Le MOI

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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sescho
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Messagepar sescho » 06 juin 2013, 16:45

A Vanleers (que nous ne continuions pas à tisser un scoubidou de dialogues croisés, avec Hokousai comme âme... :D ) : votre message me semble opportun et pour l'essentiel très juste.

Je voudrais, cela dit, faire un ajustement personnel : je ne crois nullement que Dieu s'aime lui-même d'un Amour infini. De même que pour moi seuls ses modes pensants pensent, seuls ses modes pensants "félicitent..."

Déjà, Spinoza met l'Amour en second derrière l'idée (E2A3, avec comme précurseur indirect E1P31), et définit l'Amour par une "joie accompagnée de l'idée d'une cause extérieure" (E3P13S, E3AppD6.) Une réserve est cependant faite par E3P30S - en remplaçant "extérieur" par "intérieur" comme le contexte l'indique clairement. Il place bien en outre, comme la joie, l'Amour dans les passions dans E2A3 (confirmé par E4P44, E5P4S, etc., etc.) En complément de tout cela vient E3P30S. Rien de ceci ne convient à Dieu.

En outre, avec E5P17 (et les PM de mémoire), ce qui tombe par ailleurs sous le sens, Dieu ne connaît ni joie, ni tristesse ; ni désir non plus (E1P9, E1App, indirectement ; évident de toute façon), ni amour, ni haine, donc (aucune passion - joie, tristesse ou désir - étant la teneur de la proposition même.)

Dieu n'est une cause extérieure, ni pour lui-même, ni pour l'Homme.

On peut néanmoins admettre que s'agissant de Dieu, ces mots prennent un sens particulier ("Si vous le rapportez à Dieu, cet amour est en lui une joie (qu’on me permette de me servir encore de ce mot)"), comme dit.

Cela ne change pas pour autant ma vision des choses.

Mais cela va plus loin, en me conduisant à rectifier le détail de ce que j'ai dit précédemment : il n'y a pas de conscience sans le couple sujet-objet, pas de Dieu révélé, etc. Le couple sujet-objet - en le laissant soudé, et donc aucunement scindé, tout couple restant-il - ne peut donc être mis qu'au niveau primaire et non secondaire. Il est lui-même Dieu révélé. L'existence terrestre dans l'espace et le temps en est l'autre face, l'Homme étant au croisement des deux.

Je pense en outre que la joie continue et sans relief en elle-même qui accompagne l'Eveil ((re)connaissance intuitive généralisée de Dieu-Nature) n'est pas le fruit (par hypothèse) d'une situation extérieure et intérieure conjoncturelle exceptionnellement favorable, mais implique une détection et un contre permanents, même sans effort, de la tendance à l'erreur, qui reste intacte (la tendance, pas l'erreur.)

Et Dieu n'entre pas dans un couple sujet-objet...


P.S. : En passant E5P33 : "... l’âme a possédé éternellement ces mêmes perfections que nous avons supposé qu’elle commençait d’acquérir, et cette possession éternelle a été accompagnée de l’idée de Dieu comme de sa cause éternelle ..."
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Messagepar hokousai » 07 juin 2013, 00:00

à Sescho

Sescho a écrit :vous êtes éveillé lorsque par où que vous preniez les choses, elles sont parfaites ; tout (ce qui est) est parfait (ce qui est équivalent à dire - non par raisonnement mais dans le même mouvement sans distinction - "Dieu est parfait.")


Non mais ça d' accord !
L'amour intellectuel de Dieu ... et bien des affirmations de Spinoza sur réalité = perfection" .
"tout est bon" comme disait Montaigne ( aussi )

Mais ce n'est pas vraiment ce qui me préoccupe. Les éveillés parlent d ' illumination . Spinoza ne parle pas d illumination. Il n'en parle pas tel que Nicolas de Cues en parle puisqu' il dit avoir eu une illumination lors dun voyage.
l’expérience que Nicolas de Cues fit en 1437, lors d’un voyage en bateau, de retour de Constantinople : « Un illumination se fit en lui […] immanent et transcendant, Dieu est une Totalité proche comme la mer, et lointaine comme le ciel. ». Cette expérience fut pour le Cusain une source d’inspiration à laquelle il ne cessa de puiser.


