lecture de l'Éthique et réactions

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Alexandre_VI
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Messagepar Alexandre_VI » 25 mai 2010, 01:03

Chers amis, cher Paul Herr Jean-Luc,

J'ai recommencé à lire l'Éthique de Spinoza du début, et je trouve certains problèmes avec l'enchaînement des démonstrations, qui en dépit de la forme géométrique, ne m'apparaît pas très rigoureux. Mais peut-être que les spinozistes peuvent m'expliquer.

Voilà, dans la proposition V, Spinoza déclare que: il ne peut y avoir dans la nature deux ou plusieurs substances de même nature ou attribut.

Notez le singulier à «attribut».

Dans ce passage, Spinoza veut nous faire croire qu'une substance se caractérise par un seul attribut. Mais s'il y avait plus d'un attribut possible? Par exemple si une substance a l'attribut A et une autre substance a l'attribut A et B, elles sont partiellement semblables.

Spinoza dit aussi que les affections des substances ne peuvent servir à l'individualiser, puisque la substance est antérieure en nature aux affections.

En ce qui me concerne, je préfère concevoir les affections prises collectivement comme simultanés aux substances, de telle sorte que la substance et les affections forment ensemble une sorte de «tout» (et c'est «tout», c'est ce qui s'offre directement à notre expérience). Dans ce tout, le pôle permanent, c'est la substance, et le pôle changeant, ce sont les affectons qui se succèdent. Maintenant, je ne vois pas la nécessité de dire que le pôle permanent est antérieur au pôle changeant et même pensable sans lui. Et je considère comme tout à fait concevable que le tout s'individualise par le pôle changeant aussi bien que par le pôle stable.

Ayant dit cela, je ne vois pas pourquoi la proposition VI s'imposerait.

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Miam
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Messagepar Miam » 25 mai 2010, 18:44

Tu as raison : il pourrait y avoir plusieurs substances de même nature ou attribut SI la substance - constituée d'attribut(s) - n'était pas "antérieure à ses affections" (IP1), c'est-à dire à ses modes.
Les relations entre les propositions une à six peuvent être saisies selon deux ordres : l'ordre des propositions et l'ordre des références logiques.
Au sein de ce dernier ordre, on remarque qu'il y a deux d'enchaînements : les propositions 2 3, 5 et 6 s'appuient sur les notions de communs et d'enveloppement. A les considérer elles-seules, il reste une ambiguïté que tu as relevé dont témoigne le terme "attributs différents" (diversa). Peut-il y avoir plusieurs attributs ayant une même "nature" (par exemple l'étendue) dans la mesure où ils différent par leurs affections ou modes ?
C'est le second enchaînement (Propositions 1,4, et la démonstration de 5) qui élimine cette possibilité en excluant les affections ou modes des attributs de cette hénologie infinitiste de la substance. La proposition 5 et sa démonstration synthétise les deux enchaînements et la proposition 6 conclut.

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Alexandre_VI
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Messagepar Alexandre_VI » 27 mai 2010, 00:54

Bonjour Miam,

Ce que j'ai voulu dire, c'est que la démonstration spinoziste de l'unicité de la substance est extrêmement fragile. Si on peut concevoir plusieurs substances ayant certains attributs en commun et d'autres propres à chacune, elles se distingueraient par cela même et ainsi il pourrait y avoir plusieurs substances en réalité. Spinoza présuppose dans sa démonstration qu'il n'y a qu'un attribut qui puisse exprimer l'essence d'une substance, alors que plus loin il parle d'une substance ayant une infinité d'attributs! N'est-ce pas contradictoire?

Il y a aussi la définition 3 de la partie 1 qui me pose un problème: Spinoza y mélange, à la suite de Descartes, la substance créée (per se, mais non a se) et la substance incréée (per se et a se). C'est à mon sens un manque de rigueur.

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Messagepar Pourquoipas » 27 mai 2010, 06:19

Alexandre_VI a écrit :Bonjour Miam,

Ce que j'ai voulu dire, c'est que la démonstration spinoziste de l'unicité de la substance est extrêmement fragile. Si on peut concevoir plusieurs substances ayant certains attributs en commun et d'autres propres à chacune, elles se distingueraient par cela même et ainsi il pourrait y avoir plusieurs substances en réalité. Spinoza présuppose dans sa démonstration qu'il n'y a qu'un attribut qui puisse exprimer l'essence d'une substance, alors que plus loin il parle d'une substance ayant une infinité d'attributs! N'est-ce pas contradictoire?

Il y a aussi la définition 3 de la partie 1 qui me pose un problème: Spinoza y mélange, à la suite de Descartes, la substance créée (per se, mais non a se) et la substance incréée (per se et a se). C'est à mon sens un manque de rigueur.


Bonjour, papa Borgia,

Où voyez-vous, dans partie I déf. 3, une substance créée et incréée, et un mélange de per se et non a se avec per se et a se ?
La voici, cette définition :
Per substantiam intelligo id, quod in se est, et per se concipitur, hoc est id, cujus conceptus non indiget conceptu alterius rei, a quo formari debeat.
Où voyez-vous une création quelconque ?
Avez-vous remarqué que la déf. de la substance unit deux parties (jointes par ET) :
quod in se est,
et

per se concipitur, hoc est id, cujus conceptus non indiget conceptu alterius rei, a quo formari debeat.

