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TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE
CHAPITRE II.
DES PROPHÈTES.
Plan du TTP
Il résulte du chapitre qui précède
que des prophètes n'eurent pas en partage une âme plus parfaite
que celle des autres hommes, mais seulement une puissance d'imagination
plus forte. C'est aussi ce que nous enseignent les récits de l'Écriture.
Il est certain, en effet, que Salomon excellait entre les hommes par sa
sagesse ; il ne l'est pas qu'il eût le don de prophétie.
Heman, Darda, Kalchol étaient des hommes d'une profonde érudition,
et cependant ils n'étaient pas prophètes ; au lieu que des
hommes grossiers, sans lettres, et même des femmes, comme Hagar,
la servante d'Abraham, jouirent du don de prophétie. Tout ceci
est parfaitement d'accord avec l'expérience et la raison. Ce sont,
en effet, les hommes qui ont l'imagination forte qui sont les moins propres
aux fonctions de l'entendement pur, et réciproquement les hommes
éminents par l'intelligence ont une puissance d'imagination plus
tempérée, plus maîtresse d'elle-même, et ils
ont soin de la tenir en bride afin qu'elle ne se mêle pas avec les
opérations de l'entendement. Ainsi, c'est s'abuser totalement que
de chercher la sagesse et la connaissance des choses naturelles et spirituelles
dans les livres des prophètes ; et puisque l'esprit de mon temps,
la philosophie et la chose elle-même m'y invitent, j'ai dessein
de démontrer ici ce principe tout à mon aise, sans m'inquiéter
des cris de la superstition, cette ennemie mortelle de tous ceux qui aiment
la science véritable et mènent une vie raisonnable. Hélas
! je le sais, les choses en sont venues à ce point que des hommes
qui osent dire ouvertement qu'ils n'ont point l'idée de Dieu, et
qu'ils ne connaissent Dieu que par les choses créées (dont
les causes leur sont inconnues) ne rougissent pas d'accuser les philosophes
d'athéisme. Mais quoi qu'il en soit, je poursuis, et, pour procéder
avec ordre, je vais démontrer que les prophéties ont varié,
non-seulement suivant l'imagination de chaque prophète et le tempérament
particulier de son corps, mais aussi suivant les opinions dont les prophètes
étaient imbus ; d'où je conclus que le don de prophétie
ne rendit jamais les prophètes plus instruits qu'ils n'étaient
; ce que je me réserve d'expliquer plus loin avec étendue
; mais je veux traiter d'abord de la certitude des prophètes, parce
que mon sujet m'impose d'abord cette question, et de plus, parce qu'une
fois résolue, elle me servira à établir la conclusion
dont je viens de parler.
L'imagination pure et simple n'enveloppant point en elle-même
la certitude à la façon des idées claires et distinctes,
il s'ensuit que pour être certain des choses que nous imaginons,
il faut que quelque chose s'ajoute à l'imagination, savoir, le
raisonnement. Par conséquent la prophétie, par elle-même,
n'implique pas la certitude, puisque la prophétie, ainsi que nous
l'avons démontré, dépend de la seule imagination
; d'où il résulte que les prophètes n'étaient
pas certains de la révélation divine par la révélation
elle-même, mais par quelques signes, comme on peut le voir dans
la Genèse (ch. XV, vers. 8), où Abraham, après
avoir entendu la promesse que Dieu lui faisait, lui demanda un signe.
Assurément il croyait en Dieu et avait foi en sa promesse, mais
il voulait être assuré que Dieu la lui faisait effectivement.
Cela est plus évident encore pour Gédéon : "Fais-moi,
dit-il à Dieu, un signe, [afin que je sache] que c'est
toi qui me parles." (Voyez Juges, ch. VI, vers. 17.) Dieu
dit aussi à Moïse : "Et que ceci [te soit] un
signe que c'est moi qui t'ai envoyé. " Ézéchias,
qui savait depuis longtemps qu'Isaïe était prophète,
lui demanda néanmoins un signe de la guérison qu'il lui
prédisait. Tout cela fait donc bien voir que les prophètes
ont toujours eu quelque signe qui les rendait certains des choses qu'ils
imaginaient prophétiquement, et c'est pour cette raison que Moïse
(voyez Deutéron., ch. XVIII, dernier verset) commande aux
Juifs de demander aux prophètes un signe, c'est-à-dire la
prédiction de quelque événement sur le point de s'accomplir.
Par cet endroit la connaissance prophétique est donc inférieure
à la connaissance naturelle, qui n'a besoin d'aucun signe, et de
sa nature enveloppe la certitude. Du reste, cette certitude des prophètes
n'était point mathématique, mais morale, et je le dis en
me fondant sur l'Écriture. Moïse, en effet, ordonne que l'on
punisse de mort le prophète qui voudra enseigner de nouveaux dieux,
bien qu'il confirme sa doctrine par des signes et des miracles (Deutéron.,
ch. XIV) ; car, dit-il, Dieu fait aussi des miracles et des signes pour
tenter son peuple ; et c'est aussi ce dont Jésus-Christ a soin
d'avertir ses disciples (Matthieu, ch. XXIV, vers. 24). Ézéchiel
va plus loin ; il dit en propres termes (ch. XVI, vers. 8) que Dieu trompe
quelquefois les hommes par de fausses révélations : "Et
quand un prophète (il s'agit ici d'un faux prophète)
se montre et vous adresse quelque parole, c'est moi qui envoie ce prophète."
Et ce témoignage est confirmé par celui de Michée
touchant les prophètes d'Achab (Rois, liv. I, ch. XXII,
vers. 21).