J 'ai un peu joué avec le feu dans les messages précedents . Il me semble que si j'avais eu une illumination cela ne m'aurait pas échappé . Comme je n' en ai pas eu ( ou si fugitive et pas de ce type là**** ) je persiste à dire que quelque chose m' échappe chez les éveillés .
Je ne me dis pas être insensible à leur discours.

Reste que Spinoza ne parle pas d illumination.
..............................
**** pas de ce vous décrivez Sescho .
J 'ai eu une illumination fugitive de la vacuité . Et en revanche une compréhension non illuminative (à mon avis) de ce qu'est l'affirmation chez Spinoza.

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Messagepar hokousai » 07 juin 2013, 00:13

à Vanleers

Je suis plutôt en accord avec ce que vous citez de Séverac .

« Le terme qu’utilise Spinoza pour nommer cette réjouissance est gaudium : il désigne un contentement, une jouissance intime, une satisfaction intérieure. Ce gaudium n’a donc rien à voir avec du narcissisme : il relève de l’idée que je suis, non de l’idée que j’ai de moi-même. Il est non pas une représentation qu’a l’individu de lui-même, mais « l’âme » même de cet individu, entendue comme le sentiment de la vie en soi. C’est pourquoi ce sentiment n’est pas à proprement parler une joie, au sens d’une augmentation de la puissance d’agir, mais une réjouissance, au sens d’une jouissance de sa propre puissance : n’est pas senti un accroissement de perfection (une joie), mais la perfection même qui nous constitue (un gaudium). »


Je suis influencé par un philosophe contemporain :Michel henry.
Je le cite peu, ce phénoménologue n'est pas facile d'accès .
Son approche strictement phénoménologique le fait être tenu à distance par les commentateurs spinozistes ( me semble -t -il ). A vrai dire je n' en entend guère parler.

Je suis aussi influencé par la philosophie de l'esprit d' où mon insistance sur la conscience.

En revanche tout ce qui tournerait autour de l' antihumanisme théorique m 'est assez étranger.

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Messagepar Vanleers » 07 juin 2013, 11:24

A sescho

J’ai lu attentivement votre message et vous adresse les remarques suivantes.

1) Vos arguments, à l’appui de la thèse que, contrairement à ce que démontre Spinoza en E V 35, Dieu ne s'aime pas lui-même d'un Amour infini, sont, évidemment, pertinents.

La validité de la démonstration d’E V 35 repose sur la légitimité de l’introduction, par Spinoza, du mot « gaudet » (Dei natura gaudet infinita perfectione).

« Gaudet » que Pautrat traduit par « jouit » et Misrahi par « se réjouit », en ajoutant le commentaire :
« La définition 6 de la partie II, à laquelle se réfère Spinoza, affirmait seulement l’identité de la réalité et de la perfection. Ici s’ajoute, en Dieu, l’expérience de la joie »
Il n’est pas évident que cette définition : « Par réalité et perfection, j’entends la même chose » autorise Spinoza à employer le mot « gaudet ».

Il y a, ici, un pas que l’on peut, légitimement, ne pas faire.

A l’inverse, si ce pas est franchi, quelles en sont les conséquences ?

a) Spinoza ne se réfère à E V 35 que dans la proposition E V 36 et son scolie qui, à mes yeux, constituent le point culminant de l’Ethique.
Il est vrai qu’il y a lieu de lever l’apparente contradiction entre E V 17 sc. :
« Dieu, à proprement parler, n’aime personne et ne hait personne »
et E V 36 sc. où l’on parle de « l’Amour de Dieu envers les hommes ».
Dans son commentaire (Introduction… V), Macherey explique qu’en E V 17, il s’agit de l’amour passion et en E V 36 de « cet amour complètement dépassionné qu’est l’amour intellectuel »
Cette explication me paraît suffire.

b) Dans mon précédent message, j’ai émis l’idée que « Gaudium » était un autre nom de Dieu.
En effet, s’il est clair qu’être cause de soi ou être une substance ne sont pas des propriétés de Dieu mais que Dieu « est » Cause de Soi et « est » Substance, ne doit-on pas dire que se réjouir n’est pas une propriété de Dieu mais que Dieu « est » Se Réjouir ?
Remarquons que dire que Dieu est Gaudium le rapproche du Dieu est Amour du Christianisme, rapprochement qui peut prêter à discussion.

