Lors d'une émission passée sur France Culture Bernard Pautrat explique tres justement que la vie est faite d'un grand nombre de trivialités et qu'un des objets de la philosophie de Spinoza est de rendre la vie extraordinaire.
Je sais tres bien quand j'affirme ma puissance d'agir et de penser, mais que faire et quoi penser devant cette multitude d'événements triviaux qui se posent devant moi et que pourtant je suis contraint de vivre.
Alors voila ma question (il ne s'agit pas d'une plaisanterie) :
"A quoi pense un spinoziste lorsqu'il fait la queue à la poste?"
Fabrice
Spinoza et la trivialité de la vie
Spinoza et la trivialité de la vie
bene agere et lætari (EIV73 scholium)
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À Spinoza ? À Dieu ?
Salut FabriceZ,
Cette réplique de Pautrat avait aussi retenu mon attention. Je ne suis pas tout à fait convaincu de ce que je considère un peu comme un jugement sur la vie quotidienne. Pourquoi dire que la vie est triviale ?
Voulait-il dire "triviale" dans le sens proche d'"évidente" ou dans le sens éloigné de "banale", de "courante" et dès lors sans intérêt ?
Si c'est dans le sens "évidente", je suis assez d'accord pour dire que la vie quotidienne ne l'est pas du tout puisque Spinoza nous montre comment considérer que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être (souvent le fruit de notre imagination), et que nous pouvons en creuser les causes et en comprendre le fonctionnement. Si nous voulons être actifs, c'est de cette manière qu'il faut procéder.
Si c'est dans le sens "banale", il s'agit vraiment alors plutôt d'un jugement personnel: "autant de têtes, autant d'avis". Elle est courante mais certainement pas sans intérêt.
Il est clair que l'exemple qu'il donne de sa rencontre désagréable avec un garçon de café est hautement non-triviale si l'on essaie d'en comprendre les causes en termes spinozistes mais aussi très courante.
Alors, nous sommes de manière courante dans une file, que ce soit à la poste ou ailleurs. Quelles questions pourraient venir à l'esprit d'un spinoziste ? Des questions pratiques.
- Comment pourrait-on améliorer le fonctionnement de la file d'attente pour la rendre plus efficace (pour tous et pas seulement pour moi) ?
Des questions de communication et/ou de relations sociales
- En quoi est-ce que les vitres parre-balles limitent-elles la communication avec le guichetier au strict minimum, presque machinale ?
- Pourquoi les gens qui font la file communiquent-ils si peu entre eux en attendant leur tour (crainte, éducation, indifférence, morosité, etc.) ?
- Pourquoi arrive-t-il que certaines personnes manifestent bruyamment leur agaçement de devoir attendre et font même parfois mine de dépasser sans vergogne ceux qui les précèdent ?
- Comment toujours garder son calme tout en étant ferme et généreux ?
Questions banales
- Comment faire pour m'en sortir dans la jungle des tarifs postaux ?
- Que vais-je écrire sur cette carte postale que j'envoie à mon arrière-grand-tante qui habite l'Australie ?
Question subsidiaire
- Qu'est-ce qu'un spinoziste (cfr Deleuze et son spinozisme modéré-complet) ? En suis-je un ? Que faire pour que ceux qui sont dans la file avec moi le soient un peu plus ?
Et puis, j'aime beaucoup la façon de procéder de Pautrat. Je ne suis pas étonné qu'il n'ait écrit aucun commentaire d'envergure quand bien même il est sans arrêt dans la réflexion, ne parlons pas de ses traductions. Quelqu'un ici a-t-il assisté à ses séminaires ? Comment est-ce ?
Merci de ton message et au plaisir de lire la suite!
DG

Salut FabriceZ,
Cette réplique de Pautrat avait aussi retenu mon attention. Je ne suis pas tout à fait convaincu de ce que je considère un peu comme un jugement sur la vie quotidienne. Pourquoi dire que la vie est triviale ?
Voulait-il dire "triviale" dans le sens proche d'"évidente" ou dans le sens éloigné de "banale", de "courante" et dès lors sans intérêt ?
