Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 12 nov. 2008, 19:30

Durtal a écrit :
Enegoid a écrit :Enegoid a écrit:
1 Changement et permanence
Est-ce qu’un homme qui devient aveugle change de « forme » ou d’essence ? Je ne crois pas qu’on puisse compter sur Spinoza pour nous le dire.


Son essence change ou sa forme change. Car son corps n'a plus la même puissance d'être affecté qu'auparavant (vous êtes du moins d'accord sur l'idée selon laquelle jouir de la vue et en être privé fait une certaine différence? Et en outre une différence qui doit trouver son explication dans la structure du corps?).


jouir de la vue et en être privé fait certainement une différence quant à l'aptitude d'être affecté et d'affecter. C'est pourquoi à mon avis on peut supposer (car en effet, comme le dit Enegoid, Spinoza lui-même n'en dit rien) que l'aveugle n'a pas la même forme que le voyant, même s'il s'agit d'un même ensemble de parties corporelles qui passe de l'un état à l'autre.

Mais je ne vois pas comment on pourrait dire que "son" essence change. Comme si il y avait quelque chose X, qui a une essence Y, et que Y pourrait être enlevé de X puis remplacé par Z. L'essence d'une chose, c'est la chose elle-même. C'est pourquoi Spinoza peut dire dans l'E4 que si un homme change de forme, cela ne signifie rien d'autre que que sa forme est détruite, ou que l'homme meurt.

Durtal a écrit :Or ce qui définit un corps, donc ce qui définit la puissance d'être affecté d'un corps (ses "fonctions" dirait-on maintenant) c'est ce que Spinoza appelle sa forme, et donc oui cette forme est modifiée ou subit un changement. Cela n'exclut pas que sous d'autres rapports que celui que l'on considère par hypothèse, elle reste la même qu'auparavant mais du moins sous celui-ci elle n'est plus la même.


je crois que Spinoza est plus précis: la forme est l'union des corps qui est capable de se conserver lorsqu'elle est affectée. Une affection qui change la puissance d'être affecté, change du même coup le rapport des corps qui constituent la "figure" du Corps. Cette affection signifie ainsi la mort, c'est-à-dire la désintégration de l'union qui caractériserait la forme A, pour faire nâitre dans les parties du Corps une nouvelle forme, B. Mais je ne vois pas où Spinoza dirait que A elle-même pourrait changer en B, et encore moins comment s'imaginer qu'il y aurait encore une autre chose C, qui pourrait dire que "sa" forme" a passé de A à B.

Durtal a écrit :Et qu'une chose doive rester peu ou prou la même tandis qu'elle change, n'est pas une difficulté particulière au Spinozisme mais est une propriété inhérente au concept de changement. Il faut bien en effet tandis qu'une chose change que sous un autre rapport que celui ou nous la disons en train de changer elle reste la même puisqu'autrement il n'y a pas de sujet assignable au changement.


en effet, mais le concept avancé par Spinoza pour pouvoir penser un changement dans ce qui reste néanmoins le même, c'est le concept de modification d'une essence. Une essence peut subir ou produire de nombreux changements, dans le cas de l'essence divine elle restera toujours la même, dans le cas de l'essence d'un homme elle persévérera dans la durée ou non, en fonction du type d'affection ou de mode dont il s'agit.

Or le rapport entre "moi-même" et ma "forme", ce n'est pas un rapport d'essence à affection. Ma forme et mon essence, ce sont une seule et même chose. C'est pourquoi on ne peut pas dire que "je" change de forme ou d'essence tandis que "je" resterais quelque part aussi le même. L'essence ou la forme, c'est ce qui me définit. Si un ensemble de parties de mon Corps n'effectue plus ma forme à moi, "je" ne deviens pas "un autre", je meurs, tout simplement. En tout cas, c'est cela que dit à mon sens le fameux passage du poète espagnol.
L.

Enegoid
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Messagepar Enegoid » 13 nov. 2008, 09:00

Bonjour Durtal

je ne vois pas en quoi il peut y avoir débat entre nous. Je suis d'accord avec ce que vous dites (étant par principe d'accord avec moi-même!) :

En effet je ne dis pas autre chose que ce que vous dites dans cette phrase :

Cela n'exclut pas que sous d'autres rapports que celui que l'on considère par hypothèse, elle reste la même qu'auparavant mais du moins sous celui-ci elle n'est plus la même.


Notre corps est continuement affecté, et donc change en permanence : je ne suis pas le même quand je descend l'escalier et quand je prend une douche. Il n' ya aucune permanence des sensations. Et pourtant qui dira que mon essence change quand je passe de l'escalier à la salle de bain ?
Pour moi il y a une notion de seuil de changement : c'est quand la structure (ou la proportion, ou le rapport...) change qu'il y a changement d'esence. Mais personne ne sait au fond ce qu'est cette structure ou ce rapport.



et ne dites pas trop vite: donc cela prouve qu'il y a un élément de permanence absolue


Je ne crois pas l'avoir dit (mais je ne nie pas absolument cette possibilité : je ne sais pas)

supposons une série de changements tels que: un état A du corps change vers un état B du corps, lequel change à nouveau vers un état C du corps. J'affirme qu'il se peut parfaitement que rien ne se retrouve de l'état A à l'état C, quoique quelque chose de A se soit retrouvé dans B et que quelque chose de B ce soit retrouvé dans C (il suffit en effet que ce ne soient pas les mêmes choses qui se retrouve de A en B et de B en C).

D'accord avec ce raisonnement.


Pour ne pas être trop optimiste quand même il est possible que nous ne tirions pas les mêmes conséquences de tout celà...

NB J'ai beaucoup de mal à manier la notion d'essence qui, selon les contextes et les dicussions est considérée comme :
    la nature d'une chose
    une idée de la chose
    une définition de la chose
    ce qui suffit qu'il soit donné pour que la chose etc.
    l'effort que fait la chose pour persévérer dans son être
    la capacité de la chose à affecter
    sa capacité à être affectée
    la puissance de la chose
    etc.

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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 13 nov. 2008, 16:40

A Louisa
Louisa a écrit :
Durtal a écrit :
Enegoid a écrit :Enegoid a écrit:
1 Changement et permanence
Est-ce qu’un homme qui devient aveugle change de « forme » ou d’essence ? Je ne crois pas qu’on puisse compter sur Spinoza pour nous le dire.


Son essence change ou sa forme change. Car son corps n'a plus la même puissance d'être affecté qu'auparavant (vous êtes du moins d'accord sur l'idée selon laquelle jouir de la vue et en être privé fait une certaine différence? Et en outre une différence qui doit trouver son explication dans la structure du corps?).


jouir de la vue et en être privé fait certainement une différence quant à l'aptitude d'être affecté et d'affecter. C'est pourquoi à mon avis on peut supposer (car en effet, comme le dit Enegoid, Spinoza lui-même n'en dit rien) que l'aveugle n'a pas la même forme que le voyant, même s'il s'agit d'un même ensemble de parties corporelles qui passe de l'un état à l'autre.