2) Je ne sais pas si j’ai bien compris votre pensée à propos du couple sujet/objet et ce que j’écris maintenant n’a peut-être pas de rapport avec votre questionnement.

Je partirai de la Définition 1 de la partie I de l’Ethique.
Cette définition de la Cause de soi n’a pas une grande postérité dans l’ouvrage. Spinoza s’y réfère en E I 7 et 24, et aussi, ce qui est plus intéressant, en E V 35, la proposition qui nous a occupés ci-dessus.
Dans le cas général, on distingue cause et effet mais, ici, il n’en est rien et il faut penser, dans l’absolu, cette causalité comme pur rapport à soi.
Sur le modèle de la Cause de soi, ne doit-on pas dire que dans l’Amour intellectuel infini que Dieu se porte à lui-même, dans ce Gaudium, il n’y a pas lieu de distinguer sujet et objet car, ici aussi, ce Se réjouir doit se penser, dans l’absolu, comme pur rapport à soi ?

3) Je suis d’accord avec la fin de votre message.

En E V 33, Spinoza reconnaît sa « feinte » dans le corollaire de la proposition précédente : cet Amour de Dieu dont il dira en E V 36 sc. qu’il constitue notre salut, notre béatitude et notre liberté, n’a pas eu de commencement.

Bien à vous

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Messagepar sescho » 07 juin 2013, 15:48

hokousai a écrit :Les éveillés parlent d ' illumination . Spinoza ne parle pas d illumination. ...

Pas tous... Lee Lozowick, par exemple, de mémoire, dit que cela s'est établi (pour l'éternité) chez lui sans évènement particulièrement marquant.

Il ne faut pas confondre l' "état" (acte) permanent avec les transitions. Ceci rejoint Spinoza dans la nuance très nette - qu'il n'exprime cependant pas de façon massivement explicite - entre la joie ordinaire (qui est une passion de base, à la source de toutes les passions, et même de la pire passion entre toutes, l'orgueil, qui est une joie, et la pire parce que c'est une joie) et la béatitude du sage.

On peut, avec Yann Thibaud par exemple, admettre que le degré de lucidité puisse autoriser de parler de "moments d'éveil" passagers, mais ce n'est pas le sens que l'on donne généralement à "Éveil", traduisant un acte réitéré en permanence. Inversement, plusieurs, et en particulier Jourdain, disent qu'une expérience très marquante, mais non définitive (fréquent), peut être assez catastrophique ensuite, car la nostalgie de celle-ci s'installe, et constitue alors un des principaux obstacles. Quant aux "états modifiés de conscience" ils peuvent s'obtenir simplement par une mise en disposition très inhabituelle et prolongée (fixer un point, etc.) et sont encore en deçà.

Il n'y a rien d'aussi marquant que les transitions à gros dénivelé, mais par nature, c'est... transitoire. L’Éveil apparaît beaucoup plus calme (silence actif, toujours présent derrière les activités, aussi diverses, particulières et actives soient-elles...) et par ailleurs, donc, constant. Ceci n'empêche pas pour autant que l’Éveil est aussi dé-survenu (comme dit Terreaux) suite à des transitions colossales. "Tout change, rien ne change." "Avant l’Éveil : ramasser du bois, puiser de l'eau ; après l’Éveil : ramasser du bois, puiser de l'eau."

Ce qui peut surprendre et par ailleurs contredire quelque peu ce qui précède, c'est le samadhi / satori. Pas très éloigné du sommeil selon Ma Ananda Moyi, il semble être une sorte de maintien dans le pur "Je suis" / la pure Conscience / la présence du Divin / la vision pure de Dieu, etc. ; sans la moindre pensée discursive, la moindre "cristallisation" modale...

Pour autant, comme dit le sage : "il n'est pas possible de se maintenir en satori, car en satori il n'y a ni restaurant, ni toilettes..." Mais on peut imaginer que satori n'est qu'un cas limite, en l'absence d'activité extérieure / "modale..."

Bref, 1) les transitions, le cas échant, sont aussi diverses que les individus, et ne constituent donc pas du tout un critère universel ; 2) Il faut bien que l’Éveil se traduise par quelque chose qu'on ne goûte pas encore (...) pleinement. Il est par ailleurs bien clair que ce n'est pas par l'intellect que cela passe, mais par la perception la plus directe. 3) Spinoza parle bien de la même chose que les (autres) éveillés, mais ne l'exprime pas forcément de la même manière (ce qui est de l'ordre de la technique, en fait.)
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Messagepar sescho » 08 juin 2013, 12:06

A Vanleers,

Je n'ai pas d'objection sur ce que vous dites au sujet de Spinoza. Et bien évidemment, Dieu n'y est engagé dans aucune relation sujet-objet, ni quoi que ce soit qui en relève de près ou de loin. Dieu est tout et un.