Quoique ces passages semblent établir que la prophétie
et la révélation sont choses fort douteuses, elles avaient
pourtant beaucoup de certitude, Dieu ne trompant jamais les justes ni
les élus ; mais, suivant cet ancien proverbe cité par Samuel
(I, ch. XXIV, vers 13), et comme le fait bien voir l'histoire d'Abigaïl,
Dieu se sert des bons comme d'instruments de sa bonté, et des méchants
comme de moyens et d'instruments de sa colère ; ce qui se confirme
plus clairement par le témoignage de Michée que nous avons
cité tout à l'heure ; car, bien que Dieu eût résolu
de tromper Achab, il ne se servit pour cela que de faux prophètes,
et découvrit la vérité au prophète pieux,
sans l'empêcher nullement de la prédire. Mais avec tout cela
il n'en est pas moins vrai que la certitude des prophètes était
purement morale, nul ne pouvant, comme l'enseigne l'Écriture, se
déclarer juste devant Dieu, ni se vanter d'être l'instrument
de sa miséricorde. Et David lui-même fut poussé par
la colère de Dieu au dénombrement de son peuple, bien que
l'Écriture rende hommage en plusieurs endroits à sa piété.
Ainsi donc toute la certitude des prophètes était fondée
sur ces trois choses : 1° en ce qu'ils imaginaient les choses révélées
avec une extrême vivacité, analogue à celles que nous
déployons dans les songes ; 2° ils avaient un signe pour confirmer
l'inspiration divine ; 3° leur âme était juste et n'avait
d'inclination que pour le bien. Quoique l'Écriture ne fasse pas
toujours mention du signe, il y a lieu de croire que les prophètes
avaient toujours un signe ; car l'écriture d'ordinaire, comme plusieurs
l'ont déjà remarqué, ne fait pas toujours mention
de toutes les conditions et circonstances des choses, les supposant suffisamment
connues. Ajoutons à cela que nous pouvons parfaitement accorder
que les prophètes qui n'avaient rien à prédire de
nouveau et qui ne fût contenu dans la loi de Moïse n'avaient
pas besoin de signes, parce que l'Écriture était là
pour confirmer leurs paroles. Par exemple, la prophétie de Jérémie
sur la ruine de Jérusalem, étant confirmée par celles
des autres prophètes et par les menaces de la Loi, n'avait pas
besoin d'un signe. Hananias, au contraire, qui prophétisait, contre
le sentiment de tous les autres prophètes, la prochaine restauration
de la cité, avait absolument besoin d'un signe ; autrement il aurait
dû douter de sa prophétie jusqu'à ce qu'elle fût
confirmée par l'événement (voyez Jérémie,
ch. XXVIII, vers. 8).
Puisque la certitude que les signes donnaient aux prophètes n'était
pas une certitude mathématique (comme celle qui résulte
de la nécessité même de la perception de la chose
perçue), mais seulement morale, et que les signes n'avaient d'autre
objet que de persuader le prophète, il s'ensuit que ces signes
ont dû être proportionnés aux opinions et à
la capacité de chacun ; de telle sorte qu'un signe qui avait rendu
tel prophète parfaitement certain de sa prophétie aurait
laissé dans l'incertitude tel autre prophète imbu d'opinions
différentes ; et de là vient qu'il y avait pour chaque prophète
un signe particulier. Il en était de même de la révélation,
qui variait pour chaque prophète suivant la disposition de son
tempérament, de son imagination, et suivant les opinions qu'il
avait embrassées. Quant au tempérament, si le prophète
était d'une humeur gaie, il ne lui était révélé
que victoires, paix et tout ce qui porte les hommes à la joie,
les tempéraments de cette sorte n'imaginant le plus souvent que
des choses semblables. Si le prophète était triste, il prédisait
des guerres, des supplices et toutes sortes de malheurs ; et de cette
façon, suivant que le prophète était d'humeur douce,
irritable, sévère, miséricordieuse, etc., il était
plus propre à telle ou telle espèce de révélation.
Les dispositions de l'imagination étaient encore une cause de variété
dans les prophètes. Si le prophète avait l'imagination belle,
c'est en beau style qu'il communiquait avec l'âme de Dieu ; s'il
l'avait confuse, c'était en confuses paroles, et de même
pour le genre d'images qui lui apparaissaient. Le prophète était-il
un homme des champs, c'étaient des bufs, des vaches, etc.
; homme de guerre, c'étaient des généraux, des armées
; homme de cour, des trônes et des objets analogues. Enfin, la prophétie
variait suivant les opinions des prophètes. Aux mages, qui croyaient
aux rêveries de l'astrologie (voyez Matthieu, ch. II), la
nativité du Christ fut révélée par l'image
d'une étoile qui apparaissait dans l'Orient. Aux augures de Nabuchodonozor
(voyez Ézéchiel, ch. XXI, vers 26), ce fut dans les
entrailles des victimes que leur fut révélée la dévastation
de Jérusalem, que ce roi connut aussi par les oracles et la direction
des flèches qu'il jeta en l'air au-dessus de sa tête. Quant
aux prophètes qui croyaient que les hommes ont le libre choix de
leurs actions et une puissance propre, Dieu se révélait
à eux comme indifférent à l'avenir et ignorant les
futures actions des hommes, toutes choses que nous allons démontrer
l'une après l'autre par l'Écriture.
