Comment devient-on spinoziste ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Vanleers
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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 02 mars 2016, 11:01

« Nous sentons et expérimentons que nous somme éternels. » (E V 23 sc.)

Quelles conséquences pratiques en tirer ?
Nous avons vu dans les posts précédents, notamment en analysant E II 8, que par éternité d’une chose singulière, il faut entendre l’existence de cette chose, appréhendée comme participation à l’essence de Dieu.
A ce titre, toutes les choses singulières sont éternelles, les pierres comme les hommes. Davantage : les choses ne cessent pas d’être éternelles et nous existons de cette existence éternelle qu’est l’éternité, avant la naissance, pendant la vie et après la mort.
On ne devient donc pas spinoziste pour rechercher dans l’éternité une compensation à notre immortalité perdue.
D’ailleurs, le spinoziste, comme « L’homme libre ne pense à aucune chose moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie. » (E IV 67).
Le mot est dit : l’Ethique nous propose davantage une sagesse qu’une philosophie. C’est ce qu’écrit Pierre Macherey en :

http://philosophique.revues.org/249

« Allons plus loin encore : avec une telle démarche, on n’aurait même plus affaire à de la « philosophie », au sens que ce mot a pris à l’époque moderne, c’est-à-dire quelque chose qui serait seulement de l’ordre de ce qu’on vient d’appeler un discours ou une pensée sur les choses ou à leur propos, ce « sur » supposant une prise de distance et un retrait par rapport à ce dont il y a à s’occuper comme de l’extérieur ; mais on aurait plutôt affaire à ce que Spinoza, qui, comme Pascal à la même, époque, use toujours du terme « philosophe » de manière péjorative pour désigner, souvent sans les nommer plus précisément, tous ceux auxquels il s’oppose, appelle à la fin de son livre une « sagesse », dans un sens très voisin des sagesses antiques ; entendons par là la mise en œuvre effective d’une certaine manière de vivre, d’exister et d’agir, qui est la fin assignée à l’exercice de la pensée, le prix de la peine extrême qu’on se donne pour parvenir à la pleine disposition d’une pensée libre, délivrée du poids des aliénations extérieures et ainsi rendue à elle-même et à la puissance qui l’habite au plus profond de son être. »

Le rapprochement avec Pascal est intéressant mais il a ses limites et P. Macherey écrit :

« Si ce rapprochement de Spinoza avec Pascal est éclairant, c’est parce qu’il permet aussi de voir ce qui sépare absolument ces deux penseurs. Pascal est, dans un sens très moderne, un philosophe de la finitude, qui disqualifie la nature humaine en présentant celle-ci comme une nature inaccomplie, en installant la négation au cœur de son essence et en faisant de l’homme, littéralement, un être pour la mort. Alors que pour Spinoza, « la sagesse est une méditation de la vie, non de la mort » : notons au passage cette référence à la sagesse qui se substitue ici à la philosophie. Dans le fait que l’homme est une partie de la nature, ce qui est l’expression de sa limitation, il n’y a rien du tout à penser, au sens d’une pensée positive, qui affirme joyeusement les valeurs de la vie, en entreprenant de déterminer comment l’homme tel qu’il est peut améliorer sa position dans le monde tel qu’il est, ce qu’il peut faire parce qu’il est un « animal social », dont toutes les conduites sont, consciemment ou non, animées par le principe selon lequel « rien n’est plus utile à l’homme que l’homme » : en s’associant à d’autres hommes, qui sont des choses semblables à lui, il se donne du même coup les moyens de créer avec l’aide de la raison un monde humain ou humanisé plus conforme à ses intérêts d’homme, un monde « utile » où il puisse réaliser au maximum la puissance d’être et d’agir qui est en lui. C’est ainsi que, ayant ruiné les présupposés d’un humanisme théorique, Spinoza jette les bases de ce qu’on peut appeler un humanisme pratique, dont les formes et les conditions sont à chercher du côté de l’éthique et de la politique. Pour le dire autrement, il ne part pas de l’homme, comme s’il s’agissait d’une réalité toute faite, mais il y arrive, comme à une chose qui reste à faire, avec ses possibles en attente des conditions de leur réalisation. »

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 02 mars 2016, 21:17

Vanleers a écrit :Argument stupide à tout point de vue, la démonstration d’E II 8 se contente de renvoyer à E II 7 :


Stupide rien que ça ... non mais des fois.