Dieu n'est-il pas aussi appelé "Le Bienheureux" ?

Mais, comme vous l'avez compris, je ne me place plus dans le cadre de la pure et simple traduction de Spinoza (comme je l'ai fait durant des années), mais dans une démarche qui inclut une interrogation personnelle, qui, sans du tout remettre systématiquement en cause ce que dit Spinoza, bien au contraire, le place néanmoins en question sur certains points (en combinaison avec des ressentis personnels du moment – aussi profonds qu’il est possible –, donc ; ceci outre les défauts de cohérence considérés prouvés, comme au sujet de la pertinence absolue – car, encore une fois, une fois l’erreur faite (et qui ne la fait pas ?), il s’agit probablement du plus juste possible au final – du modèle des attributs, et donc du parallélisme.)

J'ai simplement noté en passant que l'Amour de Dieu pour lui-même n'était pas amené de longue antériorité dans l’Ethique, à tout point de vue ; plutôt le contraire, même. Mais nous sommes tombés d'accord que les mots employés pour Dieu peuvent être considérés comme prenant avec lui un sens nouveau (tout en étant quelque part dans la continuité...) chez Spinoza.

Je sors aussi d'une vision purement théorique de Dieu (prise en cet état elle est extérieure de fait, même quand elle dit que "tout, y compris tout mode humain, est en Dieu...") pour me préoccuper (comme Hokousai de façon constante depuis toujours) de ce que cela est en terme de ressenti pur, de vision claire et distincte, chez l'individu qui de fait ressent, et évidemment le seul individu que je voie de l'intérieur : prétendument "moi", "Je". C'est pourquoi je mets le sommet sur E2P47 : Dieu, l'alpha et l'omega de l'Ethique, vu directement, intérieurement ; voilà de quoi il est question.

Il me semble clair - même à défaut de le voir et de l'exprimer à ce niveau - que nous sommes situés dans cette discussion au cœur le plus profond de toute éthique (au sens spinozien, le plus large.) A tel point que pas un mot ne devrait être placé sans être soupesé au milligramme (on comprend que Jourdain y ait mis tant d'effort) - ce dont je me passe généralement ... Les "préjugés" ont vite fait de passer dans toute formule utilisée. Pas même un mot n'est à la hauteur en fait : il ne s'agit au mieux que de la meilleure approche possible (dépend aussi du receveur.)

Si l'exception est le sage, c'est que l'enjeu (pour le mode humain) est très près de la source (et c'est bien clairement ce que dit Jourdain, et aussi Terreaux, …), l'erreur infiniment près de la santé (pour le mode humain toujours...)

- Pour ce qui est du couple sujet-objet, je me vois déjà dans la nécessité d’annuler une annulation de mon propre propos (de l’inconvénient de parler trop vite…) : il est bien secondaire et non primaire. C’est assez "vicieux" : comme il est très près de la source, il est vite fait de le mettre à sa place (et dire cela n’est pas rien, car c’est TOUTE l’erreur qui est signifiée par-là. Merci Stephen Jourdain, Daniel Morin, Franck Terreaux, …) Partir de la sensation – qui est primaire en tant que pure, non transformée – comme étant une forme de relation à l’intérieur de Nature entre sujet et objet – ce qui semble tomber sous le sens immédiat – est déjà préjuger… Ou plutôt, puisque « Nature » est bien dans la phrase, celle-ci est juste : le problème c’est d’oublier qu’elle y est placée AVANT dans l’ordre ontologique. Ceci à son tour montre que si « Nature » a pris peu ou prou une nature de concept dans notre esprit, nous sommes déjà par cette conceptualisation même sévèrement en aval de la source …

Tant qu’on n’a pas vu directement sans conceptualisation (il s’agit d’une notion commune purement intuitive et PREMIERE) ce que désigne E2P47, et qui fonde toute l’Ethique, on ne peut pas avoir compris l’Ethique. Une autre façon de le dire est : "qu’est E1D6 en tant qu’intuition pure ?", "en quoi ai-je, intérieurement, avant toute autre chose, idée intuitive de Dieu ?"

