A Vanleers,
Je n'ai pas d'objection sur ce que vous dites au sujet de Spinoza. Et bien évidemment, Dieu n'y est engagé dans aucune relation sujet-objet, ni quoi que ce soit qui en relève de près ou de loin. Dieu est tout et un.
Dieu n'est-il pas aussi appelé "Le Bienheureux" ?
Mais, comme vous l'avez compris, je ne me place plus dans le cadre de la pure et simple traduction de Spinoza (comme je l'ai fait durant des années), mais dans une démarche qui inclut une interrogation personnelle, qui, sans du tout remettre systématiquement en cause ce que dit Spinoza, bien au contraire, le place néanmoins en question sur certains points (en combinaison avec des ressentis personnels du moment – aussi profonds qu’il est possible –, donc ; ceci outre les défauts de cohérence considérés prouvés, comme au sujet de la pertinence
absolue – car, encore une fois, une fois l’erreur faite (et qui ne la fait pas ?), il s’agit probablement du plus juste possible au final – du modèle des attributs, et donc du parallélisme.)
J'ai simplement noté en passant que l'Amour de Dieu pour lui-même n'était pas amené de longue antériorité dans l’
Ethique, à tout point de vue ; plutôt le contraire, même. Mais nous sommes tombés d'accord que les mots employés pour Dieu peuvent être considérés comme prenant avec lui un sens nouveau (tout en étant quelque part dans la continuité...) chez Spinoza.
Je sors aussi d'une vision purement théorique de Dieu (prise en cet état elle est extérieure de fait, même quand elle dit que "tout, y compris tout mode humain, est en Dieu...") pour me préoccuper (comme Hokousai de façon constante depuis toujours) de ce que cela est en terme de ressenti pur, de vision claire et distincte, chez l'individu qui de fait ressent, et évidemment le seul individu que je voie de l'intérieur : prétendument "moi", "Je". C'est pourquoi je mets le sommet sur E2P47 : Dieu, l'alpha et l'omega de l'Ethique, vu directement, intérieurement ; voilà de quoi il est question.
Il me semble clair - même à défaut de le voir et de l'exprimer à ce niveau - que nous sommes situés dans cette discussion au cœur le plus profond de toute éthique (au sens spinozien, le plus large.) A tel point que pas un mot ne devrait être placé sans être soupesé au milligramme (on comprend que Jourdain y ait mis tant d'effort) - ce dont je me passe généralement ... Les "préjugés" ont vite fait de passer dans toute formule utilisée. Pas même un mot n'est à la hauteur en fait : il ne s'agit au mieux que de la meilleure approche possible (dépend aussi du receveur.)
Si l'exception est le sage, c'est que l'enjeu (pour le mode humain) est très près de la source (et c'est bien clairement ce que dit Jourdain, et aussi Terreaux, …), l'erreur infiniment près de la santé (pour le mode humain toujours...)
- Pour ce qui est du couple sujet-objet, je me vois déjà dans la nécessité d’annuler une annulation de mon propre propos (de l’inconvénient de parler trop vite…) :
il est bien secondaire et non primaire. C’est assez "vicieux" : comme il est très près de la source, il est vite fait de le mettre à sa place (et dire cela n’est pas rien, car c’est
TOUTE l’erreur qui est signifiée par-là. Merci Stephen Jourdain, Daniel Morin, Franck Terreaux, …) Partir de la sensation – qui est primaire en tant que pure, non transformée – comme étant une forme de relation à l’intérieur de Nature entre sujet et objet – ce qui semble tomber sous le sens immédiat – est déjà préjuger… Ou plutôt, puisque « Nature » est bien dans la phrase, celle-ci est juste : le problème c’est d’oublier qu’elle y est placée AVANT dans l’ordre ontologique. Ceci à son tour montre que si « Nature » a pris peu ou prou une nature de concept dans notre esprit, nous sommes déjà par cette conceptualisation même sévèrement en aval de la source …
Tant qu’on n’a pas vu directement sans conceptualisation (il s’agit d’une notion commune purement intuitive et PREMIERE) ce que désigne E2P47, et qui fonde toute l’
Ethique, on ne peut pas avoir compris l’
Ethique. Une autre façon de le dire est : "qu’est E1D6 en tant qu’intuition pure ?", "en quoi ai-je, intérieurement, avant toute autre chose, idée intuitive de Dieu ?"