Mais je ne vois pas comment on pourrait dire que "son" essence change. Comme si il y avait quelque chose X, qui a une essence Y, et que Y pourrait être enlevé de X puis remplacé par Z. L'essence d'une chose, c'est la chose elle-même. C'est pourquoi Spinoza peut dire dans l'E4 que si un homme change de forme, cela ne signifie rien d'autre que que sa forme est détruite, ou que l'homme meurt.

Durtal a écrit :Or ce qui définit un corps, donc ce qui définit la puissance d'être affecté d'un corps (ses "fonctions" dirait-on maintenant) c'est ce que Spinoza appelle sa forme, et donc oui cette forme est modifiée ou subit un changement. Cela n'exclut pas que sous d'autres rapports que celui que l'on considère par hypothèse, elle reste la même qu'auparavant mais du moins sous celui-ci elle n'est plus la même.


je crois que Spinoza est plus précis: la forme est l'union des corps qui est capable de se conserver lorsqu'elle est affectée. Une affection qui change la puissance d'être affecté, change du même coup le rapport des corps qui constituent la "figure" du Corps. Cette affection signifie ainsi la mort, c'est-à-dire la désintégration de l'union qui caractériserait la forme A, pour faire nâitre dans les parties du Corps une nouvelle forme, B. Mais je ne vois pas où Spinoza dirait que A elle-même pourrait changer en B, et encore moins comment s'imaginer qu'il y aurait encore une autre chose C, qui pourrait dire que "sa" forme" a passé de A à B.

Durtal a écrit :Et qu'une chose doive rester peu ou prou la même tandis qu'elle change, n'est pas une difficulté particulière au Spinozisme mais est une propriété inhérente au concept de changement.


en effet, mais le concept avancé par Spinoza pour pouvoir penser un changement dans ce qui reste néanmoins le même, c'est le concept de modification d'une essence. Une essence peut subir ou produire de nombreux changements, dans le cas de l'essence divine elle restera toujours la même, dans le cas de l'essence d'un homme elle persévérera dans la durée ou non, en fonction du type d'affection ou de mode dont il s'agit.

Or le rapport entre "moi-même" et ma "forme", ce n'est pas un rapport d'essence à affection. Ma forme et mon essence, ce sont une seule et même chose. C'est pourquoi on ne peut pas dire que "je" change de forme ou d'essence tandis que "je" resterais quelque part aussi le même. L'essence ou la forme, c'est ce qui me définit. Si un ensemble de parties de mon Corps n'effectue plus ma forme à moi, "je" ne deviens pas "un autre", je meurs, tout simplement. En tout cas, c'est cela que dit à mon sens le fameux passage du poète espagnol.
L.

La natura naturata spinoziste, dans son aveuglante évidence, est éternelle et se développe sur ce principe "dialectique" fondamental (le mouvement et le repos) qu'aucun progrès scientifique n'a contredit :
"Rien ne se conserve qu'en se transformant, rien ne reste tel qu'en devenant autre" (réflexion sur le process fondamental qu'on peut appeler la vie ou le "conatus universel).
Dans ces conditions, les seuls définitions de "fixes" envisageables par l'entendement sont :
1) De manière impropre, à mon sens, l'essence de Dieu = sa puissance, ses attributs, s'agissant d'un infini d'infinis, de l'ensemble de tous les ensembles, de l'Etant enveloppant tout les Etants, etc. C'est pourquoi d'ailleurs votre assertion selon laquelle l'essence divine subirait ou produirait des changements sans changer me paraît un "non sens", révérence gardée, l'essence divine étant, entre autres, le changement, et donc n'étant ni au dessus, ni en dehors, de ce qu'elle ne cesse de rester d'être ;
2) Les objets mathématiques.
Tous les autres concepts que la battologie scolastique utilise, sont donc des néants dans la mesure où ils ne peuvent être l'idée (donc, par le truchement des mots, la définition) d'une chose dont nous aurions le début d'une tentative d'idée adéquate en constatant qu'elle s'exprime réellement dans l'étendue.
Dans ces conditions, soit nous poursuivons le fil de ce thème en utilisant les mêmes mots et changeons la définition à laquelle nous scotche la continuelle référence à l'Ecole, soit nous changeons de concept.
Si nous ne le faisons pas, je vous invite alors, pour rester fidèle à votre lecture littérale (à quand la lecture anagogique de l'Ethique) à reprendre la définition de la "mort".
Car en effet, si nul n'a inventé (encore que l'expression soit utilisée pour la chose mécanique) de dire que telle pierre est morte, que l'on vient de casser en deux, l'homme a historiquement concentré sa vision de la mort sur celle dont nous avons notion commune. En combien d'occasions, cependant, ne dit-on pas : je suis mort.
Si donc il faut pour progresser, rester fidèle à votre volonté de respect viscéral de la lettre du texte, sans pouvoir communiquer dans l'au delà avec Spinoza pour savoir de lui quelle évolution dans la forme de sa pensée il pourrait introduire, sachant la suite, sans la dénaturer au fond, disons que la vie d'un homme est une succession infinie de décès/renaissances qui se termine par une ultime décès. Mais il en est de même de toute chose singulière. Ce n'est que dans la connaissance du premier genre que le soleil, même replacé par le second genre à bonne distance, est un "fixe". Nous savons bien qu'il représente une succession infinie, depuis cinq milliards d'années, d'états à chaque instant différents, qui se termineront par une grande explosion dans quelques milliards d'années. Or, en parallèle inverse du problème classique de l'apparition du tas de grains de riz, je vous le demande, avez-vous la prétention de pouvoir fixer l'essence du soleil et arrêter l'état de transition que vous appellerez sa mort.
Je me répète, tous ces universaux volent en éclat si nous voulons les laisser enfermés dans leur néant moyenâgeux (ce que dit clairement Spinoza, me semble-t-il, dans les parties polémiques de ses démonstrations, dont il a malgré tout préféré retarder la parution pour ne pas mourir de mort "définitive"prématurée).
Si donc l'entendement, pour les besoins de la connaissance du 2ème genre, "reconfigure" la réalité pour former des idées adéquates, il ne peut, connaissant l'éternel et universel mouvement et repos, créer que des faux "fixes" de reconstitution (et faîtes rentrer l'Ecole par la fenêtre à cette fin si vous le voulez : genre, espèce, différence spécifique et toute la farine) mais en n'étant pas "dupe" de sa reconstitution. J'observe d'ailleurs, après avoir un instant espéré de votre plaidoirie sur le dialogue philosophique que nous progressions, que si la connaissance du 2ème genre a vocation, gage de progrès et de validation, à faire l'objet d'une communication entre les êtres humains (effectivement pour le progrès de tous), c'est parce qu'elle repose sur un développement logique et ordonné de concepts (les yeux de l'âme), à chaque instant "historiquement" revisitables, et non sur des formulations sorties d'une table de la loi. Les mathématiques, on le comprend en se sens, restent inaccessibles, l'évolution de ses axiomes ne remettant pas en cause ceux antérieurs, qui par une autre voie, permettaient d'aboutir à un même résultat, toujours le même.
"Il faut bien en effet tandis qu'une chose change que sous un autre rapport que celui ou nous la disons en train de changer elle reste la même puisqu'autrement il n'y a pas de sujet assignable au changement" dîtes-vous. Mais cette prétendue fixité n'est que dans l'esprit du "spectateur" que nous sommes, que vous nommez sujet, donc, ce faisant, désignez immédiatement, sans vous en rendre compte, comme une individualité fixe du seul fait de l'avoir appelé sujet. C'est notre entendement qui introduit des fixités là où il n'en existe aucune, de la même manière que c'est notre entendement qui a fait du soleil une particularité pseudo-fixe parmi les milliers de milliards d'étoiles "connues" à ce jour, ou fait naître un nuage là où il n'y a que variation d'un complexe température/pression/quantité d'eau dans un "continuum" qui s'appelle l'air atmosphérique.
On croit, en bon spinoziste, avoir évacué l'anthropomorphisme, alors que l'on baigne sans rémission dedans, notre langage étant le reflet de la structure historique de nos fixités. Quel sens a ou aurait le monde pour le rayon X auquel vous semblez attribuer une âme (autre que l'idée du rayon X dans l'entendement, un rayon X qui serait chose pensante et qui vivrait sa "subjectivité" ?)
Au delà, pour ce qui concerne le 3ème genre et l'intuition immédiate, à tout instant, chez chacun, de "l'essence instantanée de l'autre", seule susceptible d'épouser la variation universelle, je me contente de lire avec respect et effort pour comprendre leurs échanges ,Sescho et Bardamu, en n'oubliant pas, sur ce terrain, cette phrase, de mon point de vue très spinoziste, de Proust : "nous ne sommes pas un tout matériellement constitué, identique pour tout le monde, et donc chacun n'aurait qu'à prendre connaissance comme d'un cahier des charges ou d'un testament, notre personnalité sociale est un reflet de la pensée des autres
".
Amicalement

