mêmes des familles, dans les
généalogies, dans les histoires, et aussi, je le crains
fort, dans les prophéties. Du moins, je ne vois pas que celle de
Jérémie, au chapitre XXII, touchant Jéchonias, et
surtout les paroles du dernier verset de ce chapitre, aient aucun rapport
avec l’histoire de Jéchonias, telle qu’on la trouve sur la fin
du livre II des Rois, dans Jérémie, et au
livre I des Paralipomènes (chap. III, vers. 17, 18, 19).
Je ne vois pas non plus comment Jérémie peut dire de Tsidéchias,
à qui on avait crevé les yeux après avoir égorgé
ses fils en sa présence : Tu mourras en paix (voyez
Jérémie, chap. XXXIV, vers. 5). Que s’il était
permis d’interpréter les prophètes d’après l’événement,
il faudrait ici, à ce qu’il semble, changer les noms, mettre Jéchonias
à la place de Tsidéchias, et réciproquement. Mais
j’aime mieux dire que ce point reste obscur, surtout quand je considère
que, s’il y a ici quelque erreur, on ne peut l’imputer qu’à l’historien
et non à l’altération du texte.
Je ne pousserai pas plus loin l’examen des livres de
la Bible ; outre que je craindrais de fatiguer le lecteur, cette critique
a déjà été faite. Ainsi, R. Selomo, frappé
des contradictions manifestes qu’on rencontre dans les généalogies
dont nous venons de parler, n’a pu se contenir (voyez ses commentaires
sur le chapitre VIII du livre I des Paralipomènes). Il avoue
qu’Hezras donne les noms des enfants de Benjamin, et expose leur généalogie
tout autrement que la Genèse, et qu’il indique aussi tout
autrement que Josué la plupart des villes des Lévites, ce
qui vient sans doute de ce qu’il a eu sous les yeux des originaux différents.
Selomo remarque un peu plus bas que la généalogie de
Gibéon et de plusieurs autres est donnée de deux manières
différentes, parce qu’Hezras, ayant eu sous les yeux plusieurs
épîtres différentes pour chaque généalogie,
s’est réglé dans ses choix sur le nombre des exemplaires
; et quand ce nombre était le même pour deux généalogies
opposées, il les a données toutes deux. Selomo avoue
donc ici sans restriction que les livres dont il parle ont été
écrits d’après des originaux d’une correction et d’une authenticité
insuffisantes. Il est digne de remarque que la plupart du temps les commentateurs
eux-mêmes, en s’efforçant de concilier des passages contradictoires,
nous montrent la cause de l’erreur qu’ils ne veulent pas reconnaître.
Du reste, je ne crois pas qu’aucun homme d’un jugement sain se puisse
persuader que les écrivains sacrés ont écrit de propos
délibéré dans un style obscur et inintelligible,
tout exprès pour paraître en contradiction avec eux-mêmes
en divers endroits.
On dira peut-être que ma méthode conduit
au renversement complet de l’Écriture, parce qu’elle donne à
chacun le droit de considérer comme suspect tel passage qu’il lui
plaira. Mais j’ai prouvé, au contraire, que cette méthode
préserve l’Écriture de toute atteinte, en empêchant
qu’on n’en accommode les passages clairs à ceux qui sont obscurs,
et qu’on n’en corrompe les parties saines au moyen des parties altérées.
D’ailleurs, je le demande, de ce qu’un livre a des endroits corrompus,
est-ce une raison pour regarder tout le reste comme suspect ? S’est-il
jamais rencontré un livre qui fût entièrement exempt
de fautes ? Dira-t-on pour cela que tous les livres en sont pleins ? Personne
assurément ne tombera dans cet excès, surtout quand on aura
affaire à un discours clairement conçu et que la pensée
de l’auteur s’y fera aisément reconnaître.