Le premier point de notre doctrine est établi par Élisé
(Rois, liv. IV, ch. III, vers 15) qui, pour prophétiser à
Jéhoram, demanda une harpe, et ne put percevoir la volonté
de Dieu que lorsque la musique eut charmé ses sens ; mais après
avoir entendu les sons de la harpe, il put prédire à Jéhoram
et à ses alliés des événements heureux ; ce
qu'il avait été incapable de faire auparavant, étant
irrité contre Jéhoram. Car on sait que ceux qui sont en
colère contre une personne sont plus disposés à imaginer
des choses désagréables pour elle que des choses heureuses.
Quelques-uns même ont bien voulu dire que Dieu ne se révèle
pas aux hommes irrités et tristes ; mais cette opinion est chimérique
; car Dieu révéla à Moïse irrité contre
Pharaon le massacre épouvantable des premiers-nés (voyez
Exode, ch. XI, vers. 8), et cela, sans le secours d'aucun instrument
de musique. Dieu révéla aussi l'avenir à Kaïn
furieux. L'obstination des Juifs fut révélée à
Ézéchiel, tandis qu'impatient de sa misère, son âme
était pleine d'irritation (voyez Ézéchiel,
chap. III, vers. 14). Jérémie, le cur plein de tristesse
et d'un immense ennui de la vie, prophétisa les malheurs de Jérusalem,
et ce fut à cause de cette tristesse que Josias ne voulut pas le
consulter ; il préféra une femme de ce temps que sa constitution
même de femme rendait plus propre à lui révéler
la miséricorde de Dieu (Paralipom., liv. II, ch. XXXV).
Michée ne prédit jamais rien de bon à Achab, quoique
d'autres vrais prophètes l'aient pu faire (Rois, liv. I,
ch. XX) ; mais, au contraire, il lui prédit du mal pour toute sa
vie (voyez Rois, liv. I, ch. XXII, vers. 7, et plus clairement
encore dans les Paralipom., liv. II, ch. XVIII, vers 7). Je conclus
que les prophètes étaient par leur tempérament plus
ou moins propres à telle ou telle espèce de révélation.
Le style des prophéties variait avec le degré d'éloquence
de chaque prophète. Les prophéties d'Ézéchiel
et d'Amos, dont le style a quelque rudesse, n'ont pas l'élégance
de celles d'Isaïe et de Nachum. Il serait intéressant pour
ceux qui savent l'hébreu d'examiner de près et de comparer
entre eux quelques chapitres de divers prophètes aux endroits où
ils parlent sur le même sujet, ce qui laisserait mieux voir la différence
de leur style ; par exemple, le chapitre Ier d'Isaïe, qui était
un homme de cour (du vers. 11 au vers. 20), avec le chapitre V du rustique
Amos (du vers. 21 au vers. 24). On pourrait comparer aussi l'ordre et
les pensées de la prophétie écrite à Edom
par Jérémie (chap. XXIX) avec l'ordre et les pensées
d'Hobadias. Une autre comparaison à faire est celle d'Isaïe
(chap. XL, vers 19, 20 ; chap. XLIV, vers 8) avec Hosée (chap.
VIII, vers 6 ; chap. XIII, vers 2). Et de même pour tous les autres
prophètes. Si l'on veut bien peser tout cela, on s'assurera aisément
que Dieu n'a aucun style particulier, et que, suivant le degré
d'instruction et la portée d'esprit du prophète qu'il inspire,
il est tour à tour élégant et grossier, précis
et prolixe, sévère et confus.
Les représentations prophétiques et les hiéroglyphes
variaient également, même pour exprimer une même chose
; car la gloire de Dieu abandonnant le temple n'apparut pas à Isaïe
de la même façon qu'à Ézéchiel. Les
rabbins prétendent que chacune de ces représentations fut
identique à l'autre ; mais qu'Ézéchiel, homme grossier,
en ayant été plus frappé, l'a racontée dans
toutes ses circonstances. Cette explication est à mes yeux tout
artificielle ; à moins que les rabbins n'aient recueilli une tradition
certaine du fait lui-même, ce que je ne crois pas. En effet, Isaïe
vit des séraphins à six ailes, et Ézéchiel
des bêtes à quatre ailes. Isaïe vit Dieu avec des vêtements
et assis sur un trône royal ; Ézéchiel le vit semblable
à une flamme. Il n'y a pas de doute que l'un et l'autre virent
Dieu suivant les habitudes particulières de leur imagination. Les
représentations ne variaient pas seulement de nature, mais elles
avaient des degrés divers de clarté. Celles de Zacharie
furent tellement obscures, d'après son propre récit, qu'il
fut incapable de les comprendre sans une explication ; et Daniel, même
avec une explication, ne put comprendre les siennes. Or il ne faut point
attribuer cette obscurité à la difficulté inhérente
à la révélation elle-même ; car il s'agissait
de choses purement humaines et qui ne surpassaient les facultés
de l'homme qu'à cause qu'elles étaient dans l'avenir ; mais
il faut dire que l'imagination de Daniel n'avait pas une aussi grande
vertu prophétique dans la veille que dans le sommeil ; ce qui devient
très-visible dès le commencement de la révélation
de Daniel, où il est tellement effrayé qu'il désespère
presque de ses forces. Cette faiblesse d'imagination, ce défaut
d'énergie rendirent ses apparitions très-obscures, et, même
avec une explication, il fut incapable de les comprendre. Et il faut remarquer
ici que les paroles entendues par Daniel furent, comme nous l'avons montré
plus haut, des paroles tout imaginaires ; ce qui explique fort bien qu'ayant
l'esprit troublé, il n'ait imaginé toutes ces paroles que
d'une façon très-obscure et n'ait pu ensuite y rien comprendre.