Un problème est que l’introduction des attributs tend, tant par l’expression compliquée que sur le fond, à sévèrement brouiller la chose…

Le couple Pensée-Matière est le couple sujet-objet, et n’est donc que secondaire (il n’y a rien de tel dans l’amont le plus amont, savoir Pensée-de-Matière…, mais juste après, oui…) On voit bien que Spinoza fait l’erreur avec les attributs, et tout en même temps avec ces mêmes attributs et son parallélisme (identité d’essence entre mode de la pensée et mode de l’étendue), en quelque sorte, "il recolle l’erreur à la vérité autant qu’il est possible…"

En revanche, s'il fait de la sensation pure, non extrapolée, une idée inadéquate per se - ce qui reste à établir par un examen fin, en particulier de E2P28 -, il fait probablement une grave erreur, en passant le couple sujet-objet avant la saisie de l'Être.

Je suis plutôt favorable, finalement, à éviter de parler de "couple sujet-objet" pour discuter de Spinoza ; il est trop connoté pour éviter l’erreur (que j’ai faite en voulant me contredire sur la subordination de ce couple, que je plaçais au même niveau que la sensation pure, et presque comme sa cause…) Il tend par contraste à rejeter (dans le ressenti du lecteur, pas dans le texte) Dieu à l'extérieur. Mais comme il vient d’être dit, introduire le couple Pensée-Matière est faire exactement la même chose… Mais Spinoza fait partiellement sauter cette distinction avec le parallélisme… Certes non sans complications, cela dit, mais encore faut-il faire mieux…

- Pour ce qui est de la béatitude, je serais tenté d’en faire (vous parliez de "fond" d’un côté, mais de "réflexif" de l’autre…) un aspect secondaire... Stephen Jourdain dit qu’il lui était facile de verser dans l’extase, et qu’on pouvait s’y complaire à profusion tant c’était "roboratif…", mais que cela laissait ensuite un germe, aussi ténu soit-il, de regret ; or le « regret » sent l’erreur à plein nez. Il a donc cessé (pour un résultat qui devait être plus satisfaisant sur le long terme, donc.) D’un autre côté, il semble bien que de résider dans l’être pur, impersonnel, vide plein, etc. s’accompagne d’un silence plein de présence heureuse – rien à voir avec de grands débordements, la Joie primaire du début de E3, incluse dans la base même de toutes les passions « mauvaises » (stade d’amorce de ce point où Spinoza se trouve on ne peut plus clairement à cet endroit.) Mais je sens plutôt la source comme parfaitement neutre de ce point de vue (l’Être étant bien là à la base, cependant, et les multiples désagréments liés aux passions absents.) Il viendrait juste derrière la source, à l’amorce du couple sujet-objet, et en lien avec le contre permanent de l’erreur qui se présente immédiatement avec lui (acte victorieux permanent, et joie associée.)

Une bonne partie de l’eudémonisme tient dans la suppression des désagréments liés aux passions ; la béatitude pourrait en être le prolongement direct, mais permanent et immédiat, … comme le laisse entendre plus ou moins Spinoza.

Spinoza cherche à expliquer la béatitude qui accompagne la pleine vision de Dieu-Nature, la "vie en Dieu," car être inscrit adéquatement dans l'entendement infini de Dieu ne requiert selon sa vue… que Dieu... Il le fait à moindre approche au dernier moment.

Cela dit, Dieu est Nature naturante ET naturée (pas seulement naturante – ce qui n’a même pas de sens : "naturant" implique "naturé" ; "nirvana" implique "samsara" ; etc.) chez Spinoza, donc cela ne tranche pas vraiment la question.