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Messagepar Sinusix » 13 nov. 2008, 16:54

Addendum : compte tenu de la lecture académique possible, je précise qu'en disant que notre entendement pose des fixités là où il n'y en a pas, j'ai conscience de ne pas m'exprimer adéquatement puisque l'entendement ne peut exprimer que le vrai. Là où il le faut, vous remplacerez entendement par imagination.
Ceci dit, puisque vous semblez intéressée par les apories, il est difficile de suivre strictement à la lettre certains raisonnements spinozistes. Je prends le nombre par exemple, "fruit" de l'imagination. Comment expliquer que de l'essence du cercle (qui n'est certes qu'un être de raison doté d'une "réalité" spécifique) découle génétiquement le nombre Pi, comme rapport entre la longueur de la circonférence et celle d'un diamètre quelconque. Bizarre cette imagination.

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Messagepar hokousai » 13 nov. 2008, 17:09

à Durtal

Et qu'une chose doive rester peu ou prou la même tandis qu'elle change, n'est pas une difficulté particulière au Spinozisme mais est une propriété inhérente au concept de changement.


C'est à dire que sur l'individu Spinoza s'intéresse plutôt au non changement .
Il explique au Lemme 4/2 qu'il y a remplacement par des corps de même nature et en même nombre .Ce qui est une explication claire et assez convaincante .

......................................................................


PS sans vouloir couper l'herbe sous le pied de Sinusix dont le message est bien médité ..... et à méditer )

je serais bien intervenu "en marge ""sotto voce ",quelque part ailleurs (mais la technique oblige ) .

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Messagepar Durtal » 13 nov. 2008, 19:12

hokousai a écrit :à Durtal

Et qu'une chose doive rester peu ou prou la même tandis qu'elle change, n'est pas une difficulté particulière au Spinozisme mais est une propriété inhérente au concept de changement.


C'est à dire que sur l'individu Spinoza s'intéresse plutôt au non changement .
Il explique au Lemme 4/2 qu'il y a remplacement par des corps de même nature et en même nombre .Ce qui est une explication claire et assez convaincante .


Si cette proposition est convaincante alors l'est aussi celle qu'on en dérive qui implique que s'il n'y a pas remplacement par des corps de même nature et en même nombre, alors il y a changement de la forme.

Et cela arrive nécessairement.

Spinoza fait en effet explicitement état de l'idée selon laquelle le cours de la nature ne peut être tel qu'il (le corps) ne subisse d'autres changements que ceux qui suivent de sa nature, parce que le cours de la nature n'est pas ordonné de sorte que l'on peut puisse le déduire du concept de tel ou tel corps humain, raison pour laquelle l'homme meurt et est nécessairement soumis aux passions. Raison pour laquelle la forme du corps est tôt ou tard défaite.

Donc il n'y a aucune raison de ne voir qu'un coté de la chose, le fait que ce débat ne soit qu'un faux problème ne provient que de cette vision unilatérale des choses. Comme si le fait de dire que le corps humain conserve sa nature et sa forme quand il lui arrive ceci et cela était incompatible avec le fait de dire que par ailleurs s'il ne lui arrive pas ceci et cela alors sa forme ne se conservera pas et sera détruite. C'est absolument gratuit.

Et la vie du corps, son individualité consiste à s'opposer autant qu'il peut (car ce pouvoir n'est pas infini) aux influences qui contredisent les conditions de sa préservation ( à faire effort contre , comme dit Sescho, "la déformation" qui résulte de l'action des causes extérieures sur lui ). Mais cet effort est limité, la puissance des causes extérieures surpassant infiniment celle de l'homme.

D.

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Messagepar Louisa » 13 nov. 2008, 19:41

Durtal a écrit :Si cette proposition est convaincante alors l'est aussi celle qu'on en dérive qui implique que s'il n'y a pas remplacement par des corps de même nature et en même nombre, alors il y a changement de la forme.


oui, mais comme Spinoza le dit explicitement en l'E4P39: ce changement ne signifie pas qu'une forme A change en une forme B, il signifie que le Corps humain va revêtir une autre forme. Ce n'est pas la forme ou l'essence qui elle-même change, ce sont les parties du Corps humain qui passent d'une forme à une autre. Or, dit Spinoza au même endroit, il est évident ("comme il va de soi") que lorsque cela arrive, ce qui se passe réellement, c'est que le Corps humain (définie par la forme A) est tout simplement détruit. Ce qui signifie: l'union des corps propre à la forme A n'existe plus, elle est défaite. Or c'était cette union qui définissait le Corps humain. C'est pourquoi il n'y a pas de "transformation" (ou exprimée de façon plus "moralisante", de "déformation") possible dans le spinozisme: une forme ou union de corps ou bien persévère dans son être, ou bien est défaite, mais une union qui est défaite, cela signifie que cette forme-là disparaît, sans plus.