Ceux qui disent qu'il n'entrait pas dans les desseins de Dieu de révéler
clairement la chose à Daniel n'ont pas lu sans doute les paroles
de l'ange, qui dit expressément (voyez chap. X, vers. 14) que "il
est venu pour faire comprendre à Daniel ce qui arriverait à
son peuple dans la suite des jours." Cette prophétie est
donc restée obscure parce qu'il ne se rencontra personne en ce
temps-là qui eût l'imagination assez forte pour qu'elle lui
fût révélée plus clairement. Nous voyons enfin
le prophète à qui Dieu avait révélé
qu'il enlèverait Élie vouloir persuader à Élisée
qu'Élie avait été transporté en un lieu où
ils pourraient le retrouver, ce qui prouve bien qu'ils n'avaient pas compris
la révélation que Dieu leur avait faite. Il est inutile
que je m'arrête à démontrer cela avec plus d'étendue
; car si quelque chose résulte clairement de l'Écriture,
c'est que Dieu n'accordait pas au même degré le don de prophétie
à ses prophètes. Mais quant à ce principe que les
prophéties ont varié avec les opinions du prophète,
et que les prophètes avaient des opinions diverses et même
contraires et une grande variété de préjugés
(je ne parle ici que de ce qui regarde les choses purement spéculatives
; car pour les choses relatives à la probité et aux bonnes
murs, il en va tout autrement), c'est ce que je vais rechercher
avec plus de curiosité et établir plus au long ; car la
chose est, je crois, de grande conséquence, et je prétends
conclure de là que les prophéties n'ont jamais rendu les
prophètes plus instruits qu'ils n'étaient auparavant, et
les ont toujours laissés dans leurs préjugés antérieurs
; d'où il suit que nous ne devons nullement nous considérer
comme liés par les prophéties en matière de choses
purement spéculatives.
C'est avec une merveilleuse précipitation qu'on s'est généralement
persuadé que les prophètes savaient tout ce que l'entendement
humain est capable de connaître. Et, bien que plusieurs endroits
de l'Écriture nous fassent voir le plus clairement du monde que
les prophètes ignoraient de certaines choses, on aime mieux dire
qu'en ces endroits on n'entend pas soi-même l'Écriture que
d'accorder que les prophètes aient ignoré quelque vérité
; ou bien on s'efforce de torturer les paroles de l'Écriture pour
lui faire dire ce qu'elle ne dit pas. Avec ce système, c'en est
fait de l'Écriture ; car on s'efforcerait vainement de rien en
tirer, si les choses les plus claires peuvent être considérées
comme obscures et inintelligibles ou interprétées d'une
façon arbitraire. Quoi de plus clair, par exemple, que l'opinion
de Josué, et peut-être aussi de celui qui a écrit
son histoire, sur le mouvement du soleil autour de la terre, l'immobilité
de la terre, et le soleil arrêté pour un temps dans sa marche
? Cependant plusieurs personnes qui ne veulent pas accorder qu'il puisse
s'accomplir quelque changement dans les cieux interprètent ce passage
de façon qu'il ne contient plus en effet rien de semblable ; d'autres,
qui sont meilleurs philosophes, sachant que la terre se meut et que le
soleil, au contraire, est immobile, c'est-à-dire ne se meut pas
autour de la terre, ont employé toutes leurs forces à lire
cette doctrine dans l'Écriture, en dépit de l'Écriture
elle-même ; et certes, j'admire ces commentateurs ; mais je leur
demanderai si nous sommes tenus de croire que le soldat Josué fut
un habile astronome, et si ce miracle n'a pu lui être révélé,
ou si la lumière du soleil n'a pu rester sur l'horizon plus longtemps
que d'ordinaire, sans que Josué en sût la cause ? Pour moi,
je trouve ces deux hypothèses également ridicules, et j'aime
mieux penser, je le dis ouvertement, que Josué a ignoré
la cause de cette lumière prolongée, et qu'il a cru, comme
la foule qui l'environnait, que le soleil accomplissait un mouvement diurne
autour de la terre, que ce jour-là il s'était arrêté
pendant quelque temps, et que c'était là la cause qui avait
prolongé ce jour, sans remarquer qu'à cette époque
de l'année la quantité extraordinaire de glace qui se trouvait
dans la région de l'air (voy. Josué, chap. X, vers.
11) pouvait produire une réfraction plus forte que de coutume,
ou telle autre circonstance du phénomène qu'il n'est pas
de notre sujet de déterminer. C'est ainsi que le signe de la rétrogradation
de l'ombre du soleil fut révélé à Isaïe
suivant la portée de son esprit, je veux dire expliqué par
la rétrogradation du soleil ; car il croyait, lui aussi, que le
soleil se meut et que la terre est immobile, et il n'avait jamais entendu
parler, même en songe, des parhélies. Et tout ceci ne doit
exciter aucun scrupule ; car le signe pouvait apparaître et être
prédit au roi par Isaïe, sans que ce prophète sût
la cause véritable de son apparition. J'en dirai autant de la construction
de Salomon, si elle lui fut effectivement révélée
par Dieu ; je veux dire que toutes les mesures du temple lui furent révélées
suivant sa portée et ses opinions. Nous ne sommes nullement forcés
de croire que Salomon fût mathématicien, et il nous est parfaitement
permis de dire qu'il ignorait le rapport du diamètre à la
circonférence du cercle, et qu'il croyait, avec le vulgaire des
ouvriers, que ce rapport était de 3 à 1. Que s'il est permis
de nous objecter ici que nous ne comprenons pas le texte des Rois
(liv. I, chap. VII, vers. 23), je ne sais en vérité ce qu'il
peut y avoir à comprendre dans l'Écriture, puisqu'en cet
endroit la construction du temple est racontée le plus simplement
du monde et d'une façon purement historique. Dira-t-on que l'Écriture
a eu d'autres idées que celles qu'elle exprime, et qu'elle n'a
pas voulu les manifester par des raisons qui nous sont inconnues ? Je
déclare que c'est là le renversement complet de l'Écriture
; car chacun pourra en dire exactement autant de tous les passages de
l'Écriture ; et tout ce que la perversité humaine peut imaginer
d'absurde et de mauvais, il sera permis de le soutenir et de le mettre
en pratique sur l'autorité de l'Écriture. Notre sentiment,
au contraire, ne recèle aucune impiété ; car Salomon,
Isaïe, Josué, etc., quoique prophètes, étaient
hommes, et rien d'humain dès lors ne leur était étranger.