Si c'est dans le sens "évidente", je suis assez d'accord pour dire que la vie quotidienne ne l'est pas du tout puisque Spinoza nous montre comment considérer que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être (souvent le fruit de notre imagination), et que nous pouvons en creuser les causes et en comprendre le fonctionnement. Si nous voulons être actifs, c'est de cette manière qu'il faut procéder.
Si c'est dans le sens "banale", il s'agit vraiment alors plutôt d'un jugement personnel: "autant de têtes, autant d'avis". Elle est courante mais certainement pas sans intérêt.
Il est clair que l'exemple qu'il donne de sa rencontre désagréable avec un garçon de café est hautement non-triviale si l'on essaie d'en comprendre les causes en termes spinozistes mais aussi très courante.
Alors, nous sommes de manière courante dans une file, que ce soit à la poste ou ailleurs. Quelles questions pourraient venir à l'esprit d'un spinoziste ? Des questions pratiques.
- Comment pourrait-on améliorer le fonctionnement de la file d'attente pour la rendre plus efficace (pour tous et pas seulement pour moi) ?
Des questions de communication et/ou de relations sociales
- En quoi est-ce que les vitres parre-balles limitent-elles la communication avec le guichetier au strict minimum, presque machinale ?
- Pourquoi les gens qui font la file communiquent-ils si peu entre eux en attendant leur tour (crainte, éducation, indifférence, morosité, etc.) ?
- Pourquoi arrive-t-il que certaines personnes manifestent bruyamment leur agaçement de devoir attendre et font même parfois mine de dépasser sans vergogne ceux qui les précèdent ?
- Comment toujours garder son calme tout en étant ferme et généreux ?
Questions banales
- Comment faire pour m'en sortir dans la jungle des tarifs postaux ?

- Que vais-je écrire sur cette carte postale que j'envoie à mon arrière-grand-tante qui habite l'Australie ?
Question subsidiaire
- Qu'est-ce qu'un spinoziste (cfr Deleuze et son spinozisme modéré-complet) ? En suis-je un ? Que faire pour que ceux qui sont dans la file avec moi le soient un peu plus ?
Et puis, j'aime beaucoup la façon de procéder de Pautrat. Je ne suis pas étonné qu'il n'ait écrit aucun commentaire d'envergure quand bien même il est sans arrêt dans la réflexion, ne parlons pas de ses traductions. Quelqu'un ici a-t-il assisté à ses séminaires ? Comment est-ce ?
Merci de ton message et au plaisir de lire la suite!
DG

"Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes." Rosa Luxemburg
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Chers tous,
"A quoi pense un spinoziste lorsqu'il fait la queue à la poste?"
(J'en reviens !)
Il attend son tour avec patience, ne s'énerve pas, et cherche à comprendre pourquoi l'attente est si longue.
Il y verra que le nombre de "guichetier" est souvent assez court, un salarié coûte chèr.
Il y verra aussi que souvent les services postaux et bancaires partagent les mêmes guichets, et que les vérifications bancaires prennant plus de temps, la file et l'attente s'allongent.
Et pour être plus spinoziste, que tout ce qui est est nécéssairement.
Qu'il est donc vain et futile de râler, et fustiger le "métier" de fonctionnaire.
"A quoi pense un spinoziste lorsqu'il fait la queue à la poste?"
(J'en reviens !)
Il attend son tour avec patience, ne s'énerve pas, et cherche à comprendre pourquoi l'attente est si longue.
Il y verra que le nombre de "guichetier" est souvent assez court, un salarié coûte chèr.
Il y verra aussi que souvent les services postaux et bancaires partagent les mêmes guichets, et que les vérifications bancaires prennant plus de temps, la file et l'attente s'allongent.
Et pour être plus spinoziste, que tout ce qui est est nécéssairement.
Qu'il est donc vain et futile de râler, et fustiger le "métier" de fonctionnaire.
Re: Spinoza et la trivialité de la vie
FabriceZ a écrit :"A quoi pense un spinoziste lorsqu'il fait la queue à la poste?"
Fabrice
La queue au supermarché c'est beaucoup plus amusant je trouve.
On voit mieux la mécanique des passions, les essences qui s'expriment sur le tapis roulant des caisses, Madame et ses repas allégés à côté d'un beau gâteau, Monsieur posant virilement son pack de bière et gêné par les serviettes hygiéniques prises pour Madame, le chien à l'entrée excité par les odeurs de viande, les gamins à l'intérieur excités par la vue des bonbons, untel parviendra-t-il à doubler dans la file, la caissière fera-t-elle céder ce maudit anti-vol qui reste désespérement accroché à un vêtement en vertu de son conatus... tous ces réjouissants petits détails où se découvre la nature des êtres.
