COURT TRAITÉ
PARTIE II
APPENDICE I
DE LA NATURE DE LA SUBSTANCE.
Axiomes.
I. La substance, de sa nature, est antérieure
à ses modifications.
II. Les choses qui diffèrent
se distinguent les unes des autres, soit réellement, soit modalement.
III. Les choses qui sont distinctes
réellement, ou bien ont des attributs divers, tels que la pensée
et l'étendue, ou bien se rapportent à des attributs divers
(par exemple, l'intellect et le mouvement, dont l'un se rattache à
la pensée, l'autre à l'étendue).
IV. Les choses qui ont des attributs
différents, ou qui appartiennent à des attributs différents,
n'ont rien de commun.
V. Une chose qui n'a rien de commun
avec une autre ne peut pas être cause de son existence.
VI. Une chose qui est cause de soi ne
peut s'être limitée elle-même.
VII. Ce par quoi les choses sont conservées
est, de sa nature, antérieur à ces choses.
Propositions.
I. Aucune substance réelle
ne peut posséder un attribut qui appartient déjà
à une autre substance ; en d'autres termes, il ne peut exister
dans la nature deux substances qui soient réellement distinctes.
Démonstration. – En effet, puisque ce sont
deux substances, elles sont distinctes, et (par l'ax. II) elles se distinguent
soit réellement, soit modalement ; mais elles ne peuvent se distinguer
modalement, car alors les modes seraient antérieurs à la
substance (contre l’ax. I) ; il faut donc qu'elles se distinguent réellement.
Donc (par l'ax. IV), elles ne peuvent avoir rien de commun. Q. E. D.
II. Une substance ne peut être
cause de l'existence d'une autre substance.
Une telle substance n'a rien en soi qui la rende capable
d'une telle action (par la 1° proposition), car la différence de
l'une et de l’autre est réelle : c'est pourquoi (par l’ax. V) l’une
ne peut pas produire l’autre.
III. Toute substance est infinie
de sa nature et est absolument parfaite en son genre.
Dém. – Aucune substance (par la 2° proposition)
ne peut être produite par une autre. Donc, si elle existe réellement,
ou elle est un attribut de Dieu, ou elle est cause d'elle-même en
dehors de Dieu. Dans le premier cas, elle est nécessairement infinie
et parfaite en son genre, comme tous les attributs de Dieu ; dans le second
cas, elle l’est également, car (par l’ax. VI) elle n’a pu se limiter
elle-même.
IV. L'existence appartient nécessairement
à l'essence, et il est impossible qu'il y ait dans l'entendement
infini l'idée de l'essence de quelque substance, qui n'existerait
pas réellement dans la nature.
Dém. – La vraie essence d'un objet est
quelque chose de réellement distinct de l’idée de cet objet
; et ce quelque chose, ou bien existe réellement (par l'ax. III),
ou est compris dans une autre chose qui existe réellement et dont
il ne se distingue que d'une manière modale et non réelle.
Telles sont les choses que nous voyons autour de nous, lesquelles, avant
d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de
l’étendue, du mouvement et du repos, et qui, lorsqu'elles existent,
ne se distinguent de l'étendue que d'une manière modale
et non réelle. Mais il impliquerait contradiction :
1° Que l'essence d'une substance fût comprise ainsi
dans l’idée d’une autre chose, dont elle ne se distinguerait pas
réellement (contre la 2° proposition) ;
2° Qu'elle pût être produite par le sujet
qui la contient (contre la 1° proposition) ;
3° Enfin, qu'elle ne fût pas infinie de sa nature
et souverainement parfaite en son genre (contre la 3° proposition). Par
conséquent, son essence ne pouvant être comprise dans aucune
autre, elle doit exister par elle-même.
Corollaire. La nature est connue par soi et non
par aucune autre chose. Elle est constituée par un nombre infini
d’attributs dont chacun est infini ou parfait en son genre, et tel que
l'existence appartient à son essence, de telle sorte qu'en dehors
d'elle il ne peut y avoir aucune essence et aucun être, et qu’elle
se confond absolument avec l'essence auguste et bénie de Dieu.
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