Bon, je vais faire quelques précisions quand-même, car j'ai écrit sur le
facies totius universi en ayant en mémoire tout ce qui précédait, sans désirer le rappeler (sinon j'aurais ouvert un nouveau fil) mais c'est sûr que sans ces antécédents en mémoire, cela semble un peu décousu.
Sur le fini causé par l'infini : mon objectif était, outre de redire ce que selon moi signifie Spinoza, de montrer que le fait que le fini soit causé par l'infini :
1) Interdit d'utiliser E1P36 - par ailleurs utilisée elle-même pour des choses singulières et faisant appel à E1P16 qui parle d'une infinité de choses infiniment modifiées - pour prouver l'existence des soi-disant modes infinis médiats par E1P22 (ce qui dit, en passant, en quoi il est peu crédible d'en appeler à la pure logique en l'espèce : ce ne sont pas que les deux-trois opérations de logique élémentaire qui sont en cause, loin s'en faut, mais aussi toutes les prémisses ; en l'occurrence le sens donné aux mots et aux propositions qu'on y place d'entrée, et qui met en fait souvent en cause par enchaînement une bonne partie de l'œuvre. Car nous cherchons la vérité ultime, pas un simple jeu de logique sans égard pour la vérité des prémisses ; si c'est seulement cela que l'on cherche, alors, comme je l'ai dit, il vaut mieux faire des Maths ; au moins c’est rigoureux.) Donc le fini est (forcément) causé (causalité immanente : ordre ontologique) par l'infini, et est donc un effet de l'infini.
2) Comme je l'ai déjà précisé plus haut, qu'il y a chez Spinoza et en toute logique un ordre ontologique, un ordre de conséquence logique dans l'essence (identique en partie seulement dans l'existence) qui va de Dieu, substance absolument infinie jusqu’aux choses particulières (existant ou non pour l'instant.) Le principe d'économie qu'emploie Spinoza au plus haut degré en général (la volonté est identique à l'entendement, le désir c'est l'essence actualisée même en tant que..., etc.) implique qu'on n'y place que ce qui est strictement nécessaire. Donc : l’ordre ontologique est le minimum indispensable en conséquence logique.
Ceci implique en particulier que si l’on veut intercaler un mode (mettons un seul en contradiction de la logique récurrente de E1P22, et bien que Spinoza fasse référence non à E1P22 dans la lettre 64, mais à E2P13L7S ; le
facies totius universi par exemple) il faut
le voir clairement comme causé par le Mouvement, et cause des corps.
Note : il y a peu de doute que Spinoza parle dans E2P13L7S de quelque chose qui est déjà connu dans l’Ethique, mais ici d’une autre façon.
Sur le sens de nécessairement (que je n'ai pas prolongé, donc) : la première idée était la même : il n'y a pas lieu de focaliser sur lui dans E1P21-23 du point de vue de l'essence, puisque E1P29 dit que
tout est nécessaire. E1P21-23 l'utilise en rapport à l'existence (on ne peut pas pour autant parler de cause transitive, puisqu'il s'agit – hypothétiquement, au moins dans E1P22 ; je me suis aperçu que E1P21Dm faisait référence à E1P11 pour l’idée de Dieu même - d'une dérivation de la nature absolue de l'attribut.) Autrement dit et plus simplement, E1P29 montre une nécessité en tout, y compris pour les choses particulières (ou des lois du Mouvement, ce qui est équivalent, mais plus facile à relier ici aux choses singulières.) J’aurais aussi pu m’en passer…
Sur l’ordre ontologique (je rappelle en passant que j’ai produits des extraits qui montrent que Spinoza le dit explicitement lui-même ; je ne suis pas en train de broder). Il est en vérité le suivant chez Spinoza : Dieu

Attributs

Modes infinis (immédiats)

Choses singulières (non content que Spinoza le dit, mais intercaler une infinité de modes infinis dits médiats est ridicule.) Nous admettons que Dieu ne se distingue pas réellement de ses attributs (d’où le parallélisme.) Pour l’Etendue seule : Etendue