Cupiditas est ipsa hominis essentia
...merci pour vos réponses.
A quoi pense un spinoziste lorsqu'il fait la queue à la poste?
Selon DGsu, il faudrait par exemple penser (avec humour) à Spinoza. Je dirais non, pas exactement, car cela reviendrait à ne pas vivre cette situation, a s'échapper dans une autre réalite à la manière de ceux qui vivent dans une bulle, un Walkman sur les oreilles.
Il faudrait aussi "améliorer le fonctionnement de la file d'attente pour la rendre plus efficace". Surtout pas!!! Car cela aurait pour finalité d'améliorer la machine capitaliste, et cela me semble vain et futile.
Nicolas Israel, dans une conférence que l'on peut suivre sur ce site, explique que c'est en se confrontant à la réalite que nous pouvons affirmer notre singularité. Nous devons répondre de tout car chaque occasion est une occasion de se gagner ou de se perdre.
Si faire la queue à la poste se pose pour moi comme une événement dépourvu de sens (attendre une demi heure pour acheter un carnet de timbre) il faut que je m'arrange pour ne pas la faire. Car lors de cette occasion je me perds et je fais, par la meme, l'experience d'une tristesse, j'aurais pu utiliser ce temps pour affirmer ma puissance et faire l'expérience d'une joie. Il faudrait donc éliminer autant que possible ce genre d'occasion triviale.
Mais si faire la queue à la poste s'inscrit dans la dynamique de ma puissance d'agir et de penser (commander un livre que je recherche depuis longtemps) je trouverai une joie à la faire et l'attente ne sera qu'un moindre mal en vue d'un plus grand bien. Il faudrait donc augmenter autant que possible ce genre d'occasion non triviale.
Je crois que pour Pautrat, la trivialité se trouve dans un événement dépourvu de sens relativement à la singularité de notre conatus.
L'hivers dernier, j'étais de passage a Paris, et j'ai suivi un séminaire de Pautrat a L'ENS. Ce fut un événement d'une grande intensité pour moi.
Je n'oublierai jamais ma voisine lui répondre :
"Chez Spinoza il faut réconcilier l'intensité avec l'étendue"
Fabrice
A quoi pense un spinoziste lorsqu'il fait la queue à la poste?
Selon DGsu, il faudrait par exemple penser (avec humour) à Spinoza. Je dirais non, pas exactement, car cela reviendrait à ne pas vivre cette situation, a s'échapper dans une autre réalite à la manière de ceux qui vivent dans une bulle, un Walkman sur les oreilles.
Il faudrait aussi "améliorer le fonctionnement de la file d'attente pour la rendre plus efficace". Surtout pas!!! Car cela aurait pour finalité d'améliorer la machine capitaliste, et cela me semble vain et futile.
Nicolas Israel, dans une conférence que l'on peut suivre sur ce site, explique que c'est en se confrontant à la réalite que nous pouvons affirmer notre singularité. Nous devons répondre de tout car chaque occasion est une occasion de se gagner ou de se perdre.
Si faire la queue à la poste se pose pour moi comme une événement dépourvu de sens (attendre une demi heure pour acheter un carnet de timbre) il faut que je m'arrange pour ne pas la faire. Car lors de cette occasion je me perds et je fais, par la meme, l'experience d'une tristesse, j'aurais pu utiliser ce temps pour affirmer ma puissance et faire l'expérience d'une joie. Il faudrait donc éliminer autant que possible ce genre d'occasion triviale.
Mais si faire la queue à la poste s'inscrit dans la dynamique de ma puissance d'agir et de penser (commander un livre que je recherche depuis longtemps) je trouverai une joie à la faire et l'attente ne sera qu'un moindre mal en vue d'un plus grand bien. Il faudrait donc augmenter autant que possible ce genre d'occasion non triviale.
Je crois que pour Pautrat, la trivialité se trouve dans un événement dépourvu de sens relativement à la singularité de notre conatus.
