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COURT TRAITÉ
DIALOGUE SECOND
SE RAPPORTANT D’UNE PART A CE QUI PRÉCÈDE,
ET DE L’AUTRE A CE QUI SUIT,
ENTRE ÉRASME ET THÉOPHILE.
(1) Érasme. – Je
t'ai entendu dire, ô Théophile, que Dieu est la cause de
toutes choses, et que pour cette raison il ne peut être qu'une cause
immanente. Mais, étant cause immanente de toutes choses, comment
peut-il être cause éloignée ? car c'est ce qui parait
en contradiction avec une cause immanente.
(2) Théophile. – En disant que Dieu est
une cause éloignée, je n'entends pas parler de ces choses
que Dieu produit sans aucun autre moyen que sa propre existence : je n'ai
pas voulu entendre ce terme dans un sens absolu ; ce que tu aurais pu
facilement comprendre par mes propres paroles lorsque j'ai dit que l'on
ne peut le nommer cause éloignée qu'à un certain
point de vue.
(3) Érasme. – Je comprends assez ce que
tu veux me dire ; mais tu as dit en même temps, je m’en souviens,
que l’effet d'une cause intérieure (immanente) demeure tellement
uni avec sa cause qu'il ne fait qu’un tout avec elle. S'il en est ainsi,
il me semble que Dieu ne peut pas être cause immanente ; si, en
effet, Dieu et ce qui est produit par Dieu ne font qu'un seul tout, tu
attribues à Dieu plus d'essence à un moment qu'à
un autre. Délivre-moi de ce doute, je te prie.
(4) Théophile. – Pour échapper à
cet embarras, écoute bien ce que j'ai à te dire. L'essence
d'une chose n'est pas augmentée par l'union avec une autre chose
qui fait un tout avec elle ; mais, au contraire, elle demeure inaltérable
dans cette union même.
(5) Pour me faire mieux comprendre, prenons l'exemple
suivant : Un statuaire tire du bois plusieurs figures à l'imitation
de la figure humaine, il prend l'une d'elles qui a la forme d'une poitrine
humaine, et il la joint à une autre qui a la forme d'une tête
humaine, et de ces deux réunies il fait un tout qui représente
la partie supérieure du corps humain. Direz-vous que l'essence
de cette tête a été augmentée par l’union avec
la poitrine ? Nullement, car elle est la même qu'auparavant.
(6) Pour plus de clarté, prenons un autre exemple.
J'ai l'idée d'un triangle, et en même temps j'ai une autre
idée, celle d'une figure qui provient du prolongement du côté
de l'un des trois angles, prolongement donnant naissance à un angle
nouveau égal aux deux angles internes opposés. Je dis donc
que cette idée (l'idée du triangle) en a produit une nouvelle,
à savoir celle de l'égalité des trois angles du triangle
à deux angles droits : or, cette nouvelle idée est jointe
à la première, de façon qu'elle ne peut ni exister
ni être conçue sans celle-ci.
(7) De même de toutes les idées que l'on
peut avoir, nous faisons un tout, ou, ce qui est la même chose,
un être de raison que nous appelons entendement. Ne voyez-vous pas
que quoique cette nouvelle idée soit liée à la précédente,
cependant il ne se fera aucun changement dans l'essence de celle-ci, et
qu'au contraire elle demeure de même sans aucune altération
? C'est ce qu'il est facile de voir dans toute idée qui produit
l'amour : car l'amour n'accroît en rien l'essence de l’idée.
(8) Mais pourquoi chercher tant d’exemples, lorsque toi-même
tu le vois clairement dans le sujet dont il s'agit : je te l'ai dit clairement,
tous les attributs qui ne dépendent pas d'une cause antérieure,
et qui ne se définissent pas à l'aide d'un genre plus élevé,
appartiennent à l'essence de Dieu ; et comme les choses créées
ne peuvent pas constituer d'attributs, elles n'accroissent pas l'essence
de Dieu, quoique liées très-étroitement avec cette
essence.