Vous soutenez que la proposition 8 n'apporte rien de nouveau .
Que le scolie de la proposition 8 est contenue dans le scolie de la 7.
Et que tout compte fait que Spinoza aurait bien mieux fait de s'abstenir de parler des idées des choses singulières ...qui doivent être comprises dans l' idée infinie de Dieu ...
qu'il est inutile d'en parler puisque Spinoza avait déjà parlé des essences formelles des choses contenues dans les attributs de Dieu.
c'est à dire que vous ne distinguez pas les idées des choses singulières des essences formelles des choses singulières . Tout ça pour vous c'est du pareil au même.
et c'est moi qui suis stupide.


Quelles conséquences pratiques en tirer ?
C'est votre leitmotiv. Il n'y a aucune conséquence pratique à tirer, pas démonstrativement en tout cas.
Il y a ce qui se voit.
Vous êtes peu ou prou transformé et cela doit se voir.
Ou bien vous n' êtes pas transformé et cela se voit.

Je ne me pose pas en meilleur que vous ...
mais je ne donne pas de leçons sur ce qui doit être tiré.
Toute cette prédication me tombe des yeux .

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 03 mars 2016, 17:17

Ce que propose Spinoza, c’est une sagesse qui est une méditation de la vie, une joie d’être.
Les développements que Spinoza consacre à l’éternité dans la partie V de l’Ethique mettent en évidence que « le monde est en joie » comme l’écrit Pierre Macherey qui commente « La nature de Dieu se réjouit d’une perfection infinie » (E V 35 dém.)
Le spinoziste est ainsi amené à approuver la vie de façon inconditionnelle, aussi va-t-il se heurter à ce que Clément Rosset appelle « le syllogisme du bourreau » :
Vous approuvez ce qui existe,
Or le bourreau existe,
Donc vous approuvez le bourreau. (Le démon de la tautologie – Minuit 1997)

Par bourreau, C. Rosset entend « toute personne manifestant de la cruauté voire la pire des cruautés imaginables, envers une ou plusieurs autres personnes ». Il poursuit :

« Ce syllogisme énonce que toute forme d’approbation inconditionnelle de l’existence implique une injure à l’égard de tous ceux qui ont subi de la part des hommes et de l’histoire ce que Racine appelait d’« irréparables outrages ». Seule serait admissible une approbation aussi générale qu’on voudra, pourvu que celle-ci fasse exception notable et explicite de tout ce qui, dans l’histoire des hommes, ne saurait d’aucune façon être approuvé. L’ennui est qu’une approbation cesse d’être inconditionnelle dès lors qu’elle comporte des exceptions. Et le problème est de déterminer si une approbation inconditionnelle implique, comme elle semble le faire, une approbation des faits les plus répréhensibles. Il n’en est évidemment rien à mes yeux, mais quelques arguments sont ici nécessaires. »

Il écrit :

« Je remarquerai enfin que ce qui est le plus profondément reproché par les moralistes aux philosophies de l’approbation est moins leur résignation au mal que leur réticence à s’en indigner, et nous touchons là, je crois, au cœur du problème. L’indignation est en effet la principale composante des diverses propensions psychologiques à la morale, son moteur premier et son carburant inépuisable : sans elle, la morale perdrait à la fois sa raison d’être et sa raison de persister dans son être. Or cette indignation qu’Aristote dans l’Ethique à Nicomaque et Descartes dans Les passions de l’âme définissent comme une forme d’envie ou de jalousie non vicieuse (mais avaient-ils en vue ce que nous appelons aujourd’hui, après Rousseau et Kant, indignation ? C’est fort douteux) m’apparaît comme une passion essentiellement et doublement vicieuse (au sens non moral mais intellectuel). »

Indiquons au passage que, selon Spinoza, l’indignation est une passion triste :

« L’indignation (indignatio) est la Haine envers quelqu’un qui a fait du mal à autrui. » (Déf. des affects 20)

Le premier vice de l’indignation, selon C. Rosset, vient de ce qu’en disqualifiant pour raisons d’ordre moral l’auteur ou les auteurs de faits répréhensibles, elle « permet ainsi d’éviter tout effort d’intelligence de l’objet disqualifié, en sorte qu’un jugement moral traduit toujours un refus d’analyser et je dirais même un refus de penser – ce qui fait du moralisme en général moins l’effet d’un sentiment exalté du bien et du mal que celui d’une simple paresse intellectuelle ».