Durtal a écrit :Spinoza fait en effet explicitement état de l'idée selon laquelle le cours de la nature ne peut être tel qu'il (le corps) ne subisse d'autres changements que ceux qui suivent de sa nature, parce que le cours de la nature n'est pas ordonné de sorte que l'on peut puisse le déduire du concept de tel ou tel corps humain, raison pour laquelle l'homme meurt et est nécessairement soumis aux passions. Raison pour laquelle la forme du corps est tôt ou tard défaite.


à mon avis, il s'agit de deux choses différentes:
- d'une part il y a le fait que certaines affections découlent de notre nature seule, tandis que d'autres ne se produisent que lorsqu'un corps extérieur est également la cause de l'affection
- d'autre part, certaines affections peuvent défaire l'union qui caractérise la forme du Corps humain, certaines autres non. Exemple: lorsque je mange, des corps extérieurs affectent mon Corps, mais il n'y a aucune destruction de forme.

Il faut donc distinguer le fait d'être affecté par quelque chose qui vient de l'extérieur du fait d'être affecté d'une telle façon que la forme est détruite c'est-à-dire qu'on meurt. Pas toutes les affections qui viennent de l'extérieur nous détruisent. C'est précisément le fait de se maintenir lors d'une telle affection qui définit un Individu.

Durtal a écrit :Donc il n'y a aucune raison de ne voir qu'un coté de la chose, le fait que ce débat ne soit qu'un faux problème ne provient que de cette vision unilatérale des choses. Comme si le fait de dire que le corps humain conserve sa nature et sa forme quand il lui arrive ceci et cela était incompatible avec le fait de dire que par ailleurs s'il ne lui arrive pas ceci et cela alors sa forme ne se conservera pas et sera détruite.


ah mais si tu le formules ainsi nous sommes parfaitement d'accord. Car ici tu ne laisses que deux possibilités: ou bien la forme se conserve, ou bien elle est détruite. C'est à mon avis exactement ce qui est le cas, dans le spinozisme. Mais cela élimine la possibilité d'une "transformation", où la forme elle-même "subsisterait" tout en étant devenue "autre".

Durtal a écrit :Et la vie du corps, son individualité consiste à s'opposer autant qu'il peut (car ce pouvoir n'est pas infini) aux influences qui contredisent les conditions de sa préservation ( à faire effort contre , comme dit Sescho, "la déformation" qui résulte de l'action des causes extérieures sur lui ). Mais cet effort est limité, la puissance des causes extérieures surpassant infiniment celle de l'homme.


je crois que les choses sont plus "positives" que cela: le conatus spinoziste ne se limite pas à une lutte contre le monde extérieur (homo homini lupus, ou le hobbesianisme), il a également vitalement besoin de l'extérieur (c'est pour cette raison qu'une grande aptitude à être affecté par ce monde extérieur est signe d'une grande puissance, et inversement; homo homini Deus, E4P35 scolie).

A Sinusix

merci de votre message très intéressant, qui si j'ai bien compris pose une question tout à fait fondamentale pour ce dont on discute pour l'instant: à quoi bon lire un philosophe du passé le plus littéralement possible? J'y reviens sous peu.

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Messagepar Durtal » 13 nov. 2008, 21:23

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Si cette proposition est convaincante alors l'est aussi celle qu'on en dérive qui implique que s'il n'y a pas remplacement par des corps de même nature et en même nombre, alors il y a changement de la forme.


oui, mais comme Spinoza le dit explicitement en l'E4P39: ce changement ne signifie pas qu'une forme A change en une forme B, il signifie que le Corps humain va revêtir une autre forme. Ce n'est pas la forme ou l'essence qui elle-même change, ce sont les parties du Corps humain qui passent d'une forme à une autre.


c'est cela qu'il dit" explicitement"? vaut mieux entendre ça que d'être sourd.
Je n'ai aucune envie de batailler sur les inventions subreptices que tu te plaît à introduire à tout propos comme ici celle qui consiste à faire une différence entre la forme des parties du corps et la forme du corps elle même.

Tu sembles faire une confusion sur le concept de Forme lequel est tout juste simplement la même chose que le rapport de mouvement et de repos qu'ont entre elles les parties du corps humain. (Les expressions différent comme le "definiendum" (la Forme du corps humain) diffère du "definiens" (le rapport de mouvement et de repos entre les parties du corps). Il est donc absurde de chercher à les séparer comme tu sembles vouloir le faire.

Il le rappelle immédiatement dans la démonstration de E4p39 "Ce qui constitue la forme du corps consiste en ceci, que ses parties se communiquent entre elles leurs mouvements selon un certain rapport précis ).

Pour ton idée selon laquelle le rapport de mouvement et de repos peut changer sans que change la forme du corps humain, il te suffisait là encore de lire la démonstration:

"Ce qui fait que les parties du corps humain reçoivent un autre rapport de mouvement et de repos, fait aussi que le corps humain revêt une autre forme"

Par quoi j'espère que tu vois que ta suggestion ne tient pas la route.



Louisa a écrit :Or, dit Spinoza au même endroit, il est évident ("comme il va de soi") que lorsque cela arrive, ce qui se passe réellement, c'est que le Corps humain (définie par la forme A) est tout simplement détruit. Ce qui signifie: l'union des corps propre à la forme A n'existe plus, elle est défaite. Or c'était cette union qui définissait le Corps humain. C'est pourquoi il n'y a pas de "transformation" (ou exprimée de façon plus "moralisante", de "déformation") possible dans le spinozisme: une forme ou union de corps ou bien persévère dans son être, ou bien est défaite, mais une union qui est défaite, cela signifie que cette forme-là disparaît, sans plus.


Mais la destruction procède par degrés ( je ne sais pas moi pense à la vieillesse), par transitions continues, car autrement il y a des effets sans causes. C'est à dire l'explication du changement d'un certain état de l'étendu que je nomme "mon corps" à un autre état de l'étendue qui n'est plus" mon" corps, doit rendre compte de certains passages de l'un à l'autre, sinon il y a un vide causal et absence de raison suffisante.

Donc tout changement peut être et doit être compris comme "petite" destruction et la destruction n'est inversement qu'une certaine sorte de changement. (qu'il soit subit ou non, ça ne change rien sur la nécessité de faire intervenir des transitions causales entre tous les états précis et déterminés de la matière.)
Les changements sont réglés, nous sommes dans un univers soumis à des lois, c'est à dire les formes ne passent les unes dans les autres sans explications, et donner ces explications consistent à donner les maillons intermédiaires.