La révélation qu'eut Noach de la destruction future du genre
humain fut aussi proportionnée à son intelligence ; car
il croyait que, hors de la Palestine, le reste du monde n'était
pas habité. Et les prophètes ont pu ignorer tout cela, et
même des choses de plus grande conséquence, sans dommage
pour la piété ; et ils les ont effectivement ignorées,
car jamais ils n'ont rien enseigné de particulier sur les attributs
divins ; mais leurs opinions sur Dieu ont toujours été celles
du vulgaire ; et ils ont toujours eu soin d'accommoder leurs révélations
aux idées du peuple, comme je l'ai déjà démontré
par un grand nombre de témoignages de l'Écriture. On voit
donc que ce qui les a faits si célèbres et rendus si recommandables,
ce n'est pas tant la sublimité et l'excellence de leur génie
que leur force d'âme et leur piété.
Adam, le premier à qui Dieu se soit révélé,
ignorait son omniprésence, son omniscience ; car il voulut se cacher
à Dieu, et il s'efforça d'excuser son péché
devant Dieu comme il aurait fait devant un homme. Aussi Dieu se révéla
à lui suivant la portée de son intelligence, comme s'il
n'eût pas existé partout et s'il eût ignoré
le lieu où se cachait Adam et son péché. Adam entendit
en effet ou crut entendre Dieu qui se promenait dans le jardin et le cherchait
en l'appelant à haute voix et, témoin de sa honte, lui demandait
s'il n'aurait pas mangé du fruit défendu. Tout ce qu'Adam
connaissait des attributs de Dieu, c'était donc que Dieu est l'artisan
de toutes choses. Dieu se mit aussi à la portée de Kaïn
en se révélant à lui, comme s'il ignorait les actions
des hommes ; et Kaïn, en effet, n'avait pas besoin, pour se repentir
de son péché, d'une connaissance de Dieu plus sublime. Dieu
se révéla aussi à Laban comme Dieu d'Abraham, parce
que Laban croyait que chaque nation avait son Dieu particulier. On verra
aussi dans la Genèse (chap. XXXI, vers. 29) qu'Abraham ignorait
que Dieu est partout et que sa prescience s'étend à toutes
choses ; car dès qu'il entendit la sentence portée contre
les Sodomites, il pria Dieu, avant de l'exécuter, de rechercher
s'ils étaient tous dignes de ce châtiment (voyez Genèse,
chap. XXXI, vers. 29) : "Peut-être se rencontrera-t-il cinquante
justes dans cette ville." Et Dieu se révéla à
lui tel qu'il en était connu ; car il parla ainsi, dans l'imagination
d'Abraham : "Je descendrai maintenant pour voir si leur conduite
est d'accord avec la plainte qui est venue jusqu'à moi ; et s'il
n'en est pas ainsi, je le saurai." Le témoignage de Dieu
sur Abraham ne parle que de son obéissance, de son zèle
à encourager ses serviteurs à la justice et au bien ; et
il n'y est pas dit qu'Abraham eut des pensées plus sublimes sur
Dieu que le reste des hommes (voyez Genèse, chap. XVIII,
vers. 19). Moïse ne comprit pas non plus très-bien que Dieu
sait tout et qu'il dirige toutes les actions des hommes par un seul décret.
Car quoique Dieu lui eût dit (Exode, chap. III, vers 18)
que les Israélites lui obéiraient, il en doute cependant
et pose à Dieu cette difficulté (Exode, chap. IV,
vers. 1) : "Que ferai-je, s'ils ne croient pas en moi et s'ils
ne m'obéissent pas ?" Dieu lui avait donc été
révélé comme ne prenant point de part aux actions
humaines et ne les connaissant pas à l'avance. Il donne à
Moïse deux signes et lui dit (Exode, chap. IV, vers. 8) :
"S'il arrive qu'ils ne croient pas en toi au premier signe, ils
te croiront au second ; et si alors même ils ne veulent pas croire,
prends de l'eau du fleuve," etc. Assurément, si quelqu'un
veut peser mûrement et sans préjugé ces paroles de
Moïse, il reconnaîtra clairement que Moïse pensait de
Dieu qu'il est un être qui a toujours existé, qui existe
et qui existera toujours (et c'est pour cela qu'il le nomme Jéhovah,
mot qui exprime en hébreu ces trois moments de l'existence), mais
qu'il n'a rien enseigné sur sa nature, sinon qu'il est miséricordieux,
bienveillant, etc., et surtout jaloux, comme on peut le voir dans plusieurs
passages du Pentateuque. Il croyait aussi que cet être diffère
de tous les autres êtres, de telle sorte qu'il ne peut être
exprimé par aucune image, ni être vu, non pas tant par l'impossibilité
même de la chose qu'à cause de la faiblesse humaine. Sous
le rapport de la puissance, il enseignait que Dieu seul la possède
en propre ; car quoiqu'il reconnaisse d'autres êtres qui remplissent
les fonctions divines (sans aucun doute, par l'ordre de Dieu et la mission
qu'ils en ont reçue), je veux dire des êtres à qui
Dieu a donné l'autorité, le droit et le pouvoir pour diriger
les nations, veiller sur elles et en prendre soin, toutefois cet être
que tous les autres sont obligés d'honorer est le Dieu suprême,
et, pour parler le langage des Hébreux, le Dieu des dieux. C'est
dans ce sens qu'il dit dans l'Exode (chap. XV, vers. 11) : "Qui
entre les dieux est semblable à toi, Jéhovah ?"