« Le second vice de l’indignation morale est de ne pas prendre garde au fait que ce contre quoi elle s’insurge est lui-même d’ordre moral et même moralissime : c’est là son insoutenable paradoxe. »

C. Rosset développe l’exemple suivant :

« Dénoncer l’ordre moral imposé par l’Allemagne national-socialiste lors de son pénible règne n’était et n’est toujours une réaction salutaire que si, et seulement si, cette dénonciation ne se double pas d’une dénonciation elle-même morale, qui a pour effet d’annuler la donne et de faire s’entretuer deux partisans de la même cause et du même « bien » (même si les deux camps ne se font pas la même représentation concrète de ce qu’ils considèrent comme bien). La morale démocratique (je ne dis pas la démocratie) n’a rien à redire à la morale des nazis, comme l’exprime très justement Alain Badiou dans un passage de son Ethique : « Les tenants de l’idéologie éthique tiennent tellement à localiser la singularité de l’extermination directement dans le Mal que, le plus souvent, ils nient catégoriquement que le nazisme ait été une politique. Mais c’est une position à la fois faible et sans courage (…). Les partisans de la “ démocratie des droits de l’homme ” aiment bien, avec Hannah Arendt, définir la politique comme la scène de “ l’être-ensemble ”. C’est du reste au regard de cette définition qu’ils font l’impasse sur l’essence politique du nazisme. Mais cette définition n’est qu’un conte bleu. D’autant plus que l’être-ensemble doit d’abord déterminer l’ensemble dont il s’agit, et que c’est toute la question. Nul plus que Hitler ne désirait l’être-ensemble des Allemands » (Alain Badiou, L’Ethique, essai sur la conscience du mal – Hatier 1993 p. 58) »

C. Rosset donne un autre exemple de l’aveuglement de l’indignation morale :

« De même encore le combat que mènent actuellement en France les représentants des forces démocratiques, partis de gauche et de droite confondus, contre le Front National de Jean-Marie Le Pen [1] est-il faussé d’entrée de jeu par le fait qu’il joue morale contre immoralisme supposé, croyant ou voulant croire qu’il lutte contre le diable en personne alors qu’il a en face de lui une incarnation, populiste et nauséabonde sans doute, de la morale et de ses valeurs sempiternelles : travail, famille, patrie. Si j’insiste sur notre défunt maréchal et sur sa devise, c’est pour exprimer cette vérité désolante que la morale ne conteste généralement que les partisans d’un surplus de morale, et que les crimes dont s’indignent les moralistes ont presque toujours été l’œuvre de personnes plus moralistes encore. »

[1] Ce qu’écrivait C. Rosset en 1997 sur Le Pen s’applique mutatis mutandis à sa fille, vingt ans plus tard.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar aldo » 05 mars 2016, 08:05

De même encore le combat que mènent actuellement en France les représentants des forces démocratiques, partis de gauche et de droite confondus, contre le Front National de Jean-Marie Le Pen [1] est-il faussé d’entrée de jeu par le fait qu’il joue morale contre immoralisme supposé, croyant ou voulant croire qu’il lutte contre le diable en personne alors qu’il a en face de lui une incarnation, populiste et nauséabonde sans doute, de la morale et de ses valeurs sempiternelles : travail, famille, patrie. Si j’insiste sur notre défunt maréchal et sur sa devise, c’est pour exprimer cette vérité désolante que la morale ne conteste généralement que les partisans d’un surplus de morale, et que les crimes dont s’indignent les moralistes ont presque toujours été l’œuvre de personnes plus moralistes encore.

Bof, c'est pas à propos de "travail famille patrie" que les gens s'indignent du FN. En plus, c'est une situation injuste qui indigne voire met en colère (soit donc avant de désigner un coupable : une haine éventuelle viendrait après). Non ?

