A ma connaissance, le « parallélisme » (terme n’étant pas de Spinoza) des attributs est une pure originalité de Spinoza vis-à-vis de toute antériorité (exact ?), qui vient cependant en conséquence d’une distinction absolutisée antérieure de la Pensée et de la Matière (Descartes en particulier), et par ailleurs de la nécessité première, indiscutablement vraie (et de ce point de vue c’est clairement un progrès conceptuel fondamental), de l’unicité de la Nature, soit de tout ce qui est (affirmation positive de l’être per se, et par conséquent « négation du néant »), Matière comprise (ce qui est beaucoup moins naturel à l’époque qu’aujourd’hui, où l’on va même souvent au-delà du raisonnable dans ce sens.)
Pour Spinoza, donc, la substance apparaît à l’entendement sous différentes « aspects fondamentaux de l’Être », ou dimensions de l’Être, dont chacun recouvre, « en son genre, » toute la Nature : les attributs. Les attributs ont les propriétés d’une substance, mais l’unicité de la substance Dieu-Nature placée avant, qui recouvre tout être a priori, en fait - on en peut plus logiquement et nécessairement dans ces conditions - ses propriétés essentielles ; justifiant ainsi le terme « attribut » (E1D4, E1P9, E1P10, ...)
Les attributs sont à la fois parfaitement distincts en tant que dimensions de l’Être (E2P6), et se correspondant parfaitement « en miroir » du point de vue de leurs modes d’expression (E2P7, E2P8, E3P2, ...) - mais la correspondance n’est pas pour autant évidente : par exemple l’idée d’un choc ne heurte pas une autre idée, l’idée d’un mouvement ne se déplace pas, etc. Chaque attribut exprime la nature du Tout, sans pour autant, du fait de la distinction entre attributs même, être le Tout... (paradoxe ?)
Note : il semble que certains commentateurs ont essayé de gommer, ou d’aménager, cette option de Spinoza, pour la rendre plus « acceptable » à un esprit moderne (ce qui ne veut pas dire plus pertinent), pour éventuellement même laisser entendre que Spinoza nie la Pensée - et donc l’idée que Dieu a par nature de lui-même, puisqu’il s’agit de l’un de ses attributs - à la substance même, etc. Exemple de ce que le chemin de l’Enfer est pavé de bonnes intentions, cette réécriture est démentie on ne peut plus clairement par le texte de Spinoza et, outre de trahir l’auteur, elle induit artificiellement une suspicion d’incohérence globale, quelle que soit la critique qu’on puisse en faire à bon droit par ailleurs.
Je précise tout de suite et à nouveau ici que je pense que cette option de Spinoza est erronée :
1) L’homme est en Dieu, est du Dieu, mais n’est pas Dieu (in extenso), de toute évidence, et ne peut évidemment sortir de ses limites, de même que l’homme ne concède pas au bonobo la puissance de penser de l’homme, chose évidemment imperceptible pour le bonobo lui-même. L’homme doit donc quelque part nécessairement aboutir à ses limites, se traduisant par le Mystère, le grand « je ne sais pas. »
2) C’est incontestable : selon l’intuition la plus immédiate de l’homme, il y a bien deux dimensions de l’être parfaitement distinctes : la Pensée et la Matière-Volume ou Étendue. Toutefois, cette distinction est une marque des limites de l’homme (mais j’ajoute aussitôt, sans développer, que ces limites sont aussi indissolublement associées à la conscience : pas de limites, pas de conscience.) Seuls les étants pensant pensent (et à ce titre la pensée est bien en Dieu, puisque tout est en Dieu, mais Dieu ne pense pas, de même que la faim est en Dieu mais que Dieu n’a pas faim.) Il n’y a qu’un seul attribut, et donc finalement pas d’attribut, puisque la notion même d’attribut n’a plus alors de pertinence : « substance » suffit. Appelons-la par exemple, pour changer de « Dieu », « PenMat. » Cette substance n’est toutefois pas accessible à l’homme per se, mais bien seulement en tant que Pensée et Matière, de par ses limites (qui, encore une fois, font aussi sa richesse), le lien relevant du Mystère.
