acta93 a écrit :On peut appréhender la réalité, la connaissance juste ou Dieu par 3 voies ( si vous en connaissez d'autres, n'hésitez pas ... ) :
- le témoignage (la religion)
- le raisonnement (la philosophie, voie de l'occident donc ici de spinoza)
- la perception direct (voie de l'orient , c'est également la voie du bouddhisme zen, de Krishnamurti, Osho en autres).
Je dirais, de manière similaire :
- La dévotion (« je m'en remets à Dieu en toute chose. ») C'est la voie religieuse au sens fort (mais je n'y mettrais pas plus de "témoignage" que cela : c’est un ressenti personnel avant tout.)
- La science du Monde.
- La purification puis la sublimation du Mental.
- La connaissance de soi (« connais-toi toi-même ».)
- L'entraînement à la Compassion (étant entendu qu'il n'y a aucune connotation négative dans ce mot au sens bouddhiste : c'est la Générosité de Spinoza.)
Il me paraît très difficile de trancher radicalement entre les voies (c'est le contraire qui serait surprenant : l'aboutissement est le même.) Tant le Bouddhisme Mahayana que le Védanta (qui ne sont pas des religions au sens courant, en fait, mais des éthiques ; les deux à peu près confondues par les Hindous eux-mêmes, d’ailleurs) comprennent une part importante de raisonnement. Ramana Maharshi lui fait une place de choix (et encore plus au « connais-toi toi-même. ») Les quatre piliers du chemin de Swami Prajnanpad et Arnaud Desjardins sont en substance (outre une grosse boite à outils d’approches pratiques de la réalité de « soi ») : 1) La science du Monde. 2) La destruction du Mental (dans un sens restreint par rapport à l’acception de Spinoza : il s’agit essentiellement de détruire l’illusion d’être en soi et non en Dieu : l’ego.) 3) La purification de l’inconscient (connaissance de soi.) 4) L’érosion du désir (à nouveau dans un sens restreint par rapport à l’acception de Spinoza : extinction du désir passionnel, tendu, de la « soif »,… bref, des passions selon Spinoza.)
Je dirais que la voie qui se distingue le plus des autres est la dévotion. Elle est de plus peu compatible avec la culture standard occidentale, me semble-t-il (mais elle conduit bien au même résultat ultime quand-même.) L’entraînement à la Compassion est plus spécifiquement bouddhiste, mais Spinoza le conseille explicitement aussi.
Krishnamurti, Tolle, … sont incontestablement dans le vrai : quelle que soit la méthode, il n’y a de vérité / progrès réel QUE dans la vision de ce-qui-est, en l’instant (qui n’est pas soumis au temps, lui.) Si c’est une tristesse qui est, c’est elle qui est à voir. Et si je sens que je refuse de voir cette tristesse, c’est ce refus qui est à voir, etc. (je ne connaissais pas Osho, mais ce qu’il en dit me semble parfait.)
Le problème (éventuel) c’est que la force d’aveuglement du Mental est très puissante (s’il n’y avait pas un équilibre entre les forces élucidantes et les forces d’aveuglement, il n’y aurait aucun problème, et la folie ordinaire ne serait pas l’état « normal. ») Dans ce cadre, il peut être très difficile d’entendre « mais voyez donc ce qui est, au lieu de théoriser en pure perte, vous aveuglant de votre propre théorie au lieu de progresser. » Ceci même si effectivement on peut se gargariser de théorie toute sa vie en ne sortant pas d’un iota du trou : intellectualisme stérile.