Et pourquoi diable parler de "déformation" serait-il "moralisant"? je ne vois pas bien. Il y a peut être un problème de vocabulaire car déformation à un sens neutre (je tord une cuillère, je la déforme. bon voilà.)

Et ce qui subsiste sous le changement c'est la substance étendue et non la forme de mon corps ce qui serait stupide et contraire au fait. C'est la substance étendue qui est ce quelque chose qui dans mon corps et dans sa forme est éternel, en effet quelques soient les changements cela du moins ne change pas et d'autre part mon corps quelques soient ses états l'exprime toujours, et en saisissant cela qui dans mon corps dépasse sa propre forme, j'ai le moyen d'aller moi même un peu au delà de ses transformation perpétuelles.


Louisa a écrit :ah mais si tu le formules ainsi nous sommes parfaitement d'accord. Car ici tu ne laisses que deux possibilités: ou bien la forme se conserve, ou bien elle est détruite. C'est à mon avis exactement ce qui est le cas, dans le spinozisme. Mais cela élimine la possibilité d'une "transformation", où la forme elle-même "subsisterait" tout en étant devenue "autre".


Voir plus haut, ça ne peut pas marcher sur une alternative opposant conservation/destruction, c'est pourquoi on s'épuise à dire que le concept d'individu est le concept d'une tendance et non le concept d'un état, mais apparemment ça sert à rien.

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Et la vie du corps, son individualité consiste à s'opposer autant qu'il peut (car ce pouvoir n'est pas infini) aux influences qui contredisent les conditions de sa préservation ( à faire effort contre , comme dit Sescho, "la déformation" qui résulte de l'action des causes extérieures sur lui ). Mais cet effort est limité, la puissance des causes extérieures surpassant infiniment celle de l'homme.


Louisa a écrit :je crois que les choses sont plus "positives" que cela: le conatus spinoziste ne se limite pas à une lutte contre le monde extérieur (homo homini lupus, ou le hobbesianisme), il a également vitalement besoin de l'extérieur (c'est pour cette raison qu'une grande aptitude à être affecté par ce monde extérieur est signe d'une grande puissance, et inversement; homo homini Deus, E4P35 scolie)
.
.

Il la tire d'où a ton avis sa notion de conatus Spinoza? Qui du reste même chez Hobbes déborde de très loin les seuls affects humains et donc n'a pas seulement ni prioritairement un sens anthropologique (un système immunitaire en ce sens est pareillement un dispositif intégré de lutte contre les agents pathogènes).

Du reste là encore réfléchi un peu. Il n'y a rien qui à le considérer de manière interne peut se concevoir comme posant une limite au conatus, c'est donc que si mon conatus est limité, ce sera par la puissance des causes extérieures, et donc la négation de ma puissance par celle des choses extérieures. Et donc comme toute chose finie qui est "négation partielle", ma définition implique la référence à tout l'ensemble de puissances qui s'opposent à la mienne. Spinoza ne propose pas un monde exempt de lutte, il cherche plutôt à montrer que cet état de lutte est naturel que cela n'est ni bon ni mauvais, qu'il n'y a pas à s'en lamenter (comme Job) ni à espérer vainement qu'il cesse pour satisfaire aux désirs humains (comme Candide) mais qu'il y a des choses à faire étant donné cela, car l'être humain à énormément d'aptitudes et de possibilités adaptatives.

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Messagepar Louisa » 13 nov. 2008, 23:26

Durtal a écrit :
louisa a écrit :
Durtal a écrit :Si cette proposition est convaincante alors l'est aussi celle qu'on en dérive qui implique que s'il n'y a pas remplacement par des corps de même nature et en même nombre, alors il y a changement de la forme.


oui, mais comme Spinoza le dit explicitement en l'E4P39: ce changement ne signifie pas qu'une forme A change en une forme B, il signifie que le Corps humain va revêtir une autre forme. Ce n'est pas la forme ou l'essence qui elle-même change, ce sont les parties du Corps humain qui passent d'une forme à une autre.


c'est cela qu'il dit" explicitement"? vaut mieux entendre ça que d'être sourd.


j'avais donné la citation hier, mais il est vrai que cela aurait été plus facile de la reprendre texto. Il s'agissait de ceci:

"Ce qui fait que les parties du Corps humain reçoivent un autre rapport de mouvement et de repos, fait aussi que le Corps humain revêt une autre forme, c'est-à-dire (comme il va de soi, et comme nous l'avons fait remarquer à la fin de la préface à cette partie) fait que le Corps humain est détruit (...)."

Ce qu'il dit explicitement, c'est que c'est le "Corps humain" qui va revêtir une autre forme.

Ce que bien sûr il ne dit pas explicitement, c'est le reste de ma phrase: que ce n'est donc pas une forme A qui change en une forme B. Mais ce qu'il dit, c'est que lorsque le Corps humain revêt une autre forme, cela signifie que le Corps humain est détruit. Il y a donc destruction d'une forme, puis un autre Corps, qui revêt une autre forme. Cela ne veut pas dire que l'essence du Corps A est détruite, puisque cette essence est seulement un rapport de mouvement et de repos, et non pas une union de parties corporelles. Ce qui se passe, à mon avis, c'est que les parties corporelles n'effectuent plus le rapport qui caractérise l'essence A (raison pour laquelle on peut dire de cette essence qu'elle cesse de "durer"; elle n'existe donc plus qu'en Dieu, éternellement), pour commencer à effectuer le rapport qui caractérise l'essence B (qui peut dès lors être dit "durer" à partir de ce moment-là). Ce sont les parties corporelles qui commencent à se rapporter différemment les unes aux autres. Le changement se fait donc dans ses parties corporelles. Or le Corps lui-même est définie par l'union entre ces parties. Cette union n'existant plus, il est donc détruit, ou sa forme est détruite.

Durtal a écrit :Je n'ai aucune envie de batailler sur les inventions subreptices que tu te plaît à introduire à tout propos comme ici celle qui consiste à faire une différence entre la forme des parties du corps et la forme du corps elle même.


j'avoue que je n'ai aucune envie de batailler non plus. Par contre, cela m'intéresse de mieux comprendre comment tu identifierais la forme des parties du corps et la forme du corps.

A mon avis, il s'agit réellement d'une distinction importante. Mes poumons, par exemple, sont une partie de mon Corps. Ils ont une forme à eux, c'est-à-dire ils se caractérisent par une union de parties corporelles très précise. Cette union fait que les parties qui les constituent constituent véritablement des poumons, et non pas un estomac. L'union qui caractérise mon Corps, en revanche, est une union entre tous ces organes, et me définit moi, et non pas mes poumons ou mon estomac. C'est ici qu'on voit que le Corps humain est un Individu composé de nombreux autres Individus, chacun étant défini par une union de corps ou un rapport de mouvement et de repos précis et déterminé.