Note : cela inclut donc tout autant la négation qu’on puisse « expliquer la pensée par la matière » : ce que nous appelons « matière » n’est qu’une pensée sur la « véritable matière », soit PenMat vue suivant un certain angle, la vision elle-même en étant un autre (et nous retrouvons là une description très proche de celle de Spinoza.) La Physique n’est pas la matière, de toute évidence, et par exemple quand bien même on donnerait exactement le champ physique de l’amour que cela ne dirait ni ce qu’est le champ physique en lui-même, ni ce qu’est l’amour.
3) Quel que soit l’ordre de son exposé, Spinoza ne pose les attributs que parce que préalablement il a considéré la distinction intuitive immédiate de la pensée et de la matière chez l’homme. Lorsqu’il définit l’attribut par ce que l’entendement conçoit, il s’agit forcément à la base de celui de l’homme. Mais est-ce pour autant celui de Dieu ? Compte tenu qu’il s’agit d’une définition, il est implicite qu’il s’agit d’entendement vrai, ce qui est compatible avec un entendement divin (et donc auto-cohérent)... si toutefois Dieu en a bien un (ce que je pense faux...)
Mais on voit déjà aussi par ce qui précède que si un esprit de la puissance de celui de Spinoza s’est lancé dans cette voie, c’est pour de très bonnes raisons : l’entendement humain distingue bien irréductiblement intuitivement pensée et matière, et l’unicité de l’Être est aussi une évidence première (et tout ce qui y contredit doit être d’emblée disqualifié.) Si l’on admet naturellement - à l’encontre de quoi plus rien ne vaut - que ce qui est clair et distinct est vrai, la position de Spinoza coule pour ainsi dire de source. Et on peut ajouter que l’homme ne pouvant sortir de ses limites, et la clarté et la distinction étant par ailleurs le seul critère valable de vérité, on ne saurait finalement faire de grandes erreurs avec cette option, voire pas d’erreur du tout, étant donné l’entendement humain.
Ajoutons qu’en plus le parallélisme est compatible avec une traduction physique de l’idée : en effet, que l’idée soit « identifiée » à un signal électrique, ou qu’elle soit considérée comme l’idée parallèle de ce signal électrique (le Mental étant l’idée du Corps, où que cela se trouve dans le Corps) ne fait aucune différence... Par ailleurs, Spinoza n’introduit artificiellement aucune vérité par le parallélisme : le Mental n’a l’idée du Corps qu’au travers des sensations, et prises en elles-mêmes celles-ci sont inadéquates à tout point de vue (E2P19 et suivantes...) Seules la clarté et la distinction sont - et SEULES peuvent être - critères de vérité, laquelle ne se trouve que dans les notions communes / axiomes et ce qui en découle logiquement (ce qui a son tour valide les deux attributs Pensée et Étendue...) Tout au plus donne-t-il plus de « poids » apparent à la vérité en en faisant la nature même de Dieu (mais la clarté et la distinction, l’évidence pure et éclatante, n’en restent pas moins le seul critère - forcément intuitif - dans tous les cas.)
Cela dit, le parallélisme ne cesse selon moi d’être chroniquement la cause de lourdeurs, de contorsions, et de ce que j’appelle « une odeur de ad hoc » , c’est-à-dire que l’ordre apparent a en fait été structuré en vue de « conclusions » pré-établies. Autrement dit, en matière de parallélisme, le « clair et distinct » ne transpire pas beaucoup de mon point de vue ... Outre cela, de grosses objections de principe se profilent d’emblée selon moi, mais je n’ai pas structuré de démonstration en due forme pour l’instant. C’est ce dont je propose de discuter maintenant, donc...
Des antériorités :
Existence de l'infini
Failles spinozistes
Henrique a écrit :Sur le plan ontologique, la difficulté principale à mon sens est la notion d'attribut qui bien qu'elle implique une seule et même réalité considérée sous des angles différents (étendue et pensée) n'empêche pas certains privilèges pour la pensée par rapport à l'étendue (notamment la possibilité pour la pensée de se réfléchir - l'idée de l'idée - et pas pour l'étendue). Et pourquoi ne peut-on connaître que deux attributs sur une infinité ? On peut ainsi se demander s'il ne serait pas plus clair de faire l'économie de cette notion d'attribut, mais elle permet quand même de résoudre certains problèmes.
Connaissance de l'attribut Pensée
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