La substance
est en soi
ET
se conçoit par soi (= à travers elle-même), c'est-à-dire n'a pas besoin pour être conçue qu'on conçoive autre chose qu'elle-même.

Ce n'est pas tant Spinoza qui manque de rigueur que d'autres qui manquent de savoir lire... (Je crois que le mot "par" vous a lancé sur une mauvaise piste. Per n'est pas a(b).)

Quant à la fameuse substantia unius attributi, Spinoza parle non pas d'une substance à un seul attribut, que d'un attribut quelconque dont il prouve (de manière fort succincte il faut bien le dire) qu'il ne peut pas appartenir à deux substances ou plus.
En effet, prenons la première partie de la démonstration : les substances se distingueraient par des attributs différents, auquel cas, dit Spinoza, on accordera volontiers qu'il n'y a qu'une substance ejusdem attributi, i.e. qu'un attribut ne peut appartenir qu'à une seule substance. (A ce moment de l'Ethique, on ne sait pas encore si une substance comporte un, deux, trois, 257 892 113, n, ou une infinité d'attributs, voire même aucun !!!)
On pourrait objecter (Leibniz le fera) qu'une substance peut avoir comme attribut A seulement, une autre deux, A et B, et une autre A, C, D et E. Pour répondre à cette objection, il faut tenir compte de la déf. de l'attribut (I, déf. 4) : "ce que (l', de l', un) entendement perçoit d'une substance comme constituant son essence", c.à.d. toute l'essence de la substance, sans résidu aucun. Ainsi, dans l'exemple que j'ai pris, l'attribut commun aux trois substances est A : puisque A est "ce que (l', de l', un) entendement perçoit d'une substance comme constituant son essence", nos trois substances n'en forment qu'une, comportant les attributs A, B, C, D et E.

Pour la seconde partie de la démonstration de I 5, on verra plus tard. Là, j'ai pas le temps.

Mais ne pas confondre "manque de rigueur" et "concision, laconisme".

Bien à vous et à votre famille (comment vont Lucrèce et César ? pas trop empoisonnants, j'espère...)
Modifié en dernier par Pourquoipas le 27 mai 2010, 09:04, modifié 1 fois.

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Messagepar Alexandre_VI » 27 mai 2010, 06:37

Bonjour Pourquoipas,

Effectivement, si on dit que l'attribut exprime l'essence TOTALE de la chose, on ne peut concevoir deux substances de même attribut, si la différence dans les attributs est le principe d'individuation.

J'avais cru comprendre que pour Spinoza, l'attribut exprimait plutôt une dimension d'une essence multidimensionnelle.

Dans la philosophie thomiste, où je trouve des concepts plus clairs, on distingue:

- l'accident, dont le concept enveloppe celui de substance, puisque l'accident est ce qui détermine une substance.

- La substance créée (dont le concept enveloppe celui de la substance incréée, mais non de la même manière que le concept d'accident enveloppe le concept de substance)

- Et la substance incréée.

Spinoza ne fait pas ces distinctions cruciales au départ, et cela l'entraîne dans la voie du panthéisme.

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Messagepar Miam » 27 mai 2010, 12:43

C'est que les références culturelles et philosophiques ne sont pas les mêmes pour Baruch et pour Thomas. Le début de l'Ethique est une réponse hénologique (donc platonicienne) à l'aporie de la Métaphysique Z d'Aristote. L'ontologie y demeure brève, quoique essentielle à l'unicité de Dieu. En revanche Thomas participe à l'ontologisation de la philosophie. Chez lui l'être apparaît à tous les niveaux. Leurs filiations diffèrent beaucoup.
Pour le reste je suis d'accord avec Pourquoi pas.

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Messagepar Alexandre_VI » 09 juin 2010, 06:30

Miam a écrit :C'est que les références culturelles et philosophiques ne sont pas les mêmes pour Baruch et pour Thomas. Le début de l'Ethique est une réponse hénologique (donc platonicienne) à l'aporie de la Métaphysique Z d'Aristote. L'ontologie y demeure brève, quoique essentielle à l'unicité de Dieu. En revanche Thomas participe à l'ontologisation de la philosophie. Chez lui l'être apparaît à tous les niveaux. Leurs filiations diffèrent beaucoup.
Pour le reste je suis d'accord avec Pourquoi pas.


Mais pourquoi accepter les axiomes de Spinoza de préférence à ceux de Thomas?

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Messagepar Ronald » 09 juin 2010, 15:20

c'est quoi l'ontologisation de la philosophie? Elle est toujours ontologisée ou elle a été guérie?

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Messagepar Alexandre_VI » 15 juin 2010, 06:30

Autre question, les attributs de Dieu sont-ils en nombre pair ou impair?

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Messagepar Alexandre_VI » 20 juil. 2010, 06:52

Autre chose, je ne comprends pas bien quel genre d'existence post-mortem Spinoza entend nous proposer dans la cinquiète partie de l'Éthique.

Est-ce une existence où nous serons conscients? Aurons-nous notre individualité ou serons-nous fusionnés dans une sorte de grand Tout? Spinoza a-t-il pris des précautions littéraires pour masquer sa croyance en l'annihilation de l'individu à la mort?


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