Mouvement

Corps.
Entre l’Etendue et le Mouvement, il y a la conséquence logique suivante : on conçoit l’Etendue en soi (donc parfaitement sans le Mouvement.) En revanche le Mouvement ne peut être conçu que
dans l’Etendue (et nullement à part.) Etant entièrement dans l’Etendue, il est un mode de manifestation de celle-ci, quoique celle-ci soit conçue sans lui. Il appartient donc à l’essence de l’Etendue, ou du moins comme propriété de celle-ci. De plus, nous prenons purement et simplement acte qu’il y a toujours le Mouvement dans l’Etendue. C’est la Nature naturante + la Nature naturée générale. C’est le Brahman non qualifié et le Brahman qualifié du Vedanta. Le Brahman complet, quoique non fusionnel. On pourrait peut-être ajouter que qui dit que la matière (que nous assimilerons à l’Etendue) c’est l’énergie (que nous assimilerons au Mouvement) ne fait que réunir ces deux.
Note : comme je l’ai déjà répété, c’est assez « gonflé » d’introduire le Mouvement en un bloc. En effet, nous concevons le mouvement après avoir défini l’espace, le temps et un mobile. Mais je pense que c’est génial ; en tout cas c’est ce que Spinoza fait (« Energie » passe peut-être mieux dans ce cadre, mais il s’agit dans l’esprit de la même chose.) On peut inversement en déduire que le Mouvement introduit les « mobiles » (la « modalité », la finitude en principe : il implique l’existence de corps), la métrique de l’espace et la durée (avec pour métrique le temps ; je vois une petite dissymétrie ici entre espace et temps) et sans doute aussi les lois (du Mouvement.)
Un point très important que je voudrais soulever au passage est que le Mouvement n’est pas en lui-même étendu. Et je rapproche ceci du fait que Dieu ne peut être dit appartenir à l’essence des modes. Le Mouvement est un phénomène dans l’Etendue, mais n’est pas lui-même étendu (je répète.) En poussant jusqu’aux corps, on obtient qu’ils ne sont pas en eux-même étendus, mais sont seulement des Formes dans l’Etendue…
Entre le Mouvement et les choses particulières / singulières (particulières en acte) j’ai parlé de « saut » ici aussi, mais en fait que les corps soient causés par le Mouvement est déjà acquis par le Mouvement même, de par ce qui précède. C’est pourquoi on peut dire avec Spinoza que les corps sont contenus dans l’idée de mouvement (en puissance, si l’on se réfère à l’existence, et donc aux choses singulières.) Ceci rejoint l’exemple de la simulation en mécanique : si je dispose des conditions initiales (mais il n’y en a pas s’agissant de la Nature, le Mouvement étant sempiternel), les conditions aux limites (idem, l’Etendue étant infinie), incluant donc la géométrie des corps, et les lois, j’en déduis tous les phénomènes sur une durée aussi longue que désiré.
Autant le Mouvement ne se déduit pas du tout de la seule considération de l’Etendue, autant les corps se déduisent très bien du Mouvement. C’est pourquoi il est encore plus anachronique d’aller intercaler quelque chose entre eux. Cela indique aussi où le
facies totius universi va être recalé comme soi-disant « mode infini médiat. »
Note : comme le montre E2P13L7S lui-même, la distinction des choses singulières est toujours partiellement arbitraire ; on peut prendre un groupe de choses singulières et le considérer comme une seule chose singulière. Il ne peut pas en être autrement dans l’interdépendance, laquelle est une nécessité de nature.
Comme causé par le Mouvement : pas de problème. Il varie en même temps que toutes les choses singulières qu’il contient. Il n’est finalement lui-même que la plus vaste des choses singulières.
Comme cause des modes finis : autant le Mouvement répond bien à cette fonction, autant on voit mal comment un simple tout (je ne reprends pas à mon compte l’exemple de CT1Dia1 puisque l’intelligence est en fait une notion générale, sauf en Dieu) pourrait être érigé en cause. Et pourquoi n’importe quel sous-ensemble ne serait alors pas dit cause de ce qui est à l’intérieur, et ainsi de suite à l’infini (ce qui n’est pas de toute façon la série infinie des prétendus modes médiats, puisqu’ici il s'agit de modes finis.)
Comme éternel : ce qui change n’est pas éternel.
Comme infini : ce qui recouvre les modes finis ne peut être dit infini.
Sur les « objections » :
Compréhension du texte :
E2P13L7S dit : … la nature tout entière est un seul Individu, dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de manières sans que change l’Individu tout entier. …
Donc : ce qui ne change pas = Individu = Nature ; ce qui varie d’une infinité de manières = les parties = tous les corps.
Lettre 64 : … la face de l’univers entier, qui reste toujours la même, quoiqu’elle change d’une infinité de façons. …
(Voyez, sur ce point, le Scholie du Lemme 7, avant la Propos. 14, part. 2.)
Que la face de l’univers change mais qu’elle soit en fait l’individu qui reste toujours le même, tandis que c’est l’Univers dont elle est la face qui seul change, c’est incohérent…
Et « face » veut bien dire « visage », un aspect partiel de la chose dont il est question.
La
seule solution cohérente me semble cependant exiger que le texte soit modifié : ce n’est pas « la même », mais « le même » qu’il faut lire. (Mais on peut peut-être quand-même admettre de pouvoir dire par exemple que la surface de l'océan ne change pas quoiqu'elle se modifie d'une infinité de façons ; dans les deux cas, la conclusion est la même, cependant.)
Ceci est consolidé par les aspects suivants : en rapportant ce texte à celui cité, on ne peut que poser :
L’Univers = la Nature (ce qui semble pour le moins assez naturel… le prendre comme la face elle-même est incohérent) = l’Individu qui ne change pas.
Ce qui change = les parties = tous les corps = la face de l’Univers (ce qui semble aussi naturel.)
Le changement est dans la Nature (Etendue en Mouvement) mais la Nature (Etendue et Mouvement) ne change pas.
Sur l’ « ensemble infini des parties finies » : S’agit-il d’un ensemble discret (dénombrable) infini ? Dans ce cas, ce n’est pas ce de quoi Spinoza parle : qui dit discret dit fini dans sa structure même, même si c’est avec un nombre sans limite d’éléments. Infini indénombrable ? Mais où sont alors les parties dont il est question ? Nulle part, parce que ce qui est infini dans l’affaire c’est l’Etendue elle-même, qui l’est depuis le début. Le fini étant d’emblée dans l’infini, le raccourci ne vaut rien.
En fait, il faut se souvenir de la définition du fini : ce qui est limité par une autre chose (de même nature, soit dans le même attribut). C’est pourquoi peut être dit infini le Mouvement, alors que vu en lui-même il n’a aucune extension…
Serge
Connais-toi toi-même.