Un problème est que l’introduction des attributs tend, tant par l’expression compliquée que sur le fond, à sévèrement brouiller la chose…
Le couple Pensée-Matière est le couple sujet-objet, et n’est donc que secondaire (il n’y a rien de tel dans l’amont le plus amont, savoir Pensée-de-Matière…, mais juste après, oui…) On voit bien que Spinoza fait l’erreur avec les attributs, et tout en même temps avec ces mêmes attributs et son parallélisme (identité d’essence entre mode de la pensée et mode de l’étendue), en quelque sorte, "il recolle l’erreur à la vérité autant qu’il est possible…"
En revanche, s'il fait de la sensation pure, non extrapolée, une idée inadéquate
per se - ce qui reste à établir par un examen fin, en particulier de E2P28 -, il fait probablement une grave erreur, en passant le couple sujet-objet avant la saisie de l'Être.
Je suis plutôt favorable, finalement, à éviter de parler de "couple sujet-objet" pour discuter de Spinoza ; il est trop connoté pour éviter l’erreur (que j’ai faite en voulant me contredire sur la subordination de ce couple, que je plaçais au même niveau que la sensation pure, et presque comme sa cause…) Il tend par contraste à rejeter (dans le ressenti du lecteur, pas dans le texte) Dieu à l'extérieur. Mais comme il vient d’être dit, introduire le couple Pensée-Matière est faire exactement la même chose… Mais Spinoza fait partiellement sauter cette distinction avec le parallélisme… Certes non sans complications, cela dit, mais encore faut-il faire mieux…
- Pour ce qui est de la béatitude, je serais tenté d’en faire (vous parliez de "fond" d’un côté, mais de "réflexif" de l’autre…) un aspect secondaire... Stephen Jourdain dit qu’il lui était facile de verser dans l’extase, et qu’on pouvait s’y complaire à profusion tant c’était "roboratif…", mais que cela laissait ensuite un germe, aussi ténu soit-il, de regret ; or le « regret » sent l’erreur à plein nez. Il a donc cessé (pour un résultat qui devait être plus satisfaisant sur le long terme, donc.) D’un autre côté, il semble bien que de résider dans l’être pur, impersonnel, vide plein, etc. s’accompagne d’un silence plein de présence heureuse – rien à voir avec de grands débordements, la Joie primaire du début de E3, incluse dans la base même de toutes les passions « mauvaises » (stade d’amorce de ce point où Spinoza se trouve on ne peut plus clairement à cet endroit.) Mais je sens plutôt la source comme parfaitement neutre de ce point de vue (l’Être étant bien là à la base, cependant, et les multiples désagréments liés aux passions absents.) Il viendrait juste derrière la source, à l’amorce du couple sujet-objet, et en lien avec le contre permanent de l’erreur qui se présente immédiatement avec lui (acte victorieux permanent, et joie associée.)
Une bonne partie de l’eudémonisme tient dans la suppression des désagréments liés aux passions ; la béatitude pourrait en être le prolongement direct, mais permanent et immédiat, … comme le laisse entendre plus ou moins Spinoza.
Spinoza cherche à expliquer la béatitude qui accompagne la pleine vision de Dieu-Nature, la "vie en Dieu," car être inscrit adéquatement dans l'entendement infini de Dieu ne requiert selon sa vue… que Dieu... Il le fait à moindre approche au dernier moment.
Cela dit, Dieu est Nature naturante ET naturée (pas seulement naturante – ce qui n’a même pas de sens : "naturant" implique "naturé" ; "nirvana" implique "samsara" ; etc.) chez Spinoza, donc cela ne tranche pas vraiment la question.
Mais je persiste à considérer que Dieu ne pense pas, ni ne s’aime, sinon en tant que des modes de sa manifestation pensent et aiment. Je vais laisser ce point, car ce qui précède la compréhension ultime n’est pas la compréhension ultime, et par ailleurs ceci n’est pas nécessaire à la précédence de la compréhension. Si Dieu veut, nous verrons…

Connais-toi toi-même.