L'hivers dernier, j'étais de passage a Paris, et j'ai suivi un séminaire de Pautrat a L'ENS. Ce fut un événement d'une grande intensité pour moi.
Je n'oublierai jamais ma voisine lui répondre :
"Chez Spinoza il faut réconcilier l'intensité avec l'étendue"
Fabrice
bene agere et lætari (EIV73 scholium)
A DGsu,
Le séminaire de Pautrat va durer jusqu'en 2009.
Il y a aussi celui de Chantal Jaquet, les informations se trouvent sur www.aspinoza.com
Fabrice
Le séminaire de Pautrat va durer jusqu'en 2009.
Il y a aussi celui de Chantal Jaquet, les informations se trouvent sur www.aspinoza.com
Fabrice
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Bonjour à tous,
Au sujet de Pautrat, je voudrais aussi recommander (pour ceux qui s'intéressent à la dite « preuve ontologique » et son histoire) sa traduction du Proslogion. Allocution sur l'existence de Dieu d'Anselme de Cantorbéry (GF-Flammarion, 1993) (plus les objections de Gaunilon et la réponse d'Anselme), avec une intéressante préface et surtout un dossier contenant les principaux textes concernant cette preuve de saint Thomas, Descartes, Spinoza, Leibniz, Kant et Hegel.
Portez-vous bien.
JF
Au sujet de Pautrat, je voudrais aussi recommander (pour ceux qui s'intéressent à la dite « preuve ontologique » et son histoire) sa traduction du Proslogion. Allocution sur l'existence de Dieu d'Anselme de Cantorbéry (GF-Flammarion, 1993) (plus les objections de Gaunilon et la réponse d'Anselme), avec une intéressante préface et surtout un dossier contenant les principaux textes concernant cette preuve de saint Thomas, Descartes, Spinoza, Leibniz, Kant et Hegel.
Portez-vous bien.
JF
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Pour comprendre la nature du salut spinoziste, il faut revenir au début du Traité de l'amendement de l'intellect - tout le contraire de ce sentiment de vanité générale de l'existence humaine telle qu'elle se poursuit ordinairement : recherche de plaisirs multiples et morcelés, d'argent et de pouvoir car tout cela perd son sens dès qu'on l'a obtenu. Le salut spinoziste, c'est de vivre dès à présent un état de plénitude propre à satisfaire le désir fondamental d'être de l'humain plutôt que les désirs multiples et épuisants, ce qui suppose une conversion du regard et de la façon même de vivre les événements quotidiens.
Faire la queue à la poste comme passer le mur du son ou bien faire l'amour peut être trivial pour qui demeure dans un état d'esprit trivial, c'est-à-dire déconnecté de ce qui peut constituer l'intensité pure du simple fait d'exister ou de vivre. C'est que la trivialité de l'existence est une perception qui dépend de notre subjectivité ou en termes spinozistes de notre affectivité et non de réalités objectives extérieures. Pour les esprits purs, tout est pur. Pour un spinoziste que l'on pourrait qualifier d'accompli - c'est-à-dire qui ne se serait pas arrêté, comme souvent, à la quatrième partie de l'Ethique et qui aurait connu consciemment ce dont parle la cinquième partie - faire l'amour n'est pas a priori une expérience plus intense que faire la queue à la poste dans la mesure où il aime Dieu intellectuellement, c'est-à-dire sent et éprouve l'éternité, la puissance affirmative illimitée, la béatitude de tout ce qui existe comme autoaffection d'une seule et même substance. La béatitude est un orgasme non spasmodique, donc illimité, susceptible aussi d'envelopper les contractions et les crispations de l'existence quotidienne si on sait y être sensible.
