hokousai a écrit :J 'avoue ne pas être du tout famillié de S Jourdain . J' ai lu Krishnamurti , il y a probablement une communauté de pensée entre les deux.
Ce sont deux éveillés selon toute vraisemblance, ce qui fait déjà la plus grande communauté qui puisse être, et au-delà même elle est telle que Jourdain a dit quelque part que s'il l'avait désiré il aurait pu n'avoir qu'à se glisser dans les chaussons de Krishnamurti (peut-être lui a-t-on proposé de prendre sa suite à Saanen et ailleurs), mais qu'il ne l'a pas désiré.
J'ai en bibliothèque, lu et entendu/vu l'intégralité de Jourdain (mais de mémoire j'ai zappé des passages entiers des ouvrages de "poésie en prose d'éveillé de longue date" - ce que j'ai appelé "aérien" - comme n'étant pas en état de l'apprécier à sa valeur.) Toutefois, je ne l'ai pas assez relu pour me passer de reprendre les textes exacts en vue de précisément le commenter.
Jourdain a passé des décennies à essayer d'exprimer (l'inexprimable) l'éveil de la façon la plus juste possible (tout en bazardant tout dès que l'intellectualisme apparaît s'emparer du doigt - mot, qui n'est qu'un pointeur - au lieu d'en suivre la direction vers la Lune, ou pour empêcher qu'il ne le fasse.) Il a choisi malgré cela plutôt l'expression de type philosophique occidentale, ayant construit sur ce point un scalpel d'une précision et d'un tranchant impressionnants. Il peut aussi effectivement développer des concepts parfaitement contre-intuitifs (et non destinés à perdurer lorsqu'ils ont fait leur office de mon point de vue), tel l'anti-universel "A = non-A." C'est nettement plus "hard" (bon il y a aussi pas mal de passages assez libres, avec langage fleuri, lors des entretiens) intellectuellement dans l'expression que celle de Krishnamurti, dont le message principal pourrait se résumer à cette formule de Swâmi Prajnanpad : "vous pensez que vous voyez, vous ne voyez pas que vous pensez."
Un "sacré asticot" ce Jourdain, ou plutôt un "asticot sacré..."

hokousai a écrit :S Jourdain a écrit :« Il est bien une chose telle qu'une ultime identité de l'individu humain... Mais cette identité tient tout entière dans l'acte par lequel l'individu humain se reconnaît comme irréductible à toute sienne identité, serait-elle ultime.»
Je comprends et ne comprends pas .. surtout le "serait-elle ultime".
Parce que si elle-est ultime alors elle y est réduite ( ou identifiée ).
Il faudrait que je reprenne tout le passage pour faire un commentaire que j'estime suffisamment fondé, ce que je ne veux pas faire ici. Sans le faire et donc sous toute réserve, je dirais que le mot le plus important là est "sienne." L'individu humain trouve l'identité (et pas "son identité") ultime de "son être" (!) quand il a compris qu'il n'y a pas d'identité qui soit sienne, fut-elle ultime - en théorie - (il suffit d'essayer de le dire justement pour sentir combien tous les mots sont piégeux en la matière...) Autrement dit, le véritable Je - et Jourdain dit même "personne" - se manifeste quand il y a compréhension qu'absolument rien n'est personnel. On sent que le A = !A n'est pas loin...
Jourdain dit ailleurs - si je ne le trahis pas - qu'il y a à la base le "Je" créateur, impersonnel, éternel, vide plein de potentiel, rien porteur de tout (autrement dit "Dieu"), puis au deuxième niveau "la personne" créée (le sujet), émanée de la première et qui, elle, ne crée rien du tout, et que la grande catastrophe est que par un mystérieux mécanisme la seconde usurpe la place de la première et se prend pour le créateur...
C'est Spinoza qui n'est pas loin, là...
hokousai a écrit :Pour tout dire je doute que Dieu soit conscient tel que l'homme est conscient. Il y a une affirmation chez l' homme laquelle nécessité un effort. Même si l'effort n'est pas une volition consciente. Prendre conscience se fait au sein de l'inconscience et en sort. C est un acte.
Je pense pour ma part que Dieu ne pense pas, sauf en tant que les modes pensants pensent (et ce n'est qu'en distordant outrageusement le texte de Spinoza qu'on peut le dire à partir de Spinoza lui-même.) La scission absolue entre pensée et matière est indéfendable (et donc avec cela la notion d'attribut, le parallélisme, etc.), et source des plus grandes et interminables erreurs. Ce n'est d'ailleurs même pas pensée-de-la-matière comme je l'ai dit, mais pensée-de-matière, car "matière" est déjà une vue d'un sujet (donc pensant ; il s'agit donc d'une pensée) modal particulier.