(9) Ajoutez que le tout est un être de raison,
et qu'il ne diffère de l'universel que par cette circonstance,
à savoir : que l’universel se forme des divers individus non unis
du même genre, tandis que le tout se forme des divers individus
unis, soit du même genre, soit d'un autre genre.
(10) Érasme. – Quant à ce point,
je me reconnais satisfait. Mais, en outre, tu as encore dit que le produit
d'une cause immanente ne peut pas périr tant que la cause persiste
: ce qui me semble être vrai ; mais alors s'il en est ainsi, comment
Dieu peut-il être la cause immanente de toutes choses, puisque tant
de choses périssent ? Tu diras sans doute, selon ta distinction
précédente, que Dieu n'est proprement la cause que des effets
qu'il produit sans autre moyen que ses seuls attributs, et que ceux-là
par conséquent, tant que leur cause persiste, ne peuvent pas périr
; mais que tu ne reconnais pas Dieu pour cause immanente des effets dont
l'existence ne dépend pas immédiatement de lui, mais qui
proviennent d'autres choses quelconques (sauf cependant que ces choses
elles-mêmes n’agissent et ne peuvent agir sans Dieu et en dehors
de Dieu) : d'où il suit que, n'étant pas produites immédiatement
par Dieu, elles peuvent périr.
(11) Cependant cela ne me satisfait pas, car je vois
que tu conclus que l'entendement humain est immortel, parce qu'il est
un effet que Dieu a produit en lui-même. Maintenant, il est impossible
que pour la production d'un tel entendement il ait été besoin
d'autre chose que des attributs de Dieu, car une essence d'aussi grande
perfection doit précisément, comme toutes les autres choses
qui dépendent immédiatement de Dieu, avoir été
créée de toute éternité ; et si je ne me trompe
pas, je t'ai entendu dire cela à toi-même, et, s'il en est
ainsi, comment peux-tu te dégager de toute difficulté ?
(12) Théophile. – Il est vrai, Érasme,
que les choses qui n'ont besoin, pour leur propre existence, de rien autre
que des attributs de Dieu, ont été créées
immédiatement par lui de toute éternité ; mais il
importe de remarquer que, quoiqu’il puisse être nécessaire
qu’une modification particulière (et par conséquent quelque
chose d'autre que les attributs de Dieu) soit exigée pour l'existence
d'une chose, cependant Dieu ne cesse pas pour cela de pouvoir produire
immédiatement une telle chose. Car, entre les conditions diverses
qui sont exigées pour faire qu'une chose soit, les unes sont nécessaires
pour produire la chose elle-même, les autres pour qu'elle soit possible.
Je veux, par exemple, avoir de la lumière dans une certaine chambre ;
j’allume cette lumière, et aussitôt cette lumière
par elle-même éclaire la chambre ; j'ouvre une fenêtre,
ce qui par soi-même ne fait pas la lumière ; mais cela fait
que la lumière puisse pénétrer dans la chambre. C'est
ainsi encore que, pour le mouvement d'un corps, un autre corps est nécessaire,
lequel doit avoir tout le mouvement qui doit passer dans le premier. Mais,
pour produire en nous une idée de Dieu, il n'est pas besoin d'aucune
chose singulière qui ait déjà en elle ce qui se produit
en nous ; il est seulement besoin d'un corps, dont l’idée est nécessaire
pour nous montrer Dieu immédiatement : ce que tu aurais pu conclure
immédiatement de mes paroles, lorsque j'ai dit que Dieu est connu
par lui-même et non par aucune autre chose.
(13) Cependant, je te le dis, aussi longtemps que nous
n'avons pas de Dieu une idée claire, qui nous unisse à lui
de manière à nous rendre impossible d'aimer rien en dehors
de lui, nous ne pouvons pas dire que nous soyons en réalité
unis à Dieu et que nous dépendions immédiatement
de lui. Si tu as encore quelque chose à me demander, ce sera pour
un autre temps ; quant à présent, je suis appelé
pour d'autres affaires. Adieu.
(14) Érasme. – Je n'ai rien de plus à
te dire pour le présent : je réfléchirai à
ce que tu viens de me dire jusqu'à une autre occasion, et je te
recommande à Dieu.
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