Sinusix a écrit :... Il ne s'agit donc pas, effectivement, d'accepter une parole explicative déjà mâchée mais de ressentir la pertinence d'un processus dynamique de recherche personnelle. L'adhésion, en l'occurrence, ne signifie donc pas application et militantisme de recettes. Il s'agit bien d'une adhésion à la force de proposition sous-jacente, celle de l'expérimentation.
C'est bien l'esprit de ce que j'ai écrit plus haut. Il n'y a rien de vrai pour un individu particulier qui ne soit profondément vécu comme tel par lui. Fondamentalement, il n'y a de vérité que dans le fait même et les mots n'ont strictement aucun sens en eux-mêmes : ils n'en ont vraiment que sublimés en ressenti profond dans un esprit particulier. C'est là le troisième genre de connaissance.
Maintenant, malgré cela, une certaine communication est possible : les mots et la logique permettent de désigner quelque chose qui peut orienter ou préciser la vision intuitive, ouvrir une porte à la lumière (sinon pourquoi lire, écrire et discuter ; mais c'est une évidence pure, ne serait-ce pour qui a déjà consulté un guide quelconque.) Mais certes ce pouvoir est limité : encore faut-il passer du pointeur au fait (le sage montre la lune), sans que l'imagination ne s'en empare au quart mâché pour partir dans ses délires habituels. La force de permanence dans l'être des mouvements psychiques, dont les idées inadéquates, est manifestement très puissante. Personne ne peut être contraint à la vérité.
Jusqu'à présent, et pour ce qui concerne le macroscopique, je n'ai pas entendu qu'on ait mis en cause la Mécanique classique en découvrant que de nouvelles lois de la Nature s'y étaient substituées (sur son domaine d'application même.) Et la théorie peut en être consignée en mots dans un ouvrage. Que même si personne n'en connaît plus rien, ou est incapable d'en tirer quoi que ce soit, cela n'empêche pas un être intelligent futur de repenser le tout sur la base de ce livre ; et cela correspondra toujours à la réalité, ou presque, des phénomènes mécaniques.
Sinusix a écrit :Telle est d'ailleurs la raison pour laquelle je m'inscris personnellement en faux contre deux présupposés sous-jacents à la réponse que me fait Sescho, à savoir celui d'une soi-disant vérité éternelle de la psyché humaine...
Ah oui? Déjà, le terme même "humaine" suppose l'identification là d'une essence de genre, donc d'une communauté de nature, et donc de lois exprimées. Pensez-vous que la psyché humaine ne répond à aucune loi (auquel cas la compatibilité de votre point de vue avec celui de Spinoza est très faible ; voir les extraits ci-dessus et sur Les lois de la Nature), ou seulement que l'homme n'y atteint pas la perfection ? Dans le second cas, c'est aussi pour moi une évidence ; malgré cela, "pas tout" ne veut pas dire "rien", comme toute science le montre.
Sinusix a écrit :... et, en corollaire, la présence d'invariants auxquels la philosophie aurait de tous temps eu accès indépendamment du mouvement de l'histoire.
Je n'ai pas dit "de tout temps" mais "depuis longtemps." Toute perception de loi réelle est un invariant puisque les lois sont éternelles. Et le problème éthique, de par son importance primordiale évidemment, a été le plus tôt et le mieux étudié, en particulier dans les cultures les plus anciennes.
Sinusix a écrit :Non, le mouvement de la philosophie n'est pas celui de la pensée pure, mais celui de la vie réelle et je m'efforce personnellement de garder en arrière plan, en essayant de les débrouiller, les rapports effectifs entre la Philosophie et l'ensemble du mouvement historique, eux-mêmes conditionnés, selon les croyances de chacun, au développement de la production matérielle et des rapports sociaux, eux-mêmes inséparables de l'avancement des sciences.
Paul Diel montre que c'est une erreur de confondre "culture" (spirituelle) avec "civilisation" (matérielle.)
Quoiqu'il en soit, c'est bien dans l'esprit scientifique que s'inscrit Spinoza, et il dénonce lui-même on ne peut plus nettement les dérives de l'imagination, autrement dit là de la superstition. Ce n'est pas parce que l'imagination existe que l'entendement vrai n'existe pas. "Pas tout" ne veut pas dire "rien". Et en général c'est l'entendement qui garde une trace durable ; l'imagination, elle, se renouvelle en permanence, de par sa nature volatile propre.
Spinoza se base sur la rigueur mathématique, car elle seule est représentative de la vérité pure accessible à l'entendement humain ; tout le reste relève du premier genre. Les notions communes ou axiomes et la Logique sont le fonds de vérité accessible à l'Homme. Les développements de la Physique (ou actuellement des techniques) n'ont rien à faire là-dedans. L'Occident s'est presque suicidé d'avoir cru que le salut était de rejeter tout le religieux - y compris le fond donc, avec l'eau du bain de la superstition - pour le matériel. A tel point que Freud a fait révolution avec ce qui était sans discontinuité vivant en Orient depuis plus de deux millénaires. Les obscurantistes modernes sont ceux qui, sous prétexte de science - qui n'est cependant pas mise en cause par elle-même par-là - ont perdu et fait perdre le sens éthique. Et les relativistes de tout poil, aussi. Autant l'ouverture et le souci de la vérification expérimentale me semble une qualité, autant le relativisme systématique me semble une perversion de l'esprit. Et si rien n'est universellement vrai, pourquoi discuter ?
Spinoza inaugure la psychologie scientifique. Qui peut y contredire sur le fond, c'est-à-dire de façon sainement argumentée ? Voilà la vraie question.
Spinoza dit : je vis la béatitude, et elle est accessible par le chemin logique que je montre, qui satisfait l'entendement (condition indispensable.) De quoi s'agit-il alors ? De chercher là où le bât blesse, tout ce qui pourrait être mis en cause, être conjoncturel, ou d'essayer de comprendre puis de voir en soi ce qui est signifié. De chercher l'os en vertu de ses présupposés posés en vérités ? Ou, avant de commenter et d'extrapoler, de commencer par essayer de comprendre au fond, en mesurant intuitivement en soi ce que le grand auteur a indiqué ?
Amicalement
Serge