Et de même Jétro (chap. XVIII, vers. 11) : "C'est
alors que j'ai connu que Jéhovah est plus grand que tous les dieux,"
c'est-à-dire, je suis forcé de croire avec Moïse que
Jéhovah est plus grand que tous les autres dieux, et qu'il a une
puissance singulière.
Maintenant, Moïse a-t-il considéré ces êtres
qui remplissaient les fonctions divines comme des créatures de
Dieu ? on peut en douter. Il n'a rien dit en effet, que je sache, de leur
création ni de leur origine. La doctrine qu'il enseigne, la voici
en quelques mots : l'Être suprême a fait passer ce monde visible
(Genèse, chap. I, vers. 2) du chaos à l'ordre, et
y a déposé les germes des choses naturelles. Il a sur toutes
choses un droit souverain et une souveraine puissance, et c'est en vertu
de cette puissance et de ce droit qu'il s'est choisi pour lui seul la
nation hébraïque (Deutéron., chap. X, vers.
14-15), ainsi qu'une certaine contrée de l'univers, laissant les
autres nations et les autres contrées aux soins de dieux subordonnés.
C'est pourquoi il est le Dieu d'Israël, le Dieu de Jérusalem
(Paralipom., liv. II, chap. XXXII, vers. 19), et les autres dieux
sont les dieux des autres nations. C'est pour cette même raison
que les Juifs étaient persuadés que cette région
que Dieu avait choisie demandait un culte particulier, très-différent
de celui des autres peuples, et même qu'elle ne pouvait souffrir
le culte des dieux étrangers, exclusivement propre aux régions
étrangères. Aussi croyait-on que les nations que le roi
d'Assyrie conduisit sur les terres des Juifs étaient déchirées
par les lions, à cause de l'ignorance où elles étaient
du culte des dieux de ce pays (Rois, liv. II, chap. XVII, vers.
25, 26 et suiv.). Aben Hesra pense que c'est aussi sous l'influence de
cette opinion que Jacob dit à ses fils, au moment de retourner
dans sa patrie, de se préparer à un nouveau culte et d'abandonner
celui des dieux étrangers, c'est-à-dire des dieux du pays
qu'ils habitaient encore en ce moment (Genèse, chap. XXXV,
vers. 2, 3). On peut citer encore David qui, voulant dire à Saül
: Vos persécutions me forcent de vivre hors de la patrie, lui dit
: Vous me chassez de l'héritage de Dieu et m'exilez vers les dieux
étrangers (Samuel, liv. I, chap. XXVI, vers. 19). Enfin
Moïse croyait que l'Être suprême ou Dieu avait sa demeure
dans les cieux (Deutéron., chap. XXXIII, vers. 27), opinion
très-répandue parmi les païens.
Si maintenant nous examinons les révélations de Moïse,
nous trouverons qu'elles furent accommodées à ses opinions.
Croyant, en effet, Dieu assujetti aux conditions dont nous avons parlé,
la miséricorde, la bonté, etc., Dieu se révèle
à lui sous ces attributs et conformément à cette
croyance (voyez Exode, chap. XXXIV, vers. 6, 7, où se trouve
le récit de l'apparition de Dieu à Moïse ; et le Décalogue,
vers. 4, 5). Dans le récit du chap. XXX, vers. 18, Moïse demande
à Dieu qu'il lui permette de le voir. Or, comme Moïse, ainsi
qu'on l'a déjà dit, n'avait dans son cerveau aucune image
de Dieu, et que Dieu ne se révèle (cela est démontré
ci-dessus) à ses prophètes que selon la disposition de leur
imagination, Dieu n'apparut à Moïse sous aucune image ; et
il en arriva ainsi, parce que Moïse était incapable d'en former
aucune. Les autres prophètes, en effet, déclarent qu'ils
ont vu Dieu : par exemple, Isaïe, Ézéchiel, Daniel,
etc. Dieu répond donc à Moïse : "Tu ne pourras
voir ma face." Et comme Moïse était persuadé
que Dieu était visible, c'est-à-dire qu'il n'y avait rien
dans sa nature qui l'empêchât de l'être (autrement il
n'aurait pas demandé à voir Dieu), Dieu ajouta : "Car
nul mortel ne peut vivre après m'avoir vu." La raison
qu'il donne pour ne pas être vu est donc d'accord avec l'opinion
que Moïse s'était formée de sa nature. Car il n'est
pas dit qu'il y ait contradiction à ce que la nature divine devienne
visible, mais seulement que la chose est impossible à cause de
la fragilité de l'homme. On peut remarquer encore que Dieu, pour
révéler à Moïse que les Israélites, en
adorant un veau, s'étaient rendus semblables aux autres nations,
lui dit (chap. XXXIII, vers. 2, 3) qu'il enverra un ange aux Hébreux,
c'est-à-dire un être qui prenne soin d'eux à sa place,
ne voulant plus, quant à lui, être au milieu d'eux ; de cette
façon, en effet, Moïse n'avait plus aucune raison de croire
que les Israélites fussent chéris de Dieu plus que les autres
nations, que Dieu livre aussi aux soins de ses anges. C'est ce qui résulte
clairement du verset 16 de ce même chapitre. Enfin, comme on croyait
alors que Dieu habite dans le ciel, Dieu se révélait en
descendant du ciel sur la montagne, et Moïse gravissait la montagne
pour parler à Dieu ; précaution parfaitement inutile, s'il
avait été capable d'imaginer Dieu en tout lieu avec une
égale facilité. En général, les Israélites
ne savaient presque rien de Dieu, bien qu'il se fût révélé
à eux ; et ils firent bien voir leur extrême ignorance en
transportant à un veau les mêmes honneurs et le même
culte qu'ils avaient rendu à Dieu quelques jours auparavant, et
en s'imaginant que c'étaient là les dieux qui les avaient
tirés d'Égypte.