Durtal a écrit :Tu sembles faire une confusion sur le concept de Forme lequel est tout juste simplement la même chose que le rapport de mouvement et de repos qu'ont entre elles les parties du corps humain. (Les expressions différent comme le "definiendum" (la Forme du corps humain) diffère du "definiens" (le rapport de mouvement et de repos entre les parties du corps). Il est donc absurde de chercher à les séparer comme tu sembles vouloir le faire.


à mon sens la forme chez Spinoza ne désigne qu'une union de corps d'un genre particulier: cette union capable d'exprimer un rapport de mouvement et de repos qui reste le même lorsque l'union en tant que telle est affectée. On peut en effet dire que le rapport entre "forme" et "rapport de mouvement et de repos" est un rapport de definiendum au definiens. Seulement, le definiens n'est pas juste un rapport de mouvement et de repos, il est avant tout une union de corps qui exprime un rapport de mouvement et de repos. Je mettrais donc le rapport de mouvement et de repos davantage du côté de l'essence singulière de la chose, essence qui n'est exprimée par une "forme" ou une "union de corps" qu'aussi longtemps qu'elle est dite "durer".

Durtal a écrit :Il le rappelle immédiatement dans la démonstration de E4p39 "Ce qui constitue la forme du corps consiste en ceci, que ses parties se communiquent entre elles leurs mouvements selon un certain rapport précis ).

Pour ton idée selon laquelle le rapport de mouvement et de repos peut changer sans que change la forme du corps humain, il te suffisait là encore de lire la démonstration:

"Ce qui fait que les parties du corps humain reçoivent un autre rapport de mouvement et de repos, fait aussi que le corps humain revêt une autre forme"

Par quoi j'espère que tu vois que ta suggestion ne tient pas la route.


je ne crois pas avoir dit que le rapport de mouvement et de repos peut changer (et encore moins qu'en même temps la forme ne changerait pas) ... te souviens-tu de la façon précise dont j'ai formulé ce à quoi tu réfères?

En tout cas, pour moi pour l'instant il faut concevoir ce rapport de mouvement et de repos comme ce qui est équivalent de l'essence même d'une chose. Par conséquent, il ne peut pas changer, au sens où une essence n'est jamais détruite par quoi que ce soit (au contraire, comme le dit Spinoza dans l'E1, toutes les essences conviennent entre elles). Une forme ne peut pas changer non plus, au sens où elle ne peut "se transformer" en une autre forme, mais elle peut être détruite, puisqu'une forme ne désigne qu'une union temporelle de corps.

Ce que ce que tu cites ici souligne, c'est que ce sont bel et bien les parties du Corps qui reçoivent un autre rapport de mouvement et de repos. Ce sont elles qui passent d'un "état" (si l'on veut) à un autre. Ce n'est pas le rapport lui-même qui change.

Durtal a écrit :
louisa a écrit :Or, dit Spinoza au même endroit, il est évident ("comme il va de soi") que lorsque cela arrive, ce qui se passe réellement, c'est que le Corps humain (définie par la forme A) est tout simplement détruit. Ce qui signifie: l'union des corps propre à la forme A n'existe plus, elle est défaite. Or c'était cette union qui définissait le Corps humain. C'est pourquoi il n'y a pas de "transformation" (ou exprimée de façon plus "moralisante", de "déformation") possible dans le spinozisme: une forme ou union de corps ou bien persévère dans son être, ou bien est défaite, mais une union qui est défaite, cela signifie que cette forme-là disparaît, sans plus.


Mais la destruction procède par degrés ( je ne sais pas moi pense à la vieillesse), par transitions continues, car autrement il y a des effets sans causes. C'est à dire l'explication du changement d'un certain état de l'étendu que je nomme "mon corps" à un autre état de l'étendue qui n'est plus" mon" corps, doit rendre compte de certains passages de l'un à l'autre, sinon il y a un vide causal et absence de raison suffisante.


oui, tout à fait d'accord avec toi s'il s'agit d'essayer de dire comment nous on conçoit d'habitude le changement corporel, le moi etc.

Or lorsqu'il s'agit d'essayer de comprendre comment Spinoza propose de concevoir les choses (pour une plus ample explication de cette distinction, voir ma réponse à Sinusix, qui arrive bientôt), je ne suis pas certaine que cela ait du sens de parler d'une destruction "par degrés". C'est que si par exemple moi-même je me définis par une essence singulière, et donc par un rapport de mouvement et de repos déterminé et précis, il me semble qu'ou bien un ensemble de parties corporelles effectue ce rapport, c'est-à-dire "s'unit" d'une telle façon que c'est mon rapport à moi qu'elles expriment, ou bien n'y parvient pas. Des parties corporelles pourraient-ils s'unir de telle sorte qu'elles n'expriment mon rapport à moi ou mon essence à moi qu'à moitié, par exemple? Je ne vois pas très bien ce que cela pourrait vouloir dire (encore une fois, d'un point de vue spinoziste, bien sûr, car dans d'autres philosophies le concept d'"aliénation" permet assez bien de penser ce genre de choses).

Durtal a écrit :Donc tout changement peut être et doit être compris comme "petite" destruction et la destruction n'est inversement qu'une certaine sorte de changement. (qu'il soit subit ou non, ça ne change rien sur la nécessité de faire intervenir des transitions causales entre tous les états précis et déterminés de la matière.)


tout changement peut certainement être compris ainsi. Mais pourquoi devrait-il l'être, selon toi?

Durtal a écrit :Les changements sont réglés, nous sommes dans un univers soumis à des lois, c'est à dire les formes ne passent les unes dans les autres sans explications, et donner ces explications consistent à donner les maillons intermédiaires.


je ne nie pas du tout que dans le spinozisme le changement est important, et effectivement, il est réglé selon des lois, les lois de la nature. Mais la question est de savoir ce qui change et comment. C'est là que j'ai du mal à marier le concept spinoziste de forme, telle qu'il le définit dans les lemmes, avec l'idée qu'une forme peut elle-même changer en une autre (c'est l'idée que tout "transformation" est impossible, dans le spinozisme, que Zourabichvili a appelé le "conservatisme" de Spinoza, comme tu le sais peut-être).

Encore une fois, pour moi dans la démo de l'E4P39, il dit que les parties du Corps reçoivent une autre forme, mais pour ce faire, la forme précédente doit d'abord être détruite. Pour l'instant, je comprends ce genre de processus comme celui qui caractérise le changement des dents chez les enfants: ce n'est pas la dent de lait qui se mue en dent adulte, la dent de lait doit d'abord tomber, donc "mourir", avant qu'une autre dent puisse prendre sa place.