Ainsi, plutôt que de penser à ceci ou cela, le spinoziste accompli qui fait la queue à la poste pense d'abord la pensée, c'est-à-dire est installé dans la conscience pure d'exister et de la jouissance qui l'accompagne : il jouit du simple fait d'être là ou de se penser là (ce qui revient au même), avec le carrelage, les murs jaunes, les gens nécessairement si loins, si proches : il ne perd pas son temps puisque celui-ci ne passe pas et que chaque moment de son existence peut être vécu comme s'il pouvait être à nouveau vécu éternellement. Pour le vulgaire, aucune activité extérieure, même faire du saut à l'élastique accroché à un boeing 747, ne serait intéressant au delà d'une dizaine de fois. C'est que ce n'est pas l'activité extérieure qui constitue la véritable intensité, c'est bien sûr la façon de vivre ce qui se présente. Cela ne l'empêche pas ensuite de se poser certaines questions pratiques - d'ordre politique ou morale - comme le suggèrait DGu mais il n'est jamais entièrement absorbé par une telle activité, son centre reste non l'activité discursive, extérieure ou intérieure, mais l'intuition d'être tout simplement, intuition sans véritable limite. L'activité discursive ou raison n'est qu'un moyen pour dissoudre les illusions de l'imagination propres à faire obstacle à cette pure conscience, ce n'est pas la finalité en soi pour un spinoziste.
Qu'est-ce donc au final qu'un spinoziste ? C'est d'abord celui qui désire vivre intensément et sans illusion : intensément parce que sans illusion, sans avoir besoin d'arrière mondes pour justifier l'être là ; sans illusion parce qu'intensément, la vertu de véracité s'appuyant sur le plaisir qui s'y trouve. C'est ensuite celui qui sait se satisfaire de ce désir, qui vit dans ce désir même et non dans un résultat qui le dissoudrait la condition même de sa satisfaction.
Faire la queue à la poste comme passer le mur du son ou bien faire l'amour peut être trivial pour qui demeure dans un état d'esprit trivial, c'est-à-dire déconnecté de ce qui peut constituer l'intensité pure du simple fait d'exister ou de vivre. C'est que la trivialité de l'existence est une perception qui dépend de notre subjectivité ou en termes spinozistes de notre affectivité et non de réalités objectives extérieures. Pour les esprits purs, tout est pur. Pour un spinoziste que l'on pourrait qualifier d'accompli - c'est-à-dire qui ne se serait pas arrêté, comme souvent, à la quatrième partie de l'Ethique et qui aurait connu consciemment ce dont parle la cinquième partie - faire l'amour n'est pas a priori une expérience plus intense que faire la queue à la poste dans la mesure où il aime Dieu intellectuellement, c'est-à-dire sent et éprouve l'éternité, la puissance affirmative illimitée, la béatitude de tout ce qui existe comme autoaffection d'une seule et même substance. La béatitude est un orgasme non spasmodique, donc illimité, susceptible aussi d'envelopper les contractions et les crispations de l'existence quotidienne si on sait y être sensible.
Ainsi, plutôt que de penser à ceci ou cela, le spinoziste accompli qui fait la queue à la poste pense d'abord la pensée, c'est-à-dire est installé dans la conscience pure d'exister et de la jouissance qui l'accompagne : il jouit du simple fait d'être là ou de se penser là (ce qui revient au même), avec le carrelage, les murs jaunes, les gens nécessairement si loins, si proches : il ne perd pas son temps puisque celui-ci ne passe pas et que chaque moment de son existence peut être vécu comme s'il pouvait être à nouveau vécu éternellement. Pour le vulgaire, aucune activité extérieure, même faire du saut à l'élastique accroché à un boeing 747, ne serait intéressant au delà d'une dizaine de fois. C'est que ce n'est pas l'activité extérieure qui constitue la véritable intensité, c'est bien sûr la façon de vivre ce qui se présente. Cela ne l'empêche pas ensuite de se poser certaines questions pratiques - d'ordre politique ou morale - comme le suggèrait DGu mais il n'est jamais entièrement absorbé par une telle activité, son centre reste non l'activité discursive, extérieure ou intérieure, mais l'intuition d'être tout simplement, intuition sans véritable limite. L'activité discursive ou raison n'est qu'un moyen pour dissoudre les illusions de l'imagination propres à faire obstacle à cette pure conscience, ce n'est pas la finalité en soi pour un spinoziste.
Qu'est-ce donc au final qu'un spinoziste ? C'est d'abord celui qui désire vivre intensément et sans illusion : intensément parce que sans illusion, sans avoir besoin d'arrière mondes pour justifier l'être là ; sans illusion parce qu'intensément, la vertu de véracité s'appuyant sur le plaisir qui s'y trouve. C'est ensuite celui qui sait se satisfaire de ce désir, qui vit dans ce désir même et non dans un résultat qui le dissoudrait la condition même de sa satisfaction.
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