Et certes on aurait grand tort de croire que des hommes accoutumés
aux superstitions égyptiennes, grossiers, misérables, aient
eu quelque idée saine de Dieu, ni que Moïse leur ait enseigné
autre chose que la manière de bien vivre, non en philosophe et
par la liberté de l'âme, mais en législateur et par
la force de la loi. La règle de la vie vertueuse, c'est-à-dire
la vie véritable, le culte et l'amour de Dieu, furent donc pour
eux une servitude, bien plutôt qu'une vraie liberté, une
grâce et un don de Dieu. Il leur ordonne en effet d'aimer Dieu et
d'observer la loi, afin de rendre ainsi grâce à Dieu des
biens qu'il leur a rendus (la liberté, que les Égyptiens
leur avaient ravie), les effrayant par des menaces terribles, s'ils transgressaient
ses ordres, et leur promettant, s'ils y étaient dociles, une foule
de biens. C'était, comme on voit, leur enseigner la vertu comme
les pères font aux enfants encore privés de raison. Il est
donc parfaitement certain qu'ils ignoraient l'excellence de la vertu et
la véritable béatitude. Jonas crut échapper à
la présence de Dieu, ce qui fait croire qu'il pensait aussi que
Dieu avait laissé le soin de toutes les contrées placées
hors de la Judée à d'autres puissances déléguées
par lui. Certes personne, dans l'Ancien Testament, n'a mieux parlé
de Dieu selon la raison que Salomon, dont les lumières naturelles
surpassaient celles de tous les hommes de son temps ; aussi se crut-il
supérieur à la Loi (qui n'était faite effectivement
que pour des hommes privés de raison et des lumières naturelles
de l'entendement) ; et il fit peu de cas des lois qui concernaient les
rois, lesquelles se réduisaient principalement à trois principales
(voyez Deutéron., chap. XVII, vers. 16, 17) ; il viola même
ces lois ouvertement (en quoi il fit une faute, et montra un attachement
à la volupté peu digne d'un philosophe), et enseigna que
tous les biens de la fortune ne sont que vanité (voyez l'Ecclésiaste),
que rien dans l'homme n'a plus de prix que l'entendement, et que la plus
grande des punitions, c'est d'en être privé (Proverbes,
chap. XVI, vers. 23). Mais revenons aux prophètes, et continuons
de marquer les contrariétés qui se rencontrent dans leurs
opinions. La différence des pensées d'Ézéchiel
et de celles de Moïse a tellement frappé les rabbins, de qui
nous tenons ceux des livres des prophètes qui nous sont restés
(voyez le traité Du Sabbat, chap. Ier, feuille 13, page
2), qu'ils ont balancé s'ils ne retrancheraient pas le livre d'Ézéchiel
d'entre les canoniques ; et ils l'auraient même entièrement
supprimé, si un certain Hananias ne s'était chargé
de l'expliquer, ce qu'il fit avec un grand zèle et des peines infinies
(ainsi qu'on le raconte dans le livre cité plus haut). De quelle
façon s'y prit-il ? c'est ce qu'on ne sait pas bien. Fit-il un
simple commentaire, qui s'est perdu depuis ; ou bien eut-il la hardiesse
de changer les propres paroles d'Ézéchiel et d'orner ses
discours ? Quoi qu'il en soit, le chap. XVIII ne semble pas bien d'accord
avec le vers. 7 du chap. XXXIV de l'Exode, ni avec les vers. 18
du chap. XXXII de Jérémie, etc. - Samuel croyait
que Dieu, après avoir pris une résolution, ne s'en repentait
jamais (voyez Samuel, liv. Ier, chap. 15, vers. 29) ; car il dit
à Saül, qui se repentait de sa faute et voulait supplier Dieu
de lui accorder son pardon, que Dieu ne changerait pas le décret
porté contre lui. Au contraire, il fut révélé
à Jérémie (chap. XVIII, vers. 8, 10) que Dieu, quand
il avait pris un dessein favorable ou contraire à quelque nation,
s'en repentait ensuite, si, avant l'accomplissement de son décret,
les hommes de cette nation changeaient pour dégénérer
ou devenir meilleurs. Mais la doctrine de Joël, c'est que Dieu ne
se repent que du tort qu'il a fait (chap. II, vers. 13). - Enfin il suit
clairement du chap. IV de la Genèse, vers. 7, que l'homme
peut dompter les tentations de pécher, et bien agir. Dieu lui-même
le déclare à Kaïn, qui cependant, suivant l'Écriture
elle-même et le témoignage de Josèphe, ne dompta jamais
ses tentations. On trouve la même doctrine dans Jérémie
au chapitre cité plus haut ; car il dit que Dieu se repent d'avoir
porté un décret favorable ou contraire aux hommes, quand
ils veulent changer leurs murs et leur manière de vivre.