De même, une chose singulière se caractérise par un "degré" de puissance, mais ce degré est unique. Lorsqu'un Corps ne l'effectue plus, ce n'est pas ce degré de puissance ou cette essence qui change, c'est le Corps qui commence à affectuer un moindre degré de puissance, et donc un autre degré de puissance. A mon sens, c'est ce qui permet à Spinoza de dire que l'essence d'un adulte n'est pas la même essence que celle effectué par le Corps de l'adulte lorsqu'il était bébé. D'un point de vue spinoziste, l'essence du bébé existe éternellellement en Dieu, et est seulement dit "durer" le temps que dure le bébé. Lorsque le dégré de puissance de l'adulte est dite "durer", ce degré est tellement plus élevé que le degré qui caractérisait le bébé, qu'il faut parler d'une autre essence. Mais ce sont les parties du Corps qui maintenant effectuent un autre rapport, ce n'est pas l'essence ou le rapport lui-même qui est détruit ou qui change en un autre.

Durtal a écrit :Et pourquoi diable parler de "déformation" serait-il "moralisant"? je ne vois pas bien. Il y a peut être un problème de vocabulaire car déformation à un sens neutre (je tord une cuillère, je la déforme. bon voilà.)


parce que j'aime bien embêter les gens ... :twisted:

Plus sérieusement, par "moraliser" je voulais simplement référer à un jugement moral au sens d'un jugement qui porte sur le bien ou le mal. Dire que la cuillère est déformée, c'est dire que le résultat n'a plus vraiment la "bonne" forme, celle-ci correspondant à la cuillère lorsqu'elle est intacte (à moins qu'en français il soit impossible d'interpréter ainsi le mot "déformation"... ? Je me basais peut-être avant tout sur le latin, où le "de de deformare implique un éloignement (et deformitas par exemple se traduit carrément par "malformation")). Ce genre de jugements a bien sûr du sens, mais pas vraiment un sens "neutre", puisqu'on laisse clairement entendre ce qu'on trouve bon et ce qu'on trouve mauvais.

Or dire d'une éventuelle "transformation", donc d'un passage d'une forme en une autre, qu'elle est une déformation, c'est dire que la première forme quelque part joue le rôle de "norme", de ce qui est bien. C'est là que à mon sens il y a un problème, dans la mesure où l'E4P39 dit justement que les termes "bon" et "mauvais" n'ont un sens que par rapport à telle ou telle forme précise. Par conséquent, tout ce qui est bon pour la cuillère intacte est mauvaise pour la cuillère "transformée", et inversement. On n'a plus d'étalon unique capable de dire ce qui est bien formé et ce qui est déformé. Selon certains commentateurs, c'est cette absence d'étalon "universel" qui caractérise ce que Spinoza appelle l'"éthique", tandis qu'il appelle ceux qui continuent à proposer des critères qui devraient pouvoir jouer ce rôle d'étalon universel des "moralistes".

Durtal a écrit :Et ce qui subsiste sous le changement c'est la substance étendue et non la forme de mon corps ce qui serait stupide et contraire au fait.


en effet, là-dessus nous sommes d'accord. Mais je crois que Bardamu et moi-même (chacun à sa façon) essayons d'attirer l'attention sur le fait que Spinoza dit également que l'essence objective et formelle d'une chose singulière est elle aussi, en tant que chose finie, éternelle, tandis que dans l'interprétation que proposent notamment Sescho et toi-même, ce niveau ontologique semble avoir disparu.

Si la forme n'est qu'une union temporaire de corps, par définition un jour elle sera détruite. Par conséquent, dans le spinozisme les formes ne sont pas éternelles. Mais lorsqu'on parle d'une essence en tant qu'elle est exprimée par une forme, on ne parle de son actualité que dans un sens précis: on ne parle de son existence qu'en tant que cette essence est "dite durer" (E2P8). En revanche, lorsqu'on parle de l'essence singulière en tant qu'elle est toujours aussi "en Dieu", on parle du deuxième genre d'existence actuelle introduit par Spinoza. Et là, on parle de la "partie éternelle" de chaque Esprit, autrement dit de l'essence singulière en tant qu'elle est éternelle, indestructible (puisqu'en Dieu toutes les essences conviennent entre elles).

Durtal a écrit :C'est la substance étendue qui est ce quelque chose qui dans mon corps et dans sa forme est éternel, en effet quelques soient les changements cela du moins ne change pas et d'autre part mon corps quelques soient ses états l'exprime toujours, et en saisissant cela qui dans mon corps dépasse sa propre forme, j'ai le moyen d'aller moi même un peu au delà de ses transformation perpétuelles.


oui, cela me semble être tout à fait cohérent avec plein de choses que toi-même et Sescho écrivez par ailleurs, mais j'ai quant à moi des difficultés à lire cela dans le texte. Pour moi vous introduisez ici une sorte de "transcendance" qui enlève en grande partie l'originalité même du spinozisme. Il faudrait peut-être ouvrir un nouveau topic pour discuter de ceci, mais en attendant je suis assez convaincue que dans le spinozisme, sachant que "être éternel" ne signifie rien d'autre que "exister nécessairement", chaque mode fini soit lui-même éternel. Eternité et finitude ne s'opposent pas chez Spinoza (à condition de ne pas confondre éternité et immortalité, comme il le dit dans l'E5).

Durtal a écrit :
louisa a écrit :ah mais si tu le formules ainsi nous sommes parfaitement d'accord. Car ici tu ne laisses que deux possibilités: ou bien la forme se conserve, ou bien elle est détruite. C'est à mon avis exactement ce qui est le cas, dans le spinozisme. Mais cela élimine la possibilité d'une "transformation", où la forme elle-même "subsisterait" tout en étant devenue "autre".


Voir plus haut, ça ne peut pas marcher sur une alternative opposant conservation/destruction, c'est pourquoi on s'épuise à dire que le concept d'individu est le concept d'une tendance et non le concept d'un état, mais apparemment ça sert à rien.


disons que cela ne sert pas à grand-chose aussi longtemps que pour moi cette idée est contradictoire avec pas mal de passages dans le texte. Il se peut que je me trompe, bien sûr, mais ce ne sera que lorsqu'on a trouvé l'argument qui permet de montrer en quoi je me trompe que j'aurai compris qu'une forme peut non seulement se conserver ou être détruite, mais aussi changer en une autre forme.

Pour l'instant, je crois que le concept d'individu tel que le définit Spinoza, est uniquement un concept qui exprime la conservation non pas d'une tendance mais d'une union. Une union de corps n'est pas un état, c'est une permanence à travers des différents états ou affections. En tant que tel, cela ne réfère pas encore au conatus. Le conatus est à mon sens une autre perspective sur l'essence singulière: le conatus désigne une essence singulière comme étant éternellement tel ou tel degré de puissance, tel ou tel force de produire des effets. Le conatus désigne donc l'essence singulière en tant qu'elle est une cause efficiente. L'individu, en revanche, désigne l'ensemble des parties corporelles qui à tel et tel moment expriment cette puissance. Or il n'y a pas de puissance "virtuelle" ou "potentielle" dans le spinozisme (pas de "puissance de la puissance", comme le disent certains commentateurs). C'est pourquoi je ne crois pas que l'on puisse concevoir le conatus tel que vous le proposez: comme une "tendance" qui toujours ne se réaliserait que partiellement. Car alors il y aurait toujours, dans l'essence même d'une chose, une partie qui ne serait pas actuelle. Je ne vois pas comment cela pourrait être concevable, d'un point de vue spinoziste. Ou il me faudrait en tout cas beaucoup plus d'infos/explications/... avant de pouvoir le concevoir ainsi.

