hokousai a écrit :sur cette affaire d'individu
vous comprenez bien que si vous coupez le dossier d'une chaise vous allez en faire une table .
Si en revanche, on vous coupe les jambes vous n'allez pas changer de conscience de vous même en tant qu' individu et on ne donne pas une nouvelle carte d'identité ni au paraplégiques ni aux amnésiques .
Le corps humain ne peut donc être considéré comme un corps quelconque , nonobstant l’aspect juridique , c’est le mien (mon corps) de la naissance à la mort .
En focalisant sur la forme ( qui serait l’essence ) on dit que la forme change (c’est évident) donc que l’essence change et on devrait alors dire du tout au tout ( la forme du corps changeant considérablement ).
On ne peut plus sauver l’essence .On ne la sauve certainement pas en disant qu’il y a de bons changements et de mauvais comme le fait Durtal...
Car nous serions le siège de certains changements qui affirment l’essence en vertu de l’essence (sinon en vertu de quoi ?) et d’autres changements qui la nie, mais en vertu de quoi (de l’essence ou pas ) ?
Situation conflictuelle où l’essence n’a plus rien à prétendre qu' à être affirmée en vertu d’elle-même ( alors qu’elle change du tout au tout) , ou niée mais on ne sait pas plus en vertu de quel principe .
Il y a un problème de paradigme, me semble-t-il. Quand on dit "jusqu'à ma mort mon corps sera toujours mon corps", on pose "ma" et "mon" d'abord comme l'entité la plus stable, et le reste en rapport. Il n'est pas étonnant qu'après avoir ainsi signifié implicitement que le "Moi" est une entité stable (du moins dans l'intervalle de temps entre "ma" naissance et "ma" mort - en passant, tant pour l'un que pour l'autre, le "ma" sent largement l'approximation) que tout ce que vous dites s'ensuive. Mais en fait, nous discutons précisément ici du
paradigme lui-même, savoir si l'on peut effectivement identifier clairement et distinctement un "Moi" permanent.
Essence, Forme et nature désigne exactement la même chose. Comme je l'ai déjà dit, dans "cette chose existe", le terme qui pose problème n'est pas "existe", c'est "cette chose", ou plutôt "cette" ; si l'on accorde d'emblée une permanence absolue à "cette chose", on ne comprend plus le reste. Les "choses" sont en fait des phénomènes en perpétuel mouvement, lequel se produit nécessairement dans l'interdépendance puisque le néant de l'étendue n'existe pas, en vertu de leur cause qui est précisément le
Mouvement dans l'Etendue.
Qui dit "impermanence" dit en fait "non-absolue permanence" (puisque le mouvement inclut aussi le repos comme cas limite, et donc une stabilité relative), pas "chaos absolu" (qui est impensable.) Mais c'est tout-à-fait suffisant pour affirmer que les choses singulières n'ont pas, dans le principe premier, d'être propre : elles sont en Dieu, l'essence qu'elles manifestent à un certain moment est éternellement en Dieu, mais
les deux sont découplés.
Si l'on prend pour référence de "chose" ce qui montre une certaine stabilité
dans le temps, alors il faut dire que la "chose" (qui n'est jamais la même en fait) change d'essence. Mais l'essence en tant qu'essence ne change pas (c'est la "chose" qui change, dans le temps, de nature, de forme, et d'essence ; c'est égal.) En passant, il est amusant de constater que certains intervenants nous sortent de la bonne façon de voir, qui est la vision de l'éternel, etc. sans voir qu'ils partent à la base d'une considération de permanence
dans le temps.
Ce qui peut induire en erreur de ce point de vue, c'est une mauvaise interprétation de l'utilisation par Spinoza des "essences de genre" et de l'autre côté de E2P40S2. Ces "essences de genre" sont indispensables, rien ne se déduisant de la variété infinie des manifestations, mais en plus correspondent à une
réalité : les hommes partagent entre eux pour la plus grande part la
même essence et ce qui s'en déduit vaut alors pour tous, individus en acte, passés, présents, à venir, car alors c'est de la
nature humaine dans toute sa généralité dont il est question. On néglige dans l'affaire comme secondaires l'histoire personnelle, les circonstances actuelles, etc. et en passant la mémoire, qui n'est pas, dans son contenu variable, de l'essence de l'homme à proprement parler, et périt avec le corps. L'ordre de l'essence dans la Nature est bien, pour l'entendement clair, par genre et différence, alors même qu'il n'y a aucun étant réel qu'on peut appeler "genre." Il est donc parfaitement intelligent de traiter de la nature humaine en général, pour en déduire le souverain bien commun à tous les hommes. C'est pourquoi aussi la plupart du temps Spinoza parle soit d'un changement d'essence qui ne touche pas l'essence de genre, soit carrément d'un changement - impossible - d'essence de genre (homme / cheval / insecte, etc.) Corrélativement, il y a une permanence plus longue dans les incarnations que nous sommes de la manifestation de cette essence dans le temps. Cela nous dit aussi que la mémoire et les circonstances n'ont que peu à voir avec l'essence humaine. Mais ceci ne remet pas en cause le principe premier : les choses singulières (finies en acte, donc) sont par nature impermanentes et interdépendantes (sauf pour la partie relevant de l'entendement pur, désignée l'essence véritablement propre de l'homme par Spinoza, quoique toujours en Dieu, mais alors "entière" en Dieu, et effectivement éternelle en tant même que manifestée, mais ce qui n'a alors absolument rien à voir, ni dans un sens, ni dans l'autre, avec l'impermanence relative des choses singulières, ni donc aucune considération de durée.)
En revanche, si l'on veut ne considérer les choses singulières que comme strictement individuelles (et permanentes), on ne comprend strictement rien (et on tombe en outre dans des contradictions insolubles avec le texte de Spinoza.) Et il est évident que ce qui sous-tend cela c'est qu'on pose d'abord que les choses sont en soi, et ensuite on essaye de recoller tout le reste, de replâtrer Dieu par là-dessus. C'est ce que Spinoza appelle le plus explicitement du monde renverser l'ordre requis pour philosopher, une façon parfaite pour manquer l'essentiel et baigner dans le relatif, en s'ancrant encore plus profondément dans l'esprit vulgaire, qui n'aime rien tant que la singularité (voir les extraits du TTP plus haut à ce sujet.) Cela dit, la diversité est une manifestation de la puissance divine, et vu comme cela, cette richesse (de Dieu, d'abord, pas des choses vues en elles-mêmes) est merveilleuse.
Serge
Connais-toi toi-même.