C’est en butant sur cette difficulté que je suis passé personnellement (de formation scientifique et sur-entraîné, comme bien d’autres, au raisonnement) par nécessité de Krishnamurti à Spinoza (et bien d’autres auteurs à juste titre célèbres, dont les stoïciens – vis-à-vis desquels Spinoza est très proche –, Eckart Tolle, Matthieu Ricard et surtout Arnaud Desjardins.) Sans oublier le soutien hautement bénéfique de la liste spinoza.fr puis d’interventions sur le site spinozaetnous, initiatives fort heureuses de notre vénéré Maistre Henrique Diaz…

Spinoza fait bien partie de cette super-élite à mon appréciation, et il m’a convaincu d’emblée par sa tournure d’esprit, révélant en moi cette vision (pas « théorie ») qui ne peut plus me quitter : celle de Dieu – Nature (en premier lieu sans forme ; c’est le brahman du Védanta, et – plus difficile à reconnaître tel d’emblée – la vacuité (shunyata) du Bouddhisme) dont tout le « reste » est « mode », c’est-à-dire « manière d’être », ou encore « manifestation. »
Personnellement (mais y en a-t-il beaucoup ?) je ne prends pas au pied de la lettre absolu la démarche discursive de Spinoza dans l’Éthique (notons en passant qu’il n’y a pas que l’Éthique : le TTP est aussi une œuvre majeure, et les autres ne sont pas en reste.) Et conjointement, s’il me semble y trouver une faute de logique, je n’en ai cure : l’honnêteté foncière (autant que possible pas de glissements sémantiques, d’intrusions subreptices de paradigmes non explicites, d’associations d’idées gauchies, etc.) de la démarche est déjà si élevée que c’en est exceptionnel. Mais il y a manifestement de nombreux passages où la démarche logique est effectivement très efficace (la mécanique des passions, par exemple, et les mécanismes qui font qu’on s’en délivre… éventuellement dans les faits.)
Il convient d’ajouter me semble-t-il les points suivants :
- En aucun cas, donc, cette démarche discursive n’est un exercice intellectuel pris pour lui-même, comme une infinité d’autres. Rien n’est plus opposé à Spinoza que la machinerie intellectualiste et érudite qui tourne sur elle-même, ne produisant pas plus d’amendement de soi que le désert d’Atacama de pêches.
- Elle comprend (inévitablement) des prémisses (« notions communes », qui chez Spinoza fondent la plus grande connaissance accessible à l’Homme, tout aspect confondu), qui pour être vues en tant que telles demandent déjà une grande pénétration d’esprit. Tant et si bien qu’on pourrait dire que – très paradoxalement sur le plan logique, et très logiquement sur le plan pratique de l’amendement réel – l’Éthique est essentiellement dirigée vers une vision, chez le lecteur, progressivement de plus en plus nette de la principale de ses prémisses : Dieu – Nature.
- Spinoza précise bien que la démarche discursive (ou « connaissance du deuxième genre ») n’est pas la principale. Ce n’est qu’un « doigt » qui montre – de façon assurée, mais ce n’est quand-même qu’un doigt – ce qu’il y a à voir. La « connaissance intuitive » ou « du troisième genre » – non verbalisée : vision –, elle, est la véritable connaissance (de ce que le deuxième genre montre.)
- Les scholies, préfaces et appendices apportent un argumentaire complémentaire sous la forme standard, très explicite en général.
- Spinoza met clairement l’accent sur la reconnaissance en vérité des passions et désirs à l’œuvre en soi-même (ce-qui-est en soi.)
Donc : Spinoza ne peut du tout être réduit au « raisonnement » (sinon, autant faire des Maths) : il allie une science ultime du Monde, Dieu-Nature en tête, une incitation à l’entraînement à la Générosité, et la connaissance des mouvements « en soi » dans leur réalité factuelle. On peut même y trouver des parallèles avec les expressions propres à la voie de la dévotion.
acta93 a écrit :… Faire de la philosophie sans prendre conscience de la nature de la pensée, c'est comme essayer de diriger un cheval en furie vers un point donné. Malheureusement, je me suis fait avoir en terminal... !!
Si ce n’est pas une promotion du Traité de la Réforme de l’Entendement, cela…

Amicalement
Serge