Durtal a écrit :Et la vie du corps, son individualité consiste à s'opposer autant qu'il peut (car ce pouvoir n'est pas infini) aux influences qui contredisent les conditions de sa préservation ( à faire effort contre , comme dit Sescho, "la déformation" qui résulte de l'action des causes extérieures sur lui ). Mais cet effort est limité, la puissance des causes extérieures surpassant infiniment celle de l'homme.


oui, cet effort est limité, mais non pas à cause de quelque chose d'extérieure à lui, c'est plutôt parce qu'il appartient à l'essence même d'un mode fini d'être fini. Le mode fini est par essence un degré de puissance, et non pas "après coup", une fois qu'il est "rencontre" d'autres choses. Sinon tu fais comme si chaque mode est "potentiellement" infini, mais seulement de fait fini, car "limité" par les autres modes. A mon sens c'est aussi la raison pour laquelle Spinoza ne définit pas la vie par une "opposition", mais par une "affirmation". Je crois que c'est très différent.

Durtal a écrit :
Louisa a écrit :je crois que les choses sont plus "positives" que cela: le conatus spinoziste ne se limite pas à une lutte contre le monde extérieur (homo homini lupus, ou le hobbesianisme), il a également vitalement besoin de l'extérieur (c'est pour cette raison qu'une grande aptitude à être affecté par ce monde extérieur est signe d'une grande puissance, et inversement; homo homini Deus, E4P35 scolie)


Il la tire d'où a ton avis sa notion de conatus Spinoza?


on trouve la notion de conatus notamment chez Hobbes, chez Leibniz et chez Spinoza. Chacun en a forgé une définition propre à sa pensée à lui.

Durtal a écrit :Qui du reste même chez Hobbes déborde de très loin les seuls affects humains et donc n'a pas seulement ni prioritairement un sens anthropologique (un système immunitaire en ce sens est pareillement un dispositif intégré de lutte contre les agents pathogènes).


encore une fois, pour moi cette idée de définir le conatus par une "lutte contre" ne caractérise que le conatus hobbesien, pas le conatus spinoziste (ni le conatus leibnizien, d'ailleurs). Est-ce que quand je mange du boeuf je suis contre le boeuf? A mon sens, c'est assez spécifique à Spinoza que de dire que cela est absurde. Je ne mange pas parce que je suis contre le boeuf, je le mange (et donc le tue) parce que j'affirme ma puissance à moi, parce que mon essence est désir, désir de conserver ma forme, et parce que je sens que manger cela me fait du bien. De même, lorsque le boeuf en question essaie de me dévorer moi au lieu de me laisser le tuer, ce n'est pas parce qu'il est contre moi, c'est parce qu'il a envie lui aussi de se conserver, et parce que ma viande à moi lui convient tout aussi bien qu'inversement (enfin, supposons un instant qu'un boeuf mange de la viande ...).

Durtal a écrit :Du reste là encore réfléchi un peu. Il n'y a rien qui à le considérer de manière interne peut se concevoir comme posant une limite au conatus, c'est donc que si mon conatus est limité, ce sera par la puissance des causes extérieures, et donc la négation de ma puissance par celle des choses extérieures. Et donc comme toute chose finie qui est "négation partielle", ma définition implique la référence à tout l'ensemble de puissances qui s'opposent à la mienne.


à mon avis c'est la définition même du mode qui implique la limite. Ce qui est en autre chose et se conçoit par autre chose, forcément n'a pas une puissance infinie. Un mode a besoin d'autre chose dont il est l'affection, et par là même ne peut jamais produire tous les effets concevables. Par définition, il ne produit donc que des effets "déterminés". C'est le fait d'être déterminé qui définit le mode, et qui par là même "limite" sa puissance. Toute chose finie est ainsi bien sûr négation partielle, mais ... Spinoza dit bel et bien qu'une définition jamais ne nie rien, elle est affirmation pure :

E3P4 démo:
"la définition d'une chose quelconque affirme l'essence de cette chose, mais ne la nie pas; autrement dit, elle pose l'essence de la chose, mais ne la supprime pas. Et donc, aussi longtemps que nous ne prêtons attention qu'à la chose elle-même, et non aux causes extérieures, nous ne pourrons trouver en elle rien qui puisse la détruire."

Par conséquent, la négation n'appartient pas à l'essence même ou à la définition d'une chose. La négation n'est que privation, et cette privation n'existe que d'un point de vue extérieur à la chose. Le manque, "en soi", n'est rien, chez Spinoza. Il ne peut donc définir quoi que ce soit.

Durtal a écrit : Spinoza ne propose pas un monde exempt de lutte, il cherche plutôt à montrer que cet état de lutte est naturel que cela n'est ni bon ni mauvais, qu'il n'y a pas à s'en lamenter (comme Job) ni à espérer vainement qu'il cesse pour satisfaire aux désirs humains (comme Candide) mais qu'il y a des choses à faire étant donné cela, car l'être humain à énormément d'aptitudes et de possibilités adaptatives.


oui, là-dessus nous sommes d'accord, mais pour bien distinguer le spinozisme du hobbesianisme à cet égard, je crois qu'il faut y ajouter que chez Spinoza, l'homme nécessairement convient toujours déjà avec certains autres hommes. La communauté sociale est chez lui tout aussi "naturelle" et "originale" que la lutte ou la guerre. C'est pourquoi on n'a jamais de "guerre de tous contre tous", chez lui, on n'a toujours que des guerres de certains contre certains autres. Il s'agit donc de parvenir à penser un état "naturel" où les deux phénomènes co-existent: aussi bien le fait de lutter contre certaines choses extérieures à nous que le fait de nous unir à d'autres choses extérieures à nous.
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Messagepar hokousai » 13 nov. 2008, 23:52

C'est pourquoi il n'y a pas de "transformation" (ou exprimée de façon plus "moralisante", de "déformation") possible dans le spinozisme: une forme ou union de corps ou bien persévère dans son être, ou bien est défaite, mais une union qui est défaite, cela signifie que cette forme-là disparaît, sans plus.


chère Louisa

Que pensez- vous de la métamorphose des insectes .
Il y a changement manifeste de forme chez un même individu .( c' était connu (et depuis fort longtemps) du temps de Spinoza )


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