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 05 mars 2016, 20:57

Etre spinoziste, c’est, aussi, être conscient du lien entre éthique et politique, comme le rappelle Frédéric Lordon (Impérium – La Fabrique 2015) :

« Spinoza ne rédige pas pour rien un Traité politique après son Ethique. Ces deux domaines de la philosophie, que l’idée reçue tient pour disjoints, sont dans son esprit intimement liés. Car le cheminement individuel vers la Béatitude dépend crucialement de ses environnements collectifs. Pourquoi est-il impératif de se poser la question des institutions politiques au sortir immédiat d’une philosophie de la sagesse éthique ? Précisément parce que la sagesse ne choit pas sur les individus comme une grâce, mais qu’ils doivent la gagner péniblement – en fait jamais la gagner tout à fait, mais y tendre – au milieu des passions ordinaires, individuelles et collectives. Cette voie dont Spinoza, au moment de clore son Ethique, dit qu’il est « aussi difficile que rare » d’en atteindre le terme, tout menace tout le temps de nous en dérouter. « Tout », c’est-à-dire les innombrables divertissements du désir qui nous viennent du dehors de la société : elle nous occupe à savoir comment nous allons survivre, elle capte donc d’abord notre désir en désir basal de reproduction matérielle – et c’est bien le moins : avant de songer à développer sa raison, il faut bien s’assurer … de vivre –, ou bien elle sature nos esprits en idées de joies subalternes, nous fixe dans des « affects tenaces » (E IV 6) où s’absorbe toute notre puissance d’agir, poursuite de l’argent, des vaines gloires, etc. Ce qui reste pour développer nos âmes, c’est bien la nature particulière des institutions où nous vivons qui le dira. Il n’y a pas d’éthique sans politique, car il n’y a pas de cheminement éthique qui pourrait s’abstraire des conditions environnementales de son effectuation, qui serait hors sol, donc hors politique. L’environnement des trajectoires éthiques, c’est de la politique. C’est pourquoi il n’y a pas d’éthique qui ne se complète d’une politique, puisqu’elle trouvera dans les institutions politiques les conditions qui favorisent, ou au contraire entravent, son développement. » (pp. 304-305)

PS

A aldo

Il y a mieux à faire que s’indigner à propos du Front national car :

« A toutes les actions auxquelles nous détermine un affect qui est une passion, nous pouvons être déterminés sans lui par la raison. ». (E IV 59)

Au lieu d’être déterminés par l’indignation, qui est une passion triste, nous pouvons l’être par la fortitude, plus précisément par l’une des deux composantes de cet affect actif, la générosité :

« Par générosité, j’entends le désir par lequel chacun, sous la seule dictée de la raison, s’efforce d’aider les autres hommes et de ses lier d’amitié » (E III 59 sc.)

Se placer sous le commandement de la raison, ce sera, ici, évaluer aussi clairement et distinctement que possible ce que deviendraient nos institutions politiques si le Front national était porté au pouvoir. S’il apparaît que les institutions risquent d’évoluer dans le sens d’une entrave au développement éthique (cf. F. Lordon ci-dessus) ou, du moins d’une plus grande entrave que si un autre parti exerce le pouvoir politique, alors il est nécessaire de s’opposer, par tous les moyens appropriés, à ce que le Front national accède au pouvoir.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar aldo » 05 mars 2016, 22:02

Vanleers a écrit :Se placer sous le commandement de la raison, ce sera, ici, évaluer aussi clairement et distinctement que possible ce que deviendraient nos institutions politiques si le Front national était porté au pouvoir. S’il apparaît que les institutions risquent d’évoluer dans le sens d’une entrave au développement éthique (cf. F. Lordon ci-dessus) ou, du moins d’une plus grande entrave que si un autre parti exerce le pouvoir politique, alors il est nécessaire de s’opposer, par tous les moyens appropriés, à ce que le Front national accède au pouvoir.

Sans doute mais c'est autre chose qui me soucie, c'est l'influence du FN sur les discours politiques (avec le constat qu'on ne peut plus échapper au populisme), et les conséquences que ça a sur la façon de penser des gens (sans même parler de la matière à penser fournie et hélas longuement débattue).
Mais c'était une parenthèse, je vous laisse poursuivre...