Mais je persiste à considérer que Dieu ne pense pas, ni ne s’aime, sinon en tant que des modes de sa manifestation pensent et aiment. Je vais laisser ce point, car ce qui précède la compréhension ultime n’est pas la compréhension ultime, et par ailleurs ceci n’est pas nécessaire à la précédence de la compréhension. Si Dieu veut, nous verrons… :)
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Messagepar hokousai » 08 juin 2013, 13:50

à Sescho

Ce qui est intéressant ( entre autres ) chez vous c'est que vous n' êtes pas du tout dans le fil de pensée universitaire français dominant. Il apparait qu'un lecteur de Spinoza qui n' a pas été formaté peut le lire avec d'autres yeux.
Il me semble souvent que chez la plupart des commentateurs universitaires français la distance à Spinoza est ( par analogie) celle de Marx à Hegel ou bien celle de Nietzsche à Schopenhauer ou bien celle de Kant à Hume , celle de Deleuze à Nietzsche voire celle de Spinoza à Descartes. Il y a une inflexion.
Disons que les commentateurs tirent d 'un côté et pas actuellement du côté où vous penchez. Pour le dire vite de la spiritualité orientale ils n'en ont rien à faire. ( et entre parenthèses de la philosophie de l'esprit anglo-saxonne non plus , de la phénoménologie guère plus )

Leur thème majeur est celui du rapport entre individu et communauté . Alors que vous seriez plutôt dans sur le thème d' un rapport de l'individu à Dieu.

Pour grossir le trait on aurait des lectures marxistes/matérialiste et peu de lectures kierkegaardiennes/spiritualiste ( sauf que ce n'est pas Hegel mais Spinoza ). Des lectures qui verront en Spinoza soit un politique soit un religieux.( et le "sage" comme engagé ou comme dégagé )
La conciliation des deux optiques est difficile.

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Messagepar sescho » 08 juin 2013, 14:42

A Hokousai,


Comme pour vous, je présume, c'est une question de dignité intrinsèque (étant entendu par là non du tout un précepte moral "extérieur" - théorisé - mais un impératif éthique interne, un ressenti pressant...)

Un avantage que j'ai est de ne pas être professionnel, et de ne pas le prétendre même au titre d'amateur averti : je peux me lancer sans mettre en danger mon "petit moi" de façon directe (mais j'ai quand-même évolué dans ce bon sens : le petit "avoir raison" a constamment reculé devant "être intrinsèquement digne.")

Le vrai ne peut qu'être dans l'intuition la plus immédiate, la plus directe, la plus originelle. Dire des choses qu'on ne vit pas (voire que l'on vit clairement en contradiction performative avec ses dires) est in fine, à la longue, une escroquerie à soi-même, donc de l'erreur pure, de l'auto-destruction pure.

J'estime que Spinoza est pour l'essentiel un guide qui se suffit à lui-même, mais que néanmoins il y a à discuter, outre évidemment et d'abord à saisir intuitivement, vitalement, après l'avoir compris autant que possible intellectuellement. Là, ce qu'ont dit d'autres auteurs ou des commentateurs peut être d'un grand secours. Mais l'authenticité ne demande pas du tout per se de connaître l'histoire de la Philosophie, a fortiori intégralement - ce qui est en général précisément ce qui est produit, dans un cercle vicieux se répétant sans fin, parfaitement nuisible. En outre, quand cela devient infiniment complexe, contradictoire, discuté interminablement, c'est que : soit il n'y a aucune vérité et qu'on joue donc de façon triviale, soit - et c'est la réalité - on s'est loupé au premier paradigme... L'intellectualisme stérile - qui ne libère pas l'intuition, mais l'occulte -, du moins à proportion de ce qu'on ne le considère pas comme un simple jeu, est une pure et simple insulte à la Nature... (ceci dit sans aucune animosité.)

Pire encore, il est aisé de trouver des interprétations de Spinoza dont un enfant de 6 ans verrait qu'elles sont directement contraires à son texte, et qui se maintiennent mordicus face à ce texte, même élémentaire. Une capacité d'occultation pareille, c'est sidérant ; et pour le moins quelque peu inquiétant quant à l'utilité de l'exercice en vue de la santé mentale. Que le commentateur se soit fait un nom, et on en prend pour quelques décennies de répétition d'inepties... Dans quelle misère sommes-nous... (ceci dit sans récrimination aucune.)

Le souci d'être vrai vient avant tout ; la dignité intrinsèque avant tout. Après, on fait comme on peut pour la profondeur de la chose de facto. Modélisation, essai, appel au / libération du ressenti, erreur...

Bon, on ne fait jamais que ce que peut, et personne n'a jamais rien fait qu'en vue du "bien" (tel que perçu / imaginé au moment de l'acte...)

