Serge a écrit :P.S. Sauf erreur, le théorème d'incomplétude de Gödel ne porte en aucune façon sur l'axiomatique - qui est, encore une fois, indémontrée par nature dans tous les cas - mais sur des théorèmes qui sont vrais dans le champ de cette axiomatique quoiqu'indémontrables selon cette même axiomatique.
je n'avais pas encore lu ce P.S. avant d'envoyer mon message précédent (il s'agit d'un ajout fait lors d'une deuxième édition?). En tout cas, quant aux propositions qui se trouvent dans le champ d'une axiomatique et qui sont vraies sans être démontrables: à mon sens ce sont précisément les axiomes et rien d'autre, non? Or si Gödel ne faisait que souligner ce fait, connu déjà aux temps d'Euclide, son théorème n'aurait pas eu le retentissement qu'il a eu. Pour autant que je l'aie compris, Gödel a plutôt démontré que toute axiomatique est "incomplète" non pas parce qu'elle contient des vérités indémontrables, mais parce qu'on peut toujours formuler au moins un énoncé qui tombe dans le champ de cette théorie axiomatisée, et par rapport à laquelle la théorie (= ses axiomes + propositions démontrées + tout ce qu'on peut en déduire véritablement) ne permet pas de déterminer une valeur de vérité (vrai ou faux), ce qui rend cette proposition indécidable.
Autrement dit: l'incomplétude gödelienne souligne l'indécidabilité propre à toute axiomatique, ce qui revient à mettre en évidence une "ignorance" inévitable installée au sein même de nos théories (ignorance et non pas une "intuition", une idée d'une vérité indémontrable). C'est pourquoi un élément de la réponse de Faun me semble être le plus proche de ce que Sinusix vient d'évoquer: il s'agit bel et bien de reconnaître que l'homme ne pourra jamais créer une théorie qui permettra de tout savoir (de savoir pour tout énoncé s'il est vrai ou non).
On pourrait dire que cela vaut forcément aussi pour le spinozisme, n'était-ce que - et c'est peut-être cela que voulait remarquer Serge? - Gödel n'a prouvé son théorème que pour des théories formelles, tandis qu'une ontologie telle que le spinozisme ne peut pas être dite purement "formelle". Exemple d'une telle théorie formelle: la logique formelle censée "fonder" l'arithmétique (ainsi que la logique frégéenne, développée afin de sortir de la "crise des fondements" des mathématiques survenue au XIXe siècle).
En revanche, la philosophie ne créant pas des théories formelles, on peut à mon sens dire que le théorème d'incomplétude de Gödel n'est tout simplement pas d'application, quand il s'agit de philosophie. Car si la philosophie est bel et bien indémontrable en ce qui concerne la plupart de ses "axiomes" ou présupposés, et si beaucoup de ses énoncés sont réellement "indécidables" (comment par exemple décider de la vérité/fausseté de l'énoncé "le monde est entièrement déterminé"??), elle ne l'est pas en vertu du théorème de Gödel, mais tout simplement parce qu'il lui manque les moyens de démonstration dont disposent depuis quelques siècles les sciences expérimentales. C'est donc en tant qu'ontologie, en tant que théorie non pas formelle mais référant au monde extérieur, que la philosophie contient des énoncés indémontrables et des énoncés indécidables: lorsqu'on parle du monde extérieur, on a besoin de dispositifs d'expérimentation pour prouver l'une ou l'autre vérité, ce dont la philosophie ne dispose pas, tandis qu'elle fait néanmoins des énoncés qui portent sur le monde, et qui ne sont pas purement formels.
Pour moi, cela ne signifie point qu'en matière de philosophie, c'est le "chacun sa vérité" qui règne. On ne peut pas déduire de ce double manque (indémontrabilité et indécidabilité) qu'en philosophie, tout est "relatif". Il s'agit bien plutôt de reconnaître que pour pas mal d'énoncés philosophiques, les preuves manquent, ce qui implique que la "valeur" de ces énoncés n'est pas à chercher dans leur supposée vérité/fausseté, mais se trouve ailleurs.
C'est pourquoi je crains que toute "adhésion totale" à telle ou telle philosophie ne peut que relever d'un dogmatisme, et non pas d'une attitude proprement philosophique. On peut reconnaître un certain nombre de ses propres "expériences immédiates" ou "idées reçues" (voire inventées soi-même) dans la pensée de l'un ou l'autre philosophe, et pour cette raison s'y intéresser davantage qu'à d'autres philosophies. On peut même décider d'y "croire" à fond (à la manière dont l'acte de foi des Catholiques relève d'une décision active et consciente), ou éventuellement aussi y croire d'emblée (à la manière de la foi protestante qui résulte de la "grâce" divine, imprévisible et inexplicable). Mais on se situera ainsi inévitablement sur le terrain de la religion, et non plus sur un terrain exclusivement philosophique.
L.