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 06 mars 2016, 20:45

On devient spinoziste lorsqu’on reconnaît que le salut passe par la connaissance adéquate des choses et que la plus grande des joies est la joie de comprendre.
Spinoza précise et démontre cela en E IV 28 :

« Le souverain bien de l’Esprit est la connaissance de Dieu et la souveraine vertu de l’Esprit est de connaître Dieu »

Pierre Macherey commente (Introduction… IV) :

« Cette thèse joue un rôle essentiel dans la présentation du contenu de l’Ethique, puisqu’elle explique en quoi consiste le suprême bien de l’âme, à savoir la connaissance de Dieu, la suprême vertu de l’âme, ou encore sa vertu absolue, étant ainsi de connaître Dieu. Ainsi le fait de « comprendre » (intelligere), qui, considéré en général, a été présenté dans les propositions précédentes comme la forme d’activité de l’âme par laquelle elle satisfait pleinement la puissance d’être et d’agir qui est en elle, se voit finalement doté d’un contenu qui permet de fixer de manière définitive les enjeux d’une telle activité. Ce contenu est le plus large qui puisse se concevoir, puisqu’il ne se ramène pas à un type d’objet déterminé mais s’étend à la réalité tout entière appréhendée dans son principe ou dans sa cause, selon la conception de la nature divine qui a été développée dans la première partie de l’Ethique. On comprend alors qu’en ramenant son projet éthique sur le terrain de la connaissance et des activités rationnelles de l’âme, et ceci exclusivement, suivant la règle du nihil aliud, bien loin d’en restreindre ainsi le champ de manière étroite, Spinoza lui a par là même conféré une envergure illimitée : l’âme, du moment qu’elle reconnaît qu’elle n’a rien de mieux à faire que de connaître et de comprendre, s’ouvre un champ d’activité immense, qui, au lieu d’être borné à la poursuite obsessionnelle de tel ou tel type de chose décrété comme bon à la seule initiative de l’imagination, et suivant les hasards imposés par l’ordre commun de la nature, accueille au contraire librement, pour autant qu’elles soient prises en compte et reconnues par la raison, toutes les formes de la réalité sans en éliminer aucune a priori. Ceci définit le programme d’une éthique résolument ouverte, incommensurable à celui d’une morale close. » (pp. 160-161)

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 07 mars 2016, 11:17

Le spinoziste fait confiance à Spinoza. C’est une confiance rationnelle qui naît de la fréquentation des œuvres et de leur examen critique.
Spinoza parle beaucoup de Dieu mais il ne joue pas au prophète car son Dieu est la Nature, qu’il présente comme totalement intelligible en droit (rationalisme absolu).
Spinoza ne demande pas qu’on le croie sur parole mais invite chacun à faire confiance à sa propre raison, c’est-à-dire à sa capacité de comprendre clairement et distinctement, d’où un sentiment de sécurité raisonnée.
Spinoza ne définit pas la confiance dans l’Ethique mais Laurent Bove montre comment s’opère l’articulation entre sécurité et confiance dans cet ouvrage.
Il écrit (in Spinoza, philosophe de l’amour – Publications de l’Université de Saint-Etienne 2005) :

« Car il n’y a pas de définition explicite de la confiance chez Spinoza et, à la recherche de cette définition, c’est d’abord vers celle de la « sécurité » que nous sommes conduits. La sécurité, écrit Spinoza, est « une joie née de l’idée d’une chose future ou passée, au sujet de laquelle il n’y a plus de cause de doute » (E III déf. aff. 14).Spinoza explique que l’affect de sécurité naît de l’espoir quand il n’y a plus de raison de douter de l’issue d’une chose. Cela vient, précise-t-il, de ce que l’homme imagine comme étant là la chose passée ou future et la considère comme présente (E III explication de la déf. 15).
On pourrait appeler ce sentiment de sécurité, confiance, mais c’est alors en dilatant, dans une durée indéfinie, ce temps de la présence, dans et par l’effort que chaque être fait pour persévérer en son être. C’est dire, au sens le plus fort, que la sécurité, comme confiance, c’est, dans le présent vivant de la présence de ce qui est désiré, le sentiment que les choses dépendent de nous et non des aléas des causes extérieures, que ce présent lui-même dépend de notre puissance et de notre vertu (d’exister, d’agir, de connaître) plutôt que de la fortune. Cette confiance enveloppe alors la certitude, qui n’est plus seulement absence de doute, et elle trouve son point optimal dans ce que Spinoza appelle, en E V 27, l’acquiescentia mentis, « le contentement de l’âme le plus élevé qu’il puisse y avoir », dans le troisième genre de connaissance. Acquiescentia ou « amour de soi » (philautia, disait E III 55 sc.) puisqu’il s’agit d’une joie accompagnée de l’idée de soi-même ou de sa propre vertu comme cause. Cette acquiescentia exprime à la fois une idée de repos, de calme, de sérénité, d’« absence de troubles intérieurs » et, comme dans l’ataraxie épicurienne, l’idée aussi de plaisir et de contentement dans un consentement à soi, une acquiescentia animi, une adéquation, qui est la liberté spinoziste elle-même comme jouissance de l’autonomie du vrai, dans la jouissance de l’affirmation de la libre nécessité de l’être. » (pp. 146-147)