Voilà ce que j’avais à dire touchant l’histoire
des livres de l’Ancien Testament. Il est aisé, je crois, d’en conclure
qu’avant le temps des Machabées il n’y a point eu de canon des
livres saints 6
: ce sont les pharisiens de l’époque du second temple, les mêmes
qui instituèrent les formulaires de prières ; ce sont eux,
dis-je, qui de leur autorité privée ont choisi entre beaucoup
d’autres et consacré les livres que nous possédons maintenant.
Par conséquent, pour démontrer l’autorité de l’Écriture,
il est nécessaire de prouver celle de chaque livre saint en particulier
; et ce n’est évidemment pas assez d’établir la divinité
d’un de ces livres pour en inférer la divinité de tous les
autres, puisqu’il faudrait supposer pour cela que l’assemblée des
pharisiens n’a pu se tromper dans son choix, ce qu’il est impossible de
démontrer. Que si on me demande par quelle raison j’admets que
les seuls pharisiens ont formé le canon des livres de l’Écriture,
je citerai le dernier chapitre de Daniel (vers. 2), où est
prédite la résurrection des morts, qui était niée
par les saducéens. J’ajoute que les pharisiens dans le Talmud
s’expliquent ouvertement sur ce point. Il est dit en effet, au Traité
du sabbat (chap. II, feuille 30, p. 2) : R. Jehuda, surnommé
Rabi, rapporte que les docteurs ont voulu cacher le livre de l’Ecclésiaste
parce qu’on y trouve des paroles opposées à celles de
la loi (c’est-à-dire au livre de la loi de Moïse). Pourquoi
ne l’ont-ils pas caché ? c’est qu’il commence suivant la loi et
finit suivant la loi. On lit un peu plus bas : Ils ont cherché
aussi à cacher le livre des Proverbes. Enfin au chapitre I
de ce même traité (feuille 13, p. 2), il est dit : Certes,
nous devons nommer avec reconnaissance Néghunja, fils d’Hiskias
; car, sans lui, nous courions risque de perdre le livre d’Ézéchiel,
qu’on voulait soustraire aux regards, parce qu’il s’y trouve des paroles
contraires à celles de la loi. Il suit clairement de tous ces
passages que les docteurs de la loi tinrent conseil pour décider
quels étaient parmi les livres saints ceux qu’il fallait admettre
et ceux qu’il fallait rejeter. Ainsi donc, que celui qui veut être
certain de l’autorité de tous les livres de l’Écriture recommence
l’examen de chacun d’eux, et lui demande compte de ses titres.
Ce serait ici le moment d’examiner les livres du Nouveau
Testament par la même méthode qui vient d’être appliquée
à ceux de l’Ancien. Mais comme j’entends dire que de très-savants
hommes et très-profonds dans la connaissance des langues ont entrepris
ce travail, je renonce à m’y engager. Je ne suis point d’ailleurs
assez versé dans la langue grecque pour oser prendre sur moi une
tâche si difficile ; outre que les exemplaires des livres du Nouveau
Testament qui ont été écrits en hébreu sont
aujourd’hui perdus pour nous. Je vais donc me borner à toucher
quelques points qui se rapportent à mon sujet, ainsi qu’on le verra
dans le chapitre suivant.
_______________
1. Voyez les Notes marginales de Spinoza, note
21.
2. Voyez les Notes marginales de Spinoza, note
22.
3. Voyez les Notes marginales de Spinoza, note
23.
4. À moins qu'au-dessus de ne soit pris dans le
sens d'avant, il faut croire que le copiste a fait ici une erreur
et qu'il a confondu le mot hébreu qui veut dire au-dessus de avec
celui qui signifie jusques à. (Note de Spinoza.)
5. Voyez les Notes marginales de Spinoza, note
24.
6. Voyez les Notes marginales de Spinoza, note
25.
Texte de Spinoza traduit par E. Saisset,
numérisé par Serge Schoeffert
revu par H. Diaz.
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