Maintenant je pense que malgré les complications et difficultés inévitables que cela pose, on pourrait s'apercevoir que l'erreur étant faite à la base, la position de Spinoza est celle qui se rapproche le plus de la vérité.
Par ailleurs, si j'admets (c'est un non-sens en fait) par réductionnisme scientiste que la pensée est de l'électricité (qui est elle-même en fait une pensée-de-matière), je peux l'inverser en disant que l'électricité est de la pensée ; et comme il y en a partout, aussi fruste soit-elle (électrodynamique quantique)... Et encore une fois, comme on ne peut pas relier "penser" et "physique" autrement que de façon rapportée, dire que la pensée est parallèle à un phénomène physique dans le cerveau et dire que c'est la même chose ne fait aucune différence...
hokousai a écrit :Si Dieu affirme éternellement il ne fait pas d' "effort".Dieu n' a pas de conatus ( de mon point de vue )
J'en profite pour refaire un tour sur le sujet...
Déjà je dirais que rien n'"a" de conatus. "Le" conatus, c'est la tendance à persévérer dans l'être (c'est un concept), soit à la base le principe d'inertie qui fait qu'un système isolé ne change pas (en rappelant ce que disait Galilée en substance (relativité) : un objet en mouvement rectiligne uniforme (isolé donc) est exactement comme s'il ne bougeait pas : pour lui rien ne se passe...)
Spinoza cherche à "faire" dériver le désir de l'essence actuelle même, sans avoir à ajouter de "faculté désirante."
Lorsque le système n'est plus isolé (ce qui est inévitable comme le dit Spinoza lui-même) il est donc en interaction avec les systèmes voisins. A noter en passant que lorsque "le système" n'est plus isolé il s'agit d'une simple vue de l'esprit : le véritable système est constitué de l'ensemble desdits systèmes en interaction. Spinoza dit : le principe d'inertie précédent se traduit par une résistance à la déformation (le système tend "par lui-même" à conserver sa forme - indéfiniment ne voulant pas dire éternellement, juste que la tendance prise seule n'a aucune raison de s'annuler elle-même, ce qui est impossible.) Autrement dit, quoique tout soit en Dieu-Nature, globalement, comme celui-ci est et ne peut ne pas être, l'essence actuelle (en acte, manifestée) qu'est une chose singulière (finie en acte ; vue de l'esprit, donc, dans un cadre d'interdépendance) s'affirme dans l'être-là, et par-là même ne peut affirmer son contraire, ou s'annuler, savoir autoriser par elle-même (mais ce "par elle-même" est aussi une vue de l'esprit) la moindre modification de celle-ci.
Autrement dit, quelque part, fondamentalement, "conatus" et "essence actuelle" (affirmation pure dans l'être-là et pas autre chose) c'est la même chose... C'est d'ailleurs ce que dit E3P7... Dans un cadre d'interdépendance, cela peut être dérivé en Loi de l'action et de la réaction.
En vertu du parallélisme, "la chose" étant affectée dans "son" essence (où "à la marge de "son" essence" ?) par la pression extérieure, Spinoza dit qu'elle - un individu humain comme une pierre, aussi fruste cela soit-il - a conscience de son effort pour résister (dans mon esprit ceci n'est valable qu'en cas d'interaction, pas de mouvement linéaire uniforme en espace libre, le cas échéant, donc ; on peut même se poser la question pour un système statique... tout cela est d'un maniement très difficile, en fait...)
Ensuite, Spinoza fait dériver (E3P12-13) la "pulsion de puissance" et le "désir" de ce principe d'inertie : l'âme fait effort pour imaginer (inadéquat) ce qui favorise la puissance du corps, et l'exclusion de ce qui la diminue ; ceci suivant une opération / démonstration qui me semble critiquable (j'en parlerai à l'occasion mais là j'arrête).
Bref...
Dieu n'est contraint par rien puisqu'il est tout. Il ne résiste à rien. Il est, c'est tout. Le conatus pour lui c'est lui-même (c'est la même chose que le mouvement linéaire uniforme pour la chose particulière) sans aucune affection possible. Il ne désire rien. Etc., etc.
hokousai a écrit :Ce qui le gêne dans cette idée de conscience pure, c' est qu' à partir de la conscience humaine on infère une supposée compréhension de la conscience de Dieu.
Ce que j'en ai dit pourrait se résumer (c'est encore un ballon d'essai) dans ce cadre à : la conscience pure est l'idée de Dieu même, et donc Dieu même, qui est impersonnel (on sent revenir Jourdain...) ... si ce n'est que le couple sujet-objet m'indique que Dieu est plus grand que la manifestation modale qui "me" "colle" par ailleurs...
Et aussi que "ma conscience pure" extrapolée à "la conscience de Dieu" c'est délirant dans l'expression même, de même que la scission pensée-matière...