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 07 mars 2016, 15:54

On devient spinoziste en reconnaissant comme rationnellement satisfaisante et justifiée la vision du monde que propose Spinoza et en adhérant à un « credo minimum ».
L’expression apparaît sous la plume d’Alexandre Matheron, Il désigne les sept articles de foi de la religion universelle que Spinoza expose dans le TTP ch. 14.
La question a été débattue sur le forum en :

viewtopic.php?f=11&t=1306

Je cite Henrique qui, sur ce fil, écrit qu’il ne suffit pas d’adhérer à ces principes, encore faut-il les mettre en pratique et c’est là sans doute la réelle difficulté du spinozisme, davantage que la compréhension théorique du système, très simple dans ses principes généraux, sinon dans ses détails :

« Ceux qui ne pratiquent pas tous ces articles en se disant spinozistes n'ont, d'un point de vue spinoziste, en fait pas bien compris ces principes théoriques minimaux et ce qui en découle. Et par comprendre, il faut entendre non pas seulement saisir les rapports entre les idées mais aussi comme le suggère le français "prendre avec soi", assimiler, faire sien. En ce sens fort, on comprendra qu'il est difficile de bien comprendre qu'il n'y a qu'une seule substance et qu'ainsi nuire à son semblable, c'est se nuire à soi-même. Mais attention, aimer son semblable cela implique aussi chercher à corriger ses erreurs dans son propre intérêt, ce qui malheureusement est souvent pris de l'extérieur comme une forme d'agressivité ou d'humiliation. »

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 10 mars 2016, 16:59

Devenir ou être spinoziste, c’est se mettre dans le courant qui naquit au XVII° siècle en Europe et dont Spinoza fut le chef de file, ce courant que Jonathan I. Israël appelle les Lumières radicales.
A cette époque s’affrontaient l’aristotélisme scolastique, les Lumières modérées et les Lumières radicales.

« [Les tenants des Lumières modérées] aspiraient à vaincre l’ignorance et la superstition, à établir la tolérance et à révolutionner les idées, l’éducation et les comportements par le biais de la philosophie, mais de telle manière que soit préservé et protégé ce qu’ils estimaient être l’essentiel des anciennes structures : ils souhaitaient réaliser une synthèse viable entre l’ancien et le nouveau, la raison et la foi. […]
A l’inverse, les Lumières radicales […] refusaient tout compromis avec le passé et entendaient balayer entièrement les structures existantes. […] Depuis ses origines, dans les années 1650-1660, le radicalisme philosophique du début des Lumières européennes fut toujours caractérisé par la conjonction d’une immense révérence envers la science et la logique mathématique et d’une forme de déisme non providentialiste, voire d’un matérialisme et d’un athéisme purs et simples, accompagnés de tendances clairement républicaines, et même démocratiques. » (Les Lumières radicales pp. 36-37 – Editions Amsterdam 2001)

Le renouveau des études spinozistes depuis quelques décennies a contribué à renouer avec ce courant qui met à l’honneur la connaissance rationnelle des choses, à promouvoir, comme dans les sciences, une pensée claire, précise et concise.
On est loin de Heidegger pour qui la science ne pense pas (« Die Wissenschaft denkt nicht »).


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