:D

Sinon, oui, beaucoup de choses sont surprenantes dans les reprises. J'ai vu, ici ou ailleurs, un commentateur dire en substance, dans un résumé de sa lecture à une conférence de mémoire, qu'on avait beaucoup oublié, depuis longtemps, le côté éthique de la Philosophie de Spinoza... J'en suis resté sur le c... Alors comme cela, l'auteur de l'Éthique, son ouvrage le plus célèbre et de loin le plus commenté, parle d'éthique ? 8O

La force des préjugés est colossale... Ils l'ont lu dans le texte ??? Par ailleurs, cette culture de chapelle est indigne quelque part. On cultive son "essence singulière" sans doute... D'aucuns appellent cela "orgueil", tout simplement. Chaque pays a son axe (en médecine préventive aussi, en passant), et ignore les autres, tout en prétendant s'épanouir dans la vérité la plus universelle, la plus objective - mais aussi la plus originale, quand-même...

Mais d'autres font bien le lien (Comte-Sponville, Jollien,... - repris ici et , par exemple.) Outre ceux associant Spinoza et bonheur, etc. Heureusement...

Il n'y a qu'une seule spiritualité - pas orientale ou autre - et Spinoza avec son Éthique - un synonyme ici - (et les PM, et le TRE, et le CT, et le TTP, et même le TP) en est de toute évidence.

Le rapport de l'individu à Dieu est avant tout le rapport vrai de l'individu à "lui-même."
Modifié en dernier par sescho le 08 juin 2013, 17:47, modifié 2 fois.
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Messagepar Vanleers » 08 juin 2013, 17:32

A sescho

Votre message me conduit aux remarques suivantes.

1) S’il y a bien une distinction réelle entre les attributs, il n’y a qu’une distinction de raison entre les attributs et la Substance.

2) A propos de la démonstration d’E II 47, je note :
a) Une difficulté car Spinoza écrit : « L’Esprit humain a des idées (par E II 22), à partir desquelles (par E II 23) il se perçoit lui-même »
Or E II 23 a montré que l’Esprit humain ne se perçoit pas lui-même mais qu’il n’a que les idées des idées des affections du corps.

b) En supposant éclaircie cette question, nous constatons que la connaissance de l’essence éternelle et infinie de Dieu est adéquate en vertu de E II 46 qui elle-même fait référence à E II 38 et j’en déduis qu’il s’agit d’une connaissance de deuxième genre.

Je pose alors la question : n’y a-t-il pas une connaissance de troisième genre de l’essence éternelle et infinie de Dieu ?

3) Je réponds positivement à cette question en disant que la réponse se trouve en E V 35 et 36 : il s’agit de la connaissance que Dieu est Gaudium.

Il est vrai, comme vous le remarquez, « que l'Amour de Dieu pour lui-même n'[est] pas amené de longue antériorité dans l’Ethique ». Je dirai même que cela survient sans qu’on s’y attende, à l’improviste, et ne concernera que les deux propositions E V 35 et 36.

Pascal Sévérac Union… p. 117), commentant E III 57 sc. et se référant à la définition de gaudium (E III déf. Aff. 16) écrit :
« le gaudium désigne la joie de la bonne surprise, du dénouement inattendu mais heureux […] Le gaudium est le sentiment de notre être qui est d’autant plus présent à nous-mêmes qu’il n’est plus attendu, et que nous sommes détendus. »

Cette proposition E V 35 qui arrive sans crier gare et qui ne s’affirme que de se fonder sur un mince « gaudet » problématique me réjouit. J’y vois pour ma part la marque de la subtilité de ce grand esprit que fut Spinoza (ceci dit, cette fois, sans aucune ironie).

S’il fallait parler d’« éveil » (ou d’« illumination »), je le placerais ici : réaliser que Dieu est « Se réjouir ».
Tout ceci est immédiat, simple et, je dirais même, d’une grande banalité.

Mais, à mon point de vue, Spinoza a dit ici l’essentiel.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 08 juin 2013, 19:41

à Sescho
Dire des choses qu'on ne vit pas (voire que l'on vit clairement en contradiction performative avec ses dires) est in fine, à la longue, une escroquerie à soi-même, donc de l'erreur pure, de l'auto-destruction pure.
Non non je ne parle pas d' escroquerie.
Je pense les commentateurs tous intègres , honnêtes, probes. Tous intelligents et ayant tous bien lu et attentivement... et puis des interprétations assez différentes néanmoins.


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