Or, c'est le principe ouvertement professé par Paul que les hommes
n'ont d'empire sur les tentations de la chair que par l'élection
de Dieu et par sa grâce. Voyez Épître aux Romains,
chap. IX, vers. 10 et suiv. Puis dans les chap. III, vers. 5, VI, vers.
19, où il attribue à Dieu la justice, il se reprend, et
avertit qu'il ne parle ainsi qu'en homme et à cause de la fragilité
de la chair.
Il résulte donc avec une pleine évidence de l'ensemble
des passages que nous avons cités que Dieu a proportionné
ses révélations à l'intelligence et aux opinions
des prophètes, que les prophètes ont pu ignorer les choses
qui touchent la spéculation et n'ont point rapport à la
charité et à la pratique de la vie, qu'ils les ont effectivement
ignorées, et ont eu sur ces objets des opinions contraires. Il
ne faut donc point leur demander la connaissance des choses naturelles
et spirituelles. Il faut conclure au contraire que nous ne sommes tenus
de croire aux prophètes que dans les choses qui sont l'objet et
le fond de la révélation ; en tout le reste, libre à
chacun de croire ce qu'il lui plaît. Pour prendre encore un exemple,
la révélation faite à Kaïn nous apprend seulement
que Dieu rappela Kaïn à la vie véritable. C'est là
en effet l'objet et le fond de cette révélation, et non
pas de nous faire connaître la liberté de la volonté,
et de toucher aux questions philosophiques. Ainsi donc, bien que le libre
arbitre soit impliqué dans les paroles et dans les raisons de l'avertissement
donné à Kaïn, il nous est permis d'admettre la doctrine
contraire1, Dieu ayant
seulement voulu dans ses paroles et dans ses raisons se proportionner
à l'intelligence de Kaïn. C'est ainsi que l'objet de la révélation
faite à Michée, c'est seulement d'apprendre à Michée
le succès du combat d'Achab contre Aram ; voilà ce que nous
sommes obligés de croire ; mais hormis cela, tout ce que contient
la révélation de Michée ne touche en rien à
la foi, comme ce qui est dit de l'esprit de vérité et de
l'esprit de mensonge, de l'armée céleste rangée de
chaque côté de Dieu, et des autres circonstances de cette
prophétie ; et chacun peut croire là-dessus ce qui est plus
ou moins d'accord avec sa raison. De même, les raisons par lesquelles
Dieu explique à Job sa puissance sur toutes choses, s'il est vrai
qu'il les lui ait révélées et que l'auteur du livre
de Job, au lieu de nous faire un récit, ne s'amuse point
(comme plusieurs l'ont cru) à orner ses propres idées, ces
raisons, dis-je, doivent être considérées comme proportionnées
à l'intelligence de Job, et non comme des raisons universelles
destinées à convaincre tous les hommes. C'est encore ainsi
qu'il faut prendre les raisons dont se sert le Christ pour convaincre
les pharisiens d'ignorance et d'entêtement, et pour exhorter ses
disciples à la vie véritable. Il est clair que le Christ
accommode ici son discours aux opinions et aux principes de ceux qui l'écoutent.
Ainsi, il dit aux pharisiens (voyez Matthieu, chap. XI, vers 26)
: "Et si Satan chasse Satan, le voilà divisé contre
soi-même. Comment donc son règne pourra-t-il se maintenir
?" Le Christ veut ici convaincre les pharisiens par leurs propres
principes, et non pas nous apprendre qu'il y a des démons et un
règne des démons. De même il dit à ses disciples
(Matthieu, chap. XVIII, vers 10) : "Prenez garde de ne
pas mépriser un seul de ces petits, car je vous dis que leurs anges
sont dans le ciel." Le Christ n'a ici d'autre objet que d'apprendre
à ses disciples à ne pas être superbes, à ne
mépriser personne, et non pas à leur enseigner aucune des
choses qu'il ajoute à ce conseil, afin de les mieux persuader.
J'entends absolument de la même façon la doctrine et les
signes des apôtres, et je ne crois pas nécessaire d'insister
davantage sur ce point ; car, si je voulais citer tous les endroits de
l'Écriture qui n'ont été écrits qu'en vue
de l'homme et pour se mettre à sa portée, et qui ne peuvent
être considérés comme des points de doctrine divine
sans grand dommage pour la philosophie, je m'écarterais beaucoup
de la règle de brièveté que je m'efforce de suivre.
Qu'il me suffise donc d'avoir cité quelques passages et d'avoir
touché les points les plus généraux ; la curiosité
du lecteur fera le reste.
Les deux précédents chapitres sur les prophètes
et les prophéties se rapportent étroitement à l'objet
fondamental de ce traité, qui est de séparer la philosophie
de la théologie ; mais n'ayant traité cette question jusqu'à
présent que d'une manière très-générale,
je veux me demander encore si le don de prophétie a été
exclusivement propre aux Hébreux, on s'il leur a été
commun avec les autres nations, et en même temps ce qu'il faut penser
de la vocation des Hébreux. C'est l'objet du chapitre suivant.
___________
1. Voyez Éthique, part. 1, Propos.
32 ; et l'Appendice, part. 2, propos. 48.
Texte de SPINOZA traduit par E. Saisset,
numérisé par Serge Schoeffert.
revu par H. Diaz.
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